2017 – Jean-Paul Dubois

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Joueur de football professionnel à 11 ans

    Était-ce vraiment un maillot ? Il en avait en tout cas l’apparence, la texture, les couleurs. Des rayures d’un vert lassé sur le nappé d’un blanc résigné. La trame s’apparentait à un coton tissé dense et dru pour contraindre les écarts de l’enfance et rayer la peau de la jeunesse. Tous les jeudis après-midi, j’endossais cette camisole comme on enfile un habit de travail, une humiliation, une tenue de contention. Nous étions en 1961, Couve de Murville était aux Affaires étrangères, Raymond Kopaszewski au centre de mes préoccupations, je n’avais pas onze ans et j’étais déjà joueur de football professionnel. Je m’entrainais à des heures régulières et participais à des rencontres hebdomadaires face aux clubs que nous désignait le calendrier. J’appartenais à une équipe fameuse, une équipe de légende qui jamais ne perdait. Il n’était pas possible de nous battre. Cela ne pouvait pas arriver. Dans ce championnat scolaire on nous appelait « les professionnels ». Et, d’une certaine façon, nous l’étions car à la différence de nos congénères nous ne jouions pas pour le plaisir. Quand nous pénétrions sur le terrain c’était pour gagner nos primes de match, des primes mirifiques, essentielles, qui nous entrouvraient les portes de la liberté et celles de la vie. Le collège de jésuites dans lequel nos familles nous avaient embastillés était sans doute le centre de formation, au sens large du terme, le plus pervers, le plus dur et le plus dégradant qui se puisse imaginer.

    À l’égal de la religion, le sport, les langues mortes et les lois du vivant nous étaient enseignées à coups de battoirs jésuitiques. Notre petit peuple en gésine réduit à l’obéissance devait donc se soumettre aux règlements canoniques et aux lubies soutanesques de l’armada des séides d’Ignace de Loyola. Les plus malléables d’entre nous apprenaient très vite les bienfaits de la génuflexion et poursuivaient des carrières qui les mèneraient plus tard, toujours à genoux, vers les plus hautes responsabilités de l’État. Les autres, ceux qui avaient la rotule têtue ou le ménisque réfractaire, étaient détenus en retenues chaque samedi et dimanche et ce jusqu’à ce que leurs articulations fléchissent.

    En même temps, car il y a toujours un « en même temps » chez les jésuites, il existait une issue pour obtenir la rédemption et passer le week-end en liberté loin de l’encens et des joies de l’ablatif. Le sport. Une victoire, qu’elle fut obtenue par l’équipe de handball, de football ou de tout autre jeu de balle rachetait mécaniquement huit heures de retenues. Car, même obtenue par des forbans, elle entretenait la légende et lustrait l’orgueil du collège. Et c’est ainsi que nous sommes devenus « les professionnels », des types qui ne perdaient jamais, des mercenaires à qui on n’avait pas besoin de raconter d’histoires pour qu’ils emportent tout sur leur passage. Car nous jouions pour bien plus que de l’argent. Chaque but marqué nous rachetait un peu de dignité et nous entrouvrait les portes de la liberté.

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Jean-Paul Dubois, écrivain – « En Jeu », n° 29, décembre 2017

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