Astéroïde et les médias

Voilà un peu plus de deux ans, l’association Astéroïde lançait un appel aux médias pour que se créent des rubriques régulières d’information sur la vie culturelle de l’enfant, en général et sur la littérature de jeunesse en particulier.

Cette action (complétée par une campagne en 1983 sur le thème Que deviennent les enfants après Noël ?) a permis, d’une part, de concrétiser une revendication qui avait été évoquée par quelques uns et, d’autre part, de faire de ce sujet un évènement suffisamment fort pour qu’il soit repris lors de manifestations (Colloque CRILJ de Saint-Etienne, Festival du Livre Enfants-Jeunes de Montreuil, Salon de Saibnt-Gaudens, Semaine du Temps Livre) ou dans les discours récents des trois ministres concernés : Edwige Avice, Georgina Dufoix et Jack Lang.

Par ailleurs, des interventions périodiques auprès des responsables des médias ont favorisé quelques tentatives dont on devrait mesurer les conséquences dans les mois à venir.

Signalons, par exemple, que l’association Presse Information Jeunesse (APIJ) dont le champ d’intervention se limitait jusqu’à présent aux problèmes d’éducation et d’enseignement, vient de créer à l’initiatve d’Astéroïde un poste de vice-président délégué à la culture et aux associations.

Cela dit, le travail de fond que mène Astéroïde se poursuit et ses projets, dont nous aurons l’occasion de reparler dans un prochain numéro, nous autorise, malgré la difficulté de la tâche, à être optimiste.

( article paru dans le n° 22 – février 1984 – du bulletin du CRILJ )

 

Directeur de Fil Bleu, réseau de transport public de l’agglomération tourangelle, jusqu’en 2010, Patrice Wolf eut une première vie du côté de l’enfance avec notamment La Lettre d’Astéroîde, bulletin d’informations culturelles, et L’as-tu mon p’tit Loup ? émission de France Inter consacrée aux livres pour les enfants dont il eut l’idée et qu’il anima, avec Denis Cheissoux, pendant 21 ans. Patrice Wolf a récemment donné à la bibliothèque municipale de Tours 25000 ouvrages, large sélection de ceux qu’il recevait en service de presse.

« J’ai animé une émission pour une radio de service public. Je trouvais légitime de redonner au service public ce qu’on m’avait donné. J’ai proposé de donner ce fond à la bibliothèque de la Ville de Tours qui a accepté. Quand j’ai arrêté l’émission, je n’étais pas en manque. Avec la direction de Fil bleu, cela m’était devenu impossible de poursuivre la radio. Aujourd’hui, je continue à m’intéresser à la littérature jeunesse, on ne peut pas tirer un trait quand on est passionné. » (Patrice Wolf)

 

 

 

 

 

 

 

 

Ay Buéno ! ou Le Petit Livre Bleu par un bleu de la BD

 

En entendant et en lisant la masse des critiques de personnes qui n’avaient pas pu potentiellement lire Le Petit Livre Bleu (vu les dates de disponibilité de l’ouvrage chez la très grande majorité des journalistes et des libraires), on était tenté dans un premier temps de se rappeler l’épisode où Boris Vian recevait des centaines de lettres d’injures d’anciens combattants qui s’étaient persuadés qu’ils étaient visés par J’irai cracher sur vos tombes. Ce n’est pas la premières fois qu’un universitaire (ou assimilé) francophone se penche sur un héros de BD et médiatise ses recherches. Le travail d’André Stoll intitulé Astérix : L’Épopée burlesque de la France publié en 1974 est le pionnier en la matière ; les réflexions avancées sur la parodie des mythes, le système de valeurs et les identités polyvalentes des Gaulois et Romains ne manquaient pas d’intérêt. Les études de Serge Tisseron sur Tintin et son créateur eurent certains côtés extrêmement lumineux et récemment Jean Tulard proposait une synthèse autour des Pieds Nickelés. Tous ces travaux reçurent un bon accueil auprès des lecteurs assidus de chacune des séries en question.

La différence entre ces trois auteurs et Antoine Buéno est de taille : les premiers ont une culture bédéistique au contraire du dernier. Il semblerait que les lectures en matière de BD se limitent chez Antoine Buéno uniquement aux ouvrages en album de Peyo (et qu’il n’a même pas une connaissance du support d’origine des Schtroumpfs). Ceci a des conséquences énormes car considérant que ce qu’il ne connaît pas n’existe pas, il écrit par exemple : « Fait unique dans l’histoire de la BD, Thierry Culliford, le fils de Peyo, a poursuivi l’œuvre de son père ». Quand on a un minimum de connaissances de l’univers bédéistique, on sait que le scénario de Rahan est passé de Roger Lécureux à son fils Jean-François. Lorsqu’on traque l’univers communiste dans Les Schtroumpfs, le minimum est de connaître les deux héros principaux du journal Pif (l’autre est le héros éponyme), à capitaux venus de Parti communiste français. Même si Babar est de l’histoire illustrée (ancêtre de la BD), un nombre considérable de Français n’ignore pas que Laurent de Brunhoff a pris la suite de son père Jean pour les aventures de cet éléphant. Pour ne pas charger la barque, nous nous abstiendrons de citer des exemples de ce type pris dans l’univers non francophone. Dire que le physique des Schtroumpfs rappelle celui de Mickey laisse perplexe (Florence Cestac, qui se décarcasse avec ses personnages, appréciera cette comparaison à sa juste valeur), on a une BD anthropomorphique et une BD animalière de l’autre côté ; cela permet toutefois de glisser que les Schtroumfs sont un anti-Mickey. Plutôt que d’aller chercher des résonnances du chapeau des Schtroumpfs dans celui des lutins (Peyo désignant ses héros comme des lutins), Antoine Buéno nous parle de bonnet phrygien, symbole révolutionnaire ; la culture historique est plaquée où elle n’a pas à être et manque cruellement quand on en a besoin.

L’auteur ne dit pas un mot du journal Spirou des années cinquante, ignorant totalement ce qu’on pouvait s’autoriser de dessiner (ou être permis par la censure des journaux pour enfants) à l’époque. Pages trente-six et trente-sept on peut lire cette interrogation fondamentale : « Mais ont-ils également un anus et des organes génitaux ? (…) La BD ne nous informe pas sur le point de savoir si ces êtres défèquent ou urinent. » L’univers du Petit Spirou, aux gags très ancrés dans l’univers de la sexualité infantile et le dénigrement de certaines réalités du monde adulte, est très contemporain à nous ; une BD avec de telles allusions est totalement impensable pour les années qui voient la parution des aventures des héros de Peyo dans Spirou. Elle n’aurait pas fait bon ménage avec Les Belles Histoires de l’Oncle Paul, Timour et Jerry Spring. Globalement le journal Spirou, avec en particulier Buck Danny de Charlier, plongeait le jeune lecteur plutôt ouvertement dans l’apologie des valeurs du « monde libre » que dans la dénonciation allusive aux sociétés totalitaires. Antoine Buéno ne se pose pas le problème de la réception des Schtroumpfs, aucun jeune lecteur de 1958 à aujourd’hui ne voit l’ombre de ce que lui imagine et les adultes relisent généralement les albums de cette série avec leurs yeux d’enfants. Après qu’Antoine Buéno ait vu Staline dans le Grand Schtroumpf, il assimile avec un certain arbitraire le schtroumpf à lunettes avec Trotski. Le fodateur de l’Armée rouge a droit à ce traitement à cause de l’indice des lunettes, de son rôle de donneur de leçons et de la quasi-totale hostilité à son égard qui est attribuée aux autres Schtroumpfs. Les camarades du NPA, de LO et du POI alias le PT apprécieront qu’un maître de conférences à Sciences politiques identifie « Le Vieux » à ces trois caractéristiques. En 1958 Staline est mort mais Peyo ne peut ignorer la dimension du personnage, par contre ce dernier n’avait sûrement pas la moindre idée de la personnalité de Trotski d’après la biographie qui est consacrée à l’auteur belge par ailleurs. En fait les références culturelles de Peyo, qui avait fréquenté peu de temps un collège technique, étaient surtout celles du monde de la BD et quand le fils du créateur de la série déclare que le schtroumpf à lunettes renvoie à Agnan du Petit Nicolas, A. Buéno se dispense de nous le faire savoir. On reste confondu devant l’usage de certains qualificatifs qui n’apportent qu’une pincée de vulgarité gratuite comme dans « Ève goûte au fruit défendu et incite Adam à en faire autant (la salope !) ». Quelques pages après, Antoine Buéno nous montre un Peyo ayant une vision traditionnelle du rôle de la femme ; il est toutefois très vraisemblablement exclu que lui ne les ait traitées de « salopes ». La dissertation sur la taille des Schtroumpfs en centimètres, évaluée en fonction de la hauteur de trois pommes mises les une sur les autres, est consternante ; elle s’appuie sur le fait que Peyo avait écrit que ses héros étaient hauts comme trois pommes, expression imagée bien connue de tous mais que Antoine Bueno prend au sens propre.

Les deux pages les plus intéressantes de l’ouvrage sont tirées de la bonne biographie réalisée par Hugues Dayez sur Peyo au sujet de la vision qu’avait le créateur des Schtroumpfs sur la Schtroumpfette. Le passage sur la transposition des conflits entre Wallons et Flamands dans Schtroumpfs verts et Verts Schtroumpfs est très pertinent mais cette réflexion n’est pas à l’origine celle de l’enseignant de sciences politiques. Le titre de cet album provient du belgicisme « chou vert et vert chou » qui signifie « bonnet blanc et blanc bonnet ». Que Gargamel ait un profil qui rappelle les caricatures antisémites, cela est incontestable. Toutefois le physique rapace de ce personnage est là bien plus pour évoquer son désir de s’emparer des Schtroumpfs que pour dénoncer une action néfaste des Juifs. Cette dernière idée ne parle absolument pas au lectorat potentiel ; de plus Peyo votait pour le parti libéral belge qui dans les conflits qu’Israël a connus avec ses voisins a toujours été farouchement du côté de ce dernier. Quant à donner au chat de Gargamel le nom d’Azraël (ange de la mort dans la tradition hébraïque), la connaissance de la culture juive, qu’il implique, incite plutôt à penser que ce choix vient plus d’un philosémitisme que d’un antisémitisme, ce que confirme Ivan Delporte (rédacteur en chef de Spirou et collaborateur de Peyo) ; à l’origine de l’idée, il affirme qu’il s’agit d’un clin d’œil à la judéité de son épouse. Ivan Delporte a d’ailleurs appelé au départ le méchant Gargamel par référence à Gargantua et Pantagruel (héros de Rabelais) ; A. Buéno ne peut l’ignorer mais cela dérangeant sa démonstration, il nous le masque.

Se proclamer « écrivain prospectiviste » sur son site ne dispense pas l’auteur d’une connaissance de l’histoire de la BD et de la presse des jeunes, surtout s’il veut décrire un univers apparu il y a plus de cinquante ans. Le tollé suscité par le contenu de cet ouvrage devrait heureusement nous épargner la publication d’une étude par Antoine Buéno sur d’autres œuvres populaires comme nous le promettait l’auteur. Cet ouvrage trouvera sa place dans les anthologies de la recherche en BD ; il se pourrait même qu’ »Ay Buéno ! » devienne une expression qui signalerait une étude en bande dessinée (ou sur tout sujet littéraire) où l’auteur partirait de présupposés arbitraires et irait à la pêche d’exemples peu significatifs car coupés du contexte de leur création. Cela pourrait être la plus grande gloire de cet auteur mais peut-être aura-t-il aussi tué en France et outre-Quiévrain le secteur éditorial consacré aux études sur la BD … Quant à l’éditeur Hors Collection, il publie l’excellente bande dessinée Calvin et Hobbes de Bill Waterson, dont le tome dix Tous aux abris ! est sorti récemment ; il s’agit de l’histoire d’un petit garçon râleur à l’imagination débordante.

(1) Antoine Buéno, Le Petit Livre bleu, Éditions Hors Collection, 12,90 euros.

Professeur des écoles, Alain Chiron s’intéresse à l’œuvre d’Ernest Pérochon pour les jeunes, aux romans scolaires, aux journaux pour enfants de la période 1914-1918. Il s’intéresse aussi à la littérature de jeunesse francophone, à la bande dessinée, à l’histoire des sections jeunesse des bibliothèques municipales, à l’histoire des musées, à l’histoire de l’enseignement, aux instituteurs pacifistes à la Belle Epoque et aux pionniers de la pédagogie Freinet. Parmi ses publications, plusieurs contributions aux Cahiers Robinson et cinq articles (Fillette, L’Épatant, Le Bon Point amusant, Pérochon, Jauffret) dans Le Dictionnaire du livre et de la littérature de jeunesse en France (à paraître en 2011). Merci à lui pour nous avoir confié cet article.

Une vieille histoire

    Automne 79. On venait de démonter le tablier de la Passerelle des Arts et j’avais rendez-vous avec Pierre Marchand. Pour un stage. Jean-Marie Bouvaist m’avait dit que c’était impossible d’entrer dans ce lieu déjà bouillonnant mais que je pouvais toujours essayer. Après plusieurs mois de lapins en tout genre – Christine Mayer et Françoise Cabbert furent d’une patience d’ange dont je leur serai éternellement reconnaissante – j’ai enfin pu rencontrer le capitaine bleu marine. Il était d’assez sombre humeur, trouvant incongru que l’on puisse imaginer apprendre l’édition à l’école et n’ayant rien à faire de stagiaires d’où qu’ils viennent. Peut-être mon nom breton ou mon entêtement à vouloir le rencontrer ont-ils eu finalement raison de sa résistance. Bon, mais à la maquette alors, m’a-t-il concédé. Il y avait un bout de table qui venait de se libérer à la gauche d’Elisabeth Cahat et à la droite de Raymond Stoffel. Même cantinière, j’aurais dit oui.

    J’ai, avec autant de conviction que de maladresse, collé des lignes de Letraset et des pavés de compo, assistant avec émerveillement à la naissance de la collection « Folio Benjamin », redoutant comme la foudre les soirs où le capitaine bleu marine descendait dans la soute pour pousser des hurlements de fureur, de charrette bordel et de bougres d’imbéciles, et faire tout refaire deux minutes avant que Raymond reprenne son train pour Luzarches. Il m’a fallu quelques années pour mesurer la valeur de ce que j’apprenais là. Je n’ai jamais triomphé de la problématique des Letraset (mais la PAO a eu leur peau, ce que, pour ma part, je n’ai jamais regretté), mais j’ai su une fois pour toutes que le livre était un tout : un texte, une mise en page, des images, un objet et la conviction de son éditeur pour le défendre.

    Au bout de plusieurs semaines de cutter et de mine bleue, je suis montée à la passerelle pour travailler à l’éditorial. Des prières d’insérer, des quatrièmes de couvertures, la réception des manuscrits, des argumentaires commerciaux… Grâce à la science du désordre cultivée avec talent par Pierre, l’équipe de Gallimard Jeunesse était en perpétuelle désorganisation : un bonheur pour une petite main qui pouvait ainsi glisser son œil partout ou presque. Mon mémoire de fin d’études sur la collection « Enfantimages » fut comme une enquête menée aves délices dans cet atelier brouillon mais chaleureux et inventif.

    A la fin de mes stages, Pierre Marchand m’a engueulée parce que j’avais répondu à une petite annonce de l’école des Loisirs – l’autre lieu de rêve pour un moussaillon en mon genre. « Qu’est-ce que tu veux aller faire là-bas ? » Et il m’a engagée pour travailler sur ce qui allait être « Découvertes ». La préhistoire de cette collection ne fut pas une partie de plaisir. Entre l’ambition de Pierre et les moyens mis à sa disposition, le fossé était large. La bonne fortune des « Livres dont vous êtes le héros » viendra bien plus tard, l’étrécir au point de rendre cette ambitieuse collection possible. Françoise Balibar, Jean-Pierre Maury, Jean-Pierre Verdet, Marc Meunier-Thouret et d’autres essuyèrent les premiers plâtres de ce projet pharaonique qui attendra l’arrivée d’Elisabeth de Farcy et de Paule du Bouchet, en 1981, pour vraiment prendre forme. J »aurai alors déjà rejoint le versant plus littéraire de Gallimard Jeunesse pour prendre en charge « Folio Benjamin » et « Folio Cadet ». Avant de voler de mes propres ailes chez Casteman qui, en 1987, cherchait un éditeur jeunesse pour son bureau parisien. J’aime bien l »idée d’essaimer, disait Pierre Marchand, ne croyant pas si bien dire.

    Septembre 99. Retour de vacances. Ma boite vocale trahissait les efforts inlassables d’un numéro inconnu à me joindre. Stéphanie Séminel ne fut pas fâchée de me joindre enfin et il ne me fallut pas longtemps pour reconnaitre l’impatience de son patron. Pierre Marchand me dit deux ou trois choses : qu’il chassait, qu’il y avait chez Hachette un formidable catalogue de fiction (ça, c’était vrai), qu’il n’y connaissait rien (ça, c’était faux mais il le savait aussi bien que moi) et qu’on lui avait dit que j’étais l’homme de la situation. Rendez-vous le soir même au Café de la Marine, au bord du Canal Saint-Martin. Me dit « que nous avons devant nous un fameux chantier, que nous serons alliés, qu’il me laissait réfléchir jusqu’au lendemain. » Largement suffisant. Je n’ai pas beaucoup hésité. Et pendant deux ans et demi nous avons travaillé ensemble d’arrache-pied, redonnant au catalogue Hachette Jeunesse Roman le lustre qu’il avait perdu.

( article paru dans le n°74 – juin 2002 – du bulletin du CRILJ )

Successivement éditeur chez Gallimard jeunesse, Casterman, Hachette jeunesse et Bayard Jeunesse, Marie Lallouet donne également des cours aux futurs éditeurs du Master de Paris XIII-Villetaneuse. Elle vit à Paris et a trois enfants. Rédactrice en chef de J’aime lire, elle a découvert une nouvelle facette de son métier d’éditeur pour la jeunesse : la nécessité d’aller chercher les lecteurs là où ils sont, de les prendre par la main pour qu’ils puissent s’aventurer sur le chemin de la lecture. Participation à l’ouvrage collectif Aimer lire : guide pour aider les enfants à devenir lecteurs (SCEREN-CNDP et Bayard Jeunesse, 2004) et auteur de Mon enfant n’aime pas lire, que faire ? (Bayard Jeunesse, 2007)

« J’étais invitée à participer à une émission d’après-midi sur Europe 1. Thème : comment faire pour que les enfants aiment lire. Avec Edwige Antier, nous avons fait assaut de merveilleuses idées. Lire à haute voix même quand les enfants savent lire tout seuls, le faire autant pour le benjamin que nous l’avons fait pour l’aîné, ne pas craindre les livres que l’on ne trouve pas très bons, etc. Pourtant, à la réflexion, nous aurions dû dire aussi quelque chose d’important. Aussi précieuse que nous semble la lecture, nous devons pouvoir autoriser nos enfants à ne pas aimer ça. Accepter des enfants qui ne sont pas à notre image, ce qui n’est ni une pose théorique, ni un exercice facile. » (Marie Lallouet)

 

Rencontre à deux voix

Beaucoup d’enfants et beaucoup de parents, ce mercredi 24 novembre 2010, au Théâtre Olympe de Gouges, à Montauban (Tarn-et-Garonne). Dehors, il faisait beau et, sur la scène, les auteurs-illustrateurs Claude Ponti et François Place…

François Place – On va faire un truc qu’on a jamais fait ! On va se poser des questions ! C’est pas un exercice facile !

Claude Ponti  – Souvent, dans les interviews, je me dis : « Mais pourquoi on me pose cette question ? » Au fait, à quel âge tu as été vacciné ?

François Place – Je ne sais pas. Et toi, à quel âge tu as arrêté de faire pipi au lit ?

( Claude Ponti raconte l’appareillage que ses parents avaient installé pour son frère qui lui, faisait pipi au lit, un système assez agressif, réagissant à l’humidité )

Claude Ponti  – Et toi, le pipi au lit ?

François Place – Jamais ! Jamais !

( Claude Ponti  et François Place ironisent sur leur perfection, même avant la naissance )

laude Ponti – On a des tas de points communs. On a aussi une mère enseignante tous les deux.

François Place – C’est peut-être la même ?

Claude Ponti  – ça m’étonnerait ! Elle est très spéciale ma mère ! Toi, tu as l’air normal ! C’était un hussard noir, ma mère ! Moi, j’ai appris à lire avec la méthode globale intégrale !

François Place – Dis donc, tu crois vraiment à ce que tu écris, toi ?

Claude Ponti  – Ah oui ! Et toi, tu trompes les enfants ?

François Place – Non, mais toi, tu crois que les robinets ont des pattes !

Claude Ponti  – Dis-moi, la première fois où tu as fait des cartes, c’est que tu étais puni ?

François Place – Non, non, j’ai toujours adoré ça. Tu sais, Stevenson a commencé à dessiner la carte avant d’écrire L’Ile au trésor ! Bon, les enfants, vous comprenez ? Au fait, vous connaissez les livres de Claude Ponti ?

( Des enfants citent des titres )

François Place – L’arbre sans fin, c’est un de tes livres que je préfère. Comment est venue l’idée ?

Claude Ponti  – L’idée est venue par le titre : le monde entier dans un arbre. Souvent, on me dit que c’est l’histoire de la disparition d’une grand-mère. Désolé, il me fallait des évènements pour faire sérieux, alors j’ai parlé de la mort d’une grand-mère. J’adorais ma grand-mère, moi. Lorsqu’elle est morte, ma fille a accepté de voir son arrière-grand-mère morte et elle a dit : « C’est rigolo – chez nous ça veut dire : c’est bizarre – il n’y a personne dedans. » Souvent, les enfants disent des choses importantes. J’ai utilisé ça dans l’histoire. Quand j’ai pensé à mettre quelqu’un dans l’arbre, tout s’est enchaîné ! « Moi non plus, je n’ai pas peur de moi. » Cette phrase dans la bouche d’Hipollène répondant au monstre Ortic, a été le moteur ! La mort de la grand-mère est seulement un évènement.

François Place – L’illustration aussi m’a frappé. On a l’impression d’être au milieu des feuilles, il y a un effet de profondeur, l’impression très forte d’être immergé dans l’arbre.

Claude Ponti – C’était un petit coup de chapeau en passant ? Alors attends, il faut que je trouve un truc à te dire de vachement gentil.

François Place – Ah, ah ! le Pontilécheur est un animal qu’on trouve sur scène juste pendant une interview !

Claude Ponti – Je vais parler de ton livre La douane volante. Je me suis retrouvé complètement ailleurs, je me suis senti comme un enfant après la lecture du livre. Cette façon de parler de la réalité en s’échappant, en contournant le monde, c’est la démarche des enfants. J’ai traversé la Bretagne, côtoyé le monde des peintres hollandais – grâce à toi !

François Place – Nous sommes tous les deux intéressés par le phénomène de l’initiation : prendre un personnage, l’entraîner, l’accompagner à travers le monde un peu terrifiant des forêts, de la nuit, des monstres dans les placards et, au bout de l’histoire, le retrouver qui a évolué. Dans Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron, quelques pages m’ont beaucoup ému ! Ces choses qu’on veut apprendre aux enfants, on ne peut le faire que comme ça. Il faut que l’enfant passe par la culture, même dans des univers très différents. Il faut passer par ces chemins là pour grandir ! Alors merci aux libraires, merci aux enseignants ! Avec un livre, on peut se promener dans un lit.

Claude Ponti – Moi je peux te poser une question ? Oui ? Alors, François Place, quel est votre parcours ? (rires)

François Place – Eh bien, je suis passé par ici et … je n’ai pas encore fini de passer ! (rires)

Claude Ponti – Moi je suis content quand j’apprends encore des choses. Faire des livres où on montre que la vie c’est comme ça, qu’il y a des obstacles… Les enfants sont des êtres humains si les parents sont des êtres humains ! Ça s’apprend. Il faut parler, il faut du racontage ! En ce moment, les enfants sont poussés à croire que notre planète est un énorme vaisseau spatial. Mais il a fallu un immense passé ! Les Arabes pour les maths, les Indiens pour autre chose, etc. Il est essentiel que les enfants puissent savoir ça pour grandir plus humains.

François Place – Dis donc, tu crois vraiment qu’on peut avoir des parents comme ceux que tu montres ou tu as pété un câble ?

Claude Ponti – Non, je ne crois pas avoir jamais eu de câble. C’était un moment où j’avais des soucis avec ma mère, ça fait longtemps que j’essaie de m’en débarrasser (rires). J’ai fait un livre là-dessus Le catalogue des parents. La plupart des enfants veulent changer de parents – mais pas longtemps !

François Place – Tu as fait aussi Le livre des frères et des soeurs

Claude Ponti – Ah oui, j’ai fait des études très sérieuses pour ça. Mais j’aurais voulu rajouter des cris ou des odeurs. Tu as eu des frères, toi ?

François Place – Trois frères et deux soeurs ! Mais c’était à une époque où les livres pour changer, ça n’existait pas !

Questions du public :

Un adulte – Vous êtes-vous déjà rencontrés ?

François Place –  Oui, c’est pour ça qu’on a l’air vachement pro. Mais non, c’est la première fois !

Un enfant – Comment vous faites pour dessiner aussi bien ?

François Place – Moi je suis plus dans le détail réaliste. Claude s’adresse à des enfants jeunes. Moi j’ai des textes plus compliqués. Lui son rôle, c’est d’enchanter la vie quotidienne, de vous emmener dans le monde des rêves. Les dessins grand format sortent le monde du livre. Moi qui m’adresse à des plus grands, je fais des dessins qui attirent vers l’intérieur, qui font renter dans la page. Dans nos livres à tous les deux, la lecture est toujours à plusieurs étages. Tu peux revenir plusieurs fois, tu découvriras toujours des choses. Tous les deux, on a envie de perdre le lecteur dans le texte et les images.

Claude Ponti – Tu t’en sors bien !

François Place – Tu n’es pas d’accord ?

Claude Ponti – Si, si ! Chaque livre, chaque histoire doit avoir son propre monde ! Chaque livre est un monde et il faut que l’enfant entre dedans. Moi je m’adresse aux petits qui sont très intelligents !

Un enfant – Qu’est-ce qui a poussé Claude Ponti à faire des bonshommes aussi bizarres ?

Claude Ponti – J’invente des espèces de mélanges de bestioles qui n’existent pas. Les enfants, quand ils lisent, se mettent à la place du personnage et c’est le meilleur costume que je puisse faire !

Un enfant – C’est votre vrai nom Claude Ponti ?

Claude Ponti  – Non, je s’appelle Ponticelli, mais j’ai coupé car pendant longtemps il n’a pas été d’accord avec son père.

Un enfant – Est-ce que vous pouvez expliquer comment vous faites vos livres ?

François Place –  On est tous les deux des illustrateurs alors on pense en images ! (rires) Je travaille une narration dans ma tête. La narration plutôt que le texte-images. Je prends des notes pendant longtemps, je fais des croquis…

Claude Ponti – Moi, c’est évidemment différemment pareil ! Ce qui compte, c’est la narration. En général, je commence par une maquette, des petits croquis, des notes, mais juste quelques pages car je ne sais pas refaire deux fois la même chose. J’ai été éduqué à la perfection immédiate ou tu meurs ! J’ai tous les éléments dans la tête, je fais peu de croquis préparatoires.

François Place – Moi à l’inverse, je fais beaucoup de croquis préparatoires, presque trop.

Claude Ponti – J’ai fait un petit livre avec deux poussins et le A. Des gens me demandent « Quand faites-vous le B ? » Mais non ! Par contre, j’ai reçu des livrets faits par des classes sur d’autres lettres. C’est bien ! Il faut que les enfants s’approprient le monde. Il faut que je me sente bien dans ce que je dessine ! Il faut que j’y sois, même dans le cinqième arrière plan. Comme un enfant. Quand on est adulte, on recherche les émotions qu’on a ressenties en tant qu’enfant dessinateur. C’est plus difficile quand on est adulte, d’être dans le dessin qu’on fait.

Un enfant – Vous avez l’intention de faire d’autres livres ?

Claude Ponti – Oui y a intérêt !

Un adulte – Est-ce que vous peignez toujours ?

Claude Ponti  – Non, j’ai arrêté de peindre quand j’ai commencé à dessiner pour ma fille. J’avais commencé par la peinture, mais je n’aimais pas le milieu. Je ne suis pas très sociable ! Je n’aimais pas trop le fait de vendre mes originaux. Et ça ne me plaisait pas que les tableaux que j’aimais, soient achetés par des gens que je n’aimais pas.

Un adulte – Vous êtes papa tous les deux. Est-ce que vous avez été des pères qui ont entraîné leurs enfants dans leur monde ?

François Place –  C’est un métier où on travaille beaucoup, mais on est à la maison. On est pas toujours disponible, mais on est là. J’étais un papa assez carré, mais mon atelier était totalement ouvert et, pendant plusieurs années, mon fils a eu un coin pour  dessiner près de moi. Mais raconter des histoires à ses enfants, ce n’est pas forcément les entraîner dans son univers à soi.

Claude Ponti – Moi, j’ai été un père normal. Le dos de ma fille est constellé de cicatrices de coups de plume et de pinceau que je lui lançais quand elle venait me déranger ! (rires)

François Place – Mais non, c’est pas vrai !

Claude Ponti – J’étais à la maison et tous les soirs, je racontais à ma fille de petites histoires de son quotidien mises en scène avec de petites bêtes, jusque vers 10/11 ans. Maintenant, elle a un master 2 de philo et elle lit des livres auxquels je ne comprends rien !

Un enfant – C’est une histoire vraie Le mange poussin ?

Claude Ponti – Elle est vraie dans le livre ! Et j’ai toujours un poussin…

François Place – Oui, un poussin qui a 32 ans !

( Applaudissements chaleureux, échange réussi, rencontre vraiment plaisante )

 

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Georges Coulonges

 

    Du théâtre à la radio, de la chanson au roman, de l’essai à la télévision, Georges Coulonges a marqué de son écriture les cinquante dernières années de notre paysage culturel.

    Drôle, aimant la rime riche à la manière de La Fontaine et de Molière, imprégné de culture populaire, Georges Coulonges est avant tout un observateur avisé du présent et du passé. Sa cinquantaine d’ouvrages – tout genres confondus : romans, essais, pièces de théâtre, livres pour la jeunesse, œuvres télévisuelles, etc – et ses chansons engagées nous content, à travers des histoires individuelles, des pans entiers de notre histoire.

    Humaniste, défenseur de la culture et de la tolérence, Georges Coulonges s’est battu pour offrir au plus grand nombre un divertissement de qualité. Il s’est éteint le 12 juin à l’âge de 80 ans.

( texte paru dans le n° 79 – octobre 2003 – du bulletin du CRILJ )

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Né en 1923 à Lacanau, issu d’un milieu modeste, Georges Coulonges fut comédien, bruiteur à la radio, producteur d’émissions de variétés, écrivain aux talents multiples. Parolier à succès de Jean Ferrat (Potemkine), de René-Louis Laforgue, de Francis Lemarque et de Mouloudji (Le chomage), de Marcel Amont, de Nana Mouskouri (L’enfant au tambour), d’Annie Cordy et de beaucoup d’autres, il écrivit aussi, pour les adultes, des romans qui, comme Les Terres gelées (Presses de la Cité, 1993), rencontrèrent un grand succès populaire. Ses livres pour enfants, initialement publiés aux éditions La Farandole, sont, pour la plupart, désormais disponibles en Pocket Jeunesse.

Fin des années 60, début des années soixante-dix. Installé dans une banlieue parisienne avec sa famille, Georges Coulonges devient le grand-père involontaire des gamins de la cité.  Il a alors l’idée d’écrire pour eux, pour tous les gosses et pour ses propres petits-enfants. Paraît donc On demande grand-père gentil et connaissant des trucs. C’est l’engouement général. Enfants comme parents, éléves comme instituteurs s’enthousiasment pour ce sacré grand-père. Un petit lecteur lui demande même si le héros du livre est bien allé passer ses vacances en Aveyron. Emu et amusé, Georges Coulonges ne pouvait qu’écrire une suite, Grand-père est un fameux berger.

 

L’enfant et la poésie

 

Le CRILJ (Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse) a organisé une colloque L’enfant et la poésie au Centre Georges Pompidou (Paris), du 18 au 20 avril 1986, avec la collaboration de la Bibliothèque Publique d’Information et avec l’aide et le concours de divers organismes officiels : Ministère de la Culture et de la Communication, Ministère de l’Education Nationale, Secrétariat d’Etat auprès du Ministère chargé de la Jeunesse et des Sports, Mission d’Action Culturelle

Le colloque a réuni 150 participants venus de toutes les régions de France et de plusieurs pays étrangers, tous engagés de diverses façons dans la rencontre de l’enfant et de la poésie : enseignants, bibliothécaires et poètes.

Premier colloque national sur ce sujet, cette rencontre a permis de clarifier les problèmes, de confronter les points de vue sur le rôle et la situation de la poésie (notamment contemporaine) à l’école ou vis à vis du public, sur l’enfant auditeur, lecteur, créateur, sur le rôle initiateur de l’école et de la bibliothèque, sur les rapports de l’image et du texte poétique, cherchant toujours à mieux cerner ce que pouvait bien être la poésie, tellement éclatée aujourd’hui que sa réalité même est fuyante.

Grâce à de nombreux compte-rendus d’expériences très diverses quant aux lieux, aux modalités, aux organismes responsables, la voix des enfants et des adolescents a pu se faire entendre. Ces témoignages reflètent l’extraordinaire bouillonnement poétique qui se produit actuellement un peu partout à tous les niveaux, à tous les âges.

Les communications de Jacques Charpentreau, Christiane Clerc, Janine Despinette, Raoul Dubois, Georges Jean, Jean-Luc Moreau, Geneviève Patte, Aline Roméas ont montré les richesses de ce grand mouvement, sans en cacher les dangers pouvant venir d’une absence de sélection assez sévère

Deux soirées poétique ont permis d’entendre quelques poètes et chanteurs interpréter leurs œuvres et répondre aux questions parfois provocantes du public. On s’est même parfois demandé ce qu’était la poésie, ce qu’était un poème, qu’est-ce qui permettait de se dire un poète, etc. On s’est remis en question, on s’est re-situé soi-même par rapport à la poésie – et par rapport à l’enfance

Le colloque s’est terminé par une adresse de Jean Tardieu, alors souffrant, et par le remarquable témoignage d’un jeune poète suisse, Jean-Pierre Valloton.

Le président Jean Auba et Michel Melot, directeur de la BPI, en ouvrant le colloque, avaient souligné l’importance d’une telle rencontre, la première sur se sujet. Les débats ont prouvé que les participants avaient beaucoup à dire, comme le montreront les actes du colloque qui seront publiés. Mais d’autres rencontres, nationales ou régionales, seront sans doute nécessaires sur un thème d’autant plus intéressant qu’il suscite des controverses.

( texte paru dans le n° 28 – mai 1986 – du bulletin du CRILJ )

D’abord instituteur et professeur, puis écrivain, anthologiste, directeur de collections chez plusieurs éditeurs, Jacques Charpentreau fit beaucoup pour la diffusion de la poésie. Parmi ses nombreux recueils pour jeunes lecteurs : Poèmes d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant et Poèmes pour les jeunes du temps présent. Il écrivit aussi, pour les enfants, de nombreux romans (Comment devenir champion de football en mangeant du fromage, La Famille Crie-toujours). Auteur, pour des lecteurs adultes, de poésie, de théâtre, de pamphlets, il est président de La Maison de Poésie. Très attaché au CRILJ, il en fut longtemps l’un des vice-présidents.

Si le temps m’était conté : le temps qui passe, le souvenir, la mémoire

    L’album comme le roman est un art du temps. Il ne se borne pas à présenter au lecteur une temporalité uniquement liée à la succession des évènements qui forment l’intrigue. Les temps internes à la fiction entre en conflit d’ordre et de durée avec la narration qui leur sert de véhicule. Laissons de côté les temps externes : le temps de l’écrivain, le temps du lecteur, le temps historique pour nous attacher à quelques dimensions des temps internes : le temps de la fiction, le temps de la narration, le temps de la lecture. La présence du temps et son passage sont souvent suggérés par les changements atmosphériques, les modifications apportées par une saison, une action humaine (Dans Au petit bonheur, le peintre achève l’enseigne de page en page). La transformation des lieux est plus ou moins suggérée, de même le vieillissement des personnages (Tour de Manège). La datation s’effectue parfois par rapport à un évènement historique fortement appuyé dans les illustrations (Rose blanche, L’étoile d’Erika, Le temps des cerises).

    L’auteur peut faire le choix d’une indétermination du temps, commencer par il était une fois sans pour autant écrire un conte. Dans Les Trois Clés d’or de Prague, Peter Sis joue avec cette indétermination. L’album se situe initialement par rapport au futur du narrateur. Il commence par une lettre venant de New York, adressée à Madeleine qui n’est encore qu’une « petite fille joufflue » : elle ne sera en mesure de comprendre le sens de la lettre et de l’album qu’au « XXIème siècle ». L’histoire proprement dite commence également comme une lettre : « Madeleine ». Au lieu de choisir un déplacement temporel, le narrateur choisit un déplacement spatial : il se trouve soudain transporté à Prague, en montgolfière. Il reconnaît la ville de son enfance et, au présent de l’indicatif, évoque ses souvenirs. Il n’y a pas, à proprement parler, d’histoire chronologique… tout au plus un prétexte à visiter la ville : il s’agit en effet de retrouver les trois clés – liées à des contes d’enfance – qui ouvriront les trois serrures de sa maison natale. La dernière page propose un raccourci temporel. Dans la maison, on discerne le fantôme des parents, la mère à la cuisine, le père lisant son journal. Le texte dit : « J’entends ma mère (…) le dîner est servi ». Comme si le passé lointain se nouait avec le présent où Madeleine est une petite fille …

    Chaque auteur/illustrateur a sa façon de rendre sensible le déroulement du temps, y compris en exploitant la matérialité du livre : album tout en longueur (Moi, j’attends), lecture dans un sens puis dans l’autre, quatrième de couverture qui invite à poursuivre le récit, à le reprendre en boucle. En ce qui concerne la gestion du temps dans les histoires des albums, il faut s’attacher aux deux aspects que sont l’ordre et le rythme des actions dans le récit pour montrer comment ils sont rendus visuellement. Dans la très grande majorité des albums, le récit se déroule de manière linéaire et les illustrations se suivent donc chronologiquement. Mais il existe bien des albums avec des flash-back. Il est alors intéressant de remarquer comment ces retours en arrière sont exprimés graphiquement. Dans une image, le rythme peut être exprimé grâce à certaines techniques de dessin qui sont aptes à donner un sentiment de plus ou moins grande vitesse : le style plus ou moins nerveux du trait, la plus ou moins grande netteté du motif, l’utilisation ou non de la perspective ou encore l’usage de techniques couramment utilisées dans les bandes dessinées (traînées de vitesse, effets stroboscopiques). S’agissant d’une succession d’images, il existe différentes techniques bien connues de la bande dessinée qui permettent de rendre la vitesse des actions qui s’enchaînent. Ainsi l’album est une initiation au temps, à travers texte et image.

    Le projet esthétique n’impose aucune limitation aux figures du temps qu’il cherche à objectiver au moyen de signes graphiques ou chromatiques et sous une forme accessible au regard. En revanche le calendrier, forme prise par quelques albums (Bientôt Noël), ou présent en partie dans les illustrations institue une image publique et utile du temps. Il semble totalement voué aux temps cadres puisqu’il s’applique à la mesure collective de la durée et à la prévision des intempéries. Ces deux modalités de la représentation se chargent, par contre, de donner une vue concrète et même figurative d’un objet que l’on présente généralement comme une notion abstraite ou un concept flou.

    Mais les albums présentent aussi l’idée de temps en rendant plus facile à l’enfant la compréhension de ce concept abstrait ; l’histoire favorisant l’étayage de la réflexion. Les livres de jeunesse proposent une mise en forme d’un monde et la fiction, en donnant une image du monde, donne un modèle pour penser ce dernier. Michel Piquemal dans la préface à son livre Les philo-fables parle du texte comme « un support narratif » pour « dialoguer avec l’enfant » car écrit-il : « il est difficile d’appréhender par exemple les concepts de liberté et de justice de manière abstraite. Mais il est plus facile de le faire à partir de l’apologue de Diogène et les lentilles ou de la célèbre fable de La Fontaine, Le loup et le chien, ou bien encore à travers le personnage mythique d’Antigone chez Sophocle. Ces récits nous posent de vraies questions. Pour le concept de temps il nous vient rapidement en mémoire Le lièvre et la tortue, mais aussi des reprises de ce thème dans des albums. Temps, argent, conception du bonheur sont ainsi associés dans Le voyage d’Henry.

    Bien des albums illustrent l’idée de durée, de cycle, de rythme,  parce qu’ils fonctionnent avec une structure comme la randonnée par exemple, des rythmes comme dans les comptines. D’autres, destinés à des enfants plus âgés ouvrent sur une vision du temps qui passe inexorable, sur la force du souvenir.

    Misto tempo est sans doute l’album incontournable par rapport au temps, parce qu’il en présente toutes les facettes. Il illustre parfaitement cette difficulté à penser le temps, le désir de l’Homme qui a toujours cherché à l’arrêter (suspendre son vol ; prendre des vacances). On pourra noter que Misto Tempo ne vieillit pas : il ne peut s’arrêter, il ne peut donc pas mourir ( « longue vie Misto Tempo ; il ne connaît pas le poids des ans » ). Les hommes essaient depuis des siècles de mesurer le temps. Misto tempo est là depuis toujours, aux côtés de la Lune et du Soleil, marchant comme un funambule sur les fuseaux horaires, ne se laissant ni suspendre, ni arrêter, ni ralentir, ni étirer… Il loge dans le balancier d’une grosse horloge, il est l’ami des pendules, des montres, des coqs et même du coucou qui sort de sa boîte. L’album file les expressions relatives au temps : celles comprenant le mot temps (remonter à la nuit des temps, être dans l’air du temps, faire quelque chose en deux temps trois mouvements, venir en un rien de temps…) et celles dans lesquelles le mot temps est absent (aller bon an mal an ; les lendemains qui chantent ; partir aux aurores ; vivre à la petite semaine ; depuis des lustres ; ce n’est pas demain la veille…). Le récit débute à une heure et se termine à vingt-quatre heures et ainsi la boucle est bouclée. C’est le renouvellement de cette mesure qui permet au temps de poursuivre son chemin. Le temps a traversé tous les âges (« il a connu tous les rois ») et il concerne toute la planète (l’homme noir, le Tibétain).

    Exister dans le temps, c’est être soumis à cette loi du devenir qui est par nature paradoxale : une succession, un changement. Le temps est la manière même dont nous percevons le changement. Le temps est lié à notre condition humaine, à notre finitude.

    Avec l’expérience de l’attente, le temps est tantôt ce qui semble  se dilater, se contracter. Nous percevons la continuité et l’épaisseur quasi-matérielle d’une durée. C’est ce que Serge Bloch nous fait ressentir lorsqu’il figure dans Moi, j’attends,  l’étirement de l’attente et du temps qui passe. Le lecteur suit le bout de fil rouge, le fil de la vie, dans des pages ou l’attente est à la fois pleine de tristesse et d’espoir. L’attente, la difficulté    de se représenter le temps qui passe, l’oubli, le chagrin se trouvent mêlés dans Je t’aime tous les jours. Le temps qui passe est noté par les saisons. Ainsi dans Lundi  de Anne Herbauts un pingouin a deux amis, Théière et Deux-Mains qui viennent le distraire de son attente du jour suivant. Ensemble, ils jouent du piano, passent du bon temps, le printemps, l’été, l’automne. Mais l’hiver arrive avec son souffle glacé et un mauvais présage. Sous le relief de la neige, le pingouin s’efface peu à peu jusqu’à disparaître. Mort, son souvenir s’imprimera en creux dans les pages pour rester tout près des lieux et des êtres aimés.

    Dans Feng, fils du vent de Thierry Dedieu, le jeune asiatique, cherche auprès de son maître, le secret du cerf-volant le plus stable, le plus maniable, le plus véloce. Il acquiert peu à peu un savoir-faire qui lui vaut des honneurs. Mais il sent que son art n’égale pas encore celui de son maître. Il doit encore chercher, redouble d’efforts mais rien n’y fait. Ses cerfs-volants caressent les nuages mais ne volent jamais au-dessus des cieux jusqu’au matin où l’âme du maître défunt quitte le monastère emportant avec elle une des extrémités de la corde du dévidoir. Le récit illustre le fait qu’il faut une vie pour apprendre, pour faire et parfaire. L’expérience humaine s’inscrit dans la durée. Les gens pressés ne peuvent trouver le bonheur

    Les évènements de la vie se succèdent sans toujours pouvoir être décryptés. Il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Ce qui est proche et ce qui est loin. Ce qui est vraisemblable, ce qui est rêvé. Les éléments et les souvenirs s’entremêlent. Dans Le chemin bleu, Anne Brouillard propose un travail de la mémoire, de l’envie au désespoir, du rêve aux aspirations déçues. Par une succession de va-et-vient, elle invite son lecteur à suivre ce cheminement, ce parcours de vie. Le temps est la pulsation même du vivant. L’impossibilité de revenir en arrière rend possible le projet. C’est l’avenir qui permet de donner un sens au passé. Le temps est ce qui mesure l’homme et ce que l’homme forge à sa mesure. Le temps est disparition du passé et inexistence de l’avenir. Mais l’existence humaine fait de cette loi, la trame d’une vie. C’est cette conception que nous retrouvons dans Longtemps de Claude Clément et Jame’s Prunier.

    La mémoire n’est pas seulement conservation du passé, elle est aussi ce qui fait se rejoindre en nous une multiplicité de sensations et c’est bien ce que l’on retrouve dans bien des ouvrages de Béatrice Poncelet comme Chaise et Café. Le temps altère les choses, la vision du texte s’altère. Dans Les Cubes, on peut savourer un très beau travail sur le souvenir et la mémoire. L’enfance qui n’est plus, se trouve dans le temps passé, qui n’est plus; mais quand l’auteur l’évoque et la raconte, il regarde son image dans le temps présent car elle est encore dans sa mémoire. Le livre est aussi un bel hommage à la mère, à toutes les mères. Car ici les cubes, ces  « dessins de côté » sont comme d’instants d’une seule et même histoire : celle où s’installe la vieillesse, celle où on se remémore les instants joyeux de la vie, celle où l’on fait véritablement, de manière intime, acte de mémoire. L’individu appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Avec Chez elle ou chez elle, la relation entre souvenir et mémoire est posée tout à la fin. La petite fille se demande ce qu’elle retiendra volontairement, et ce qui lui reviendra malgré elle de cette enfance qui la faisait aller chez lui, chez Elle, chez elle, chez eux.

    Le thème de la vie qui constitue la meilleure objectivation du temps vécu (time of live) est connoté par les images de la vieillesse et de la mort. Bien des albums abordent cette question du cycle de vie. Trois éléments importants sont souvent présents pour permettre aux personnages de dépasser leur peine : la participation du défunt au cycle de la vie ; la transmission. Ainsi, dans Reviens Grand-mère, Bessie grandit, a une fille qui a les yeux verts et les taches de rousseur de son arrière-grand-mère et apprivoise les oiseaux comme elle.  « C’est comme si Grand-mère n’était jamais partie ». De même,  dans Ce changement-là, le père taille les haies du jardin que le grand-père entretenait. Et les enfants dans Au revoir Grand-Père vont nourrir ses poules. Le message qu’une vieille femme sur le point de mourir à un jeune Indien dans Croissant de lune chante le récit de sa vie après lui avoir enseigné son savoir-faire. Lorsqu’il comprend qu’il ne la reverra pas, il se sent triste mais calme et plein d’espoir. Dans Où est parti Baltus ?, la transmission est symbolisée par la petite valise de prestidigitation que Baltus offre au narrateur et qui lui permettra d’apprendre des tours de magie à son frère. La fillette de Grand-Père est mort écrit à son grand-père pour lui dire au revoir. Elle évoque son souvenir, sachant qu’il restera toute sa vie dans son cœur. Enfin, elle lui écrit pour lui raconter son rêve, où elle s’est envolée comme un oiseau jusqu’à son nid. Dans Au revoir Grand-Père,  les moments de tendresse et de complicité entre les enfants et leur grand-père reviennent en mémoire aux enfants, qui croient entendre sa voix dans le murmure du vent, tandis qu’un air d’accordéon leur rappelle qu’il est toujours vivant dans leur mémoire. L’enterrement est aussi une occasion de venir dire au revoir pour les enfants et de se souvenir des bons moments passés ensemble. Ils ont cueilli des fleurs du jardin, puis vont nourrir les poules, façon de prolonger les gestes et la mémoire du grand-père tout en rendant hommage au travail qu’il accomplissait. Quand le vent murmure, ils croient entendre la voix de leur grand-père, et communiquent avec lui par delà la mort. Lorsqu’ils entendent un air d’accordéon ils comprennent qu’il sera toujours vivant dans leur mémoire.

    Qu’il s’agisse de garder le souvenir ou de le retrouver, la mémoire est opposé à l’oubli, synonyme de perte et de destruction, mais aussi parfois de libération. A l’ambivalence de l’oubli, correspond celle de la mémoire. Survalorisée, elle est le signe de puissance intellectuelle. Mais elle est aussi poids, lourd à porter pour ceux qui s’enfermeraient dans leurs souvenirs et ne peuvent plus envisager l’avenir Le propre des durées individuelles est qu’elles possèdent un contenu différent pour chaque conscience.

   tempo

Anne Rabany est membre du CRILJ depuis 1975. Elle a trouvé auprès de cette association les ressources et les accompagnements nécessaires à différents projets qui ont jalonné sa carrière : pour la mise en place des BCD, la formation des personnels lorsqu’elle était Inspectrice départementale puis directrice d’Ecole normale, pour l’animation et le suivi des Centre de Documentation et d’Information des collèges et des lycées en tant qu’Inspectrice d’Académie, Inspectrice Pédagogique Régionale Etablissement et Vie Scolaire et, actuellement, pour préparer des cours en tant qu’enseignante au Pôle du livre de l’Université de Paris X.

Jean-Louis Besson

    Auteurs et illustrateurs, nous avons perdu l’un des nôtres, Jean-Louis Besson, mon cadet de trois ans.

     Jean-Louis Besson, un grand de l’illustration… Tu avais commencé ta carrière dans la publicité, chez Publicis, ce que, comme disait Savignac, portait à aller à l’essentiel dans l’image. Tu étais, Jean-Louis, le meilleur des amis, à l’écoute des copains. Portant très haut ton idéal, « faire au mieux ce que tu avais à faire », fouillant comme personne les documentations pour réaliser projets et commandes. Tu étais une référence pour tes collègues qui, souvent, faisait appel à tes connaissances. Respectueux de la vérité dans tes dessins tout en cultivant l’humour.

     Comme nous tous, toujours coincé dans les délais de livraison, travaillant sans arrêt pour ce métier aimé mais pas très rémunérateur, toi, Jean-Louis, qui savait que l’ouvre-boite avait été inventé quarante années avant la boite – cette anecdote de ses recherches racontée par ton copain américain a fait rire l’assistance si nombreuse qui accompagnait « ta boite » au cimetière.

     Merci Jean-Louis, pour l’exemple que tu nous laisses dans tes nombreux livres, ta vie, si chaleureuse, ta gaieté, ta tendresse.

     Soyons digne de toi.

 ( article paru dans le n°78 – octobre 2003 – du bulletin du CRILJ )

Né à Paris en juillet 1932, Jean-Louis Besson suit, pendant trois ans, des cours à l’École des métiers d’Arts de Paris puis travaille dans plusieurs agences agences de publicité. Il réalise des dessins animés. A partir des années 1970, il se consacre à sa passion : écrire et illustrer ses propres histoires. Il a longtemps travaillé chez Bayard-Presse, pour les magazines Astrapi, Okapi et J’aime Lire (Les jumeaux du Roi, Nicole Schneegans, 1982). Illustrateur de nombreux ouvrages pour la collection « Découverte Cadet », chez Gallimard Jeunesse, il y publie également des bandes dessinées. Parmi ses titres pour les enfants : Le nez (Nicolas Gogol, Calligram, 1993), Hadji (Jacqueline Duhême, Gallimard, 1996), Paris Rutabaga, souvenirs d’enfance, 1939-1945 (Bayard Jeunesse, 1995), Donné, c’est donné (Patricia Holl, Nathan, 2002), la série des « Calamity » (Nathan, à partir de 1996). Jean-Louis Besson est décédé le 1er mai 2003.

  jean-louis besson

Réaliser un livre comme Le livre des costumes (Gallimard Jeunesse, 1996) suppose d’abord de réunir une bonne documentation, des reproductions de tableaux pour l’essentiel, les costumes conservés dans les musées étant plutôt rares et peu représentatifs de toutes les classes de la société. Il m’a semblé amusant d’imiter les peintres comme Pisan, Rogier Van der Weyden ou Carpaccio, en veillant à ne pas faire les nez trop gros, surtout aux dames. J’utilise un rotring 015, du papier Schoeller Parole et des encres Martin’s ou Luma. Je fais mes dessins un cinquième plus grands. (Jean-Louis Besson)

Quelle identité pour les sections régionales ?

 .

par André Delobel

     Il est très vite apparu aux personnes qui avaient souhaité le CRILJ et l’avait constitué qu’une activité au strict niveau national ne pouvait répondre à l’ensemble des besoins et qu’il y avait lieu de créer les conditions d’une activité CRILJ à un échelon décentralisé. Le débat qui eut lieu à ce propos lors de l’assemblée générale d’octobre 1975 aboutit à un projet de « structures pour des sections régionales du CRILJ » adopté à l’unanimité des quatre-vingts adhérents présents.

     Les objectifs assignés aux sections régionales étaient :

 – d’une part, de rassembler (dans la région) les représentants de tous les secteurs concernés par le livre pour la jeunesse.

 – d’autre part, de promouvoir et coordonner (dans la région) l’action en faveur de la littérature pour la jeunesse.

     En fait, à la lecture intégrale du texte, on sent qu’il y avait une sorte de balancement entre deux idées :

 – une idée qui consistait à attribuer aux sections régionales une pleine compétence et une pleine responsabilité sur son territoire ; c’est ainsi qu’il était précisé au cours du débat que les sections régionales pouvaient recevoir des subventions pour ses activités propres.

 – une autre idée qui consistait à considérer les sections régionales comme des sous-sections du CRILJ/national ; c’est ainsi qu’il était suggéré aux sections régionales d’organiser des commissions de travail correspondant aux quatre commissions permanentes du CRILJ/national.

     Un an après, le CRILJ avait 400 adhérents et trois sections régionales. Il a aujourd’hui 1300 adhérents et vingt-quatre sections régionales.

     Malgré un texte fondateur unique et jamais revu, aucune section régionale ne ressemble à aucune autre. Il pourrait être intéressant de comparer un peu leur réalité : leur recrutement, leurs fonctionnement, leurs activités et, aussi, l’idée que chaque section se fait du rôle qui est le sien ou qui devrait être le sien.

     A la lumière de deux événements récents, je voudrais formuler un certain nombre d’observations et de questions :

 – premier événement : la semaine « Le livre et les jeunes ». En de nombreux endroits divers « collectifs » ou « comités » ont joué un rôle de « coordinateur d’actions » à l’intérieur d’un département ou d’une région. Quelle devait être la place d’une section régionale dans une telle organisation dès lors que le CRILJ se veut lui-même structure de rassemblement ?

 – deuxième événement ; les « Rencontres nationales du Mans ». Une des commissions de travail de ces rencontres avait à réfléchir sur la structure à mettre en place régionalement pour regrouper l’ensemble des partenaires possibles pour la promotion du livre et de la lecture. J’ai été un tantinet choqué (et je ne suis pas le seul) par une certaine façon de reprendre la réflexion à son point de départ, comme s’il ne s’était rien passé, depuis dix ans, au CRILJ notamment.

     Au moment où s’installe peu à peu la décentralisation administrative, où – c’est certain –  de plus en plus de questions se traiteront au niveau de la région, il est peut-être utile de réfléchir à ce que doit être aujourd’hui l’identité d’une section régionale du CRILJ.

     Je n’avance pas de réponses, mais deux préoccupations :

 – Les sections régionales sont, comme le CRILJ/national, structures de rassemblement. Le sont-elles, de fait, partout ? Et, si non, y a-t-il quelque chose à faire pour améliorer la situation ?

 – Quelles conditions (qu’elles ne réuniraient pas encore) devraient remplir les sections régionales pour être reconnues comme pleinement interlocutrices des instances de la décentralisation ?

 ( texte paru dans le n° 27 – janvier 1986 – du bulletin du CRILJ )

faim de lire

Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Éducation, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Il était une fois …

 

 

 

 

 

 

   En 1968, la municipalité de Saint-Pierre-des-Corps et Odette Vieilleribière, enseignante consciente que les livres de lecture scolaires ne suffisent pas à développer l’envie et le goût de lire chez les jeunes enfants, entreprennent un travail sur la littérature de jeunesse et invitent des auteurs à participer à des rencontres avec les élèves dans les classes. L’Inspection Académique refuse cette intrusion dans le système scolaire. La rencontre se fera, mais hors-temps scolaire, dans un local municipal. Ce sera le premier contact entre enfants et auteurs dans le département d’Indre-et-Loire.

   Michel Mesmin, détaché à la Fédération des Œuvres Laïques, organise en 1971 la première exposition de livres de littérature de jeunesse dans les locaux de la FOL et une autre à la Bibliothèque Municipale de Tours. En 1972, c’est le bibliobus qui fait transiter la sélection à Rauxigny, Preuilly sur Claise, Ligueil, Sainte-Maure de Touraine, le Grand Pressigny, Descartes, Manthelan, l’Ecole Normale de Filles, Château La Valière, une école de Tours, la MJC de Joué-les-Tours et Château-Renault. En plus de l’exposition-vente et des rencontres avec les auteurs, se tenaient sur les lieux d’accueil des débats publics sur des thèmes en rapport avec la littérature de jeunesse.

     A cette époque, les comités de lecture n’existaient pas encore et la sélection utilisée  était la sélection Lire établie annuellement sous l’égide du Cercle de la Librairie. Les comités se mettront en place en 1974-75. Des enseignants, bibliothécaires, documentalistes, parents d’élèves se réunissent à la Bibliothèque Municipale de Tours avec la soutien de Monsieur Fillet, directeur de la Bibliothèque Municipale et de la Bibliothèque Départementale, et de Mademoiselle Jacquet, responsable du secteur jeunesse.

     Les partenaires d’alors sont : la Fédération de l’Education Nationale, le Syndicat National des Instituteurs, la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves, les Francs et Franches Camarades, la Bibliothèque Municipale de Tours, les librairies Terre des Hommes, Gambier, Caillet, Universitaire, de Tours, et Breton, à Loches. L’Inspection Académique soutient finalement l’opération.

    Odette Vielleribière déclarait, à propos de la toute première rencontre avec un auteur : « C’est dans une cantine scolaire, à l’heure du déjeuner. Les regards de Bernard Clavel et des enfants ont été une confirmation pour les organisateurs de la valeur de la manifestation. »

( introduction au Catalogue 2010 réalisé par la Ligue de l’Enseignement d’Indre-et-Loire et publié à l’occasion du 40ième anniversaire de la Quinzaine du Livre Jeunesse en octobre 2010 )

 

quinzaine

La Quinzaine du Livre Jeunesse n’a plus rien d’une « quinzaine » puisque ses rendez-vous sont désormais fixés sur toute l’année. Ses objectifs sont les suivants : développer la goût de la lecture chez l’enfant dès le plus jeune âge pour qu’il deviennent un lecteur adulte ; faire connaître la littérature de qualité sans oublier les ouvrages parus dans les petites maisons d’édition ; organiser des rencontres entre les auteurs, les illustrateurs, les éditeurs et les jeunes lecteurs ; faire connaître les lieux de lecture publique et en favoriser le développement. Les comités de lecture qui établissent la sélection annuelle rassemblent une soixantaine de lecteurs.