Art et culture à l’école

.

Une expérience transformatrice

Comédien et metteur en scène, Stanislas Nordey dirige, depuis 2014, le Théâtre national de Strasbourg (TNS) et son école d’art dramatique. Il a animé de nombreux ateliers de théâtre auprès des jeunes. Militant de la culture pour tous, il cherche à repousser les frontières des « zones culturelles blanches  », ces territoires où l’on n’a pas suffisamment accès aux biens culturels.

.

Art et culture à l’école, une nécessité ?

     Stanislas Nordey  – C’est une nécessité absolue qui se décline de diverses manières. Pour la plupart des artistes c’est extrêmement enrichissant d’intervenir en milieu scolaire car la question de la transmission aux nouvelles générations est au centre de leur geste. Quand on est face à des enseignants qui sont dans le désir, ces très belles rencontres enrichissent l’enseignant et l’artiste. Et au cœur de ça il y a l’enfant, l’adolescent. Ces gestes innovants qui inventent sans cesse, qui sont dans le présent et créent un écart à la pratique scolaire habituelle leur ouvrent d’autres horizons. Pour les trois, enseignant, artiste et enfant, c’est extrêmement nécessaire et par expérience, ça marche. Être en contact avec l’art fait reculer la barbarie. Il y a encore un immense chemin à parcourir. L’idée à une époque de rapprocher les mots éducation et culture, cette consanguinité nécessaire entre ces deux domaines, avait un sens. Les années Lang ont créé une sorte d’accélérateur et les résultats ont été extraordinaires, particulièrement dans les territoires délaissés et déshérités où il y a un appétit incroyable d’art et de culture. Mais pour que cela existe il faut des moyens, ce sont des investissements d’avenir.

Quel rôle pour l’école ?

     L’art et la culture sont souvent aux avant-postes de réflexion. Par exemple, les questions de la parité, du genre et de la diversité, la représentation des femmes, sont à l’œuvre depuis longtemps chez les artistes. Il faut être dans le contemporain. Parfois, au ministère ou chez quelques enseignants, Racine et Molière sont des valeurs plus sûres que Duras et Yourcenar. Mais les artistes contemporains sont importants aussi parce qu’ils sont dans la vie, dans la cité et ils transmettent quelque chose du monde d’aujourd’hui, de la réalité. Je suis pour que les artistes envahissent les écoles. A partir du moment où un artiste est là, il dérange les choses, les déplace, les fragilise dans le bon sens du terme, il les met en perspective, les complexifie. L’enjeu de toute notre société c’est : comment est-ce qu’on combat la violence et l’intolérance, le sexisme, le racisme, l’homophobie ? L’école est un média et un interlocuteur formidable, un lieu parfois d’exclusion pour des jeunes mais un lieu où cela peut aussi se résoudre.

Quelle culture pour les jeunes ?

     Entre l’école que j’ai connue et l’école d’aujourd’hui, on en est toujours à une représentation de l’histoire des puissants écrite par les puissants. Les enfants qui ne sont pas de cette histoire-là, celle des dominants et des classes supérieures, ne s’y retrouvent pas. Et ce n’est pas une question d’assimilation ou pas. Il n’y a pas d’ouvriers ou de paysans chez Molière, sauf pour les ridiculiser. Il faut parler de la vie et interroger les programmes. On est dans une forme d’immobilisme dont tout le monde est complice et dont les principales victimes sont les élèves. Penser que c’est en les emmenant voir Abd el Malik qu’ils auront accès à la culture est une erreur. Ils n’ont pas d’a priori et sont plus accueillants qu’on ne croit. Parfois les artistes sont face à des enseignants qui eux le sont un petit peu moins et sont sûrs que, « ça » c’est pas bon pour leurs élèves. « Essayez, écoutez-moi » c’est le rôle de l’artiste de déplacer l’enseignant sur des territoires parfois plus glissants, en l’accompagnant.

L’art peut-il changer la vie des élèves ?

     Ça change tout et vite parce que quand on est confronté à la question de l’art, on est déjà confronté à la question du regard. Et ça quand on est tout jeune, le regard sur l’autre, le regard que l’autre pose sur soi, celui que l’on pose sur soi, sont très problématiques et souvent douloureux. Aux ateliers, on apprend à regarder l’autre, à regarder ce que l’on ne sait pas faire, à regarder l’inconnu, à être tolérant. C’est juste énorme et fondamental. Nous mettons aussi en pratique comment on regarde et on écoute l’autre, cet autre est différent et ça n’est pas grave. Il y a un enjeu sociétal immense. Ce n’est pas un boulot titanesque parce qu’ils comprennent tout de suite, par l’expérience, ce qu’ils y gagnent. C’est gagnant-gagnant pour tout le monde. Pour la société, pour les mômes, pour les enseignants, les parents… Mais tant qu’on n’a pas été confronté à ça, on ne s’en rend pas compte.

Les objectifs de la décentralisation ont-ils été atteints ?

     Aujourd’hui les classes moyennes ont accès à la culture mais pas les classes populaires, les exclus, les gens précarisés. Pour toucher tout le monde, il faut plus de moyens, des choix budgétaires et des politiques publiques. Sachant qu’un grand plan ça ne coûte pas si cher, vu ce que ça rapporte il y a un rapport qualité-prix délirant.

(novembre 2020)

.

Entretien accordée par Stanislas Nordey

à Fenêtres sur cours pour son cahier spécial

« 20 ans d’université d’automne du SNUipp-FSU »

Metteur en scène de théâtre et d’opéra, acteur, Stanislas Nordey est un homme partisan du travail en troupe. Avec sa compagnie, il est artiste associé au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis de 1991 à 1995, avant de rejoindre, avec sa troupe de douze comédiens, le Théâtre Nanterre-Amandiers, à la demande de Jean-Pierre Vincent qui l’associe à la direction artistique. De 1998 à 2001, il dirige avec Valérie Lang le Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis. En 2001, il rejoint le Théâtre national de Bretagne comme responsable pédagogique de l’École, puis comme artiste associé. Il y crée notamment Violences de Didier-Georges Gabily (2001), Incendies de Wajdi Mouawad (2008), Les Justes d’Albert Camus (2010). En 2011, il est artiste associé à La Colline et, pour l’éditIon 2013 du festival d’Avignon, artiste associé aux côtés de l’auteur, comédien et metteur en scène congolais Dieudonné Niangouna. Il crée Par les villages de Peter Handke dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. On doit à Stanislax Bordey la création de nombreuses pièces d’auteurs contemporains, parmi lesquels  Martin Crimp, Laurent Gaudé, Jean Genet, Hervé Guibert, Manfred Karge, Jean-Luc Lagarce, Frédéric Mauvignier, Fabrice Melquiot, Heiner Müller, Pier Paolo Pasolini,  Bernard-Marie Koltès. Incursions dans le répertoire avec Marivaux, Feydeau ou Hofmannsthal. Stanislas Nordey a entamé, ces dernières années, une collaboration forte avec l’auteur allemand Falk Richter. Acteur, il a joué sous la direction de plusieurs artistes et compagnons de route dont Wajdi Mouawad pour Ciels (2009) et Pascal Rambert pour Clôture de l’amour (2011). Il dirige le Théâtre national de Strasbourg et son école depuis septembre 2014, engageant un important travail en collaboration avec une vingtaine d’artistes associés. En 2019, il crée, à La Colline, Qui a tué mon père d’Édouard Louis et, en 2020, au TNS, Berlin mon garçon de l’auteure associée Marie NDiaye.