Coup d’envoi

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    Au cours du colloque Le sport… c’est aussi dans les livres que le Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse (CRILJ) organisa, le vendredi 30 et samedi 31 janvier 1998, dans les locaux de l’INJEP de Marly-le-Roi, intervenants et participants échangèrent à propos de l’image du sport chez les jeunes, des représentations véhiculées dans les médias s’adressant aux jeunes lecteurs et, bien sûr, de la représentation du sport dans la littérature pour la jeunesse. La conférence introductive, Le paradoxe, le sport et le livre, sera prononcée par François Dontenville, sous-directeur. du développement des pratiques sportives au ministère de la Jeunesse et des Sports.  Jean Pachot, président du CRILJ, rendra compte des réponses de jeunes de 10 à 15 ans à un questionnaire traitant de la place du sport et de la lecture dans leurs loisirs et Alain Fiévez, libraire, se posera la question de savoir si le sport ferme les portes de l’imaginaire. Dans son intervention titrée Les jeunes et le sport, Alain Bambuck, qui présidait les deux journées, explique notamment pourquoi, pour suivre le Tour de France, il a toujours préféré les mots aux images, France Soir à la télévision.

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Les jeunes et le sport

   Mesdames, mesdemoiselles et messieurs, mes chers amis, et je m’adresserai  particulièrement à vous les jeunes qui nous écoutaient (1) pour vous féliciter de vous intéresser au sport à travers la lecture, et plus largement à travers la littérature.

    Vous savez qu’il y a dans notre pays environ 32 millions de personnes qui déclarent avoir une pratique sportive régulière, c’est-à-dire qui, au moins une fois par semaine ou plusieurs fois par an, soit participe à un match, soit pratiquent la course à pied, la natation ou des jeux de raquettes, etc.

    Un autre chiffre, celui des treize millions de français détenteurs d’une licence sportive, c’est-à-dire inscrits dans une fédération, comme par exemple la fédération de football, de tennis, de roller et de tout autre pratique ; ils le font quelquefois, mais pas précisément toujours, dans le bit de participer à des compétitions, en tout état de cause en acceptant d’entrer dans un moule, celui d’une pratique codifiée.

    Il y a 200 000 clubs sportifs dans notre pays. Mais il y a une autre chose que les fédérations sportives n’admettent pas volontiers, une énorme rotation chez les jeunes dans leur appartenance à des associations sportives. En clair, lorsque vous avez 100 jeunes de moins de vingt ans inscrits en début d’années dans une association sportive, vous n’en retrouvez guère que 10 ou 20 qui sont restés fidèles.

    Ce qui vaut dire que l’offre de pratique sportive vers les jeunes ne correspond probablement pas tout à fait à ce que les jeunes recherchent. Il y a à cela beaucoup de raisons et, si vous le voulez bien, nous allons essayer d’approcher un certain nombre de ces raisons.

    Je crois que la première de ces raisons pour laquelle les jeunes ne restent pas fixés dans une pratique sportive tient à ce que beaucoup d’entre vous ne trouvent pas dans l’offre la variété d’activités qu’ils recherchent.

    Vous qui êtes autour de moi, vous aimez bien jouer au football, su moins pour certains d’entre vous. Mais vous n’aimez pas que cela, Vous aimez bien faire du sport, mais vous n’aimez pas que cela. Cette attitude est contradictoire avec l’offre des fédérations sportives pour qui acheter une licence et adhérer, c’est entrer dans une famille, entrer dans un processus d’échanges qui vous engage pour toute une vie. De plus en plus d’individus de par le monde refusent aujourd’hui ce genre d’accès à la pratique du sport.

    L’année dernière, je me suis rendu à un congrès, Sports pour tous, qui se déroulait à Séoul. Plusieurs intervenants y ont relevé ce point : l’adhésion à une forme de sport n’est plus, comme autrefois, une adhésion pour toute une vie. On change, on doit changer, aussi bien dans l’intensité que dans le mode d’expression. C’est une question très importante pour les responsables des fédérations sportives. Quoiqu’ils disent, quoi qu’ils fassent, ils sont inscrits dans une concurrence interne au sport. On vous fait une offre de football, une offre de roller, une offre de jeu de quilles, de jeu de balle, et c’est vous qui choisissez, c’est nous qui choisissons. Et c’est une affaire qui ne s’adresse pas qu’aux jeunes. C’est nous qui choisissons la forme de pratique qui nous convient en fonction  de la représentation que nous avons, de l’extérieur, de ce qu’est le sport.

    Cette représentation  externe vient beaucoup de l’image renvoyée en particulier par la télévision. La télévision est chargée de mettre en spectacle le sport et, pour mettre en spectacle le sport, elle use de moyens simplistes propres à susciter la passion, l’enthousiasme et autres chose de ce genre. Je vous renvoie, pour ceux qui en auraient la curiosité, aux propos de certains commentateurs des épreuves d’athlétisme, parlant sur un ton extrêmement élevé et usant d’un vocabulaire limité à des superlatifs : « C’est extraordinaire ! C’est fantastique ! »

    Il s’agit d’un rôle de bateleur plus que de commentateur. Et c’est à partir de ces critères-là que ceux qui ne savent pas, ceux qui ont une vision simpliste du sport vont procéder à leur choix d’activités sportives.

    Mais le sport n’est pas seulement qu’une mise en spectacle. C’est un moyen de communication entre les individus. Un moyen de communication où celui qui parvient à accomplir un geste, qui réussit à atteindre les objectifs qu’il s’est fixés, qui a envie de dire avant tout à ceux qui partagent sa passion ainsi qu’à ceux qui le regarde ce qu’il ressent et ce qu’il a de plis intime au fond de lui. En disant cela, on se rapproche de ce qu’est l’expression artistique : tous les artistes ont pour principale raison d’être de mettre leur intimité au service de ceux qui les admirent par l’intermédiaire de la forme d’expression qui est là leur.

Et c’est là que se fait le lien entre sport et littérature.

   Il est facile de dire : « J’ai gagné et j’ai réussi un geste. », mais il est plus difficile de le faire comprendre à ses interlocuteurs. L’écriture a ceci de particulier qu’elle favorise, par le bon usage des mots et des phrases, l’entrée dans un monde imaginaire qui vous permet non pas de savoir ce qui s’est passé – parce que l’on ne sait jamais ce qui se passe d’in sportif à l’autre – mais d’entrer dans son univers, de voir la réalisation d’in geste et surtout de montrer le cheminement qui lui a permis de réaliser précisément ce geste, que ce soit un exploit ou tout autre chose.

    La communication qui passe au travers de l’expression écrite est beaucoup plus forte, beaucoup plus complexe et permet à celui qui agit et à celui qui lit de pouvoir entrer dans le même monde imaginaire.

   Prenons le Tour de France. Le grand succès du Tour de France, c’est précisément d’avoir sublimé cet imaginaire, d’avoir permis à des personnes qui  étaient de la ville ou qui étaient de la campagne, qui n’avait jamais vu un vélo, d’entrer en relation avec ceux qui étaient loin d’eux, en train de défier la nature, escaladant tel ou tel col, d’avoir permis à ces gens de connaitre et de comprendre ce que pouvait être la souffrance de ces champions.

    Et pour cela il y a des écrivains avec un talent extraordinaire qui ont réussi  à faire cette communion entre l’acteur et le lecteur.

   Je pense en disant cela à un grand écrivain qui a été aussi un grand journaliste, Lucien Bodard. Lorsqu’il couvrait le Tour de France, – c’était, je crois, pour France Soir – Lucien Bodard a réussi une prouesse, celle de faire vivre le Tour à ses lecteurs en étant installé à la terrasse d’un bistro, parce qu’il avait su comprendre et avait su saisir où était l’essentiel de l’effort des hommes qui se confrontent à la nature sur leur machine. Il avait su comprendre comment on pouvait entrer dans le même imaginaire en faisant fonctionner la capacité que nous avons tous de se représenter ce qui se passe ailleurs.

    Et lorsque la télévision est arrivée sur le Tour de France, les uns et les autres ont dit que c’était un succès. J’étais pour ma part de ceux qui pensait qu’au contraire l’image allait appauvrir le Tour de France, chose qui s’est révélée exacte car, une fois obtenu ce direct, il n’y avait plus cette part de rêve, on nous montrait directement ce qui se passait, en n’était plus en mesure d’imaginer la souffrance gagner le coureur cycliste, comment l’angoisse le prenait quand il devait dévaler les côtes, comment la beauté d’in paysage pouvait le saisir quand il était dans une échappée, comment la volonté de se surpasser existait cher lui. C’était dit par l’écrit, mais l’image ne nous montrait pas cela.

               […]

Le sport a besoin d’un intermédiaire

    C’est l’écrit qui, à mon sens, permet une meilleure communion avec le mystère de la performance sportive. Car cet accomplissement est bien un mystère. Nous répétons à l’envie performance sportive, performance économique également, mais nous ne nous interrogeons pas suffisamment sur l’origine de ce mot. Un mot d’origine française, signifiant accomplissement et qui nous est revenu par l’intermédiaire des anglais avec une connotation théâtrale, emprunt donc au langage artistique pour venir dans le langage sportif, pour désigner la représentation d’un exploit et, chemin faisant, le sens d’accomplissement du mot français a été perdu de vue. C’est pourquoi je préfère garder ce sens originel pour signifier ce que peut être le sport et la performance sportive.

    Le sport et la littérature ont toujours fait bon ménage, nombreux sont les auteurs qui ont commencé à écrire sur le sport : on pourrait presque dire qu’ils ont fait leurs premières armes dans le sport, parce que c’est un lieu de passion et, pour un écrivain, aller dans ce milieu où les hommes se mettent à nu, physiquement, intellectuellement, psychologiquement, c’est s’ouvrir un champ de recherche, d’expérience et d’enrichissement unique, que l’on retrouve nulle part ailleurs.

    Ainsi sommes nous surpris de voir des écrivains de grand renom, des intellectuels, qui subliment le corps. Ces écrivains ont jeté sur l’esprit sportif un regard plus qu’intéressé, un regard allant au-delà de la simple curiosité.

     De toute manière, si l’on veut réussir en sport, on ne peut se départir de la littérature, d’abord de façon utilitaire. Pour avoir connaissances des expériences passées, Alain Colas, lorsqu’il préparait ses courses transatlantiques, disait que la première chose qu’il faisait était d’aller chercher des livres qui avaient été écrits sur la question concernant son prochain défi. Et il revenait avec un coffre de voiture remplie d’ouvrages traitant d’expériences vécues et de théorie sur la question. Son premier travail, c’était la consultation des écrits.

  Et si vous regardez les autres sportifs, ceux qui réussissent dans la discipline qu’ils ont choisies, même si cela ne se dit pas d’une manière aussi simple, ils leur est impossible de définir leurs grands objectifs sans avoir eu connaissance du passé, et cette connaissance du passé se fait par l’écrit. L’écrit est indispensable car la désignation d’un objectif, pour un sportif comme pour toit le monde, se fait dans le secret. On a peur d’être ridicule, de dire d’un seul coup : « Je vais devenir champion de France ou champion du monde. » On a peur du ridicule de dire à ses copains, par exemple, « Je veux avoir le prix Goncourt », car tous vont rigoler.

               […]

    Aujourd’hui, dans le domaine du sport, les ouvrages techniques ne manquent pas ; les ouvrages qui sont proposés régulièrement sont plus ou moins bien écrits, plus ou moins scientifiquement acceptables mais ils existent et nous devons conseiller aux jeunes de jeter un coup d’œil sur ces ouvrages.

    Une autre catégorie d’ouvrages illustre bien l’importance médiatique du sport ; il s’agit des biographies. Dès qu’un sportif, un athlète a atteint ce que l’on appelle le haut niveau, sa biographie est éditée. C’est un privilège que l’on trouve dans d’autres activités humaines ; des personnes qui parfois n’ont pas vingt cinq ans disposent déjà de leur propre biographie ! Cela prouve simplement que ce type d’ouvrage a un impact et qu’il y a une exploitation de l’image des sportifs ; cela prouve également qu’il y a un public pour lire ces ouvrages.

    Les ventes de ces livres édités souvent par des maisons peu spécialisées, font des scores très honorables, comparés à ceux d’œuvres de fiction dont les auteurs auraient bien aimé atteindre des tirages de cinq à dix milles exemplaires.

    Le sport, c’est aussi l’aventure ; beaucoup d’auteurs ont choisi de sublimer cet aspect qui existe dans le sport et d’en tirer des livres d’aventure. Ainsi voyons-nous des livres qui, sous couvert de sports nouveaux ou de sports de plein air, nous parlent de l’aventure sportive. En fait, ce sont des aventures humaines qui se trouvent relatée, avec comme support des pratiques de pleine nature car ce sont des activités à la mode.

    Parler des sports et des jeunes, ce fut ici un prétexte pour parler de littérature et la démarche que j’ai  entreprise visait à voir comment le sport peut être concerné par les autres domaines d’expression de l’être humain.

(1)  des élèves de troisième du collège Louis Lumière de Marly-le-Roy

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Roger Bambuck, né en 1945 à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), est un athlète français spécialiste des épreuves de sprint, notamment du 100 mètres. Il occupera la fonction de secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports de 1988 à 1991.