Un texte patrimonial

 

Pour la rentrée des classes

      « L’éducateur doit être irréprochable dans sa tenue et dans sa conduite privée. Que l’instituteur donne à ses élèves le courageux spectacle de la dignité de sa vie. Enseigner n’est pas seulement un ‘métier’. C’est un art dans lequel intervient la personnalité du maître, son tempérament, son caractère. Il y a de la part de l’éducateur une sorte de chaleur communicative, un reflet d’âme qui pénètre la classe toute entière. L’instituteur a donc l’obligation de se montrer particulièrement sévère pour lui-même. Placé dans une situation spéciale, sous le regard de tous, il ne peut oublier un seul instant que ses faits et gestes – son langage, ses relations, sa conduite – sont soumis au contrôle public et qu’il est impossible que toute sa vie privée ne soit pas l’illustration de la leçon de morale ou de civisme qu’il donne à l’école.

      « L’institutrice aura à se surveiller. Un écart, qu’elle a pu considérer comme une innocente distraction, sera exploité par les méchantes langues. Bien sûr, la ‘demoiselle’ de l’école ne doit pas vivre esseulée comme une sainte dans sa niche, mais elle ne saurait non plus impunément se mêler à des exubérances de mauvais aloi, ni se prêter à des fréquentations douteuses. A elle d’apprécier les limites du bon goût et de s’y tenir, en se gardant toutefois de mériter le reproche de vanité ou de pédantisme. Le souci de la correction n’exclut pas la joie de vivre en société, conditionnée par la bonne humeur et l’aménité du caractère. »   (…)

     « L’instituteur consciencieux poursuit une seule et même tâche : il s’instruit, il cultive son jardin. S’intéresser à tout ce qui l’entoure est une règle de conduite. C’est cette habitude de travail intellectuel, cet amour de l’étude désintéressée qui fait l’intérêt de sa vie. Cette culture intellectuelle, l’instituteur l’élargira nécessairement par le contact avec la vie populaire. Et d’abord, se mêler aux jeunes, savoir rester jeune pour conquérir les jeunes. La vocation de l’éducateur implique une constante recherche de l’âme enfantine à la lumière de sa propre curiosité intellectuelle. L’éducateur qui aime son métier s’y consacre de toute son âme et sa propre éducation est le premier de ses soucis : elle doit se prolonger toute sa vie ».  (…)

      « L’école est assidûment et joyeusement fréquentée quand le maître ou la maîtresse ont su la faire aimer en donnant à leur enseignement l’animation, la vivante gaieté qui conviennent à la nature des enfants. Ce qui fait la noblesse de l’éducateur, c’est qu’il se donne tout entier à ses élèves ; c’est que, sans peser en des balances trop subtiles ce qu’il leur doit et ce qu’on lui doit, il se dépense pour eux sans compter ; c’est qu’il n’est pas le distributeur automatique de connaissances et de recettes, mais un apôtre du travail, de la vérité, de l’altruisme, de la justice. Il faut que le maître trouve chaque jour dans son cœur, dans sa conscience, les trésors de bonté, d’équité, de patience, d’indulgence même qui, bien loin de nuire à son autorité, la renforceront en l’adoucissant. En acceptant d’être instituteur, vous avez pris l’engagement tacite d’aimer les enfants, tous les enfants qui vous sont confiés, de les aimer assez pour en faire des hommes ; et si la tâche vous paraît plus ingrate à l’égard de quelques-uns, il faut bien, n’est-ce pas, que vous les aimiez davantage. Ce ne sera que la stricte justice ».  (…)

     « Réfléchissez à ceci : l’accomplissement de son devoir est chose relativement facile pour qui a la conscience haut placée. Quant à l’exercice de ses droits, c’est quelquefois plus difficile. Ne pensez pas trop à vos droits ; souvenez-vous que l’exercice inconsidéré d’un droit équivaut à une faute et que l’on a quelque fois tort d’avoir raison ».  (…)

      « Vous entretiendrez dans l’âme de vos élèves  ‘la flamme immortelle’ qu’allume l’amour du bien, de la vérité, la passion de la liberté et de la justice. Vous exalterez l’effort persévérant. Vous donnerez l’exemple de l’action disciplinée qui conditionne l’exercice de la liberté. Vous établirez par les faits, que l’école laïque est l’école de la tolérance et de la fraternité. Vous formerez des ‘caractères’ doués de sens social, mais aussi de sens critique, afin qu’ils ne soient plus jamais les dupes et les victimes des propagandes mensongères, des mystiques absurdes, des folies grégaires. Vous redresserez bien haut, devant vos élèves, le flambeau de l’idéal national. Mais vous veillerez à ce que cet attachement indéfectible à la Patrie ne dégénère jamais en un nationalisme étroit, en un chauvinisme générateur de haines. Aimer sa patrie, c’est avoir la volonté de défendre contre toute agression ; c’est aussi de vouloir qu’elle soit toujours plus fraternelle et plus humaine ».

. Code Soleil : Le Livre des Instituteurs, SUDEL, 1923.

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Le chapitre introductif de l’ouvrage, rédigé par André Ferré, s’intéresse à la morale professionnelle. Il sera maintenu, au fil des années, sans actualisation notoire. Il disparait en 1979.

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Photos du haut et du milieu : Robert Doisneau