Une recherche-action à l’école maternelle

 

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Durant six années, Nathalie Virnot, lectrice et formatrice pour l’association A.C.C.E.S (Actions Culturelles Contre les Exclusions et les Ségrégations), a lu des albums aux enfants de toute-petite et petite section de deux écoles maternelles de Savigny-sur-Orge (Essonne). Enseignants, ATSEM, professionnels du RASED, bibliothécaires et, surtout, parents participaient à ces temps de lecture mensuels. Cette recherche-action s’appuie sur la collecte de données recueillies lors de ces séances de lecture auprès des enfants et des adultes. Grâce au dispositif proposé de lecture individuelle, l’on découvre que les enfants issus de familles où le livre et la lecture sont peu ou pas présents s’approprient très rapidement les albums et leur contenu. Entrant en toute liberté dans la lecture de textes de qualité, ces très jeunes enfants y naviguent avec une aisance et un plaisir manifestes qui rayonnent sur l’ensemble des adultes présents.

Le contexte

     Appelée en renfort par la Ville de Savigny, l’association A.C.C.E.S (Actions Culturelles Contre les Exclusions et les Ségrégations) monte un projet de lecture dans les classes de petite section (puis de toute-petite section) d’un quartier en grande difficulté. Nous mobilisons la bibliothèque et différents partenaires pour proposer des séances de lecture mensuelles avec la participation des parents.

    Il s’agit de « lecture individuelle », c’est-à-dire d’une lecture adressée à un enfant au sein d’un groupe. C’est lui qui choisit l’album qu’il a envie d’écouter et l’adulte qui le lui lira. Il est libre de ses mouvements, libre de jouer en écoutant, libre de ses commentaires et de ses interprétations. L’adulte lecteur est auprès de l’enfant et s’ajuste à lui, à son rythme, tout en observant ses mouvements en relation avec les albums. Autour d’eux, un grand nombre d’enfants -deux classes- et d’adultes dispersés dans la salle.

    De 2011 à 2017, enseignants, ATSEM, professionnels du RASED, bibliothécaires, parents et une lectrice d’A.C.C.E.S se retrouveront ainsi une fois par mois pour lire, à la demande, des albums sélectionnés pour leur qualité et leur diversité, puis se réuniront pour noter ce qu’ils auront repéré.

Les objectifs

     Notre expérience à A.C.C.E.S nous enseigne comment chaque enfant a son propre cheminement vers les livres et les récits, et combien une rencontre précoce avec un album qu’il a choisi, un adulte qui prête sa voix et accompagne l’enfant, est porteuse pour la suite.

    Le propos de ce travail est de décrire précisément la façon dont ce dispositif permet à ces très jeunes élèves une approche, puis une appropriation des albums de façon souvent surprenante. Repérer leur évolution au fil de l’année puis, plus tard en grande section, examiner leur positionnement face aux livres et aux récits : comment l’apprécier et le qualifier, en fin de maternelle ?

La collecte des données

    Les données recueillies sont de deux ordres, l’un centré sur les enfants, et l’autre sur les adultes.

    Pour les enfants, il s’agit de ce qu’A.C.C.E.S appelle des « observations » : des vignettes décrivant concrètement leurs mouvements, regards ou paroles face aux albums, mais aussi des éléments plus discrets ou apparemment plus éloignés de la lecture.  Ce matériel provient principalement du temps de concertation entre les lecteurs adultes, à l’issue de chaque séance de lecture. C’est un matériel descriptif considérable, dont sont extraits les éléments les plus récurrents. Ceux-ci sont ensuite organisés selon des axes pertinents, depuis les mouvements physiques des enfants, jusqu’aux expressions les plus intérieures.

    Côté adultes, nous avons mené des entretiens semi-directifs destinés d’abord à établir un état des lieux, puis à recueillir le ressenti et les remarques des professionnels, leur opinion, leur adhésion ou résistance face à ce type de pratique.

Les résultats

    La première surprise est la rapidité avec laquelle les enfants s’approprient les livres. On les voit développer en quelques mois une grande connaissance des albums, qui se révèle notamment dans les liens qu’ils font entre les thèmes, les versions, les auteurs.

     Le dispositif proposé permet une approche par la manipulation : la découverte de l’objet livre dans sa matérialité et son fonctionnement permet une familiarisation précieuse.

   Ils se saisissent de l’opportunité d’être actifs dans leur propre cheminement : tout-petits, on les voit s’accrocher à un album qu’ils se feront relire le jour-même ou le mois suivant, aller en chercher un autre au loin, revenir en arrière dans les pages ou prendre le temps de se plonger dans une illustration. Plus tard, en grande section, ils tiennent à commenter, faire part de leurs hypothèses, débattre entre eux ou raconter eux-mêmes à l’adulte. Le plaisir de penser est visible.

     La disponibilité de l’adulte, qui s’ajuste aux demandes de l’enfant, fait toute la différence : on voit celui-ci s’approcher au plus près de l’adulte, à son rythme. Il est soutenu par le regard conjoint, validé dans ses choix -même les plus surprenants- et valorisé par son intérêt.

    Les adultes se disent souvent désarçonnés par les choix des enfants -notamment pour des albums complexes. Ils saluent cette occasion pour les élèves, de se montrer différents, et pour l’adulte, de les découvrir sous un autre jour. Tous parlent de plaisir.

    Les enseignants saluent unanimement l’intérêt d’un partenariat solide avec la bibliothèque et l’impact fédérateur du dispositif.

    La question de la présence des parents reste clivante. Là où elle a été possible, elle a jeté des passerelles autour de l’enfant, tant sur le plan de la langue que d’une familiarisation mutuelle ; elle alors été pointée comme un impact majeur de notre action.

    En somme, ce travail met en lumière les étapes ou les modalités de l’établissement d’une relation personnelle au livre.

   Dans un cadre ainsi réfléchi et posé, ce cheminement se fait rapidement et naturellement, dans un plaisir manifeste dont on peut penser qu’il constitue un bon point de départ pour l’avenir. Enfants et parents s’en trouvent valorisés.

(note de synthèse de Nathalie Virnot)

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Nathalie Virnot est psychologue et psychanalyste. Elle a travaillé pendant plus de vingt ans à l’Unité René Diatkine (Association de Santé Mentale de Paris XIIIe). Elle est lectrice et formatrice pour l’association A.C.C.E.S depuis 1995. À ce titre, elle est intervenue notamment en PMI, pouponnière, crèche, à la nursery de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Elle anime également des observatoires sur les pratiques de lecture des tout-petits, notamment avec l’association Lire à Voix Haute en Normandie et à la Médiathèque départementale de l’Hérault.

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. Histoires de lectures : lectures individuelles à l’école maternelle, par Nathalie Virnot, chez l’auteur, 114 pages ; préface : Evelio Cabrejo Parra, vice président d’A.C.C.E.S .

 Commande sur internet  :  bit.ly/histoiresdelectures

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