2008 – Michel Caillat

.

Le sport n’est pas un jeu neutre et innocent

    Ignoré ou méprisé par la majorité des militants, le sport, « fait social total », joue pourtant des fonctions politiques, idéologiques et économiques très importantes.

    Le sport est le seul domaine du social qui fait totalement consensus. Alors qu’il mobilise des millions de personnes, les militants ne l’analysent pas et glissent sur cette institution de façon invraisemblable. Du côté politique, tous les programmes de la gauche à la droite ont des discours identiques sur le sport : on le sacralise parce qu’il est populaire. L’aveuglement dans les médias est similaire. Les exemples abondent. Des articles rédigés dès 2001 pour dénoncer la désignation de Pékin comme ville d’accueil des Jeux Olympiques n’ont eu aucune retombée. Le (Paris) Dakar suscite de moins en moins de réactions même quand sa direction ose, pour des raisons politico-commerciales, le transfert de l’épreuve en Amérique du Sud en gardant le nom de la capitale sénégalaise ! Dans tous les cas, l’indifférence est totale.

    Le premier problème est celui de la définition du sport. On le onsidère d’emblée comme positif alors qu’il n’est pas un jeu ; l’effort, le rendement, le record, « la liberté de l’excès » (Pierre de Coubertin) constituent son essence. Le sport est une activité organisée, de compétition, avec des règlements et dont la logique est bien éloignée du jeu. Il est une activité physique d’un type particulier et toute activité physique n’est pas du sport. Ce dernier est né dans la deuxième moitié du 19ème siècle et s’institutionnalise avec l’émergence des fédérations à partir des années 1860-1870.

    Le second problème est de réduire l’analyse du sport aux résultats sans dévoiler ses fonctions. Le sport est un « fait social total » c’est-à-dire aux implications multiples. Ses implications sont d’abord politiques : des Jeux de Berlin en 1936 aux Jeux de Pékin de 2008, les droits des sportifs passent avant les droits de l’Homme et le sport sert toujours la stratégie du pouvoir en place. Il est du côté de l’ordre établi et de la logique imposée – la concurrence généralisée – sans proposer d’alternative (il n’y a pas comme en musique ou en peinture de courants différents en sport).

    Ensuite, ses implications sont idéologiques. Le sport est une incorporation de valeurs. Inondée par les informations sportives sur les ondes, les chaînes et dans les journaux, la conscience des acteurs sociaux est saturée. Souvenez-vous de l’hystérie collective de l’été 1998 : à l’heure où politiques et grands médias célébraient l’effet Coupe du Monde, la fin du racisme et le déclin de l’extrême droite, il était impossible de faire entendre des analyses discordantes pressentant le 21 avril 2002.

    Le sport reflète le fondement des rapports de production capitalistes ainsi que leurs principes structurels de fonctionnement. A travers lui, l’idéologie dominante est perpétuellement et sournoisement distillée à haute dose : individualisme, apologie de la compétition, du rendement et du dépassement de soi, mythe du surhomme et de la croissance ininterrompue des performances. Le sport illustre parfaitement la croyance au progrès sans fin : demain sera « meilleur » qu’aujourd’hui. Dans le monde des records perpétuels, il n’y a pas de décroissance possible. Croître encore et toujours sont les maîtres mots de l’univers sportif qui loin de servir d’exemple devrait constituer un contre-modèle.

    Enfin, le sport est un empire économique : aujourd’hui comme hier, il est à l’épreuve du marché. La nouveauté c’est son gigantisme. Nous sommes à l’âge du sport business et des présidents patrons. Entre le discours commun dénonçant « l’argent fou » et la réalité des terrains, le fossé est toujours plus grand : projet de superligue européenne de football, publicité sur les maillots des arbitres, transformation des clubs en sociétés anonymes, droits de télévision colossaux, arrivée du naming (1) en France avec le nouveau stade du Mans qui s’appellera MMArena.

   On accepte ainsi dans le sport ce qu’on met en question partout ailleurs. Pourtant, le seul exemple de l’entraînement sportif intensif et précoce (ESIP) devrait alerter. En 1983, l’Académie nationale de médecine estimait nécessaire de mettre en garde contre les dangers de la pratique chez les adolescents et la préparation des « champions en herbe » en affirmant haut et fort qu’aucune médaille ne vaut la santé d’un enfant. Cet avertissement, n’a rien changé : les ravages ont continué en s’accentuant. Pour un champion olympique combien de jeunes sacrifiés ? Certains ont eu leur heure de gloire mais à quel prix ? Celui d’être détruite par ses entraîneurs pour Elodie Lussac, blessée au championnat du monde de gymnastique de 1994 et à qui on refusa la demande de mise au repos. Celui d’annoncer sa retraite à 20 ans pour Emilie Le Pennec, championne olympique aux barres asymétriques en 2004. Malheureusement, même le travail des enfants sportifs n’arrive pas à être mis en débat.

    Alors que l’idéologie du sport corrobore les valeurs du système qui l’a enfanté, la pensée unique dans le sport est sans équivalent. Or, le plus grand spectacle du monde ne sert pas l’émancipation humaine. Il est temps de le questionner sérieusement dans les milieux associatifs, médiatiques et politiques.

(1)  Le naming, forme de sponsorisation consistant pour un équipement (stade, salle)   à intégrer le  nom d’une grande marque.

  .

Michel Caillat, enseignant, journaliste sportif  –  La décroissance, avril 2008

.

.