Cher François Richaudeau

    Je suis heureuse de me trouver parmi vous. C’est un honneur de fêter votre anniversaire. Grand lettré, homme de la lettre et des lettres, vous êtes écrivain et penseur – la pensée est si délaissée en ce moment – penseur de grandes causes en réseaux, en rhizomes, en bourgeonnements.

    Éditeur, novateur, éternel chercheur, bibliophile et humaniste, vous êtes un intellectuel rare, un savant comme on les désignait au temps de Descartes.

    Dans vote livre Du cerveau, des mots et des pixels, vous étudiez le fonctionnement du ou des cerveau(x). Pour vous, l’expression langagière suit la pensée. Pensée première qui s’exprime par des mots ou ne s’exprime pas.

    Pardonnez-moi mais il me semble que vous vous aventurez là sur un chemin parallèle à celui d’un grand écrivain, Nathalie Sarraute. Vos découvertes n’en sont que plus admirables. Pour Sarraute, l’écrivain est un chercheur. Il explore les régions secrètes du vécu, va du connu vers l’inconnu, tente de rendre visible l’invisible. Niveaux  obscurs nommés « tropismes », sous-conversation, impressions, sensations… Des pensées qui franchissent de façon ténue le seuil des lèvres. Ce théâtre d’ombre, Cher François Richaudeau, vous avez su nous le montrer.

    Mais aussi lire et écrire. Vous avez abordé la mise en pages, mise en scène du texte, le graphisme, la pédagogie de la lecture, cette indispensable  lecture que vous avez voulu donner à tous, enfants et adultes.

    Pour fêter ce printemps des poètes, je souhaiterais accompagner mon texte d’un extrait de l’oeuvre monumentale d’un écrivain que vous avez étudié et que vous aimez, Marcel Proust.

… Le petit chemin qui monte vers les champs, je le trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de fleurs amoncelées en reposoir; au-dessous d’elles,le soleil posait à terre un quadrillage de clarté, comme s’il venait de traverser une verrière; leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures d’un style flamboyant… qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes en comparaison sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient elle aussi en plein soleil le même chemin rustique en la soie unie de leur corsage rougissant qu’un souffle défait … (Du côté de chez Swann, I et II, page 136)

    Pour vous, ami, une foultitude de printemps d’aubépines…

 ( texte pour les 90 ans de François Richaudeau lu lors du Printemps des poètes à Sisteron, le 23 mars 2010 )

Né en 1920, François Richaudeau, ingénieur des Arts et Métiers spécialisé dans l’industrie graphique, travaille d’abord dans une imprimerie. Directeur d’un club de livres, il réfléchit à la façon de composer et fabriquer les livres afin que la lecture soit la plus agréable possible. Il crée le Centre d’Etudes et de Promotion de la Lecture qui étudie les comportements de lecteurs en fonction des typographies utilisées, des mots, des phrases et des styles de textes de natures variées. Il fonde en 1952, avec Jean Garciat et Maximilien Vox, les Rencontres Internationales de Lurs qui réunissent chaque année typographes, graphistes, imprimeurs et autres professionnels du livre. Publication bi-annuelle de La gazette de Lurs. Un temps gérant de la revue et des Éditions Planète, il créé les Éditions Retz qui publient Les Encyclopédies du Savoir Moderne, la revue Communication et langages, Je deviens un vrai lecteur (1989), Encyclopédie de la chose imprimée et Méthode de lecture rapide (2004). La rédaction par d’autres d’ouvrages pédagogiques importants dans les domaines de l’apprentissage et du perfectionnement de la lecture et de l’écriture lui doivent beaucoup.

richaudeau

« Je pars du principe qu’un lecteur n’est pas un déchiffreur, mais un producteur, ce qui se traduit par une certaine liberté dans la lecture et dans l’interprétation du texte lu. Je me suis donc intéressé à la pédagogie de la lecture au sens large et à la lisibilité. Il est ainsi prouvé par mes expériences que les phrases les plus lisibles ne sont pas forcément les plus courtes, mais celles qui sont construites avec des liens, des conjonctions permettant aux lecteurs d’avancer progressivement dans le texte. Les phrases les plus lisibles sont donc des phrases relativement complexes par rapport aux phrases énumératives, dont on ne connaît jamais la fin. Je pense qu’il faudrait revoir les méthodes, les manuels et l’âge de l’apprentissage de la lecture. Il est inutile d’apprendre à lire et à écrire en même temps car la fonction de perception est antérieure à celle de la construction. Je préconise donc d’apprendre aux enfants la lecture-plaisir. »