Lira bien qui rira le premier
A l’occasion de la journée professionnelle du 28 mars 2018 du trente-troisième Salon du livre jeunesse de Beaugency (Loiret) titrée « Lira bien qui rira le premier » (qui a accueilli Marie Leroy-Collombel, Antonin Louchard et Yvanne Chenouf), le CRILJ avait demandé à seize auteurs, autrices, illustrateurs et illustratrices devant participer au Salon, du vendredi 13 au dimanche 15 avril, leurs opinions et leurs sentiments à propos de l’humour en général et des livres drôles en particulier. Voici la page « spécial Gilles Bachelet ».
Si une chose me fait rire, elle fait rire quelqu’un d’autre.
Mes lectures d’enfance m’ont sûrement plus marqué par leur pouvoir d’évasion que par l’humour à proprement parler, en ce qui concerne les romans en tout cas. Enfant unique, vivant à la campagne sans télévision puis en pension, j’ai été lecteur précoce, boulimique et éclectique.
L’offre étant considérablement plus limitée qu’aujourd’hui et je suis rapidement passé des romans jeunesse (Comtesse de Ségur, « Club des cinq », « Bennet ») aux grands romans « tout public » (Jules Vernes, Jack London, Fennimore Cooper, Conan Doyle, Gaston Leroux, Melville, Defoe, Mark Twain, Stevenson)
La découverte de l’humour est venue de la bande dessinée à travers « Tintin », « Lucky Luke », « Iznogoud », « Spirou », puis, à l’adolescence, Gotlib, Bretecher, Mandrika.
Deux titres qui m’ont particulièrement marqué enfant : Treize à la douzaine de Frank Bunker Gilbreth (probablement pour l’exotisme que représentait une famille nombreuse pour le fils unique que j’étais) et Les jumeaux de Vallangoujard de Georges Duhamel, pour des raisons plus obscures. Je n’ai plus le moindre souvenir de l’histoire mais je me souviens que ce livre m’avait fasciné et j’en revois encore la couverture.
Pour moi, le goût du livre drôle s’est développé au fil du temps. Illustrateur plutôt de commande au départ et essentiellement dans la presse magazine (jeunesse et adulte), j’ai toujours aimé cacher dans les coins, même dans des images qui n’avaient pas pour vocation d’être humoristiques, des détails incongrus et décalés.
Quand je me suis plus tourné vers l’édition jeunesse et que j’ai commencé à écrire mes propres textes j’ai pu donner cours plus librement à ce penchant pour l’absurde.
Après une période de lassitude et de doutes quant à ce métier, j’ai vraiment recommencé à prendre du plaisir grâce à cette main-mise conjointe sur le texte et sur l’image.
Mon style de dessin n’étant ni novateur ni particulièrement virtuose, j’ai l’impression que l’humour donne à mes illustrations une sorte de légitimité. Cela me sécurise. Je n’imagine même plus faire une image qui ne fasse pas rire ou sourire, par elle-même ou par juxtaposition avec un texte.
Ceci dit, j’évite de me poser trop de questions, je pars généralement du principe élémentaire que si une chose me fait rire, elle peut faire rire quelqu’un d’autre.
Mes textes ne sont généralement pas drôles en eux-mêmes et servent surtout de lien et de contrepoint décalé à l’illustration. Lus tout seuls, ils sont d’une grande banalité et ne prennent sens que par la présence de l’image. Cela me met toujours mal à l’aise de les entendre lus par une tierce personne si l’image est placée trop loin des enfants ou si, comme ils sont par ailleurs très concis, le/la conteur/teuse ne leur laisse pas le temps d’opérer la relation entre les deux.
Lorsqu’il m’arrive de les lire moi-même dans les classes, je passe plus de temps à commenter l’illustration qu’à lire le texte. Pour le reste, j’essaie de faire rire par le choix des personnages, l’absurde des situations. J’aime jouer avec les références à la littérature jeunesse, à l’histoire de l’art, à mes albums précédents, tant pour l’enfant que pour l’adulte qui partage la lecture avec lui. Car, je l’avoue, j’aime bien dans mes livres pour enfant faire rire les adultes aussi…
À priori tous les sujets devraient pouvoir se prêter à l’humour. J’adore la drôlerie macabre d’Edward Gorey. Me viennent en tête Le Dé-mariage, un livre jubilatoire de Babette Cole sur le divorce, Pochée, un livre plein d’humour délicat sur le deuil, de Florence Seyvos et Claude Ponti.
Malheureusement tout le monde n’a pas la même perception du second degré et certains sujets sont plus sensibles que d’autres.
La littérature jeunesse évolue à l’image de la société. L’addiction au whisky et au tabac du capitaine Haddock n’a pas encore été occultée des albums mais on imagine mal créer aujourd’hui un personnage reposant sur ces ressorts comiques.
Les polémiques s’enflamment vite sur les réseaux sociaux à propos de stéréotypes de genre, d’appartenance ethnique ou religieuse. Les associations pour l’éducation bienveillante veillent à ce que les papas lapins ne donnent plus la fessée à leurs petits, les baisers des princes charmant sont sous surveillance. D’une façon générale on marche sur des œufs et on anticipe les réactions. Dieu merci le pipi-caca reste une valeur sûre – et abondamment exploitée.
Dernière chose : me font rire les gens qui font ou racontent des bêtises avec le plus grand sérieux, les citations philosophiques sur fond de soleil couchant sur facebook, les petits flyers des marabouts dans les boites aux lettres, les sketches des Monty Python, les dessins de Bosc, Sempé, Voutch, Glen Baxter, et le liste n’est pas exhaustive.
(Gilles Bachelet – mars 2018)
Le savez-vous ?
Le dossier du numéro 301 de juin 2018 de La Revue des livres pour enfants est consacré à Gilles Bachelet.