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……Chaque génération assiste à la fin d’un monde et au commencement d’un autre. Entre les deux, c’est une pagaille, une cacophonie, un théâtre inachevé. Il appartient à chaque génération, peut-être de changer le cours du destin, mais surtout d’inventer son propre récit. Pour la jeunesse qui voit la mise en danger de ses espérances, la résurrection des vieux démons, la fragilité des édifices, trouver le récit vrai n’est pas qu’une question poétique, c’est une question vitale. Dans chaque combat il y a opposition de la violence matérielle et de la puissance angélique du narratif. N’en déplaise à certains, ce ne sont pas les idéologies qui créent les mondes, ce sont les histoires. Reste à savoir si nous aurons encore le havre de silence, le temps contemplatif et l’harmonie des engagements pour raconter ces histoires, pour renouveler ces mythes fertiles, pour convoquer encore le récit historique. […]
Quand des inclus nous disent que notre théâtre est élitiste et n’est pas populaire, ils ne font rien d’autre que mépriser l’intelligence du peuple. Ce peuple qui a un grand désir, qui sait que l’âme n’est pas seule et que le plus grand trésor est un trésor de vocables et d’émerveillements. Quand nous ne croyons plus au théâtre populaire, nous trahissons non seulement la plus haute idée que nous puissions nous faire de la culture mais aussi la définition la plus puissante de la démocratie. Bref nous confondons le théâtre avec un divertissement et le peuple avec l’audimat. Plus que jamais nous avons besoin du besoin du peuple, pour nous laver des faux désirs, produits à coup de matraquage publicitaire avec la complicité de certaines élites. Il n’y a pas que la misère matérielle, même s’il faut la combattre car elle est une injustice folle dans un monde si riche, ce qu’il faut donner aussi aux enfants ce sont les moyens de formuler leurs histoires et qu’ils ne regardent pas une bibliothèque comme un mur qui les sépare des autres, mais comme un jardin où ils apprendront à aimer. […]
Finalement tout se termine toujours par « il était une fois », c’est-à-dire par la possibilité de raconter encore. Quelque chose finit et quelque chose commence et, entre les deux, la jeunesse cherche les mots qui donneront sens à son combat.
(extraits de l’éditorial d’Olivier Py pour le programme de l’édition 2022 du Festival d’Avignon)
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Olivier Py, écrivain, metteur en scène et comédien, réalisateur, directeur du festival d’Avignon pour la dernière fois, a adapté et porté au plateau, pour le jeune public, quatre contes des frères Grimm : La jeune fille, le diable et le moulin (école des loisirs, 1995), L’eau de la vie (école des loisirs, 1999), La vraie fiancée (Actes Sud-Papiers, 2009) et L’amour vainqueur (Actes Sud-Papiers, 2019).