Roberto Innocenti : un magicien

par Martine Abadia

    Roberto Innocenti est né en 1940 à Bagno a Ripoli (Florence). Ses premiers pas dans la vie, en période de guerre, auront bien sûr une grande influence dans son parcours. Il doit quitter l’école dès 13 ans pour aider sa famille et travailler dans une fonderie jusqu’en 1958. Autodidacte, il sera ensuite,  tour à tour, vendeur dans une galerie d’art, graphiste publicitaire pour des magazines de luxe, affichiste pour le cinéma et le théâtre, avant de pouvoir se consacrer enfin pleinement à l’illustration.

    Il sera, dès lors, édité par de grandes maisons d’éditions internationales et récompensé à de nombreuses reprises : Biennale des Illustrateurs à Bratislava en 1985, Prix Hans Christian Andersen reçu en 2008 pour l’ensemble de son œuvre, pour les plus prestigieux.

    Roberto Innocenti est un artiste engagé. il se pose comme un témoin de l’histoire en marche et porte un regard d’une grande précision sur la vie, ses  joies, ses peines, ses barbaries. De son enfance perturbée par la guerre, il a su néanmoins garder le sens de l’amusement, de la curiosité propre à l’enfance. Il sait traduire avec pudeur l’incompréhension et le choc émotionnel des enfants, soudain confrontés à l’absurdité des violences générées par  la bêtise et le besoin de pouvoir des adultes.

    Il fut un des invités du deuxième Festival des illustrateurs qui s’est déroulé à Moulins (Allier) du 26 septembre au 6 Octobre 2013.

RENCONTRE AVEC UN GRAND MONSIEUR

     Nous sommes à Moulins, le vendredi 27 septembre 2013. Il est 9 heures 30.

     En préambule, avant de donner la parole à Roberto, Lucie Cauwe, modératrice, remarque que trois des illustrateurs invités, Roberto Innocenti, Lorenzo Mattoti et Kveta Pacovska, ont participé à la même exposition à la Foire du livre pour les enfants de Bologne en 1996 et qu’ils ont en commun d’avoir illustré des contes traditionnels et créé des albums de fiction très personnels.

. Vous êtes autodidacte, ce dont on pourrait douter en regardant la précision de vos dessins. Comment en êtes-vous venu au dessin ? Comment s’est fait le choix d’illustrer pour la jeunesse ?

     Etre autodidacte, je le partage avec de nombreuses personnes de ma génération car je suis né pendant la guerre et c’était très difficile à cette époque d’entreprendre des études. Et puis dessiner, c’est quelque chose qui s’apprend … en dessinant.

    L’illustration pour la jeunesse m’a attiré très tôt, donc j’ai commencé à illustrer, il y a environ 25 ans mais, en même temps, j’ai été obligé de m’arrêter assez rapidement parce que c’était trop difficile d’en vivre. J’ai fait plein de boulots pour nourrir ma famille et ce n’est que bien plus tard que je suis revenu vers la littérature de jeunesse.

    Ce métier d’illustrateur pour la jeunesse, on doit l’exercer avec passion. La notion de plaisir est fondamentale pour pouvoir transmettre par l’illustration cette passion à son public.

. Est-ce que vous êtes capable d’exprimer ce que vous ressentez quand vous illustrez ? Ou est-ce difficile de mettre des mots derrière tout ça ?

    Quand je me mets à ma table de travail, l’idée de ce que je veux raconter est déjà bien claire dans ma tête. Dans tous les métiers que j’ai exercés, je me suis toujours préoccupé de m’adresser à un très large public. C’est pour cela que je n’ai jamais voulu devenir peintre parce que je ne voulais pas que mon tableau s’arrête accroché sur le mur d’une seule maison, mais, au contraire, que le plus grand nombre en profite, le partage, d’où le choix de l’édition.

. Ce qui frappe dans votre œuvre, c’est le mélange de réalisme et d’imaginaire, que ce soit dans les contes traditionnels ou dans les albums qui traitent de faits historiques. Est-ce un choix de mélanger les deux ou est-ce que ça vient tout seul ?

     Pour ce qui est du réalisme, j’ai pris l’option du figuratif, justement en pensant au public auquel je m’adresse. C’est comme un écrivain qui s’adresse à un jeune public avec un langage hermétique. C’est donc pour moi l’obligation de communiquer de la manière la plus claire possible. Par contre, le réalisme pur, j’essaie de l’éviter parce que ce n’est pas ce que j’aime le plus. La seule fois où je m’en suis beaucoup rapproché, c’est pour L’étoile d’Erika.

    Pour ce qui est de l’imaginaire, c’est plus lié à mon envie constante de m’amuser, d’exprimer les sentiments avec légèreté. Bien sûr, cela varie en fonction des sujets traités mais j’essaie toujours de mettre une pointe d’humour ou de tendresse dans ce que je dessine ou de m’amuser avec certains détails.

( Laura Rosano, traductrice, précise : « Roberto se sent plutôt comme un réalisateur de film ; il y a les moments où il doit s’inscrire dans une  réalité mais, ensuite, il y a le décollage parce qu’il faut qu’il s’amuse. » )

. Par rapport aux contes traditionnels, le fait d’inscrire ces contes dans des époques ou des ambiances particulières, le changement de cadres  – Cendrillon à la Belle Epoque, Le Petit Chaperon Rouge très contemporain, Pinocchio dans des paysages typiquement toscans – semble vouloir renforcer par l’illustration la force du propos. Pourriez-vous préciser pour chacun de ces contes, ces choix ?

     Les contes de fées commencent toujours par Il était une fois … Il n’y a jamais de dates, donc tout ce qui est illustré c’est toujours des faux, des interprétations, car, si on voulait être au plus près du vrai, il faudrait les inscrire dans un style baroque qui correspondrait à l’époque où ils ont été majoritairement écrits.

    En pensant à Cendrillon, je me suis penché sur le sens de cette histoire et je me suis demandé à quelle époque je pouvais la poser. Pour moi, Cendrillon est une petite fille ambitieuse qui, au lieu de vouloir se marier avec un footballeur comme le désireraient les jeunes filles aujourd’hui, rêve de se marier avec un prince. L’époque de Cendrillon, pour moi, c’est 1929 : je voulais qu’elle soit « bonne à marier » en 1929 exactement, avec une coupe à la garçonne, car c’est une époque frivole qui s’adapte bien à ce conte, me semble-t-il. Aujourd’hui, elle aurait donc 104 ans !

    Par contre, en réfléchissant au Petit Chaperon Rouge, l’histoire est follement tragique. Donc, j’ai voulu la mettre en scène dans cette espèce de forêt que constitue le no man’s land de la ville globalisée d’aujourd’hui. Ce message s’adresse surtout aux adultes comme une sorte d’avertissement pour leur dire de faire attention aux conséquences pour les jeunes de ce foisonnement de publicités qui envahissent leur environnement et les poussent à se poser cette question : est-ce que c’est dans cette forêt-là que vous voulez faire se promener vos enfants ? D’ailleurs, quand on en parle au moment des dédicaces, parents et enfants sont conscients que c’est autrement plus dangereux aujourd’hui de traverser cette ville impersonnelle, qui est un morceau de toutes les villes du monde, que de traverser un bois pour aller retrouver sa grand-mère.

    L’idée d’illustrer le Pinocchio est venue au moment du centenaire de sa parution. Au départ, je n’avais pas projeté d’illustrer Pinocchio, c’est plutôt une suggestion de mon éditeur. Alors je me suis penché sur les nombreuses adaptations illustrées et je me suis rendu compte qu’aucun ne l’avait inscrit dans des paysages toscans. Pour moi, c’était le déclic : il fallait que Pinocchio vive et se déplace dans la Toscane de l’époque. Mais, comme je suis très vieux, j’ai aussi connu la Toscane de 1900 !!!

    J’ai en fait utilisé Pinocchio comme Le Petit Chaperon Rouge ou encore Rose Blanche comme des guides pour visiter des lieux, des paysages ou des moments de l’histoire.

. Vous venez d’évoquer Rose Blanche. Cela va nous permettre de vous interroger sur ces albums qui traitent de l’histoire avec un grand H : L’étoile d’Erika, Rose Blanche … mais aussi dans une moindre mesure peut-être La maison. Rose Blanche c’est l’album qui vous a révélé au monde en 1985. Je me souviens de la Foire de Bologne cette année-là où on ne parlait que de ce livre. Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter l’histoire de cette petite fille allemande qui fait la découverte des camps de concentration. Est-ce que c’est dans les missions d’un auteur de parler de l’histoire, d’informer les enfants et , en même temps, de leur apporter cet aspect artistique qui peut les rassurer ?

    Pendant la période où je n’ai pas pu travailler pour la jeunesse pour des raisons économiques, j’ai continué à lire plein d’ouvrages pour la jeunesse édités à l’étranger. Je me suis dit que, moi aussi, je voudrais faire quelque chose de poignant. Et puis je voulais que ma fille soit au courant de ce morceau d’histoire et, pour cela, il fallait que ce soit abordé de façon tendre, de façon acceptable pour un enfant.

    Quand j’ai eu terminé de dessiner Rose Blanche, j’ai essayé de l’éditer mais personne n’en voulait parce que, justement, en Italie, chacun sait que le fascisme n’a jamais existé ! Alors, j’ai mis toutes les planches dans un tiroir jusqu’à ce qu’Etienne Delessert passe dans mon atelier pour me demander d’illustrer Cendrillon. Comme je gardais précieusement ces dessins depuis 4 ans, je les lui ai montrés et, là, Etienne Delessert a dit : « Il faut absolument que ce livre soit publié ! « 

    Ce livre est un vrai tournant dans ma vie car il a été édité dans de nombreux pays d’Europe d’abord mais aussi, un peu plus tard, aux USA et au Canada. J’ai reçu, grâce à lui, La Pomme de Bratislava et le Prix de la Paix en Allemagne. Du coup, ça m’a rassuré sur cette possibilité, pour moi illustrateur, de totale liberté d’expression mais j’ai quand même un profond regret : celui d’avoir été reconnu et même ovationné à Montreuil, par exemple, avant de l’être dans mon propre pays.

. Dans l’ouvrage, L’auberge de Nulle part, où l’imaginaire vient au secours du quotidien, est-ce que, vous-même, vous avez parfois peur de perdre votre pouvoir d’imaginaire ?

    Comme tout créateur, j’ai peur effectivement de perdre mon imaginaire, mais, dans cet album, justement, je ne savais pas où aller, je n’avais pas d’idée de départ. Je me suis laissé guider, cédant ainsi à mon besoin d’amusement. J’ai pris  comme point de départ la question : Où ça peut amener le fait de ne pas avoir d’idée ?

    Ça peut amener par exemple à prendre les idées des autres, à aller chercher des personnages créés par d’autres. Donc, tous les jours, j’ai convoqué dans cet hôtel égaré au milieu de nulle part, des personnages qui me venaient en tête. Ces personnages, je les voulais comme des citations, des espèces de prototypes, des clins d’œil. Et, à la fin, est sorti un livre qui n’a aucun sens, qui, du début à la fin, constitue juste un amusement et j’en suis très fier ! Au niveau technique, le dessin est beaucoup plus léger, cela participe de ma volonté d’amusement. Mais le grand mystère pour moi était de savoir si cela allait amuser mes lecteurs !

. Comme un acrobate qui rentre sur scène, est-ce que vous avez parfois le sentiment de vous mettre en danger quand vous vous mettez à dessiner ?

    C’est vrai qu’on a toujours des questionnements quand on démarre un nouveau livre et qu’on se demande si on doit vraiment le faire, s’il va être bien reçu. Mais on prend confiance au fur et à mesure quand on a eu de bonnes ventes des précédents albums. Mais c’est toujours la rencontre avec les lecteurs et surtout les enfants qui fait évoluer les choses et me met en confiance. Je me suis longtemps posé la question de savoir si j’étais un illustrateur pour enfants. Et c’est eux qui m’ont apporté la réponse quand ils m’ont dit qu’ils aimaient justement ce foisonnement de détails, qu’ils n’y étaient pas perdus. C’est pourquoi, aujourd’hui, j’ai beaucoup moins peur de descendre sur la piste !

. Et si vous deviez changer de métier et travailler dans un cirque puisque c’est la thématique du Festival 2013, vous choisiriez quel rôle ?

    Quand j’étais petit, j’adorais le cirque, mais plus j’ai grandi, plus j’ai trouvé tous ces endroits, le cirque, les parcs d’attraction…, des lieux très tristes. Mais s’il fallait que je rentre dans un cirque, je ne pourrais être ni acrobate, ni dompteur, donc, vu mon ventre, je pencherais plutôt vers le rôle de directeur !

Est-ce qu’il y a un livre sur lequel vous travaillez actuellement ?

    En ce moment, je n’ai pas de projet précis de livre en cours car, pour que je puisse travailler sereinement, il ne faut pas que je sois encombré par des problèmes autour de moi. En ce moment, les conditions ne sont pas réunies. Mais j’ai quand même une idée assez précise de projet qui sera long. Et puis, j’ai plein de choses dans mes tiroirs qui attendent et je ne sais pas si j’aurai assez de temps pour toutes les réaliser ! Je suis lent et minutieux dans mon travail, alors ça prend toujours beaucoup de temps pour aller jusqu’au bout.

    A propos de ce projet, si vous voulez en savoir plus, il s’agit d’un poème relativement court mais qui va se dérouler sur un assez grand nombre de pages. Le « personnage » est un bateau qui nous permettra de visiter les années 1900. Quand le bateau sera en train de sombrer, on verra d’abord la face visible de la réalité, mais ensuite, les abîmes, la face cachée.

. Combien de temps passez-vous pour effectuer une illustration ?  (question de la salle)

    Ça dépend bien sûr de l’ouvrage. L’auberge de Nulle Part, c’est, comme je le disais, un ouvrage léger, qui ne demande pas de documentation, donc j’ai dû mettre environ 2 mois. Pour d’autres qui exigent de rassembler beaucoup de documentation, ça peut prendre 2 ans de travail. Pour une illustration, là aussi, cela dépend de la technique. Celle qui m’a pris le plus de temps c’est une illustration du Pinocchio : c’était comme si je faisais un doctorat en architecture ! Je vous rappelle que je suis autodidacte et, là, il fallait que je travaille la perspective pour une scène de fuite (Pinocchio poursuivi par des gendarmes sur une place).

    J’aurais pu prendre une photo de cette place depuis le deuxième étage en plongée, mais j’ai préféré travailler cette perspective directement. En réalité le temps de réaliser une illustration est lié à la technique, très minutieuse, mais aussi à la mise en place de l’image (perspective, projet, documentation, composition de l’image) et c’est parfois cela qui prend le plus de temps.

    Merci Monsieur Innocenti pour votre générosité, votre modestie et votre humanité. Il y a ainsi des moments où le mot rencontre prend toute sa force et où l’on souhaiterait que le temps suspende son vol. Merci à Lucie Cauwe, modératrice, et Laura Rosano, traductrice. Merci à Nicole Maymat et aux Malcoiffés, organisateurs du Festival des illustrateurs.

(octobre 2013)

      

BIBLIOGRAPHIE

. Rose Blanche, Christophe Gallaz, Gallimard, 1985.

. Cendrillon, Charles Perrault, Grasset, 1990.

. Un chant de Noël, Charles Dickens, Gallimard, 1991.

. Casse-Noisette,  Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, Gallimard, 1996.

. L’auberge de nulle part, J.Patrick Lewis,  Gallimard, 2002.

. L’étoile d’Erika, Ruth Vander Zee,  Milan, 2003.

. Les aventures de Pinocchio, Carlo Collodi,  Gallimard, 2005.

. La maison, J.Patrick Lewis, Gallimard, 2010.

. La petite fille en rouge, Aaron Fisch,  Gallimard, 2013.

Enseignante pendant de longues années, Martine Abadia fut responsable et animatrice de la Salle du Livre du Centre d’animation et de documentation pédagogique (CADP) de Rieux-Volvestre, centre de ressources littérature jeunesse et lieu d’accueil de classes lecture, ouvert en partenariat par le Conseil Général et l’Inspection Académique de la Haute-Garonne. « Je profite de mon nouveau statut de retraitée pour approfondir au CRILJ Midi-Pyrénées ma connaissance de la littérature de jeunesse et pour faire partager ma passion aux médiateurs du livre du  département. » Marine Abadia est l’actuelle présidente de la section.

 

 

 

 

 

 

 

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Réponse à des polémistes de mauvaise foi

par Thierry Magnier    

    Passé les bornes, il n’y a plus de limites Ce sont désormais les livres pour enfants qui sont la cible d’accusations moralisatrices où la virulence le dispute, une fois encore, à la malhonnêteté et à la mystification.

     Il s’agit en outre d’une atteinte à la liberté de création dans le cadre d’une véritable littérature, qui est encadrée par une loi visant à la protection de la jeunesse : tous les ouvrages incriminés ont passé les contrôles et ont été autorisés.

     Parole à Thierry Magnier, acteur incontournable de l’édition jeunesse. S’il a publié une bonne part des livres visés par le président de l’UMP comme par la nébuleuse de la droite extrême (entre autres, le désormais fameux Tous à poil !, Les Chatouilles ou La princesse qui n’aimait pas les princes), il fait paraître avec succès depuis des années des ouvrages qui abordent, outre l’identité sexuelle, tout ce  qui fait la vie, des petites comme des grandes personnes.

      Enfin on parle de la littérature jeunesse, en dehors de Noël et du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil ! Mais en quels termes ? D’abord une petite précision : il n’y a pas d’âge pour la littérature. La littérature jeunesse est une littérature à part entière, il y a des auteurs, de vrais auteurs, des illustrateurs ; cela veut dire que chaque mot est pesé, chaque image travaillée, qu’un écrivain a passé du temps de sa vie à faire advenir ce qui peut être partageable, universel, quel que soit l’âge, pour ensuite proposer son œuvre au plus grand nombre. Ce sont ces voix-là que les éditeurs veulent faire entendre.

     Actuellement, plusieurs responsables politiques s’insurgent contre des listes de livres pour enfants recommandés par l’éducation nationale dans les écoles. Même si j’ai peu de goût pour les listes, j’aurais tant aimé que tous les livres que je publie y figurent ! Ce qui n’est pas le cas… Nos livres ne sont pas des livres scolaires, ni des livres pédagogiques : ce sont des livres de littérature jeunesse, des livres en aucun cas obligatoires : ils existent, simplement. Seuls certains sont visés : Tous à poil!, de Claire Franek et Marc Daniau, est le premier, mais d’autres suivent, notamment Les Chatouilles, de Christian Bruel et Anne Bozollec – ouvrage publié il y a près de trente-cinq ans ! Je précise qu’ils sont absents de ces fameuses listes. Mais n’oublions pas que le livre pour enfants entre dans l’enseignement pour contribuer à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et, in fine, à la réussite scolaire.

      Jean-François Copé, président de l’UMP, a voulu manifester son indignation à l’égard du livre Tous à poil ! ; en l’instrumentalisant, il a décidé de faire peur, en mélangeant les choses et en les rendant plus confuses. Il pense ainsi que montrer à un enfant un chef d’entreprise nu nuira à l’autorité de celui-ci, que voir des gens nus, toutes conditions confondues car débarrassés de leur habillement social, alimenterait la lutte des classes. Pourtant, ce livre ne montre que la nudité, simplement, de l’enfant à la grand-mère, de la maîtresse d’école aux joueurs de foot, rien d’autre, rien de malsain dans tout cela. On joue avec le corps dans tous ses âges. On reconnaît son corps, on découvre celui de l’autre, on apprend à se connaître et à connaître les autres, c’est tout !

    Ces hommes et ces femmes politiques ne connaissent manifestement pas cette littérature et donc parlent de ce qu’ils ne connaissent pas. Elle leur fait peur dès qu’elle n’est pas consensuelle. Les mêmes mettent en cause l’ABC de l’égalité, ce programme de l’éducation nationale visant à transmettre aux élèves la culture de l’égalité entre filles et garçons, en amenant les élèves à réfléchir autour de certaines questions sur le genre. Il me semble normal d’aller chercher ces ressources dans la richesse des catalogues des éditeurs jeunesse, où beaucoup de sujets de société sont abordés.

       Sous prétexte de préserver les enfants, on ne devrait plus leur parler de l’essentiel. En quoi est-ce choquant de parler d’un corps nu aux enfants ? En quoi est-ce choquant de parler de l’amour ? De la mort ? De la vie ? Ce n’est pas en taisant ces sujets qu’on les efface. Les enfants n’y sont-ils pas confrontés chaque jour, ne serait-ce que par les informations, l’actualité qui sont partout, et qui sont difficiles pour eux à décrypter ?

     Ne prenons pas les enfants pour des imbéciles, ils sont intelligents. Ils ont droit à la littérature, ce ne sont pas des voyeurs. Ils savent faire la différence entre la fiction et la réalité, ils savent ce qu’est un livre, ils savent qu’en fermant le livre la vie reprend normalement son cours. Et derrière ces livres il y a des éditeurs qui font leur travail depuis bien longtemps, qui prennent leurs responsabilités et qui en aucun cas ne veulent provoquer ni choquer, seulement offrir une œuvre qu’il leur semble nécessaire de partager. Une œuvre de réflexion, et de pur plaisir aussi.

     Il peut aussi être utile de rappeler que ce secteur du livre jeunesse connaît depuis des années, dans un contexte plus que morose, une croissance continue, constituant le deuxième segment le plus important du marché français de l’édition (plus de 15 % de sa valeur totale), et fait montre d’une vitalité qui ne se dément pas ; près d’un tiers de sa production relève de la création, ce qui implique souvent une vraie prise de risque éditorial.

     Si Nadine Morano, déléguée générale aux élections à l’UMP, pense que les livres incriminés sont autorisés par le gouvernement actuel, elle se trompe, et nous sommes tous libres d’éditer nos choix. Mais il faut savoir que chaque ouvrage de ce secteur est soumis à la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, et lu par une commission composée, entre autres, de représentants des ministères concernés (Famille, Culture, Éducation, etc.). Elle peut à chaque instant nous interpeller et nous déconseiller d’éditer ces livres. Or, si mes calculs sont justes, les ouvrages pointés de ces doigts accusateurs sont publiés depuis bien longtemps. Mme Morano a successivement été secrétaire d’État chargée de la Famille, puis de la Famille et de la Solidarité et enfin ministre chargée de l’Apprentissage et de la Formation entre 2008 et 2012. On peut se demander pourquoi elle n’est pas intervenue alors. Tout cela n’est que pure mise en scène.

     Ces attaques ne sont pas nouvelles, mais elles n’étaient pas aussi médiatisées jusqu’ici. Régulièrement, des associations de parents, des groupes de bien-pensants nous interpellent pour entraver notre création. Pourquoi alors de nombreux prix régionaux, nationaux et internationaux (comme ceux du Salon jeunesse de Montreuil ou de la Foire internationale de Bologne, le plus important salon du monde) couronnent-ils ces livres, qu’ils soient attribués par des jurys d’enfants ou d’adultes ?

     Et ce n’est pas seulement le travail de l’éditeur qui est remis en question, ce sont aussi les créations des auteurs et illustrateurs, et la liberté d’expression. Pensez-vous réellement qu’un auteur puisse avoir envie de nuire aux enfants ? D’être rejeté par ses lecteurs ? Non ! Il aborde des sujets qui lui semblent importants. Et quand les libraires vendent ces livres, ils jouent leur rôle de passeur et de découvreur, de conseil aussi. Les bibliothécaires également savent reconnaître les livres, ils les lisent, les analysent, les transmettent. Pourquoi certains maires leur demandent-ils aujourd’hui de ranger ces ouvrages à deux mètres du sol et de recréer ainsi l’enfer des bibliothèques ? Devrait-on alors recouvrir les statues dénudées de nos jardins publics et interdire nos musées aux enfants ? Quant aux enseignants, comment peut-on croire un instant qu’ils utilisent les livres dans l’idée de nuire à la construction des élèves ? Ils veulent simplement étayer leur pédagogie.

    Tous ces acteurs ne font que leur travail, avec responsabilité  : ce sont des professionnels. Monsieur Copé, laissez-les donc exercer leur métier en toute tranquillité, laissez-les provoquer des rencontres d’univers et d’imaginaires. Gardez votre verve politicienne pour votre fonction, ne nous éclaboussez pas de votre ignorance sur le sujet. Cessez d’effrayer les enfants et leurs parents, ne vous immiscez pas dans leur vie de famille, dans leur intimité : cela ne vous regarde pas. Restez à votre place, comme nous restons à la nôtre.

     Ce que nous pouvons retenir aujourd’hui, c’est que le livre est puissant, que le livre pour enfants n’est pas seulement un objet de consommation. Ce sont ces livres qui construisent le lecteur de demain, le futur citoyen. Espérons que la tourmente que nous traversons puisse faire reconnaître une bonne fois pour toutes l’importance de cette littérature et que les médias prennent au sérieux cette précieuse création.

(parution initiale dans L’Humanité Dimanche n° 401 du jeudi 27 février au mercredi 5 mars 2014)

 Tous à poil! de Claire Franek et Marc Daniau, Le Rouergue 2011.

– Les Chatouilles de Christian Bruel et Anne Bozellec, Thierry Magnier 2012 ; première  parution : 1980.

– Israël-Palestine, une terre pour deux de Gérard Dhotel et Arno, Actes Sud Junior 2013.

Bacha Posh de Charlotte Erlih, Actes Sud Junior 2013.

    

Thierry Magnier est directeur du pôle Jeunesse Actes Sud qui rassemble Le Rouergue, Actes Sud Junior, Hélium et les éditions Thierry Magnier. Merci à lui pour nous avoir proposé la mise en ligne de son texte sur notre site.

 

 

 

 

 

 

 

Rester dans l’enfance

par Audrey Gaillard

   La collection « empreinte« , dirigée par Régis Lejonc, aux éditions de l’Édune, compte quatre albums pour la jeunesse. La particularité annoncée est le métissage des genres : bande dessinée, illustration et écriture romanesque se mêlent.

     Les thèmes sont graves : le déni de grossesse (rare dans la littérature pour la jeunesse, je connais La décision d’Isabelle Pandazopoulous, roman qui a déjà fait l’objet d’une note de lecture), la maladie d’Alzheimer (sur le même sujet, un très bel album : Très vieux monsieur d’Adeline Yzac, aux éditions du Rouergue), la délinquance d’un adolescent et enfin la violence et l’insécurité.

     La ligne éditoriale des éditions de l’Édune est claire : « des livres qui favorisent les échanges et le questionnement par des sujets qui amènent la discussion à travers une rencontre adulte-enfant ».

     Pas étonnant donc de retrouver l’implication de  l’auteur Franck Prévot. Il a écrit, dès son premier album en 2003, Tout allait bien,  des livres sensibles et contemporains sur le racisme, les préjugés, l’amour… Il explore des genres différents : l’album, le roman, le conte, la forme poétique et très récemment l’encyclopédie avec Lumières, l’encyclopédie revisitée, aux éditions L’édune.

     Dans Les indiens on reconnaît l’énergie de l’écriture, la poésie, l’impétuosité des personnages, leur sensibilité. Un garçon, fils d’immigrés, est à l’école. L’exposé des copains sur le peuple indien le taraude :

  « Et moi, je suis quoi ? Je ne comprends pas pourquoi mes parents et tant d’Algériens sont venus s’installer en France…

     « L’insolence et la fraîcheur de la jeunesse permettent qu’après les questions existentielles, le garçon se donne corps et âme au jeu, à l’imaginaire avec un drôle d’ami Hakim, qui se prend pour un chef indien.

 « Ça fait longtemps qu’on ne se demande plus s’il est un homme ou un enfant : c’est un copain ! Un enfant pas comme les autres. Un adulte comme personne. « 

     L’écriture vive traduit les certitudes fulgurantes  et joyeuses du garçon  » C’est comme ça dans notre quartier : le soleil, le vrai, on ne le voit pas souvent mais on en a d’autres heureusement. Hakim fait partie de ces soleils-là, avec maman, papa, et Sonia, Mourad et Thomas aussi. Et Sarah mais elle, c’est mon intimité, j’en parle pas. « 

     Le scénario est séquencé, il est composé de quatre parties : Jour, Nuit, Aube, Nouveau jour. Le deuxième chapitre composé de planches de bd, est très cinématographique. On a l’impression d’un film en noir et blanc (les illustrations sont en trois couleurs : noir, blanc, orange) avec des séquences muettes juste après avoir entendu les trois coups de feu dans la rue. Les bruits viennent de l’intérieur des personnages, du souffle coupé par la peur, des détonations qui ont durci le ventre. Les gros plans sur le garçon et son père allongés au sol, dans l’attente effroyable, suspendent le temps. « La peur m’avait pris tout entier et il n’existait plus dans ma tête la moindre place pour le temps ».

     Le mélange des genres opère et reflète les nuances et le rythme du récit : actions rapides, violence explosive, pensées intériorisées, chaos, dialogues…

     Une fois la voiture assassine partie, c’est le temps du récit, des illustrations épurées, de l’incompréhension :

« Je voulais parler mais je ne pouvais rien dire. J’aurais voulu crier tout ce temps passé à trembler, couché sur le trottoir. Mais aucun mot ne sortait. »

     À l’aube, on apprend que c’est Hakim qui a été tué, un règlement de compte pour des affaires de drogue : un innocent tué pour faire peur. Et le film dans la tête du garçon recommence : cette fois, ce sont des cow-boys, le garçon assiste impuissant à l’irrémédiable. Ce n’est pas un jeu, celui qu’il pratiquait dans la cour de l’école, il est dans la vraie vie sans concession : « Hakim se promenait toujours dans la rue. Ils l’ont tué. » suivi d’onomatopées  » Bang Bang Bang « .

     S’ensuit l’entremêlement entre récit et dialogues : les parents du garçon et Nathalie, la psychologue, l’écoutent et libèrent la parole pour qu’il soit « débarrassé de la peur » : « Il ne faut pas oublier il faut vivre avec. »

     Les cauchemars et la confrontation à la réalité terrorisent l’enfant : « Je pense qu’il avait décidé de rester petit en voyant comme les adultes sont dangereux. Je ne veux plus grandir.  »

    Jusqu’à la dernière page, où le garçon peut dans son cœur continuer à parler avec son ami »  T’inquiète pas Hakim. On jouera encore aux indiens…et les indiens gagneront, un jour. »

     Je remarque que l’on ne voit pas le crime en tant que tel. À deux reprises, Hakim est représenté allongé, mort ou en train de mourir.

     L’enfant lecteur va associer cette histoire à sa propre expérience, il va se construire des images (du crime par exemple) à partir de ce qu’il connaît d’un meurtre. Ce ne sont pas des lectures difficiles à supporter ou qui doivent être tabous. Elles viennent résonner à l’intérieur du lecteur avec la maturité qu’il a acquise, peu importe la similitude ou non du milieu social ou de l’expérience. Chaque lecteur va recevoir l’histoire en fonction de la matière qu’il a en lui. Ces histoires cruelles, inspirées de fait divers réels, très fréquents dans les journaux télévisés doivent être racontées dans la littérature jeunesse. L’auteur et l’illustrateur donnent leur perception du monde sans imposer d’idées (le cheminement du garçon est très fragile, complexe et personnel), ils permettent au lecteur de  confronter sa réalité  à l’histoire racontée, d’élaborer des idées, des images, de mettre des mots sur le monde qui l’entoure.

LES INDIENS

par Franck Prévot et  Régis Lejonc, l’Édune 2009, collection Empreinte, 64 pages, 12,70 euros

 

Après des études de lettres modernes, Audrey Gaillard travaille en librairie, puis se tourne vers l’animation. Elle est, depuis 2011, chargée de mission de l’association Val de Lire à Beaugency (Loiret) dont elle coordonne les actions : lecture à haute voix pour tous publics, des bébés aux résidents de maison de retraite, organisation de l’annuel Salon du Livre Jeunesse de Beaugency.

Puisqu’il faut régulièrement le redire

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Nous exprimons notre désaccord profond

par l’Association des Bibliothécaires de France

     Ces derniers jours, quelques sites web ont mené des appels au retrait de livres achetés par des bibliothèques municipales, dont la liste est également dressée. Les ouvrages incriminés sont ceux d’une bibliographie proposée par le syndicat SNUipp-FSU de 79 livres de jeunesse pour l’égalité et concernent essentiellement l’égalité femme-homme et l’homosexualité.

     Nous, Association des Bibliothécaires de France, tenons à exprimer notre désaccord profond avec ces prises de positions partisanes et extrêmes. Nous espérons bien au contraire que la liste des bibliothèques ayant procédé à ces acquisitions s’allongera car c’est le rôle des bibliothèques et des bibliothécaires que de proposer au public des livres pour toutes et tous et sur tous les sujets pour favoriser les débats, lutter contre les prescriptions idéologiques et donner aux enfants comme aux adultes les clés pour comprendre le monde dans lequel ils vivent.

     Nous saluons donc les bibliothécaires qui, en achetant livres et autres documents, sont fidèles à la vocation des bibliothèques, telle qu’inscrite dans le Manifeste de l’Unesco, à proposer « des collections reflétant les tendances contemporaines et l’évolution de la société ». Comme l’affirme le code de déontologie de l’Association des Bibliothécaires de France, le bibliothécaire s’engage, en effet, à favoriser la réflexion de chacun et chacune par la constitution de collections répondant à des critères d’objectivité, d’impartialité, de pluralité d’opinion, à ne pratiquer aucune censure, et à offrir aux usagers l’ensemble des documents nécessaires à sa compréhension autonome des débats publics et de l’actualité.

     Nous saluons également les élus et les élues qui ont à coeur, dans leurs projets politiques, de faire de leurs territoires des lieux où chacun et chacune trouve à s’exprimer, à se construire et à se penser comme citoyen dans sa diversité et qui reconnaissent aux bibliothèques leur rôle dans la réussite de cette mission.

     Nous saluons enfin le public des bibliothèques, enfants, adolescents ou adultes qui par leurs demandes variées, nous donnent l’opportunité de construire une offre pluraliste de ressources et de services. Par là même, ils accompagnent l’action des bibliothécaires en faveur de l’égalité.

( communiqué du lundi 10 février 2014)

 

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La littérature jeunesse attaquée

par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse

     La littérature jeunesse s’est récemment retrouvée au cœur de polémiques inacceptables.

     La Charte tient d’abord à exprimer sa colère de voir des auteurs, illustrateurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignants et blogueurs de littérature jeunesse mis injustement en cause dans différents faits d’actualité touchant aux questions des genres ou de l’égalité fille-garçon. Nous ne pouvons laisser ces appels à la censure et à la haine passer pour des opinions acceptables. Nous ne pouvons excuser l’ignorance de ceux qui portent ces attaques.

     Nous tenons ensuite à apporter notre soutien à tous ceux qui ont fait l’objet d’accusations, d’intimidations ou d’agressions violentes, absurdes, inadmissibles.

     Les créations comme les créateurs sont pluriels. Les victimes de ces derniers jours défendent dans leurs pages : tolérance, différence, égalité et ouverture d’esprit. Et chaque lecteur, quel qu’il soit, se doit d’être libre de ses lectures.

    De tous temps, les dictatures et les régimes les plus autoritaires ont commencé par s’attaquer aux livres, par les accuser, les expurger, puis les brûler. Le fait que des individus, anonymes ou responsables politiques, puissent s’engager sur ce chemin qui les éloigne de la démocratie ne peut être considéré comme anodin. Nous espérons de nos représentants politiques des réponses claires et un soutien ferme dans la tempête au cœur de laquelle notre profession a été malmenée depuis plusieurs semaines.

     La Charte est engagée pour une littérature de qualité, ouverte à tous les imaginaires. Elle soutient tous ceux qu’une censure injustifiée prend à partie et se tient prête à se mobiliser.

     Une copie de ce communiqué a été adressée à Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication; ainsi qu’à Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.

(communiqué du mardi 11 février 2014)

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Engagez-vous

 par les libraires de l’Association des Librairies Spécialisées Jeunesse 

     Nous, libraires spécialisés jeunesse, nous nous sentons attaqués professionnellement par la récente mise à l’index d’ouvrages pour la jeunesse et nous avons le devoir de défendre notre métier ainsi que toute la corporation professionnelle qui œuvre pour la qualité de la production du livre jeunesse.

     La littérature de jeunesse demeure mal connue. Elle est aujourd’hui la cible de personnes ignorantes de la diversité qui en fait sa richesse, des interrogations qui aident l’enfant à se construire, des réponses qui alimenteront ses réflexions, des idées qui nourriront l’homme ou la femme qu’il deviendra.

     Nous ne pouvons avoir que du mépris pour de tels agissements. Le regard porté sur ces livres est volontairement dévoyé à des fins polémiques. En plus de l’ignorance dont ils font preuve, de la méconnaissance de l’univers de la littérature jeunesse, de la pédagogie, du bon sens et de l’humour, ils portent des accusations absurdes pour des livres, des auteurs, des illustrateurs, des éditeurs reconnus et plébiscités dans toutes lesbibliothèques et écoles de France.

     Nous libraires récusons à ces mêmes personnes la possibilité de juger de la nuisance d’un livre pour le jeune lecteur. A chacun son métier : notre expérience, notre savoir et notre devoir est de proposer le meilleur dans ce domaine. Les livres de littérature de jeunesse sont écrits et illustrés par des auteurs et des créateurs professionnels qui ont l’ambition de faire rêver, rire et titiller l’esprit et nos enfants. Nous aimons à croire que cette diversité les rendrons justement plus critiques, et nous pouvons leur faire confiance pour qu’ils trouvent dans ce foisonnement leur propre voie. A chacun de décider ce qu’il aime ou n’aime pas dans sa liberté de choix.

     Dans nos librairies nous défendons une littérature de qualité, par la tenue des textes et par la créativité de l’illustration. En tant que libraire, nous sommes fiers de la variété des livres que nous proposons, qui se manifeste autant par la richesse des thématiques abordées que par la diversité de points de vue et des modes d’expressions. Nous avons un rôle de passeurs envers les jeunes générations, ce qui implique la responsabilité de défendre cette richesse et de la valoriser auprès du public. Ceci afin que les enfants d’aujourd’hui soient des lecteurs – et des citoyens – critiques et responsables demain.

     Alors, aujourd’hui faisons en sorte qu’aucun livre ne soit mis à l’index au motif qu’il dérange la sensibilité de nos hommes politiques.

(communiqué du mercredi 12 février 2014)

  

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Position sur les attaques contre certains livres destinés aux enfants

 par le Syndicat de la librairie française

     Le Syndicat de la librairie française s’associe aux protestations contre les appels à retirer des bibliothèques publiques des ouvrages pour la jeunesse traitant de l’égalité entre les femmes et les hommes ou de l’homosexualité.

     Les attaques contre les livres ne sont jamais anodines. Les livres sont le reflet des questions qui traversent la société et chaque individu. Chercher à évincer certains ouvrages des écoles ou des lieux de lecture publique, c’est retirer la confiance à tous ceux dont le métier est de sensibiliser les enfants sur ces sujets, qu’ils soient auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires ou enseignants. C’est également nier la nécessité de débattre de ces questions et c’est refuser de reconnaître la diversité croissante des choix de vie et la liberté qui s’y rattache. C’est à la fois dangereux et vain.

     Les librairies ont elles-mêmes pour rôle de s’ouvrir à des opinions et à des publics différents à travers leur sélection de livres et les débats qu’elles organisent. Elles ne peuvent qu’être inquiètes de voir le livre devenir la cible de l’intolérance et elles réaffirment leur engagement en faveur de l’égalité et du respect des différences.

( communiqué du jeudi 13 février 2014 )

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 La littérature de jeunesse fait entendre sa voix .

 par Hélène Wadowski, présidente du groupe Jeunesse du SNE

     La littérature de jeunesse a été propulsée depuis quelques jours sur le devant de la scène. L’occasion (inespérée ?) de rappeler les fondamentaux d’une littérature inventive, riche, ouverte au monde et aux autres. Une littérature innovante, qui vit au rythme de ses lecteurs. Une littérature qui, grâce au talent et à la fantaisie de ses auteurs et illustrateurs, grâce à l’exigence de qualité de ses éditeurs, grâce à la finesse et à l’honnêteté de ses médiateurs peut aborder une large palette de sujets. Sujets historiques, sujets d’actualité, questions de société, sujets plébiscités ou sujets plus « tabous », car tous les thèmes méritent d’être abordés, toutes les questions peuvent être posées !

     Les éditeurs prennent à cœur leur responsabilité dans le choix du texte. C’est leur mission première, l’essence même de leur métier. Choix d’un texte juste, sensible, accessible, ouvert, qui invitera d’abord chaque lecteur à découvrir le plaisir de l’histoire racontée, et aidera le bébé, l’enfant, l’adolescent ou le jeune adulte à grandir, à se construire, à se connaître, à appréhender le monde qui l’entoure, à le comprendre pour s’y inscrire pleinement et volontairement. Les éditeurs de littérature de jeunesse croient profondément que l’enfant est apte à développer sa propre vision du monde à partir d’une histoire. Que l’enfant grandit en questionnant la vie. Que par le truchement du livre, il construit son jugement, apprend à raisonner.  Les mots de Bruno Bettelheim [dans Psychanalyse des contes de fées] ne sauraient que confirmer ce leitmotiv de la littérature de jeunesse : « Pour qu’une histoire accroche vraiment l’attention de l’enfant, il faut qu’elle le divertisse et qu’elle éveille sa curiosité. Mais pour enrichir sa vie, il faut en outre qu’elle stimule son imagination, qu’elle l’aide à développer son intelligence et à voir clair dans ses émotions ; qu’elle soit accordée à ses angoisses et à ses aspirations ; qu’elle lui fasse prendre conscience de ses difficultés tout en lui suggérant des solutions aux problèmes qui le troublent ».

      L’édition jeunesse en France publie chaque année plus de 5 000 nouveautés, d’une qualité qui n’est plus à démontrer. Convoquant tour à tour l’humour, le sérieux, l’émotion, la littérature de jeunesse sait évoquer la vie avec sensibilité. Face à toute velléité ou volonté de censure (soulignons en outre que les publications jeunesse sont déjà soumises au contrôle d’une commission de surveillance instituée par la loi du 16 juillet 1949), il nous semble plus que jamais nécessaire de rappeler que les livres ne doivent pas devenir un instrument de manœuvre politique, ni être bannis des bibliothèques. Laissons-les avec confiance à leurs lecteurs, ils sont entre de bonnes mains.

( communiqué du jeudi 13 février 2014 )

  

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Quand le printemps français devient l’hiver des enfants

 par Brigitte Goldberg

    Le mouvement le « Printemps Français » vient de demander le retrait de certains livres des bibliothèques au nom de sa lutte contre une supposée « théorie du genre ».

     Je me souviens de la bibliothèque de mon père. L’on y trouvait de tout. D’un  opuscule de vulgarisation sur la théorie de la relativité à un livre d’initiation à la sexualité en passant par le philosophe Alain, l’écrivain fantastique Howard Phillips Lovecraft ou Voltaire. Aucun ne m’était interdit.

     Ces livres étaient mes compagnons, mes amis. Les romans me faisaient rêver, les ouvrages scientifiques ou philosophiques m’ouvraient les portes de la connaissance.

     J’ai toujours considéré les livres comme une chose sacrée, et, les images des autodafés de 1933 par les nazis sont toujours dans ma mémoire.

     L’accès aux livres, quelques qu’ils soient, est le premier pas vers l’esprit critique indispensable à toute éducation et un enfant de parents responsables est tout à fait capable de faire la part des choses. Après tout, sans explications éclairées, l’enseignement de Nietzsche qui fait partie du programme scolaire peut très bien apparaître comme précurseur du fascisme.

     Si l’accès à certains livres doit s’accompagner de discussions et de l’éclairage des adultes, il n’en reste pas moins que l’interdiction pure et simple d’ouvrages dans les bibliothèques, qui sont souvent le seul accès à la culture pour les enfants des classes les plus défavorisées, ne relève ni plus ni moins que d’une démarche totalitariste visant à imposer une soit disant vérité propre à ces tenants de l’ordre moral.

     Interdire l’accès à la pensée quelque qu’elle soit c’est refuser aux autres la liberté de choisir librement son chemin en toute connaissance de cause.

     Le doute et la critique sont l’essence même du progrès de notre pensée à travers les siècles et tout mouvement visant à limiter cette pensée critique ne vise ni plus ni moins qu’à nous offrir un monde digne du roman de Ray Bradbury, Fahrenheit 451.

     L’ouverture à la différence, c’est le premier pas vers la tolérance. En niant ce droit, que ce soit à travers des attaques contre une hypothétique « théorie du genre » ou en invoquant une prétendue « loi naturelle » digne des créationnistes américains, les tenants du « Printemps Français » réduisent notre culture à l’état d’une mécanique stérile qui ne fera rien d’autre que d’appliquer des règles de droit divin.

(article publié mardi 11 février 2014 dans The Huffington Post que nous remercions pour son autorisation de mise en ligne )

Après un baccalauréat section économie, en 1979, et des études d’histoire arrêtées pour créer et diriger, en 1981, l’une des premières radios locales parisiennes, Brigitte Goldberg est, depuis 1983, compositeur et producteur de musique de documentaires, de films d’entreprise et évènementiels. Fondation en 2009 du collectif Trans-Europe consacré à la défense du droit des personnes transgenres et transsexuelles.

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Les enfants sont des lecteurs intelligents

 par la Fédération des fêtes et salons du livre de jeunesse

     Ces temps derniers ont vu renaître des attaques ouvertes sur le contenu de certains ouvrages de littérature de jeunesse et quelques écoles ou bibliothèques ont été interrogées sur la présence desdits ouvrages en leur sein.

     La Fédération des fêtes et salons du livre de jeunesse tient à rappeler qu’elle considère ces agissements comme inacceptables.

     Depuis sa création, elle défend une littérature de jeunesse de qualité, pluraliste et ouverte dans laquelle tous les sujets peuvent être abordés avec les enfants, à condition de le faire avec discernement, intelligence et talent.

     Elle apporte également son soutien à la liberté des créateurs. Médiateurs entre les auteurs et les enseignants, les organisateurs de salon  feront tout pour que les choix faits par les uns et les autres dans ce qu’ils proposent se fassent en toute liberté et indépendance.

     Enfin, la Fédération des fêtes et salons du livre de jeunesse se bat pour que les enfants soient considérés comme des lecteurs intelligents et que l’on puisse, à travers la littérature de jeunesse, leur donner toutes les armes pour devenir des adultes responsables et libres de leurs choix.

 ( communiqué du vendredi 27 février 2014 )

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Du rôle des médiateurs

par Jean Fabre

Jean Fabre, fondateur de L’école des loisirs, est décédé le jeudi 9 janvier 2014, à l’âge de 93 ans. Il avait, en 1965, remis au CRILJ ce bel hommage aux médiateurs du livre pour la jeunesse.

     Tout livre de jeunesse n’atteint son destinataire qu’au terme d’une longue chaîne de médiation d’adultes.

     En principe, ces médiateurs – éditeurs, critiques, libraires, bibliothécaires, animateurs, enseignants, parents – sont implicitement d’accord sur un point essentiel : la lecture doit évoluer progressivement avec leur concours et selon l’âge des jeunes lecteurs, de la forme assistée de la première enfance jusqu’à l’autonomie de l’adolescence accomplie.

     Mais, tous les médiateurs ne sont pas d’accord – et c’est normal – sur l’âge du constat concret de cette autonomie individualisée parce que chacun d’eux croit pouvoir en décider et souvent extrapoler d’après les réactions de tel enfant qu’il connait bien et dont la maturité s’épanouit à son heure. L’important est donc de s’employer à promouvoir cette autonomie et de mettre en commun, si possible de façon concertée, chacun à sa place et selon sa fonction, les moyens d’y parvenir.

     Deux dangers risquent de nuire à l’efficacité de toute médiation, deux propositions extrêmes : par défaut et par excès.

     Abstraction faite de l’indifférence absolue, de l’abandon pur et simple du jeune lecteur à ses lectures, certains adultes invoquent le manque de temps qui justifie à leur yeux une intervention hâtive, improvisée dans le choix des livres susceptibles d’intéresser le jeune lecteur. A la vérité, il ne s’agit pas d’apprécier à proprement parler le niveau de lecture qui convient : d’autres médiateurs en amont ont veillé à cet aspect technique dans leur pré-sélection. Il s’agit de tenter d’ajuster au mieux le choix des livres aux goûts, aux besoins, aux aspirations, aux attentes, aux possibilités – selon l’humeur du moment – de tel jeune lecteur que les autres médiateurs ne connaissent pas en particulier.  Pour ce faire, la méthode d’approche est à la portée de tous : lire les livres à proposer à tel enfant, les lire vraiment, ne pas se contenter de les feuilleter, et se montrer attentif aux réactions du jeune, dans une attitude d’écoute et de confiance partagée. De façon empirique, discrètement mais dans la continuité, on assurera alors l’éveil de la lecture et l’on sera gratifié de surcroit d’étonnantes retombées.

     Par contre, si l’on néglige ce préalable au stade de l’ultime choix, comment prétendre tenir pour responsable de sa propre carence les médiateurs en amont dont le rôle est précisément de préparer ce choix ultime ?

     Un second danger, tout aussi insidieux, se joue dans une sollicitude maternante. Nous ne voyons souvent grandir nos enfants qu’à la taille de leurs vêtements. Et la tentation nous guette de maintenir dans un statut d’infans le jeune dont les aspirations légitimes à l’autonomie surprennent et inquiètent parfois. Ses lectures ont précisément pour effet – voire pour fonction – de nous remettre en question indirectement. Aurions-nous peur qu’il nous échappe, ce lecteur que nous avons trop longtemps couvé ? De ce point de vue, reconnaissons aux médiateurs professionnels plus d’objectivité à priori : ils ont leur mot à dire parce qu’ils jugent des besoins selon l’âge plus sereinement que les parents, très impliqués dans un quotidien limité et routinier.

     Ces deux dangers ne devraient-ils pas susciter un climat d’estime, de confiance et de collaboration et de plus fréquentes rencontres entre les médiateurs plutôt que de les opposer par des contestations de compétences et de prérogatives.

     L’analyse qui suit a pour objet de préciser le rôle de l’éditeur dans cette médiation et les limites de cette responsabilité partagée avec les autres adultes.

     L’éditeur intervient comme premier lecteur et comme premier médiateur.

     Premier lecteur, il dispose des projets soumis par les auteurs, non pour en juger objectivement, mais pour apprécier subjectivement si ces projets peuvent s’insérer dans un fond d’édition qu’il connait bien et qui présente, dans sa diversité, une certaine cohérence – comme il sera précisé plus loin.

     Premier médiateur, il a fonction d’assurer au mieux l’information des médiateurs en aval pour orienter leur lecture d’investigation et faciliter la pré-sélection de titres susceptibles de convenir et plaire au jeune public.

     Sous ces deux aspects, le rôle médiatique de l’éditeur est donc de préparer l’élucidation des choix ultérieurs, y compris celui des jeunes lecteurs, au terme de cette médiation :

 – L’éditeur prend en considération dans son analyse de chaque manuscrit reçu, les référents implicites en fonction des compétences et de l’expérience supposées acquises par les lecteurs concernés, en prenant en compte aussi, précisément, leurs différences.

 – Il assure la présentation intérieure et extérieure des œuvres composées de manière à rendre la communication aussi efficace que possible; La première et la dernière page de couverture sont utilisés pour suggérer fidèlement le contenu à l’intention des jeunes lecteurs en quête d’informations incitatives.

 – Il élabore un catalogue qui regroupe en collections des titres de niveau de lecture relativement homogène. Celles-ci peuvent être constituées par genre ou réunir des titres de genre et de style différents d’un même niveau.

 – Conscient de ses responsabilités de formateur et d’informateur, l’éditeur se porte garant, en quelque sorte, de la composition de son catalogue. Il sait qu’on l’identifiera à l’image du fond qu’il a réuni et classé.

 – La plupart des éditeurs complètent ces informations de base dans des catalogues analytique plus précis. Quelques une publient des catalogues thématiques qui favorisent les recherches, les rapprochements et l’intuition des affinités.

 – Un service de presse soumet aux critique spécialisés, les nouveautés pour une analyse et une appréciation utiles aux autres médiateurs.

 – Un envoi d’office est adressé aux libraires intéressés afin qu’ils puissent lire eux-mêmes ou se faire lire pour avis les ouvrages qu’ils seront amener à sélectionner, à présenter dans leurs vitrines et rayons, et éventuellement à conseiller.

 – Par le truchement de représentants ou délégués régionaux, l’éditeur assure en outre la présentation des nouveautés auprès des libraires, des bibliothécaires et des enseignants et recueille le plus d’informations possible sur les titres qui ont retenu l’attention des jeunes lecteurs afin de mesurer les écarts entre sa première lecture de professionnel et la pluralité des lectures des destinataires eux-mêmes.

     Par toutes ces initiatives qui l’engagent, l’éditeur se pose en responsable. Mais ces responsabilités ne dispensent pas pour autant les autres médiateurs en aval d’assumer ce rôle en contact plus direct et plus personnalisé avec chaque jeune lecteur. Sinon, ces médiateurs ne seraient plus que de simples intermédiaires sans responsabilité.

     En d’autres termes, la chaîne de médiateurs permet d’affiner progressivement, d’amont en aval, des pré-sélections en connaissance de cause, et sur mesure en quelque sorte, à partir d’un « gabarit » proposé par l’éditeur et qui appelle retouches.

     Dans ce cadre d’intervention, les éditeurs se différencient les uns des autres par des options fondamentales qui génèrent la diversité, la complémentarité et la richesse de la production littéraire de jeunesse.

     Ces options impliquent une liberté de choix de droit et de fait. C’est cette liberté de choix et le pluralisme d’options simultanées assumées par un grand nombres d’éditeurs autonomes qui garantit, en extension et en qualité, les meilleures conditions d’appropriation du livre par les jeunes lecteurs et sauvegarde leur liberté de choix.

     Chaque éditeur de livres de jeunesse prend position plus ou moins explicitement, mais de façon fondamentale, sur la finalité de la lecture non didactique : cette lecture peut-elle avoir quelque efficacité sur le jeune lecteur ? N’est-elle qu’un passe-temps, une évasion sans portée ? Peut-elle donner du plaisir ou du bien-être ? A-t-elle vocation culturelle ?

     En terme de communication, tel livre peut-il susciter des résonances intimes, des retombées durables ? Comment se situe-t-il par rapport à la réalité familière ? A l’évolution du monde contemporain ? A la problématique des jeunes générations ?

     Peut-il engendrer une réflexion par alternance de projections et de distanciations ? Telle simulation du réel risque-t-elle, perçue au premier degré, de paraître déconcertante, de s’imposer comme « trop vraie », inéluctable pour des lecteurs fragiles ? Doit-on pour autant renoncer à mettre des lecteurs plus mûrs du même âge en présence de situations conflictuelles, qu’ils sont capables, eux, de regarder en face et de s’essayer à résoudre à leur manière, par personnages interposés pour leur épanouissement même ,

     Actuellement, en France et par le monde, des éditeurs pensent que le livre peut donner à de jeunes lecteurs qui ont soif d’authenticité, l’occasion d’élargir le champs d’expérience de leur vie quotidienne, à la faveur de fictions qui les confrontent à des situations partiellement familières et partiellement insolites de nature à les interpeller. Ils considèrent que ceux-ci auront à s’impliquer dans une société à laquelle ne les prépare pas la littérature dite classique car la culture n’est pas seulement transmission d’héritage, elle s’édifie et évolue dans un environnement qui remet en cause au jour le jour ce que souvent l’on croyait définitivement acquis.

     Il importe donc de multiplier les simulations de vie potentielles comme autant de « cas de figure » ou d’expériences à l’essai, à risque limité.

     Ces éditeurs peuvent-ils compter sur les médiateurs en aval de la publication de livres pour préparer progressivement ces mises en situation de découverte de soi-même et des autres et sollicitent la réflexion des jeunes lecteurs ? N’est-ce pas la meilleure façon d’envisager leur éveil à l’autonomie par un échange confiant avec leur entourage ?

     A chacun sa réponse.

 (  Les Cahiers du CRILJ numéro 1 – novembre 2009 )

 Né le 29 janvier 1920 à Paris, Jean Fabre suit hypokhâgne et khâgne. Il épouse la fille de Raymond Fabry, fondateur des Editions de l’Ecole, maison spécialisée dans la réalisation de manuels scolaires. L »éditeur l’associe immédiatement à la bonne marche de l’entreprise. Proche de militants de la pédagogie Freinet, conscient des limites du manuel traditionnel d’apprentissage de la lecture, Jean Fabre, fonde au sein de la maison mère, en 1965, avec Jean Delas et Arthur Hubschmid, un département jeunesse, L’école des loisirs, éditant en quelques années Tomi Ungerer, Maurice Sendak, Arnold Lobel, Leo Lionni, Sonia Delaunay, Binette Schroeder et Iela Mari. Le succès vient, en 1970, lorsque la maison accueille les « Barbapapa » d’Annette Tison et Talus Taylor. Création, quelques années plus tard, des collections « Mouche », « Neuf » et « Médium » destinées aux lecteurs plus âgés. En 1974. Jean Fabre ouvre Chantelivre, première librairie spécialisée jeunesse. En 2014, le catalogue de L’école des loisirs compte plus de 5700 titres.

 

 

Les défis de Lorenzo Mattotti

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     Lorenzo Mattotti, né en Italie en 1954, partage son temps entre Paris et Udine.

    Il a étudié l’architecture à l’Université de Venise, puis a décidé de développer ses talents vers le dessin humoristique.

    En 1979, il rejoint « Valvoline » qui regroupe des artistes souhaitant renouveler l’esthétique et la linguistique de la bande dessinée. Il a travaillé pour de nombreux éditeurs et pour de nombreux journaux, dont The New Yorker et Le Monde. Ces livres sont publiés dans le monde entier.

    C’est en 1990 qu’il commence à réaliser des livres pour les enfants. En 1992, il publie un Pinocchio, d’abord en Italie, puis en France et aux Etats-Unis. Ce livre a beaucoup fait pour sa réputation. En 1993, les éditions du Seuil jeunesse ont publié Eugenio, un livre illustré qui a reçu le Grand Prix de la Biennale de Bratislava, et qui fut adapté pour la télévision et le cinéma.

    Depuis 1977, il a réalisé une quarantaine d’expositions dans diverses galeries privées, notamment une rétrospective de son travail au Palais des Expositions de Rome en 1995. Il existe un catalogue de cette exposition, Mattotti, d’autres formes le distrayaient continuellement, aux Éditions du Seuil.

 

Rencontre avec l’artiste

    Dans la salle bondée du Colisée de Moulins, Lorenzo Mattoti est interrogé par Lucie Cawne.

    En préambule, il nous confie qu’il ne se considère pas comme illustrateur pour la jeunesse puisqu’il réalise aussi, des affiches, des bandes dessinées, des peintures …

    Ses productions, sont souvent le fruit d’une rencontre, et il dit en souriant que c’est parce qu’on l’oblige, mais que ça le fascine de « toucher des choses qu’il ne connaît pas, que ce sont pour lui des défis à chaque fois ».

    Par exemple, pour Pinocchio, c’est une commande qu’on lui a faite pour une exposition d’illustrateurs  pour la jeunesse au Festival de Bologne. Il a tout d’abord réalisé deux images et dix ans plus tard, Jacques Bistre, des éditions Albin Michel, voulant éditer un classique, lui a demandé de poursuivre ce travail et Lorenzo Mattotti a accepté.

    Lorenzo Mattotti dit rester très humble face aux oeuvres classiques et peu satisfait de son premier Pinocchio. Lorsqu’on lui demande de refaire une version augmentée mais pas pour la jeunesse, il accepte avec plaisir mais avoue, que cela a été très difficile de reprendre un livre déjà fait. Il a effectué beaucoup de recherches. De là est né l’album de Pinocchio… pour notre plus grand plaisir.

    Ensuite cette oeuvre a été adaptée en film, Mattotti a eu la volonté de prendre de vieilles images et d’utiliser plusieurs styles pour dit-il « donner l’idée d’un laboratoire en discussion ».

    Lorenzo Mattotti est connu pour ses couleurs, pourtant, il aime travailler le noir et blanc. Il fait des dessins improvisés dans des cahiers, il dit continuer le noir et blanc depuis toujours avec des pinceaux par exemple, c’est d’ailleurs ce qui l’a amené a créer Hansel et Gretel.

    Ces images l’amènent à d’autres univers, d’autres projets. Il reconnaît, que la couleur est fascinante et plus facile pour le public, pour lui, le noir et blanc est plus direct pour l’improvisation. Il explique que la couleur « c’est le rapport avec l’extérieur, avec la réalité, avec le public ».

    Lorsqu’il travaille pour la presse et qu’il doit créer une affiche, il y a un projet, un travail sur l’espace, la mise en page, le signe et les formes deviennent une narration. Le dessin est quelque chose de très concret pour lui. Il est très attentif à la composition, si elle n’est pas bonne, il n’est pas content.

    L’autre côté, dit-il, c’est l’improvisation « découvrir ce que l’on a dedans ». Il n’y a pas de projet, il ne sait pas ce qui va sortir, c’est un dialogue avec son imaginaire.

    Lorenzo Mattotti se sert des outils contemporains, puisqu’il tient une page Facebook afin d’avoir un lien direct avec le public dont il apprécie les réactions.

 

    Il nous confie que la page blanche ne l’intimide pas pourvu qu’il reste dans le rythme jour après jour, avec les images, pour qu’elles dialoguent entre elles. Parfois, il a tout de même des angoisses lorsqu’il y a des noeuds, comme il les nomme, qu’il doit dénouer sans savoir comment et se demande s’il en sera capable.

    Le rapport est quelque fois difficile, comme avec les pinceaux, il sait que s’il n ‘affronte pas ses peurs, cela deviendra de plus en plus complexe. C’est pour lui, un dialogue entre nos besoins et nos peurs. Il aime dessiner et travailler avec les dessins qu’il a touché à 360°. Il a un amour pour la narration avec la forme, les images et le texte. Pour Hansel et Gretel par exemple, il a eu des tensions avec le dessin improvisé mais il a été ravi de voir qu’il y était arrivé.

    Pour lui, Hansel et Gretel est peut être une histoire hors du temps, la recherche du noir dans la forêt est la vision de sa propre émotion. Hansel et Gretel est, au départ, conçu pour une exposition à New-York. Il a pensé, lorsqu’il le concevait, comment lui vivait l’histoire, ensuite seulement, il a voulu faire un livre pour raconter la peur aux enfants. Mais peut-on raconter la peur sans faire peur ?

    Pour Lorenzo Mattotti, l’enfant doit toucher la sublimation de la peur. Petit, nous confie t-il, il aimait toucher cette peur, toucher l’inconnu, créer des formes, créer son imaginaire tout en sachant qu’il pouvait refermer le livre, sans danger. Certains enfants avouent que la peur les fascine en effet.

    Pour finir, Lorenzo Mattotti nous rassure, il n’est pas en panne d’inspiration, puisqu’il travaille, dans ses moments de liberté sur une bande dessinée très très longue, qu’il poursuit depuis des années. Il a aussi le projet de créer un long métrage d’animation dont il sera le réalisateur. Il dit « aimer ouvrir de nouvelles fenêtres ».

    Mattotti a repris ses pinceaux, ses couleurs et s’en est allé au pays de la création. Ce qui est certain c’est que ce grand Monsieur n’a pas fini de nous faire rêver.

(octobre 2013)

 

Ouvrages illustrés par Lorenzo Mattotti

. Hansel et Gretel,  Jacob et Wilhelm Grimm, Gallimard Jeunesse, 2009

. Tu ne me connais pas, David Klass, Seuil Jeunesse, 2009

. Le mystère des anciennes créatures, Jerry Kramsky, Panama, 2007

. Nouvelle à la machine, Gianni Rodari, La Joie de Lire, 2001

. Les affaires de Monsieur chat, Gianni Rodari, La Joie de Lire, 2000

. Anonymes, Claude Piersanti, Seuil Jeunesse, 2000

. Lignes Fragiles, Lorenzo Mattotti, Seuil Jeunesse, 1999

. Stigmates, Claude Piersanti, Seuil Jeunesse, 1998

. Grands Dieux, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1997

. Feux, Lorenzo Mattotti, Seuil Jeunesse, 1997

. A la recherche des Pitipotes, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1996

. Les Aventures de Barbe Verte, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1996

. Un Soleil lunatique, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1994

. Pinocchio, Carlo Collodi, Seuil Jeunesse, 1993

. Eugénio, Mariane Cockenpot, Seuil Jeunesse, 1993

. Murmures, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1989

. Docteur Néfasto, Lorenzo Mattotti, Albin Michel Jeunesse, 1989

. Incidents, Lorenzo Mattotti, Artefact, 1985

. Alice Brum Brum, Jerry Kramsky, Octaviano, 1977

  

Après des études d’arts graphiques, le parcours professionnel de Carine Zima évolue vers le monde du livre. Elle travaille en librairie, notamment à la Hune et chez Artcurial à Paris. A son  arrivée à Toulouse en 2004, elle « poursuit sa route du livre » en bibliothèque municipale. Elle crée en 2012 le projet Adosnews afin de promouvoir l’écrit et la littérature en direction des adolescents, en croisant les différentes formes d’arts. Le site est ici. Jeune adhérente du CRILJ, Carine Zima est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion de la deuxième Biennale des illustrateurs de Moulins (Allier).

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Photos : André Delobel

 

 

 

 

 

 

Une nouvelle syntaxe pour l’édition jeunesse

 

Une nouvelle syntaxe pour l’édition jeunesse

 par Danica Urbani

     Automne 2013 : arrivée sur les marchés de la montre intelligente. Elle nous permettra de consulter nos mails, Facebook, le web… Tous les media en parlent et nous plongeons dans l’univers des « fashion victims » avec le sourire.

     Le monde de l’édition jeunesse va-t-il s’engouffrer une nouvelle fois dans la course à la modernité suite à l’arrivée de ce nouveau gadget ?

     Dans les temps reculés, le livre, destiné à l’élite, véhiculait le savoir et, de ce fait, représentait le pouvoir. Aujourd’hui, il n’est plus le seul vecteur des connaissances. Il n’est qu’un parmi de nombreux supports d’informations.

     Diversifié et démocratisé, il a entamé sa mue électronique. Il devient interactif et enrichi grâce à la présence du son, de la vidéo, de la 3D…  Il subit une mutation majeure dans son évolution en se dématérialisant mais aussi en adoptant de nouvelles attitudes face à la lecture et à l’écriture. Plus que d’un pari technologique, il s’agit d’un pari comportemental.

 Information vs. raisonnement

     Ces comportements nouveaux demandent des réponses adéquates. Nous devons désormais en tenir compte avant d’entrer dans un processus éditorial. Observer les nouvelles tendances, les analyser et confronter ces analyses aux besoins des jeunes lecteurs.

     Globalement, le « livre » se trouve aujourd’hui face à un engouement pour des formats courts, voire très courts avec la twittérature, des formats interactifs, contributifs et ouverts aux réseaux. Il ne repose plus sur le langage naturel seul mais s’enrichit de tous les media. La montre intelligente n’est qu’un prétexte amusant qui nous fait réfléchir avant toute chose sur l’art et la manière de concevoir désormais l’édition jeunesse.

     Comment concilier le besoin d’aller à l’essentiel dans un monde surchargé d’informations et dans le même temps développer la pensée complexe dont les enfants ont besoin pour se construire ?

     C’est l’un de nos nombreux défis.

     Les supports numériques sont séduisants grâce aux technologies qui nous ravissent, nous rendent « surhommes » et mettent à notre disposition des milliards d’informations dont nous sommes de plus en plus friands. Nous pouvons en quelques clics avoir des renseignements plus ou moins fiables sur tout ou presque. Ce confort forge doucement notre exigence de rapidité en toute circonstance.

     Nous ne nous attardons plus à savourer l’intelligence et la beauté d’une phrase ou d’une pensée. Cet esprit d’analyse tend à se perdre avec la disgrâce des textes longs, du temps d’approche qu’ils demandent. Ce sont aussi des textes qui nous isolent, qui ralentissent notre rythme et nous forcent à réfléchir. Nous ne sommes plus en interaction avec un réseau, comme dans les échanges numériques, mais dans un huis clos duquel nous sortons différents.

     Force est de constater que les textes longs trouvent aujourd’hui de moins en moins de lecteurs chez les jeunes. Aux dires de nombreux enseignants, le roman du XIXè, avec ses longues descriptions, procure un ennui infini aux jeunes lecteurs. Ils se détournent des livres classiques au profit de livres courts à forte dominante « zapping », interactive et graphique, tels que ceux proposés via les différentes tablettes et des téléphones, voire des livres papier avec une prépondérance de l’image.

     La littérature jeunesse reposait pendant des siècles sur des textes du génie populaire, qui abordaient les phases importantes du développement des jeunes, comme l’a montré Bruno Bettelheim au XXe siècle. L’apparition des auteurs spécialisés est relativement récente. Et ce n’est pas parce que l’on s’adresse aux enfants que la tâche est plus aisée. C’est tout le contraire. La littérature jeunesse a un cahier des charges riche : elle doit divertir, émerveiller, rassurer, câliner mais aussi éduquer, faire grandir, rendre autonome, ouvrir au monde, développer l’esprit critique, développer la capacité d’imagination…

     Face aux nouvelles possibilités d’expression, la frontière entre le livre et le jeu électronique a tendance à s’estomper. L’écran, le principal vecteur de contenus de nos jours, s’anime, s’illumine, vibre, interagit avec le lecteur… C’est un nouveau défi pour les auteurs et les éditeurs. Saurons-nous le relever avec talent ?

 Passivité vs. pro-activité

     Est-ce à dire que les e-books applicatifs répondent mieux à ces exigences ? Il ne s’agit pas de prendre parti mais d’analyser la situation.

     Une première observation s’impose : les livres papier favorisent une lecture en apparence passive  et les livres électroniques favorisent une lecture en apparence active.

     Notre façon de dialoguer avec une oeuvre détermine la dimension temporelle dans laquelle nous nous trouvons pendant l’acte de lire. En lisant une oeuvre sur support papier, le lecteur entame un dialogue intérieur avec le texte et entre dans une dimension introspective. Mais ce dialogue incite un travail intellectuel intense qui est tout le contraire de la passivité. C’est un travail d’analyse, d’esprit critique et parfois de remise en question qui débute ainsi.

     En revanche, les livres électroniques destinés aux jeunes sont soumis plutôt à l’action, à un temps court, régi par l’interactivité et les choix de navigation du lecteur. Celui-ci n’est plus dans une dimension introspective mais pro-active. Cependant, les choix de la navigation répondent à des impératifs technologiques et ergonomiques qui restent perfectibles et qui suscitent des temps de réponse rapides.

     Au langage naturel s’ajoutent la vidéo, le son, et même le mouvement à travers la pression ou le glissement de nos doigts sur l’écran… et bientôt les capteurs placés sur notre tête nous permettront de naviguer grâce à notre pensée. Tous ces media coexistent simultanément la plupart du temps sur les « pages » des « livres » électroniques.

     Aujourd’hui, le codex, qu’il soit au format papier ou numérique, et le livre électronique applicatif   présentent deux attitudes cérébrales différentes. L’une développe plutôt l’analyse à travers la réflexion et un message linéaire qui se dévoile au fil des pages, l’autre plutôt la synthèse à travers une lecture tabulaire car, pour saisir la quintessence du livre, il est nécessaire de capter l’essentiel des éléments en présence et d’en reconstituer le message global.

     Mais, pour comprendre l’attrait des jeunes pour les « livres » électroniques, il faut aller plus loin encore dans l’observation.

 La création participative

     Force est de constater que l’interactivité nous ouvre des champs encore plus vastes que le simple choix de navigation. Aujourd’hui, le lecteur peut devenir créateur de son parcours de lecture et de ce fait endosser partiellement le rôle de l’auteur. Les jeunes lecteurs sont particulièrement séduits par l’aspect contributif de l’interactivité. Ils passent d’un statut passif du lecteur au statut actif d’un créateur en donnant du sens à leur démarche.

     Cette nouvelle donne  nous oblige à faire évoluer nos pratiques éditoriales. Il ne s’agit plus seulement d’agglomérer les média et de laisser les lecteurs les consulter dans l’ordre ou le désordre. Les nouveaux lecteurs nous incitent à proposer des ouvrages qu’ils vont pouvoir modifier, compléter ou commenter pour les diffuser, à leur tour, au plus grand nombre. C’est un point que nous, éditeurs jeunesse, devons prendre en considération de manière réfléchie car c’est l’aspect le plus innovant qui s’offre à notre métier aujourd’hui. Il nous mène au-delà de la technologie. Ce sont bien les comportements qui changent.

     Cependant, l’auteur existe et en tant que tel propose un contenu, une pensée, une critique… Comment concilier alors, à la fois une forme de liberté d’expression et d’exploration des oeuvres de la part des jeunes lecteurs et leur suggérer dans le même temps des parcours de lecture définis par les auteurs ? Aujourd’hui nous sommes en présence du lecteur démiurge et c’est ce qui rend l’écriture et la composition de l’oeuvre particulièrement difficiles.

     Comment trouver une posture entre deux extrêmes que sont la liberté totale et le déterminisme ? Ce sont des questions essentielles car elles vont régir désormais la qualité de l’offre éditoriale numérique. Cette qualité ne reposera pas sur le seul panel multimédia ni sur le transmédia mais sur un méta langage qui saura transcender les différents éléments dont nous disposons aujourd’hui pour nous adresser aux jeunes.

 Nouvelle syntaxe et scénarisation

     Si nous souhaitons proposer des oeuvres adaptées aux évolutions que nous vivons, qui répondent dans le même temps aux aspirations des jeunes ET au lourd cahier des charges cité plus haut, nous devons inventer une nouvelle syntaxe, comme le cinéma et la BD l’avaient fait en leur temps.

     L’interactivité doit être pensée en profondeur, comme un nouveau langage intégrant tous les autres langages, une  nouvelle syntaxe, afin de permettre à l’aspect contributif de trouver une place intelligente dans les ouvrages numériques. Comment intégrer les réseaux sociaux aux nouveaux « livres », développer la créativité des jeunes et leur esprit critique… ?

 Nous devons inventer de nouveaux codes.

     Si nous n’arrivons pas à créer ce méta langage, nous serons toujours à la merci des constructeurs  et des nouveaux supports qu’ils inventent, en tentant de nous y adapter tant bien que mal. Sans un code propre à cette nouvelle façon de « lire » et « d’écrire », nous ne pourrons pas créer de grandes oeuvres en accord avec note époque. Dans ce cas, les éditeurs mais aussi les auteurs, serviront uniquement de faire-valoir des constructeurs, en proposant des ouvrages adaptés aux besoins des écrans et non pas des lecteurs.

     Certains parlent déjà de scénarisation plutôt que d’écriture, ce qui sous entend que nous nous éloignons doucement du codex. Aujourd’hui, nous avons à notre disposition toute la palette des media qui font tantôt appel à nos émotions, tantôt à notre raison. Les technologies nous permettent d’impliquer également nos sens dans l’expérimentation du scénario. Sans oublier les contributions des lecteurs/auteurs et la capillarité de leurs réseaux transmédia qui viennent enrichir la lecture et l’oeuvre. Les ingrédients sont là mais la recette n’est pas encore dévoilée.

     La vie intellectuelle s’est structuré d’une nouvelle façon à chaque fois qu’une technologie s’est manifestée dans l’histoire de l’humanité. Dans l’antiquité des copistes multipliaient sur des parchemins des textes de grands penseurs et permettaient ainsi la naissance des premières bibliothèques. Jusque là de nombreux peuples maintenaient encore une tradition orale avec des méthodes mnémotechniques qui permettaient de transmettre des récits et des chants traditionnels. Au moment de la naissance de l’imprimerie, la diffusion de la pensée et l’instruction se sont démocratisées encore davantage. Ainsi, la pensée complexe a survécu et nous a permis à chaque fois d’étendre nos connaissances et de faire évoluer nos cultures.

    Qu’allons-nous transmettre ? Une infinité de possibilités s’ouvrent à nous mais avec un seul préalable : une syntaxe et une esthétique capables de transcrire nos pensées avec des outils modernes.

     Le chemin vers une nouvelle rhétorique est encore long mais nécessaire. La littérature jeunesse doit réfléchir aux nouveaux chemins de la création si elle ne veut pas devenir un sous genre des jeux électroniques. Mais, ce sont les nouvelles générations sans doute qui nous mettront sur la voie et qui sauront créer une nouvelle esthétique. Car leur alphabétisation va au-delà des  26 lettres : elle intègre aussi la programmation informatique et l’éducation à l’image. Mais c’est toujours la pensée qui sera la matière première des oeuvres.

     Nous l’aurons compris. Le codex et le livre électronique ne sont pas des concurrents. Chacun d’eux nous nourrit de ses richesses, mais le premier est arrivé à sa maturité alors que le second entame tout juste son développement.

 (novembre 2013)

  

Née à Belgrade (ex-Yougoslavie), arrivée en France à 13 ans, poursuivant sa scolarité à l’Ecole active bilingue de Paris, Danica Urbani devient, quelques années plus tard, docteur en littérature comparée (théorie de la réception). Elle évolue dans diverses institutions culturelles puis intègre la chaire de serbo-croate à Paris III comme Maître de conférences. Le temps du numérique venu, elle s’initie à l’écriture multimédia et pilote la communication on-line de groupes bancaires et institutionnels. Depuis quelques années, Danica Urbani s’est donnée pour objectif d’initier les enfants à une réflexion multiple et critique à travers les livres et les médias modernes en créant Dadoclen éditions. Elle a récemment rejoint le conseil d’administration du CRILJ.

 

 

Albertine, Elzbieta et Lionel Koechlin font leur cirque, mais pas que

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Le vendredi 29 septembre 2014, au Festival des illustrateurs de Moulins (Allier), Albertine, Elzbieta et Lionel Koechlin tenaient table ronde. Ils étaient interrogés par Anne-Laure Cognet.

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 . Pourquoi ce thème du cirque est-il si présent dans vos livres ?

 Elzbieta – Je ne suis jamais allée au cirque mais un cirque itinérant passait chaque année à Mulhouse. Les roulottes me fascinaient. Elles représentaient pour moi un univers mystérieux d’aventure et de voyage, tout en apportant aussi la sécurité de la maison. J’ai horreur du réalisme dans les dessins. Le cirque est pour moi une caricature de notre société.

 Lionel Koechlin – Je suis d’accord avec cette idée. Sous un chapiteau, on trouve le risque, la couleur, le danger. Il s’agit d’un concentré des ingrédients de l’Art, et d’un concentré de l’existence aussi. La piste est un cercle symbolique avec une entrée et une sortie. Je vais souvent au cirque. Le cirque doit rester poétique. Il ne vaut mieux pas connaître la réalité difficile du cirque. Il faut conserver le mystère. Pour moi le cirque est une manière de fuir le réel.

 Albertine – Je n’aime pas le cirque, cela me met mal à l’aise, mais j’ai fait un livre sur le cirque pour le Festival, Circus. C’est un laboratoire, un challenge, j’ai beaucoup aimé me prêter à cet exercice et j’ai simplifié mon dessin. Créer des livres, c’est un jeu sérieux : on se fait plaisir. Il faut se surpasser mais il y a toujours une part du dessin qui m’échappe. Nous construisons nos histoires à deux avec mon amoureux qui est écrivain. Je pense que je suis incapable d’écrire une histoire. Il y a une part d’enfance très grande dans ce travail de création.’

 Elzbieta : Si je devait être un personnage de cirque, je serai forcément un clown.

 . Quelle est la part de l’incident ?

 Lionel Koechlin – Quand on travaille sur un sujet, cela augmente notre perception de la chose : on capte plus facilement les informations dessus. Je recherche le dessin de travers, celui qui va ouvrir des portes.

 Elzbieta – Je n’essaie pas d’imposer une image, je la laisse venir. J’ai un travail plus large, qui va plus loin que l’album jeunesse : mon travail pour adultes comme m es carnets que publie cette année L’Art à la page sous le titre Journal 1973-1976. Il ne faut pas trop ‘vouloir’, il faut faire confiance à l’image qui sort.

 

 Albertine – Je suis tout à fait d’accord. Il y a quelque chose qui nous échappe et on a envie d’y revenir. On hésite, on est en panne. En fait, on veut aller plus loin. Dans ces cas là, je montre mes dessins à Germano et s’il approuve, alors je ne me pose plus de questions. (1)

 Lionel  Koechlin – Je pense que beaucoup de livres pour enfants seraient bien pour les adultes. Il faut conserver l’équilibre instable du croquis, sur lequel il ne faut pas revenir car mieux serait moins bien. La perspective classique est une convention que j’ai envie de détourner. Mes dessins ne sont pas réalistes. Je dessine comme on ne l’attend pas, par négation de la perspective notamment. Voir, par exemple, Croquis parisiens chez Alain Beaulet en 2010.

 

 Elzbieta – Mon premier livre était Petit Mops créé en 1972 et paru en France en 2009 aux éditions du Rouergue. J’ai appris à dessiner dans mon journal personnel. Cela a donné lieu à un style, celui que l’on retrouve dans ma dernière publication à l’Art à la page. Ce sont des dessins des années 1970. Je suis toujours fascinée par ce que l’on peut faire à partir du noir. Ces premiers dessins sont le fondement de tout. Petit Mops était une expérience : je voulais savoir ce que les enfants peuvent comprendre d’un dessin si minimaliste. Je suis une autodidacte. Ce sont les éditeurs qui m’ont demandé de mettre de la couleur dans mes dessins. Comme j’ai été contrainte par ça, j’ai voulu compenser en faisant des livres sur tout ce qui me passait par la tête. D’où des livres aux sujets très variés.

 

 . Parlez-nous du format de vos livres…

 Albertine – Pour Les Gratte-Ciel (La joie de lire, 2011), j’ai utilisé la photocopie et ajouté les éléments de la maison étapes par étapes. Dans la création d’un livre, il y a Germano, il y a l’idée et il y a moi. Pour ce livre, la verticalité s’est imposée d’elle-même, le format allait de soi. Je porte aussi beaucoup d’intérêt à la banalité.

    Dans Ligne 135 (La joie de lire, 2012): le format est important, il définit quelque chose. C’est l’espace dans lequel va se dérouler l’histoire. Celle-ci est née d’un passage de notre vie. Nous nous trouvions sur un monorail à Tokyo quand nous avons eu l’idée de faire un livre là-dessus.

 Elzbieta – Après Petit Mops, j’ai compris que les enfants étaient des êtres très intelligents. Ils fonctionnent d’une façon assez proche de celle de l’artiste. Oui le format du livre est important, c’est le théâtre de l’histoire. L’édition impose des contraintes, c’est une industrie. Le livre est très contraignant. On ne fait pas ce qu’on veut, ce n’est pas la même chose que l’œuvre de l’artiste qui, lui, est libre.

 Lionel Koechlin – J’ai testé le pop-up avec Pop-up Circus (Gallimard jeunesse, 2008).  et faire un pop-up, c’est formidable. Le cirque est un sujet rêvé pour ça. J’ai d’abord dessiné plusieurs propositions, plusieurs points de vue, puis l’ingénieur papier a mis le projet en relief.

 

 . Comment envisagez-vous la question de la gravité ?

 Elzbieta – Je pense à l’enfant à qui je m’adresse. Je pense que c’est important de traiter de sujets importants aussi pour eux. Par exemple, dans Petit lapin Hoplà (Pastel, 2001), j’ai voulu traiter le sujet de l’enterrement et donner du sens à cet acte. Je pense qu’il faut donner de la matière aux enfants. Leur permettre de digérer ces événements de la vie.

 

 Lionel Koechlin – J’ai envie de légèreté. Je ne veux pas traiter de sujets graves car je ne me sens pas à l’aise pour ça. Il y a d’autres auteurs qui le font et je trouve ça bien, mais moi je n’en ai pas envie.

 Albertine – C’est une belle question… On ne peut pas vivre sans être traversé par beaucoup de choses et il faut faire avec tout ça. Quand on fait le livre, on a besoin d’une porte de sortie, de légèreté pour traiter les choses.

 . Quels sont les projets auxquels vous travaillez ?

 Elzbieta –  Je prépare un livre théorique sur les contes traditionnels et l’enfance.

 Lionel Koechlin – Je prépare un livre pour adultes, les mémoires d’un directeur de cirque. J’ai exploré différentes branches dans mon dessin et je vais peut-être revenir sur l’une d’entre elles.

 Albertine : « Plusieurs livres arrivent Mon tout petit, Bibi, album sans texte, sur l’enfance et La Femme canon. J’ai aussi un projet d’exposition avec l’Art à la Page.

 . Pourquoi avoir parlé d’abandon ? (question du public à Elzbieta)

 Elzbieta – Un jour, j’ai vu une famille passer devant un SDF. La petite fille et le SDF se sont regardés, ils ont échangé quelque chose à ce moment là. C’est ce qui m’a donné envie d’écrire Petit-Gris (Pastel, 1995). L’enfant a en lui quelque chose qu’il ne sait pas, mais qui lui permettra d’agir mieux que ses parents. Les enfants ont une vie privée très profonde. Tous les thèmes qui touchent l’enfance les intéressent. Je prends les enfants au sérieux. On les réduits en leur apprenant. J’espère qu’ils vont nous sauver.

 (décembre 2013)

 (1) Cette réflexion sur l’incidence dans le dessin nous renvoie à André François qui disait que « c’est le dessin qui dit quand il est terminé. »

  

Baccalauréat en poche, souhaitant, en 2004, préparer le concours de professeur des écoles, Sandie Houas s’inscrit en licence d’histoire à l’Université de Picardie Jules Verne d’Amiens (Somme). « Ce premier projet n’a finalement pas abouti et je me suis un peu réorientée, ou plutôt recentrée sur la littérature de jeunesse et le monde des bibliothèques. » Après une année de Master Littérature de jeunesse à l’université du Maine, préparant, en 2011-2012, à Amiens de nouveau, une licence professionnelle Métiers des Bibliothèques, Sandie Houas effectue son stage chez Janine Kotwica, sur sa collection privée. Elle en devient l’assistante, en 2012, au Centre régional de ressources sur l’album et l’illustration André François de Margny-lès-Compigne (Oise). Jeune adhérente du CRILJ, elle est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion du deuxième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier).

 

 

Kveta Pacovska, une véritable artiste


        Elle est née à Prague en 1928 et elle travaille et vit en République Tchèque.

       Je l’imagine comme une ancienne princesse slave, fantasque, rebelle et créative, pleine de courage, prête à affronter la moindre critique sur son art avec un sens de la  répartie digne d’une artiste sûre de l’impact de ses images si colorées et si vivantes.

       Diplômée de l’Académie des Arts Appliqués de Prague.Kveta Pacovska peint, sculpte, conçoit des affiches et des illustrations

       Ses premiers livres pour enfants ont été conçus pour ses propres enfants, dès les années 50. Comme le font les jeunes enfants, Kveta Pacovska découpe, colle et recolle, peint, en rouge, toujours en rouge, un rouge qui, dit-elle, « met en valeur les autres couleurs ». Elle crée du « volume de papier ».

       Elle est toujours, malgré son âge, « l’artiste du livre pour enfants » et on a l’impression que le coût de fabrication et d’impression de ses livres est le moindre de ses soucis.

       Kveta Pacovska donne de nombreuses conférences, Elle répond toujours aux questions en anglais, avec une jolie voix, douce et enjouée, et elle n’hésite pas à déployer un livre accordéon, sur plusieurs mètres, en souriant.

 

      Un de ces derniers livres, L’invitation (Grandes Personnes, 2012), est une comptine illustrée, très illustrée, gaie, absurde et poétique. Sur la couverture, un rond blanc enferme des yeux noirs avec pupille, rouge, une bouche, rouge sang, des joues de toutes les couleurs, un nez carré, rouge, un menton, bleu. Le rond prend toute la place. C’est un cadeau, un vrai cadeau, emballé sur fond rouge, et le titre en dessous, en noir, écrit avec ses lettres à elle.

       J’ai rencontré Kveta Pacovska à Saint-Paul les Trois Châteaux et, en octobre 2013, à Moulins. Sur son histoire, sa vie, son œuvre, je reste discrète et pudique. Je ne veux m’intéresser qu’aux livres.

      Et j’ai envie de prendre du papier, rouge, de le découper, de le coller, sur un fond noir, d’y faire un trou, de tout recoller à nouveau et de trouver que, recollé, c’est plus beau, plus poétique. J’ai envie de peindre des triangles, comme des poules en papier jaune, et des ronds, comme des trous de serrures où l’on peut regarder. La petite fille a qui je donnerai ma feuille va tout casser et ce sera encore plus beau parce qu’elle aura écrasé son bonbon vert dessus. Moi, qui suis graphiste, je faisais cela, avant. De nombreux artistes, illustres, l’ont fait aussi. D’autres, beaucoup d’autres, célèbres pendant leur vie ou après leur mort, ont gravé leur souffrance dans leur chair comme sur leurs œuvres.

       « A quoi servent les écrits : à dire ce que l’on voit ou ce que l’on ressent et accoucher de sa souffrance intérieure. A quoi servent les images : peut-être à rêver en pleine lumière saturé de couleurs arc-en-ciel. » (Kveta, encore et toujours)

       Alphabet, livre énorme, est un chef d’œuvre (Seuil jeunesse, 1996). Un A comme « Amour », avec des lèvres rouges, des ronds, deux personnages clowns, qui dansent avec grâce, des larmes, de vraies lettres comme on apprenait à dessiner dans les écoles d’Arts Appliqués avant l’ordinateur. Et la finesse, l’écriture à la plume de colibri, la saturation de l’œil qui regarde les couleurs complémentaires s’affronter dans un jeu de rôles. Regarder, ressentir, s’approprier la couleur, détruire le temps.

       Avec Kveta Pacovska, on vit une aventure colorée, démystifiée et folle comme une course sur une plage – rouge, la plage -, quand on a cinq ans, avec le soleil en face. On revit dans un pré vert et rempli de coquelicots écarlates que l’on cueille et qui meurent parce que leur place est dans le vert du pré et non dans un vase froid.

       Kveta réchauffe le sang des enfants et des adultes avec son âme, des outils et de la couleur. Ses livres sont souvent réédités et ils ont leur place dans le rayon des livres d’art.

      Je m’interdis de parler technique même si, sans elle (et sans les éditeurs), sans stylo, papier, couleurs, outils, ordinateurs, l’illustrateur ne peut rien offrir, ni aux enfants ni aux adultes. Sans sueur, sans dessiner encore et encore, il ne peut pas exprimer ses désirs, ses pensées, sa vision ou ses fantasmes.

      Un livre va être réédité, un autre mis en scène par des gens de théâtre. Pierre et le loup (Minedition, 2013) va paraitre bientôt et nous attendons le livre avec impatience.

       Kveta Pacovska, je vous dit merci…

   (octobre 2013)

Après un BTS et des études d’arts appliqués, Josiane Reumaux enseigne un an puis  devient graphiste et illustratrice, travaillant notamment à l’agence de publicité de La Marseillaise, à l’Agence Havas, à l’agence Eurosud, dans une agence de publicité de Gap. Elle sera un temps responsable d’un journal féminin, d’un journal gratuit et des pages régionales du magazine Marie Claire. « Actuellement, je m’occupe au sein du CRILJ des Bouches du Rhône de la tenue du site internet et participe aux actions littéraires de l’association en direction de la jeunesse et dans les maisons de retraite. » Josiane Reumaux est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » du CRILJ à l’occasion du deuxième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier)