Anthony Browne à Moulins

 

 

Anthony Browne parle de son œuvre avec Isabel Finkenstaedt

 par Sabrina Moreau

    C’était la première année que je me rendais à la Biennale des illustrateurs de Moulins. Un pur bonheur. Que de rencontres, que de découvertes, que d’échanges ! J’en suis repartie riche de toutes les images vues dans les expositions, pleine de projets de lectures à faire découvrir à nos petits lecteurs et heureuse d’avoir rencontré tant d’auteurs et illustrateurs si touchants.

     La rencontre avec Anthony Browne était la rencontre inaugurale de ce week-end. Ce fut très émouvant de pouvoir mettre un visage et une voix sur l’auteur de tant d’albums lus à des classes. Voici une retranscription de cette rencontre où Anthony Browne était accompagné d’Isabel Finkenstaedt, son éditrice chez Kaléidoscope.

    Lorsqu’Anthony Browne avait cinq ans, il inventa un jeu avec son frère. Ce jeu était très simple : une première personne dessine une forme, la seconde personne la regarde, se demande ce que cette forme lui rappelle et la transforme en autre chose. C’est un jeu auquel tous les enfants jouent finalement. Pour Anthony Browne, chaque travail de création est basé sur ce jeu. « Quand les enfants me demandent d’où viennent mes idées, je leur dis qu’elles viennent de partout. Il n’existe que sept formes d’intrigues pour une histoire et, donc, chaque histoire trouve sa source dans une autre histoire. »

LE JEU DES FORMES

    Quand Anthony Brown rencontre des classes, il présente aux élèves un de ses dessins réalisé lorsqu’il était petit pour leur montrer que ses dessins d’enfant sont les mêmes que les leurs. Même si ce dessin paraît étrange, il y a une relation avec le jeu des formes. Ces jambes qui marchent avec la tête de pirate qui sort d’une chaussure et les jambes de deux pirates qui se faufilent dans le short, c’est le début d’une histoire où les jambes deviennent les mâts d’un bateau de pirate.

    Ensuite, il présente aux enfants la photographie d’une sculpture de Picasso représentant un babouin qui porte un enfant. La plupart répondent que les pieds du babouin sont en fait des mains puis il montre la tête et là ils se rendent comptent que c’est un jouet d’enfant. Pour Anthony Browne, c’est l’exemple même de la transformation qui devient une œuvre d’art

    Une œuvre de Max Ernst représentant un silo à grains en Afrique transformé en éléphant étrange (L’Éléphant de Célèbes, 1921) a inspiré l’album Les tableaux de Marcel, où Marcel joue au jeu des formes avec les tableaux. Anthony Browne voulait, pour ce livre, utiliser les tableaux de Max Ernst mais ce ne fut pas possible pour une question de droit. « Dans Les tableaux de Marcel, chaque image raconte une histoire ».

LE SOUCI DU DETAIL : LES IMAGES RECURRENTES

    Anthony Browne réalise l’illustration d’un conte, Hansel et Gretel. C’est ce livre qui va transformer sa manière de voir les choses. Auparavant, Anthony Browne utilisait les détails du fonds pour rendre l’image plus intéressante mais là il se retrouve face à une nouveauté : illustrer un texte qui est écrit par un autre et dont il existe des centaines d’illustrations. Il choisit alors de donner une autre fonction aux détails dans le fonds de l’image. Ces détails ne seront pas au service de l’histoire. Ce seront des formes récurrentes visibles sur plusieurs planches de l’album.  On retrouve les barreaux, l’image de l’envol, le triangle.

    Pour la scène du réveil, Anthony Browne confie « avoir pris la décision de faire de la mère une sorcière ». Cette idée n’était pas présente dans ses dessins préliminaires, elle s’est « développée pendant que je dessinais : j’ai utilisé l’ombre de la mère et la nuit derrière les rideaux en forme de triangle pour donner l’idée du chapeau de sorcière ». Anthony Browne venait de faire une découverte : « Les éléments du fond m’aide à raconter une autre histoire ».

    Dans la scène du petit déjeuner dans l’album Anna et le gorille, le souci du détail permet à Anthony Browne d’expliciter la relation entre ce père et sa fille. C’est la scène où ils sont pour la première fois ensemble. Le père lit le journal qui forme une barrière entre les deux personnages. Tout est propre, organisé, à sa place. toutes les formes sont géométriques. La couleur froide dominante évoque la tristesse de cette relation parent-enfant. Seul le rouge du pull d’Anna est un prémice de l’aventure. Et pourtant Anthony Browne avoue que rien n’était planifié dans le dessin :  « Quand on fait une image, on est immergé dans l’image. La plupart des décisions sont intuitives et prises au fur et à mesure du dessin. »

    En contre point de cette première image, on trouve plus loin (après avoir vécu tant d’aventures avec son nouvel ami), cette scène du repas avec le gorille. « Quand j’étais enfant, je jouais au jeu des 7 erreurs ». On a en effet l’impression que c’est ce qui guide Anthony Browne. Ici tout est rapprochement : l’image est aplatie, les formes sont organiques sans angle droit, les personnages se regardent et les couleurs lumineuses et chaleureuses évoquent le bien être dans lequel se trouve Anna.

L’INCARNATION DU JEU DES FORMES

    L’album Tout change en est la représentation la plus parfaite. « Je voulais que les changements, les transformations soient l’histoire. J’avais l’image d’un enfant qui regarde quelque chose qui se transforme mais je ne savais pas comment en faire une histoire. Un jour, je discute avec des amis de leur fille de six ans. Ils me racontent qu’ils avaient organisé un dîner pour lui annoncer une merveilleuse nouvelle en maintenant le suspens jusqu’à l’annonce mais leur fille s’était mise à pleurer. Cela me fit penser à cette image : celle d’un enfant qui s’inquiète car il voit les choses se transformer. Je venais de trouver l’histoire du livre mais le lecteur ne devait pas le savoir au début. J’avais le début et la fin mais je ne savais pas comment mettre en forme l’histoire. Les idées arrivaient au fur et à mesure. » Encore une fois tous les indices du changement qui est en train de s’opérer sont dans les détails des fonds (le cadre avec la Vierge à l’enfant).

AJOUTER DES DETAILS POUR RENDRE LES CHOSES PLUS DROLES

    L’album Promenade au parc est le deuxième album qu’Anthony Browne a écrit. C’est l’histoire simple d’un homme et de sa fille qui vont au parc promener leur chien et parallèlement celle d’une mère et de sa fille qui promènent aussi leur chien. Les animaux jouent vite ensemble mais les êtres humains s’ignorent. Puis petit à petit les enfants se rapprochent et finissent par jouer ensemble. « C’est une histoire très simple et j’en étais embarrassé. J’ai donc ajouté des choses rigolotes comme les pieds du banc en forme de chaussures sans que ça ne veuille forcément dire quelque chose ».

    « Lors d’une interview pour la télévision, lorsque j’étais plus jeune, le présentateur me demande hors plateau si je veux parler de l’utilisation des murs de briques dans mes livres. Mais je n’avais fait que deux albums avec des murs de briques. Il m’a alors demandé pourquoi je rajoutais des détails. Je n’ai pas osé lui dire que c’était pour rendre les choses plus drôles alors j’ai menti en disant que c’était pour représenter comment les enfants voyaient le monde. Donc vingt ans plus tard, j’ai revisité ce livre et j’ai voulu raconter comment un même événement pouvait être perçu différemment par plusieurs personnages. C’est le sujet d’Une histoire à quatre voix. »

    Cet album est écrit à travers quatre points de vue différents retranscrits par l’utilisation de quatre polices de caractère différentes. Dans la scène de la sortie du parc, on voit un arbre qui apparaît en feu : « Au moment où je le dessine, je me demande  « Pourquoi je fais ça ? Comment je vais l’expliquer si on m’en parle ? ». « C’était comme pour Anna et son père, je ne savais pas vraiment pourquoi je faisais ça et alors que j’étais entrain de dessiner la femme qui sortait du parc, je me mettais à ressentir sa colère pour son fils qui s’était égaré dans le par cet qu’elle avait retrouvé entrain de discuter avec une fille. Mes images sont souvent une combinaison de ce genre d’accident. »

QUESTIONS DE L’ASSISTANCE

. D’où vous vient l’intérêt pour les gorilles ?

    « Cela vient beaucoup de mon père. C’était un homme grand physiquement et mon frère et moi étions petits. Il avait été boxeur et volontaire pendant la Seconde Guerre mondiale et je ne pouvais pas imaginer qu’il ait pu faire des choses horribles car c’était un homme très doux. Il s’occupait beaucoup de nous, nous faisait dessiner, écrire de la poésie. Il nous encourageait aussi à faire du sport. C’était un homme au physique imposant mais très doux, comme les gorilles « 

. Dans Petite beauté, pourquoi le style pictural change au fil des pages ?

    « Je pense que j’ai essayé de sortir d’un trou et je me suis dit qu’il n’y avait pas de règle disant que dans un livre il faut avoir le même style du début à la fin. Zoo et A calicochon étaient des albums très planifiés et organisés dans l’illustration. Petite beauté a été une libération de ces règles que je m’étais imposé. »

. Vous dites que l’image se fait quand elle se crée. Y a-t-il des ratés ?

    « Beaucoup de ratés ! Je travaille à l’aquarelle et j’essaie de garder l’image, de ne pas la jeter. Après j’utilise la gouache pour peindre par-dessus. Chaque jour dans mon atelier c’est comme le premier round d’un match de boxe : on peut se débrouiller pas trop mal puis prendre un uppercut et chaque image a le sentiment d’être fragile, vulnérable « 

. Vous représentez souvent les pères, les enfants, les animaux mais qu’en est-il des mamans ?

    « J’ai écrit un album intitulé Mon papa et, à contrecœur, j’ai fait une suite intitulée Ma maman. Je ne savais pas comment le représenter. Ma mère était assez typique de sa génération et ce n’est pas cela que je voulais représenter de la maman. En tant qu’homme je trouvais qu’il était difficile de se moquer de sa maman comme j’avais pu jouer avec l’image du papa. J’ai plus utilisé l’image de la petite fille comme personnage qui ‘sauve’ les autres. »

    Après presque une heure et demi de rencontre, Anthony Browne quitte la scène. Il est fidèle à lui-même : bienveillant, plein d’humour et d’humilité sur son travail. Une très belle rencontre qui s’est poursuivie par la découverte de son exposition dans les salles de l’Hôtel de Ville de Moulins.

(février 2018)

 

  

Après classe préparatoire littéraire, Ecole du Louvre et formation d’ingénierie culturelle, Sabrina Moreau est coordinatrice culturelle en milieu pénitentiaire pendant six ans puis, depuis 2013, mediathécaire en charge de la programmation culturelle à Eaunes, près de Toulouse. Au CRILJ Midi-Pyrénées dont elle est membre depuis 2013, elle assure, à compter de 2015, les fonctions de trésorière. « Maman de deux jeunes enfants, je suis tombée dans la littérature jeunesse grâce à eux. Convaincue que lire des histoires dès le plus jeune âge est un outil de « construction massive », je cherche à développer des projets et des actions de médiation culturelle autour du livre jeunesse. » C’est ainsi que Sabrina Moreau participe à la formation « projets d’activités autour de la littérature de jeunesse » organisée avec la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations (DDCSPP) de la Haute-Garonne à destination des animateurs de centres de loisirs. Elle est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » du CRILJ  à l’occasion de la quatrième Biennale des illustrateurs de Moulins.

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Photos : André Delobel