La proposition faite par le ministre de l’éducation nationale de « colonies éducatives » destinées aux élèves qui ont rencontré des difficultés scolaires pendant le confinement mérite réflexion, si tant est, bien entendu, que le calendrier et les modalités du déconfinement en permettent l’organisation. A ce jour, rien n’est moins sûr.
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Notons tout d’abord que le nom n’est pas forcément approprié : les séjours collectifs de vacances, avec ou sans nuitées, sont tous dotés fort heureusement d’un projet éducatif et les enfants qui les fréquentent y apprennent beaucoup. Le ministre veut donc parler de séjours collectifs durant les vacances qui seraient en partie consacrés à des activités scolaires ou en lien direct avec la scolarité. Dans les débats légitimes que suscite ce projet, on entend ces questions : ne va-t-on pas priver ces enfants, souvent issus des milieux populaires, d’une ou deux semaines de repos bien mérité ? Ne va-t-on pas stigmatiser ces enfants ? Poser ces questions est méconnaître les conditions de vie des pauvres.
Les pauvres partent rarement ou pas du tout en vacances. Pour beaucoup de leurs enfants, la journée de fin d’été organisée par des associations solidaires est parfois la seule échappée vers d’autres horizons. Les colonies de vacances qui ont accueilli en masse ces enfants après la deuxième guerre mondiale jusque dans les années 1970-1980 sont aujourd’hui en grande difficulté. Avec la baisse continue des financements publics, 30 à 40 % d’entre elles ont disparu dans les quinze dernières années. Une majorité de parents ne peut plus assumer le prix des séjours.
Pourtant, des « colonies éducatives » existent et se portent bien. Elles sont essentiellement fréquentées par les enfants des classes moyennes et favorisées qui se voient proposer, pendant un séjour de quelques jours à la montagne ou à la mer, des maths et du tennis, ou du français et du cheval, ou de l’anglais et de la natation, etc.
Mais le coût de ces séjours n’est pas à la portée du budget des pauvres. La consultation des sites des organismes qui proposent de tels séjours, montre en effet que leur coût est de 700 euros à 1300 euros pour une dizaine de jours, le plus souvent sans le transport. Avant la crise sanitaire, certains de ces sites, souvent privés et lucratifs, affichaient déjà complet pour cet été 2020.
Certaines familles peuvent payer ces « colonies éducatives » pour leurs enfants. Pourquoi l’État ne les paierait-il pas pour les enfants des milieux populaires ?
L’idée de « colonies éducatives » proposées par l’État aux enfants qui ont rencontré de graves difficultés pendant le confinement peut donc se concevoir. Mais cette réponse à la discontinuité pédagogique dont ont souffert les élèves pendant le confinement ne peut être que construite par les acteurs de terrain, associations et collectivités, en conjuguant le savoir-faire de l’accompagnement à la scolarité, de l’école ouverte, des séjours éducatifs et des accueils collectifs de mineurs, et en lien avec les familles. Pour cela, plusieurs conditions doivent impérativement être remplies :
– que les organisations et mouvements d’éducation populaire dont c’est la vocation historique soient associés à l’initiative dès le début du processus ;
– que le projet soit réellement éducatif avec des apports culturels, sportifs, et qu’il ne soit pas uniquement centré sur du soutien scolaire ;
– que l’encadrement (enseignants volontaires, éducateurs) soit, sur chaque site retenu, partie prenante du projet de « colonie éducative » ;
– que la gratuité (séjour et transport), décidée sur des critères sociaux, soit assurée aux familles les plus démunies. L’argent consacré inutilement au SNU trouverait là une utilisation répondant pleinement aux impératifs du moment.
par Jean-Paul Delahaye (avril 2020)
Merci à Jean-Paul Delahaye dont le texte peut être retrouvé ici, sur le site de Médiapart qui héberge le blog de son auteur.
Jean-Paul Delahaye débute sa carrière, en collège, comme professeur d’histoire-géographie ; inspecteur départemental de l’Éducation nationale en 1982, il est chargé de mission auprès du recteur d’Amiens pour le premier degré et pour les questions relatives à l’illettrisme, contribuant à l’élaboration d’un premier plan régional ; il est, en tant qu’inspecteur d’académie, nommé chargé de mission auprès du groupe permanent de lutte contre l’illettrisme ; directeur de l’École normale des Ardennes de 1986 à 1990, il participe à sa transformation en IUFM ; inspecteur d’académie et directeur des services départementaux de l’éducation dans plusieurs départements, dont la Seine-Saint-Denis, de 1991 à 2001, inspecteur général de l’Éducation nationale en 2001, chargé de mission au cabinet de Jack Lang, de mars 2001 à avril 2002, pour les questions de violences, de ZEP et de lutte contre l’exclusion et la grande pauvreté ; conseiller spécial de Vincent Peillon à compter de mai 2012, directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) en novembre de la même année, démissionnaire en avril 2014 ; Jean-Paul Delahaye est signataire du rapport Grande pauvreté et réussite scolaire : le choix de la solidarité pour la réussite de tous qu’il remet, en 2015, à Najat Vallaud-Belkacem ; docteur en sciences de l’éducation, il enseigna à l’université René Descartes – Paris V ; il est membre associé auprès du conseil d’administration de la Ligue de l’enseignement.