1957 – Roger Vaillant

.

Le jour de la course, toute la ville est là pour les applaudir.

     Les petites cylindrées n’en finissaient plus de passer. C’est une des particularités des Mille Milles. Il suffit de payer l’inscription pour y participer.

    Toute l’année, dans le monde entier, des tifosi se préparent pour les Mille Milles en bricolant leur voiture de série. Le classement se faisant par catégories, c’est-à-dire en fonction de la cylindrée et de la « préparation » (c’est-à-dire du bricolage avoué), chaque coureur a une chance de gagner dans sa catégorie. Il y eut cette année vingt-cinq catégories, donc vingt-cinq vainqueurs. Les trois premières catégories étaient réservées aux quatre chevaux. En ce sens, les Mille Milles sont une course vraiment populaire.

    Il n’est pas une seule petite ville, sur les 1400 kilomètres du parcours, dont plusieurs habitants ne courent les Mille Milglia 1957. On connaît le mécanicien qui les a aidés à bricoler leur moteur. On leur a donné des conseils. On les a vus s’entraîner le dimanche matin sur les routes du voisinage ou même, à l’heure de la passegiata (de la promenade), le long de la Grand-Rue, On s’est quelquefois cotisé pour les aider à transformer leur machine. Le jour de la course, toute la ville est là pour les applaudir.

    Collins passa premier des grands (mais il allait casser son pont arrière, un peu plus loin, à Parme). Taruffi, deuxième ; son corps, sur le siège de la Ferrari, oscilla étrangement dans le virage.

– Il est « bambola », dirent les derniers des masératistes.

    Une surprise : Maglioli, sur une Porsche sport de série, de seulement 1500 cm3, surgit derrière Taruffi. Il allait se classer cinquième. Voilà qui sonne le glas des voitures « pur-sang » fabriquées « sur mesure » pour les champions. Suivirent von Trips et Gendebien, sur Ferrari. Enfin, Scarlatti. Les masératistes se levèrent et applaudirent.

    Puis Portago, qui agita le bras pour saluer ses amis de l’Hôtel Royal. Il paraissait « en forme ». Il rétrograda, « négocia » le virage, puis les deux cents chevaux de sa Ferrari, lancée à fond dans la ligne droite, emplirent l’air d’une immense clameur. Nelson, à ses côtés, était « bambola ». Maglioli, von Trips, Gendebien et Scarlatti étaient « bambola ».

    La course des Mille Milles est exténuante pour les conducteurs de voitures très rapides (celles qui dépassent le 180). C’est de dix à douze heures sur un « tapis roulant » qui se présente sous des aspects toujours imprévus. Sur un circuit court, les 8 kilomètres de Reims, les 13 km 461 du Mans, le coureur tourne sur sa propre trace. Il sait à chaque instant ce que la route va précipiter vers lui. L’imprévu vient des autres coureurs. C’est contre eux qu’il livre bataille. Mais impossible de connaître « par cœur » tous les virages, dos d’âne, rétrécissements d’un parcours de 1 400 kilomètres. Même si on l’a minutieusement étudiée, la bataille des Mille Milles se livre contre le tapis roulant.

.

Roger Vaillant, écrivain, journaliste – France Soir, en juin 1967

.

.