par André Delobel
Texte prononcé en prologue de la journée d’études Les scènes de l’album, le vendredi 4 février 2016, à la Maison de la recherche de l’université d’Artois.
Si le CRILJ a eu 50 ans en 2015, c’est parce qu’à la fin des années 1960, des personnes telles que Natha Caputo et Isabelle Jan, critiques, Mathilde Leriche, bibliothécaire et conteuse, Marc Soriano, chercheur, Jacqueline et Raoul Dubois, enseignants et critiques, Raymonde Dalimier, documentaliste, Colette Vivier, écrivain, se sont retrouvées pour imaginer une structure qui rassemblerait ceux et celles qui œuvraient à ce que « de plus en plus d’enfants rencontrent de plus en plus de livres ».
Ce fut la création du CRILJ, Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse.
Information donc (beaucoup), recherche (un peu) et, surtout, souci d’inventer des médiations permettant d’atteindre les enfants et leurs parents, les enseignants et les animateurs de centres de loisirs, voire les bibliothécaires à chaque fois que possible. A titre d’exemple, je citerai les fameuses « malles » que l’association mettra à disposition des demandeurs pour donner à voir et à lire la littérature pour la jeunesse dans sa diversité et les innombrables « rencontres de terrain » pour, livres en main, expliquer et montrer, montrer et expliquer, devant une poignée de personnes sous un préau d’école ou devant une salle pleine.
Il y a, en arrière plan de cet activisme, une croyance commune que Max Butlen, dans le numéro 7 des « Cahiers du CRILJ », décrit ainsi :
« Ce qui fonde les certitudes des militants, c’est la conviction (enracinée souvent dans une expérience personnelle) que les livres permettraient de se construire, de s’affirmer (parfois de se libérer). La croyance souvent partagée est que la lecture, outre les grands plaisirs qu’elle procure, est la voie royale d’accès à la culture, au savoir, au pouvoir, à la sagesse, et aussi à la distinction. La lecture donnerait des clés précieuses, celles de l’identité, de la formation, de la compréhension de soi-même, des autres et du monde. »
Nous sommes bien là du côté de l’éducation populaire et il n’est pas étonnant que le CRILJ soit, en 1978, agréé à ce titre par le ministère de la Jeunesse et des Sports et, grâce à Jean Auba, efficace président, reconnu d’utilité publique en 1983.
Les statuts originels du CRILJ (et ceux d’aujourd’hui) l’affirment : l’association regroupe écrivains, illustrateurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignants, parents et autres médiateurs du livre désireux de travailler ensemble.
Mais regardons, en 2016, les choses d’un peu près :
– les auteurs et les illustrateurs ont, en 1974, créé une Charte que tout organisateur de rencontres, de salons ou de formation ne peut pas ne pas connaitre, ne serait-ce qu’à cause d’un fameux « tarif » ;
– des libraires actifs se sont régroupés, il y a une trentaine d’années, dans une association spécialisée qui, entre autres initiatives, publie une revue trimestrielle mélant articles de fonds, propositions de lectures et encarts publicitaires ;
– les éditeurs ont leur « groupe jeunesse », au Syndicat national de l’édition, et les récentes déclarations de Thierry Magnier, son nouveau président, donnent l’impression que c’est grâce aux éditeurs que le livre pour enfants améliorera prochainement sa visibilité ;
– les bibliothécaires jeunesse, qui lisent dans la joie, s’affirment, dès 1963, comme seules spécialistes du livre pour les enfants ; les choses ont évolué, heureusement, mais il reste encore des traces de cette posture ;
– les universitaires qui, dans leurs enseignements et dans leurs travaux, prennent en considération la littérature pour la jeunesse ne sont plus considérés comme marginaux et les chercheurs qui s’intéressent aux « objets culturels de l’enfance » ont créé leur association, très active ; la recherche fondamentale, essentielle notamment lorsqu’elle vient contrarier les discours dominants, n’est toutefois pas une « action de terrain ».
Le CRILJ d’aujourd’hui, même lorsqu’il réaffirme, d’assemblée générale en assemblée générale, son attachement aux principes de l’éducation populaire, sait qu’il ne peut agir sans s’appuyer sur ces entités professionnalisés, sans réfléchir et sans construire avec elles.
Il sait aussi qu’il va avoir à convaincre partenaires associatifs et institutionnels que ce n’est pas parce que les réseaux militants sont aujourd’hui mis à mal qu’il convient de passer à autre chose, laissant, en matière de littérature pour la jeunesse, mode et commerce prendre le dessus.
(Arras, 4 mars 2016)
Né en 1947. maître-formateur désormais retraité, André Delobel est, depuis presque trente-cinq ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national. Articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public.