1979 – Antoine Blondin

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J’ai suivi 533 étapes du Tour de France.

    Soumis au fameux questionnaire de Marcel Proust, lorsqu’on me demanda : « Quelle est votre occupation préférée ? », je répondis : « Suivre le Tour de France », au discret étonnement du Lanterneau littéraire. En leur temps respectifs, Proust avait dit : « Aimer » et, un peu plus tard, François Mauriac : « Rêver ».

    Quoi qu’il en parût, mon propos ne me retranchait pas trop d’un certain compagnonnage avec ces aînés prestigieux, car il s’agissait bien en l’occurrence de l’accomplissement d’un rêve d’amour, chargé de réminiscences enfantines et tout à fait digne de consacrer une « recherche de temps perdu ».

   À l’époque, c’était vers 1935, un concours avait été organisé entre les jeunes élèves des lycées et collèges de France. Le thème en était une rédaction illustrant le sport cycliste dans le cadre de la grande course hexagonale. Pour salaire de leur talent, les auteurs des vingt-sept meilleures copies étaient invités, à tour de rôle, à suivre l’une des vingt-sept étapes de l’épreuve, dans une voiture officielle. Cette apothéose scolaire, pour un petit garçon qui se voulait avec un égal bonheur coureur ou journaliste, me fut proprement refusée au profit des premiers de la classe, qui n’en avaient que faire. Chez moi, la classe a parlé tardivement. Du moins ai-je, à ce jour, suivi 533 étapes du Tour de France. Ma « madeleine de Proust », si elle dégage un parfum d’embrocation, possède aussi une lointaine saveur de revanche.

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Antoine Blondin, écrivain, journaliste – Sur le Tour de France, Mazarine, 1979

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