Leo Lionni

      Léo Lionni est né à Amsterdam d’un père tailleur de diamants et d’une mère soprano. Emigré aux Etats-Unis en 1939, naturalisé américain, il devient directeur artistique d’une grande agence de publicité. Il s’installe en Italie dans les années 80.

     Il est venu par hasard aux livres pour enfants, mais c’est là que se sont épanouies ses qualités de fabuliste.

     Ses premiers livres arrivés en France en 1970 ont connu un succès immédiat. Qui ne se souviendra pas de cette histoire d’amitié exemplaire, toute simple, faite d’un rond bleu, d’un rond jaune et d’une poignée d’autres formes, Petit Bleu et Petit Jaune ?

     Combien de générations garderont en mémoire Pilotin, Frédéric, Tillie et le mur, Le rêve d’Albert et d’autres titres qui ont jalonné leur enfance ?

( article  paru dans le n° 66 – octobre 1999 – du bulletin du CRILJ )

 lionni

Tout petit, Léo Lionni observe et collectionne animaux, insectes et petits objets. Après ses études secondaires, il part pour Zurich où il étudie les sciences économiques. Premiers dessins, premiers tableaux. De 1933 à 1939, Leo Lionni vit à Milan et participe activement à la vie artistique locale. En 1939, il part pour les États-Unis, prend la nationalité américaine et entre comme directeur artistique dans une agence de publicité de Philadelphie. Son premier livre pour enfants, Petit-Bleu et Petit-Jaune, paraît en 1959. C’est certainement le premier album où l’abstraction formelle s’accorde aussi magistralement au fond. En 1962, Leo Lionni revient en Italie et se consacre principalement à la peinture et à la sculpture. Il réalise toutefois, chaque automne, un album pour enfants de trente-deux pages, utilisant la plupart du temps une technique de papiers collés faussement maladroite. Quelques titres, tous publiés à L’école de loisirs : La maison la plus grande du monde (1971), Pilotin (1973), Une histoire de caméléon (2000).

Réflexion sur la création

 

 

 

 

 

 

Réflexion sur la création

par Madeleine Gilard

Pour quoi écrit-on ?

Il y a une telle variété de motivations qu’on a du mal à dégager une idée et à s’y tenir. On écrit souvent parce qu’on étoufferait sans cela.

L’écrivain allemand, Ludwig Renn, a dit un jour, dans une interview en France, que son père et son frère aîné étaient doués d’une grande facilité de parole. Se trouvant muet devant eux, il a plongé dans l’écriture.

On écrit aussi parce que l’on a vécu une expérience qui vous paraît unique. Si elle est bien racontée, transposée, avec authenticité, et colorée par la personnalité de l’auteur, elle aura peut-être bien ce caractère unique.

On peut écrire pour se souvenir, ou pour compenser ce qui a pu manquer dans une vie, pour compléter.

Il arrive que l’on écrive parce que l’on vous dit : « Vous qui racontez si bien les histoires, il faut les écrire. » Ce peut être parfait ; ce peut être désolant. Les enfants, petits-enfants ou élèves ont pu écouter avec ravissement une voix connue et aimée, mais sur le papier, on peut trouver un récit mièvre en paroles banales. Il faut cependant ne pas se décourager et travailler pour faire passer dans l’écriture le charme du récit oral. Je crois fermement à la possibilité de s’améliorer dans le domaine de l’écriture comme dans beaucoup d’autres.

Il y a pourtant bien des dangers et des tentations dans ce travail d’écrivain. Pour les auteurs féconds, qui ont de la facilité, du brillant, ce doit être presque irrésistible d’écrire vite, fréquemment, pour le plaisir de produire, d’être imprimé, d’être lu, et, pourquoi ne pas le dire, pour recevoir son droit d’auteur. Il est difficile, me semble-t-il qu’une production trop abondante reste toujours à son plus haut niveau de qualité.

Vivre de sa plume, c’est parfois normal et inévitable, mais c’est un danger à ne pas négliger. On est trop tenté d’aller vite. D’accepter n’importe quelle commande. Je ne sais si c’est fréquent. A un moment le bruit courait qu’écrire pour les enfants rapportaient. Je n’oublie pas que bien des chefs-d’œuvre en peinture ou en musique sont des œuvres de commande. Pour la littérature, j’en suis moins sûre. Cependant, il est des cas individuels et tout le monde n’a pas la chance d’avoir un gagne-pain qui permette de vivre et faire vivre les siens, en gardant aussi le temps, le temps, le goût et la force d’écrire.

Autant d’individualités, autant de façon d’écrire. Tout peut être valable si c’est fait de bonne foi. Aussi bien le roman d’aventures à la Jules Verne, que le roman d’anticipation moderne, le roman de la vie quotidienne, le roman psychologique.

Pour la jeunesse, il existe, bien entendu, des contraintes, mais pas plus que pour un écrivain qui s’adresse aux adultes, à moins que l’on ne considère le pêle-mêle et le laxisme comme une nécessité de l’écriture moderne.

Pour qui écrit-on ?

La réponse, là aussi, varie selon les individualités.

Je suppose que certains écrivains ont en tête des lecteurs bien définis, d’autres, anonymes, tout en étant réels, auxquels ils souhaitent s’adresser. Kipling a écrit pour « la mieux aimée » qu’il avait perdue. On peut aussi écrire sans penser au public, en égoïste, pour soi. Mais si l’on est de bonne foi et le thème intéressant, je pense qu’il y aura un public et que le jeune lecteur pourra dire : « C’est moi, me voilà ». Je ne veux pas parler spécialement d’autobiographie. Le lecteur peut se rencontrer à travers le personnage que l’auteur est ou aurait voulu être et dont il invente une représentation projetée hors de lui.

Les livres pour les « jusqu’à dix ans » sont ceux qui présentent, à mon avis, le moins de problèmes. Si l’on a un peu de fantaisie, d’observation, le souvenir spontané de sa propre attitude d’enfant, et le don d’observer les jeunes autour de soi, on risque souvent de réussir. Bien entendu, pour cette tranche d’âge – et aussi pour des enfants plus âgés – il y a le danger de moraliser, de guider. C’est une tentation sournoise, difficile à éviter. On est naturellement amené au « Fais pas ci, fais pas ça » et « Voilà comment il faudrait vivre ». Il ne faut pas craindre d’éviter les fins heureuses, si la logique de l’histoire ne le veut pas. Des parents divorcés peuvent rester séparés, des grands-parents aimés peuvent mourir. J’ai souvent parlé avec Marc Soriano de cette très réelle notion et préoccupation de la mort qui existe chez les enfants, et l’on devrait en tenir compte.

Dans les romans pour les 10-12 ans, je ne sais pas si l’on continue à insister sur la nécessité de les confronter aux « problèmes ». C’est un grand point d’interrogation. Dans le monde où nous vivons, on peut se demander si on a le droit de peindre un milieu douillet, empli de tendresse, alors que les enfants voient la violence autour d’eux, souvent parmi eux, de même que sa présentation sur les écrans. Lorsqu’on fait évoluer son petit monde où règnent la gaieté, l’ordre et l’affection, on se demande si on n’est pas en train d’écrire pour un petit nombre de favorisés, de faire un livre d’évasion, sans plus. C’est dans ce domaine que je situerai fortement la responsabilité du créateur. Pour faire vrai, on sera amené à parler de la violence, du marginalisme, du chômage et de la drogue, mais il faudrait s’arranger pour qu’à la fin, en quelques pages, l’espoir apparaisse pas de façon artificielle par l’intervention de personnages positifs, relativement muets jusque là ou soudainement apparus. On est tenté de le faire si l’on est soi-même habité par l’espoir. A-t-on tort ? Raison ? Si la logique de l’intrigue, la psychologie des personnages le permettent, alors, oui, il serait bon d’ouvrir la fenêtre sur un avenir meilleur.

Il y a un grand besoin d’amour et de sécurité chez les jeunes, même s’ils affectent le cynisme et l’indifférence ; et pas seulement chez les petits. J’ai été frappée une fois, par une émission télévisée qui présentait quelques scènes de l’Aiglon de Rostand devant un groupe de lycéens. Ils restèrent d’abord muets et fermés, puis ils parlèrent et plusieurs garçons que l’ombre de Napoléon paraissait laisser indifférents ont demandé avec étonnement, avec chagrin : « Mais sa mère, Marie-Louise, elle ne l’aimait donc pas ? »

Ceux-là ont peut-être besoin de trouver dans les livres des mal-aimés, mais des mal-aimés capable de chérir les autres et qui se préparent à aimer leurs futurs enfants…

Je regrette de ne pas voir plus souvent des romans mettant en scène des personnages dans leur travail quotidien. Souvent, l’on a vu dépeindre des carrières de sportifs, pilotes d’essai, danseuses, mais les auteurs semblent moins tentés par les débuts dans les métiers techniques ou manuels, la vie d’apprentis dans la mécanique, la boulangerie, la vente en magasin, la coiffure, la tenue de la caisse, la poste, le secrétariat, etc. avec tous les drames et comédies de chaque jour que cela peut comporter. Je ne parle pas de faire du roman populiste et s’il l’on veut décrire des tâches dans l’électronique ou le laboratoire de physiologie, pourquoi pas ? Je suis trop âgée; personnellement, pour me lancer dans des stages qui me révèleraient le mécanisme intérieur de certains métiers, mais je souhaiterais que de jeunes confrères et consœurs le fassent. J’ai connu des écrivains doués qui avaient fait de la musique de groupe, conduit des marionnettes à travers la France et l’Europe. Si on leur suggérait de trouver là un cadre pour leur prochain roman ou livre-document, ils paraissaient indécis, et le prochain manuscrit était souvent une fantaisie non dépourvue de qualité d’écriture mais se complaisant dans l’irréel et le fantastique. Faut-il devenir vieux pour attacher du prix, un climat aussi bien dramatique que comique au vécu de tous les jours ?

Pour en revenir aux thèmes difficiles de la violence, de la guerre, de la drogue, etc. et aborder en même temps la question des livres pour adolescents (les Américains disent « jeunes adultes »), ces thèmes ne seraient-ils souvent pas mieux traités dans des livres-documents et les jeunes ne les liraient-ils pas plus volontiers que des « romans pour adolescents » ?

Sur la sexualité, par exemple, il existe et il existera des essais et des livres-documents fort bien faits. Ce n’est pas que la question soit à exclure des romans, nous n’en sommes plus là. Mais souvent, il m’a semblé que l’auteur se forçait pour en parler, parce que l’évolution des mœurs le veut, et qu’il en résultait un curieux mélange de froideur et d’une certaine brutalité. Cela choquait à cause du manque d’émotion.

On se demande parfois, pourquoi les écrivains pour adultes se sentiraient forcés de pimenter leur ouvrage d’érotisme si cela ne les amuse pas, ni ne répond à leur mode d’interprétation de la vie par l’écriture. De même, l’auteur pour jeunesse n’est pas tenu d’aborder les relations sexuelles si son sujet ne l’exige pas. Et, s’il le fait, ne peut-il pas écrire si tel est son penchant, avec naturel et discrétion, comme il aborderait le sujet dans une conversation intime avec des amis. Il existe un art de l’ellipse et de l’allusion, de l’évocation en sous-expression. Après tout, bien que les jeunes aient un parlé fort cru, on trouve souvent chez eux une grande pudeur à respecter.

Je souhaiterais qu’on puisse réunir devant le public, par les médias, des auteurs pour la jeunesse qui disent comment ils ont commencé à écrire, comment cette maladie leur est venue, quels sont leurs découragements, leurs enthousiasmes, ce qu’ils éprouvent à la lecture des premières épreuves. Je souhaiterais des réunions d’auteurs, d’éditeurs, de bibliothécaires, d’enseignants et d’animateurs qui soient aussi vivantes, touchantes, drôles et même éclatant en chahut, en conflits et ces querelles où tout le monde parle à la fois, bref chargées de cette atmosphère qui fait une grand part du succès de certaines émissions célèbres. Si le public pouvait recevoir cela, il me semble que le respect, l’estime et la curiosité pour le livre de jeunesse et ceux qui le font ne feraient que croitre.

( texte paru dans le n° 22 – février 1984 – du bulletin du CRILJ )

madeleine gilard

Née en Espagne d’une famille d’origine protestante, passant ses étés en France, Madeleine Gilard apprend à lire avec son grand-père paternel pasteur dans le Sud-Ouest. Ayant fait toutes ses études à la maison, ne possédant aucun diplôme, elle maitrisera parfaitement, outre le français et l’espagnol, l’anglais, l’allemand et le russe. Vie de bureau pendant près de cinquante ans puis aux éditions La Farandole comme secrétaire littéraire. Paulette Michel, secrétaire administrative, la pousse à écrire et, en 1956, est publié un premier album, Le bouton rouge, illustré par Bernadette Desprès. Près de trente ouvrages suivront, pour tous les âges, dans une veine réaliste proche de Colette Vivier. Notons Anne et le mini-club (1968), La jeune fille au manchon (1972), Camille (1984). Madeleine Gilard a reçu en 1983 le Grand Prix de Littérature Enfantine de la Ville de Paris pour l’ensemble de son œuvre.

Une collection : Ceux qui ont dit non

      Publiée chez Actes sud junior, dirigée par Murielle Szac, la collection « Ceux qui ont dit non » regroupe des « romans historiques destinée à éveiller l’esprit de résistance en offrant des récits de vie de figures fortes qui ont eu un jour le courage de se révolter pour faire triompher la liberté ou la justice. » Chaque roman est complété par un dossier documentaire et un dossier photos.

     Le projet est clair. Il s’agit de redonner aux jeunes des raisons de croire en la politique,  de lutter contre la morosité ambiante. C’est une invitation à s’engager, à se battre pour des causes justes. Les auteurs évitent le documentaire et un genre littéraire qui mettrait en avant le caractère de sainteté du personnage dont on raconte la vie. Les hommes et femmes choisis sont des exemples mais ne sont pas présentés comme des héros.

     Les adolescents sont effectivement capables de s’indigner et de se révolter. Ils trouveront dans chaque ouvrage des ressources documentaires et des adresses pour rejoindre des associations militantes. Ils pourront se demander pourquoi l’on peut avoir des raisons de caractériser la liberté comme « le pouvoir de dire non ». Il est certain que cette collection peut participer à lutter contre la perte de culture philosophique et politique de nos contemporains, l’évanescence de leur mémoire qui les conduit à nier leur propre histoire, le passé glorieux de la conquête des libertés et de l’égalité. Nombre d’adolescents clairvoyants sur les enjeux de société veulent exercer leur citoyenneté, refuser les discriminations et l’humiliation.

     Dans ces ouvrages, les questions abordées comme les discriminations ne peuvent qu’avoir des échos tant l’actualité politique est riche en heurts et malheurs dont quelques uns ont leurs racines dans l’histoire. Nous vivons dans une société que l’on ne peut pas traiter d’une manière neutre. Le paysage politique s’éloigne de l’Etat de droit. Les principaux contre-pouvoirs sont canalisés et les principaux pouvoirs sont sous la décision d’un seul. La crise de la démocratie représentative est à la mesure de la crise de confiance à l’égard des institutions et des politiques. La contestation de l’efficacité de l’égalité formelle en est une des causes. Or l’inflation législative pour corriger les inégalités, les mesures de discrimination positive pour combler les injures historiques et les discriminations présentes ne suffisent pas à apaiser le sentiment de ne pas être entouré, écouté. Nous sommes dans un moment peu favorable à l’intégration. Il en résulte une menace sur les libertés fondamentales. Une logique carcérale rentre dans notre société ouverte, dans sa gestion avec la présence de caméras, l’usage des pointages, une gestion par la peur. Mais il existe des espaces d’action, de liberté, d’initiative même si on ressent une certaine impuissance et cette collection « Ceux qui ont dit non » donne des ouvertures.

     Une réflexion du Président de la République a récemment étonné mais il fallait y repérer une traçabilité libérale théorisée par le philosophe économiste Hayek ou par le  philosophe écossais, Adam Smith considéré comme un des fondateurs de l’économie politique moderne, mais aussi du libéralisme économique et même du néolibéralisme. Ces propos nous invitaient à constater qu’une société égalitaire ne favorise pas la croissance, la motivation, le développement économique et social. Fallait-il en conclure qu’il est bon de poursuivre vers une société inégalitaire ? Bien sûr que non. Où met-on le curseur ? A quel moment va-t-on considérer que les inégalités sont inacceptables ? Plusieurs ouvrages abordent ces questions d’égalité en différenciant équité et égalité et en montrant les leviers d’une évolution pour une société plus juste avec des citoyens impliqués dans la vie, mobilisés sur des valeurs et sur l’intérêt général.

     Prenons encore quelques exemples pour montrer comment ces ouvrages sont d’actualité quand ils abordent la question des minorités. Nous vivons une période où     se pose la question de la mesure de la diversité. Puisque ceux qui mesurent les discriminations et qui agissent au quotidien contre elles depuis de nombreuses années affirment disposer des moyens de mesure adéquats, puisqu’ils les mettent en œuvre d’ores et déjà de manière consensuelle, pourquoi cherche-t-on à toute force à imposer ces étranges instruments de mesure des minorités  visibles ?

     En dehors des résonnances sociales et politiques la collection conduit à s’interroger sur la manière de faire passer l’histoire dans les romans historiques. Pourquoi dire l’histoire ? Un homme, une œuvre, un genre littéraire ne surgissent jamais ex nihilo, ils sont au contraire toujours préparés, conditionnés par un certain contexte historico-culturel. (Cette idée est développée par Georges Lukacs dans Théorie du roman). On peut s’interroger sur le regain d’un intérêt pour le genre. L’actualité est un fabuleux prétexte pour les éditeurs de rééditer quelques titres (procès Papon), d’en proposer de nouveaux. Il semblerait que la raison pour laquelle il est édité peu d’ouvrages sur les conflits contemporains est justement qu’ils relatent un fait de l’actualité : le sujet est encore trop sensible. Il est sans doute ardu de créer de la fiction sur un passé proche. Mais on voit bien comment une collection comme « Ceux qui ont dit non » dépasse ces craintes. Mais l’histoire contemporaine dépayse. Sa fausse familiarité oblige à identifier et à expliciter les différences, l’enchaînement des causes et des conséquences qui se sont succédées jusqu’à présent. En cela l’histoire contemporaine est particulièrement formatrice d’un esprit rationnel et scientifique. Elle donne à saisir la complexité croissante de nos sociétés, leur diversité emportées par ce mouvement désordonné de la mondialisation des biens et la circulation des personnes. Elle aide à comprendre que le métissage des peuples est une réalité observable. Dans le même temps l’adolescent doit faire un travail inconscient considérable pour essayer de donner un sens à la transmission entre ce qui l’a précédé et ce qu’il aura à son tour à donner.

     Dans le roman historique en général et dans cette collection en particulier, au-delà de ce passé restitué, de ces lieux revisités, c’est à une autre rencontre que nous convient les auteurs, une rencontre avec la mémoire individuelle et collective, enfouie, oubliée, puis ressurgie, ressuscitée, c’est là que peut-être tous ces romans prennent sens : écrire pour se souvenir, interpeller le passé pour comprendre le présent, aider les lecteurs à réfléchir, à se questionner, donc à se construire dans un monde complexe dont ils ont le devoir d’assumer ce qu’il est, pour pouvoir agir et participer, en citoyens responsables, à son amélioration.

     Le droit à la différence, le respect de l’autre, la tolérance, les injustices, les souffrances, la quête des racines, la recherche ou l’affirmation de son identité culturelle sont autant de thèmes, de questions abordées par les auteurs de romans historiques, et autour desquels ils invitent les lecteurs à réfléchir.

     Murielle Szac directrice de collection répond à certaines questions comme : quelles sont les fonctions de l’histoire dans la culture des jeunes ? Quelle est la place accordée à la mémoire, au devoir de mémoire ? (voir l’entretien sur le site Ricochet)

     La relation perturbée à l’histoire est l’une des conclusions majeures d’une recherche menée sous l’égide de la commission européenne en 2002/2004 (dans le cadre d’un projet Connect) sur la citoyenneté européenne. On sait que cette relation perturbée à l’histoire, l’ignorance d’un patrimoine culturel est politique, engendre le mépris de soi et des autres, qui est inévitablement source de violence. On ne construit pas une identité collective ou individuelle, en effaçant le passé ; on ne consolide, ni ne développe la démocratie en ignorant le combat pour les libertés ou les périodes de régression qui l’ont jalonnée.

Liste des ouvrages :

 . Isabelle COLLOMBAT – Chico Mendes : Non à la déforestation

. Frédéric PLOQUIN – Hubert Beuve-Méry : Non à la désinformation

. Véronique TADJO – Nelson Mandela : Non à l’apartheid

. Bruno DOUCEY – Federico Garcia Lorca : Non au franquisme

. Rachel HAUSFATER – Mordechaï Anielewicz : Non au désespoir

. Caroline GLORION – Gabriel Mouesca : Non à la violence carcérale

. Gérard DHOTEL – Louise Michel : Non à l’exploitation

. Didier DAENINCKX – Jean Jaurès : Non à la guerre

. Elsa SOLAL – Olympe de Gouges : Non à la discrimination des femmes

. Chantal PORTILLO – Gandhi : Non à la violence

. Jessie MAGANA – Général de Bollardière : Non à la torture

. Maria POBLETE – Simone Veil : Non aux avortements clandestins

. Caroline GLORION – Joseph Wresinski : Non à la misère

. Gérard DHOTEL – Victor Schoelcher : Non à l’esclavage

. Bruno DOUCEY – Victor Jara : Non à la dictature

. NIMROD – Rosa Parks : Non à la discrimination raciale

. Murielle SZAC – Victor Hugo : Non à la peine de mort

. Maria POBLETE – Lucie Aubrac : Non au nazisme

racisme

Anne Rabany est membre du CRILJ depuis 1975. Elle a trouvé auprès de cette association les ressources et les accompagnements nécessaires à différents projets qui ont jalonné sa carrière : pour la mise en place des BCD, la formation des personnels lorsqu’elle était Inspectrice départementale puis directrice d’Ecole normale, pour l’animation et le suivi des Centre de Documentation et d’Information des collèges et des lycées en tant qu’Inspectrice d’Académie, Inspectrice Pédagogique Régionale Etablissement et Vie Scolaire et, actuellement, pour préparer des cours en tant qu’enseignante au Pôle du livre de l’Université de Paris X.

Mathilde Leriche

     Ma première rencontre avec Mathilde Leriche date d’octobre 1949. En stage rue Boutebrie, j’avais poussé la porte de la bibliothèque et, assise au bureau, il y avait une dame souriante qui discutait avec vivacité d’un livre avec deux jeunes lecteurs. Fascinée, j’écoutais le dialogue savoureux d’égal à égal entre trois personnes. Dans ce lieu régnait un air de liberté, de tolérance et de respect des jeunes. La bibliothèque rêvée.

     La mixité et l’accès direct aux rayons étaient à la base du fonctionnement. Pendant trois mois, on apprenait là le métier de bibliothécaire pour la jeunesse avec Mathilde Leriche et Margurite Gruny. Mathilde trouvait naturel de faire profiter les stagiaires de ses compétences, de partager avec elles son expérience du métier et, en plus, de leur apporter ses propres richesses intellectuelles et humaines. Chez elle, l’intelligence des textes, la tolérance envers les autres, le respect des jeunes allaient de pair avec un humour constant. La fête était toujours présente quand elle racontait ou lisait à haute voix et les regards éblouis des jeunes qui entraient dans cette littérature, dite mineure, et qu’elle admirait tant, sont restés fortement gravé dans mon souvenir comme le charme de sa voix. Les lettres de ses anciens lecteurs à l’annonce de sa mort témoignent du souvenir de ces années-là. Et elle, toute sa vie, a gardé la mémoire de ses jeunes lecteurs disparus pendant la guerre. Elle en parlait souvent.

     Mathilde Leriche a été la fondatrice, la sécrétaire et la cheville ouvrière du Prix Jeunesse, de sa création en 1934 jusqu’à sa disparition en 1972, avec deux interruptions, la guerre et le changement d’éditeur. Ce prix, créé par Michel Bourrelier, propagandiste des méthodes actives, a été le premier prix pour la littérature décernée sur manuscrit. Il symbolisait le renouveau de cette littérature et a permis la découverte de nouveaux et jeunes talents. Il va apporter aux enfants des textes qui parlent de leur vie quotidienne, de leurs préoccupation du moment, d’aventures contemporaines ou historiques, sans oublier les contes.

     On retrouve le travail rigoureux de Mathilde Leriche, en liaison avec Michel Bourrelier, dans le choix et l’amélioration du manuscrit primé. Ces travaux se sont prolongés dans son rôle de directrice des collections « Primevère », « Marjolaine », puis « Les heures enchantées » et, enfin, la si jolie collection « L’alouette » illustrée par de grands noms comme Françoise Estachy, Gerda Muller, Pierre Noël, Pierre Belvès ou Romain Simon. La diversité des auteurs primés va de Marie Colmont à Nicole Vidal en passant par Colette Vivier, Alice Piguet, René Guillot, Pierre Gamarra ou Pierre Pelot. Le jury, complètement indépendant, permettait à des écrivains, membres ou nom de l’Académie Française, des poètes, des critiques, des bibliothécaires, des enseignants, un éditeur et, plus tard, des hommes de radio, de se retrouver. Les délibérations étaient sereines, parfois houleuses, quelquefois « bavardes » et Mathilde, discrètement, ramenait la troupe « au boulot ». Après les délibérations, la récréation du repas. Les membres du jury étaient souvent du genre joyeux et Mathilde n’était pas la dernière à alimenter le brouhaha par des mimiques malicieuses et des réparties percutantes.

     Je ne peux évoquer notre amitié sans parler des rencontres où nous nous racontions des histoires, où nous nous entretenions de nos joies et de nos peines, de nos enfants. Et là, elle était la femme libre, souvent anti-conformiste, un brin anarchiste, avec toujours son goût pour la vie, son amour des jeunes et son humour.

     Pendant quelques vacances, nous nous sommes retrouvées en Auvergne. Elle en aimait la diversité des paysages aux dômes arrondis, aux vallées étroites et verdoyantes. Elle marchait avec allégresse, par les chemins, admirant l’herbe des prés et les animaux, les bruits d’oiseaux, les ruisseaux ondulants et la joie des bains de pieds, la visite des vieilles pierres, surtout les églises romanes, qui devenait savoureuses car l’humour ne la quittait jamais.

     Nous avons en mémoire tout son travail fait avec tant de lucidité : cours, conférences, articles de revue, conseils à tous, bénévolat dans des associations autour du livre et de la presse pour la jeunesse et la lecture pour tous. Fondatrice du CRILJ avec Natha Caputo, elle en a suivi le parcours avec sympathie, parfois amusée.

     Et nous avons tous en mémoire le pique-nique qui s’est déroulé rue de Chateaudun, il y a peu d’années, où elle nous avait enchanté par ses dires et une certaine chanson grivoise – ô combien – du début du siècle.

     Un regret : que toutes ces activités aient freiné son œuvre de création personnelle.

     Mathilde, merci pour tout ce que vous nous avez donné.

( texte paru dans le n° 67 – avril 2000 – du bulletin du CRILJ )

mathilde leriche

Proche des mouvements d’éducation nouvelle, Mathilde Leriche sera, dès 1924, avec Marguerite Gruny, l’assistante de Claire Huchet, première directrice de la bibliothèque de L’Heure Joyeuse. Elle participera en 1937 à la création de l’Association pour le Développement de la Lecture Publique et sera, en 1967, la première présidente du CRILJ ancienne manière. Elle écrira pendant de longues années des critiques de livres pour enfants pour la revue des CEMEA Vers l’éducation nouvelle. Auteur, une fois retraite prise, de quelques albums pour enfants, elle avait publié, en 1937, avec Marguerite Gruny, le guide de lecture Beaux livres, belles histoires. Elle fut une conteuse remarquable.

   

Peter Härtling

 

 

 

 

 

 Portrait d’un auteur par son traducteur

     C’était il y a maintenant plus de trois ans. On s’inquiétait chez l’éditeur allemand Beltz & Gelberg du fait que si quatre romans pour la jeunesse de Peter Härtling avaient été traduits en français, les autres ne trouvaient pas preneur. Il fallait trouver un nouvel éditeur français notamment pour Béquille, mais aussi pour Sophie fait des histoires, Les fugues de Théo, Derrière la porte bleue et Flo qui allait paraître. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je crois qu’à La Farandole, quand la proposition fut faite de publier Peter Härtlong, on n’hésita pas longtemps. A la grande satisfaction de tous les partenaires emportés par cette belle aventure, et dont je fais partie avec joie, puisque je viens de terminer, il y a quelques jours, ma cinquième traduction d’un roman de jeunesse de Peter Härtling, Derrière la porte bleue.

     Peter Härtling est l’un de ces écrivains allemands, plus nombreux que ses homologues français, qui alterne la littérature « pour adultes » et la littérature « de jeunesse » et qui contribue à ce que cette dernière soit prise au sérieux et constitue une branche maîtresse de l’arbre littéraire.

     Quelques mots de la biographie de cet écrivain majeur :

     Peter Härtlong est né en 1933 à Chemitz, en Saxe. Son père était avocat et, étant anti-fasciste, il ne put bientôt plus exercer sa profession. Il mourra au lendemain de la libération dans un camp de prisonniers russes. Sa mère se suicidera quelques semaines plus tard.

     Permettez-moi de vous raconter trois anecdotes qui expliquent l’écrivain.

     Pendant la guerre, la famille de Peter Härtling avait été balottée au gré des évènements tragiques, fuyant l’avance de l’Armée Rouge. Elle s’installa finalement à Zwettl, en Basse Autriche. Le jeune Peter, qui portait l’uniforme des jeunes nazis, vit de jeunes soldats et officiers organiser la résistance aux libérateurs russes : le Führer finirait bien par gagner la guerre. Un vieux médecin réussit à les persuader d’arrêter leur geste insensé, sinon la ville aurait brûlé. Quelques jours plus tard, Peter, qui portait toujours l’uniforme mais sans les insignes, jouait avec les soldats russes. Il vit venir à lui, en civil, un des anciens officiers nazis qui lui dit : « Espèce de petit nazi, nous allons te montrer comment on devient un démocrate. » Cette métamorphose le fit beaucoup réfléchir sur le sens du mot démocratie et ce que sont certains de ses défenseurs.

     Un autre souvenir que Peter Härling évoque volontiers est celui du jeune adolescent qui dut, en 1945, se rendre à pied avec sa tante, de Brünn à Zwettl, chez des parents tchèques. Des kilomètres et des kilomètres avec deux valises et un sac à dos. Il ne faisait pas bon parler allemand. Or, Peter Härtling ne connaissait que quelques mots de tchèque. Dès que quelqu’un lui parlait, il devait faire semblant d’être muet. Cette expérience de mutisme fut, dira-t-il dans son récit Der Wanderer, la première qui fit que, plus tard, il se mit à écrire. En faisant semblant d’être muet, il avait commencé à trouver les moyens de s’exprimer.

     La troisième souvenir est lié au lycée. Il avait un très bon professeur d’allemand qui l’avait initié aux grands écrivains. Ce professeur tombe malade avant le baccalauréat et il est remplacé par un professeur qui avait été nazi. Peter Härtling fit un exposé sur Thomas Mann et un autre sur Wollfgang Borchert. L’appréciation du professeur fut que ces deux écrivains avaient trahi leur patrie et étaient des déserteurs. Cet enseignant devint professeur principal et déclara à Peter Härtling :

–  Vous pouvez être sûr que vous aurez une mauvaise note en allemand.

 –  Vous voulez que je quitte l’école ?

 –   Oui.

 –  Alors, je m’en vais.

 –  Et je vous prie d’aller voir vos professeurs et de leur dire adieu.

     C’est ce que fit Peter Härtling, qui put se rendre compte de la sincérité de certains enseignants.

     Voilà l’homme dont la vie et l’écriture est faite de cette sincérité, qui travailla ensuite comme journaliste, puis comme éditeur, avant de devenir l’écrivain que nous savons.

     Peter Härtling est donc un de ces écrivains pour adultes reconnus qui n’écrit pas sporadiquement mais régulièrmeent pour les adolescents de 10 à 13 ans, c’est-à-dire pour cette tranche d’âge qui n’a pas encore atteint la puberté et qui est encore capable de curiosité.

     Au départ de cette vocation, Peter Härtling explique qu’il s’était mis en colère en voyant les livres que ses propres enfants rapportaient à la maison ou recevaient en cadeau. Il avait découvert une littérature infantile, idiote, une littérature qui ne prenait pas les enfants au sérieux, une littérature qui perpétuait les vieux mécanismes sociaux. Il décida donc de se mettre lui-même à l’épreuve, pour d’abord constater que, s’il savait écrire pour les adultes, il ne savait pas le faire pour les enfants, qu’il ne comprenait pas leur langue, qu’il ne connaissait pas leurs problèmes et qu’il ne savait pas grand-chose d’eux, alors qu’il avait lui-même quatre enfants. Il lui fallait changer de méthode.

       Peter Härtling fit parler ses enfants et leurs amis. Il les écouta et entendit ainsi leur façon de comprendre les choses et ce qui les intéressaient. Ces fragments de conversations devinrent un premier livre, …ind das ist die ganze Familie, qui sera suivi plus tard d’un récit connu en France sous le titre On l’appelait Filot. Il lui avait fallu deux longues années d’apprentissage pour se sentir enfin capable d’écrire pour les enfants. Peter Härtling me disait un jour, pour caractériser ce long parcours d’acquisition : « La plupart des écrivains, hommes ou femmes, qui écrivent pour les enfants, l’ignorent : la littérature pour les enfants n’est pas une petite littérature. C’est au contraire la littérature, une littérature très complexe qui doit être très simple. Cette simplicité, ce naturel est la chose la plus difficile qui soit en art. De loin, la chose la plus difficle. »

     En ce qui concerne le contenu, Peter Härtlng considère que la littérature est quelque chose qui apprend à vivre, mais indirectement puisqu’elle raconte. Tout ce qui fait que les hommes deviennent des hommes, tous les sentiments, toutes les émotions, l’amour, la haine, l’amitié, la peur, la tendresse, tout commence chez l’enfant et non pas chez l’adulte. Tout cela apparait dans l’enfance et commence avec une grande force puisque l’enfant est encore inexpérimenté et il est encore pur : le premier amour, la première colère, la première peur, le premier froid, la première chaleur, tout arrive pour la première fois. Les premières expériences sont de grandes expériences, des expériences fondamentales que l’écriture se doit de raconter, sans en exlure aucune : la peur de la mort, l’amour, par exemple, font partie de ces expériences. L’écrivain doit raconter comment les êtres vivent ensemble ou comment ils sont capables de le faire. Il doit raconter comment les choses se construisent, mais de telle façon que le lecteur comprenne que c’est lui qui a les choses en main, qu’il peut aimer mais qu’il peut haïr, qu’il peut avoir des amis et être aussi infiniment seul.

     D’où les thèmes extrèmement bien ancrés dans la vie quotidienne des jeunes que traitent respectivement les différrents romans de Peter Härtling : l’enfance handicapée, l’éducation par des grands-parents, l’amour entre deux enfants, l’amitié entre un adulte et un enfant, la fugue, la mort, l’arrivée d’un nouvel enfant qui risque d’être handicapé…

     Dois-je encore préciser que cette conception active de la littérature de jeunesse s’accompagne d’une pratique d’échanges avec le jeune public. Avant qu’un livre paraisse, l’écrivain le lit dans les classes. Il écoute les réactions et n’hésite pas à y apporter des modifications quand, par exemple, la tension se relache ou que des incompréhensions se font jour.

–  discours prononcé lors de la remise du Prix Natha Caputo-Enfance du Monde à Béquille publié en 1992 aux éditions Messidor-La Farandole  –

  ( texte paru dans le n° 45 – octobre 1992 – du bulletin du CRILJ )

        béquille

D’abord instituteur, puis journaliste, professeur d’allemand, auteur, chroniqueur pour le journal L’Humanité (littérature pour la jeunesse, poésie, traductions de l’allemand, de l’anglais et des langues d’Europe centrale), François Mathieu a, comme traducteur littéraire, permis que soient lus en français près de cent recueils de poèmes, essais, catalogues d’exposition, romans dont de très nombreux romans pour la jeunesse, notamment ceux de Christoph Hein, Isolde Heyne, Irina Korschunow, Christine Nöstlinger, Mirjam Pressler et Peter Härtling pour lesquels il a reçu plusieurs prix. « Chaque langue à sa propre logique, comme un tableau, un poème, un roman. A moi de faire mienne cette logique, cet autre système enrichissant du penser – y compris de me penser autrement que ce que me permet ma propre langue ! De marcher à côté de moi-même pour mieux me comprendre et comprendre les autres. » Membre de la commission jeunesse du CNL de 1998 à 2001, président de l’Association des traducteurs littéraires de France de 2000 à 2004, François Mathieu a publié en 2003, aux éditions du Jasmin, Il était une fois, première biographie en français consacrée à Jacob et Wilhelm Grimm.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cher François Richaudeau

    Je suis heureuse de me trouver parmi vous. C’est un honneur de fêter votre anniversaire. Grand lettré, homme de la lettre et des lettres, vous êtes écrivain et penseur – la pensée est si délaissée en ce moment – penseur de grandes causes en réseaux, en rhizomes, en bourgeonnements.

    Éditeur, novateur, éternel chercheur, bibliophile et humaniste, vous êtes un intellectuel rare, un savant comme on les désignait au temps de Descartes.

    Dans vote livre Du cerveau, des mots et des pixels, vous étudiez le fonctionnement du ou des cerveau(x). Pour vous, l’expression langagière suit la pensée. Pensée première qui s’exprime par des mots ou ne s’exprime pas.

    Pardonnez-moi mais il me semble que vous vous aventurez là sur un chemin parallèle à celui d’un grand écrivain, Nathalie Sarraute. Vos découvertes n’en sont que plus admirables. Pour Sarraute, l’écrivain est un chercheur. Il explore les régions secrètes du vécu, va du connu vers l’inconnu, tente de rendre visible l’invisible. Niveaux  obscurs nommés « tropismes », sous-conversation, impressions, sensations… Des pensées qui franchissent de façon ténue le seuil des lèvres. Ce théâtre d’ombre, Cher François Richaudeau, vous avez su nous le montrer.

    Mais aussi lire et écrire. Vous avez abordé la mise en pages, mise en scène du texte, le graphisme, la pédagogie de la lecture, cette indispensable  lecture que vous avez voulu donner à tous, enfants et adultes.

    Pour fêter ce printemps des poètes, je souhaiterais accompagner mon texte d’un extrait de l’oeuvre monumentale d’un écrivain que vous avez étudié et que vous aimez, Marcel Proust.

… Le petit chemin qui monte vers les champs, je le trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de fleurs amoncelées en reposoir; au-dessous d’elles,le soleil posait à terre un quadrillage de clarté, comme s’il venait de traverser une verrière; leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures d’un style flamboyant… qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes en comparaison sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient elle aussi en plein soleil le même chemin rustique en la soie unie de leur corsage rougissant qu’un souffle défait … (Du côté de chez Swann, I et II, page 136)

    Pour vous, ami, une foultitude de printemps d’aubépines…

 ( texte pour les 90 ans de François Richaudeau lu lors du Printemps des poètes à Sisteron, le 23 mars 2010 )

Né en 1920, François Richaudeau, ingénieur des Arts et Métiers spécialisé dans l’industrie graphique, travaille d’abord dans une imprimerie. Directeur d’un club de livres, il réfléchit à la façon de composer et fabriquer les livres afin que la lecture soit la plus agréable possible. Il crée le Centre d’Etudes et de Promotion de la Lecture qui étudie les comportements de lecteurs en fonction des typographies utilisées, des mots, des phrases et des styles de textes de natures variées. Il fonde en 1952, avec Jean Garciat et Maximilien Vox, les Rencontres Internationales de Lurs qui réunissent chaque année typographes, graphistes, imprimeurs et autres professionnels du livre. Publication bi-annuelle de La gazette de Lurs. Un temps gérant de la revue et des Éditions Planète, il créé les Éditions Retz qui publient Les Encyclopédies du Savoir Moderne, la revue Communication et langages, Je deviens un vrai lecteur (1989), Encyclopédie de la chose imprimée et Méthode de lecture rapide (2004). La rédaction par d’autres d’ouvrages pédagogiques importants dans les domaines de l’apprentissage et du perfectionnement de la lecture et de l’écriture lui doivent beaucoup.

richaudeau

« Je pars du principe qu’un lecteur n’est pas un déchiffreur, mais un producteur, ce qui se traduit par une certaine liberté dans la lecture et dans l’interprétation du texte lu. Je me suis donc intéressé à la pédagogie de la lecture au sens large et à la lisibilité. Il est ainsi prouvé par mes expériences que les phrases les plus lisibles ne sont pas forcément les plus courtes, mais celles qui sont construites avec des liens, des conjonctions permettant aux lecteurs d’avancer progressivement dans le texte. Les phrases les plus lisibles sont donc des phrases relativement complexes par rapport aux phrases énumératives, dont on ne connaît jamais la fin. Je pense qu’il faudrait revoir les méthodes, les manuels et l’âge de l’apprentissage de la lecture. Il est inutile d’apprendre à lire et à écrire en même temps car la fonction de perception est antérieure à celle de la construction. Je préconise donc d’apprendre aux enfants la lecture-plaisir. »

André Kédros

 

 

 

 

    Les amis de la littérature de jeunesse le connaissent surtout sous le pseudonyme d’André Massepain sous lequel il a publié son œuvre pour les jeunes.

    En cette fin de siècle, on reconnaîtra dans l’ami qui s’en va une sorte de modèle des hommes de culture de notre temps.

     Né en 1917 à Bucarest, étudiant à Prague, il va habiter la Grèce, pays d’origine de sa famille, de 1938 à 1945 et participer à la résistance grecque dont il a contribué à retracer l’histoire dans son Histoire de la Résistance Grecque 1940-1944.

     En 1945, la guerre civile grecque l’oblige à se réfugier en France où il est accueilli par les amis de la résistance grecque qui connait des moments très difficiles.

     Aragon décerne en lui un écrivain de talent et l’aide à publier Le navire en pleine ville en 1948.

     C’est à cette époque que nous faisons connaissance dans l’action autour du livre qui se mettait peu à peu en place. Mais aussi par l’action contre la répression et pour essayer de sauver Beloyannis.

    Psychologue et penché sur les problèmes de l’enfance, nous l’avons retrouvé avec Henri Wallon et Hélène Gratiot Alphandéry dans toutes les entreprises autour de la lecture et de la littérature de jeunesse, à la revue Enfance et au Centre International de l’Enfance.

     Auteur, il obtint de nombreuses distinctions dont le Grand Prix du Salon de l’Enfance avec La Guerre aux ours (1963), Prix de la Joie par les Livres pour Le derrick aux abeilles (1961) et, à Padoue, en 1978, le Prix européen de Littérature pour la jeunesse pour l’ensemble de son œuvre.

     Il avait compris très tôt l’importance de l’édition dans l’action pour la lecture. Soucieux d’apporter aux adolescents à la fois la qualité littéraire et une variété d’inspiration, il anima chez Robert Laffont, la collection Plein Vent qui détermina une nouvelle orientation dans l’édition française.

     D’autres forces ont contribué à l’évolution de l’action envers les jeunes lecteurs. Pour avoir, au CRILJ ou dans l’action éducative d’ensemble, maintes fois agit aux côtés d’André Massepain, participé à de nombreux débats et rencontres aussi bien dans un préau d’école que devant des spécialistes, nous savons que la « marchandisation » croissante de la littérature lui semblait une conséquence culturelle liée à l’époque. Il n’est pas incompréhensible qu’il ait souffert de cet état de choses au point de la trouver, l’âge venant, insupportable.

      Il me souvient aujourd’hui d’une longue conversation, un jout quelque part en province après une vente, où nous avons parlé de Paul et Laure Lafargue et de leur relation face à la vieillesse. Il se reconnaissait dans ces militants du parti ouvier.

     D’autres parleront de sa place dans la littérature de langue française, de l’impact de son œuvre à l’étranger, mais nous voudrions surtout dire tout ce qu’il a apporté à l’action pour la littérature de jeunesse par sa culture et son attachement aux valeurs humaines. Nous aimerions aussi mettre en valeur sa fraternité et son amitié, toute la tendresse qu’il témoignait aux siens mais aussi à toute la jeunesse du monde.

( texte paru dans le n° 66 – octobre 1999 – du bulletin du CRILJ )

 massepain

Elève de l’Ecole Polytechnique d’Athènes, docteur es lettres de l’Université Charles de Prague, André Kédros effectue, invité du gouvernement français depuis 1945, auprès de Henri Wallon, des travaux de recherche en psychologie de l’enfant. Une dizaine d’ouvrages pour adultes puis, à partir de 1949, sous le nom d’André Massepain, nombreux ouvrages pour jeunes lecteurs  : Le dernier des derrick (1961), La grotte aux ours (1963), L’île  aux fossiles vivants (1967). En 1966, André Kédros dirige chez Robert Laffont, la collection « Plein vent », qui inaugure la série des nombreuses collections pour adolescents qui seront créées dans ces années-là. « Lorsqu’on écrit pour les enfants, il faut tenir compte de leur catégorie d’âge sans se départir du sens de la responsabilité que tout adulte doit avoir à l’égard de la jeunesse. Malgrès les contraines, il faut veiller à la plus parfaire expression littéraire. » André Kédros était membre d’honneur du CRILJ.

 

 

Reconnaissance

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    J’ai, chers amis du CRILJ, reçu ce matin le bulletin numéro 62 et j’ai soudain pensé que vous seriez sans doute heureux de savoir que cette littérature de jeunesse pour laquelle vous ne cessez d’œuvrer a obtenu une sorte de consécration à Moutiers Sainte- Marie (Alpes de Hautes Provence), à 6 kilomètres du lac de Sainte Croix, 10 kilomètres des Gorges du Verdon est, surtout, comme au XIXième siècle, capitale de la faïence.

     En 1964, Magnard publiait mon second roman pour les adolescents Le colchique et l’étoile qui fut, en 1965, diffusé en feuilleton sur France-Culture grâce à Roger Boquié et Monique Bermond, puis adapté en téléfilm, pour la 2, en 1974, par Michel Subiéla.

     Il y eut d’autres romans chez Magnard, Hachette, Bordas, Pocket, mais c’est le Colchique qui me valut cette grande joie de donner mon nom – inretenable pour les adultes, mais mémorisé par les enfants parce qu’il les intrigue – à une école.

 ( courrier paru dans le n° 63 – novembre 1998 – du bulletin du CRILJ )

 ciravegna

 Née à Nice en 1925, Nicole Ciravegna fait ses études à Aubagne, Marseille, Aix-en-Provence et à l’École normale supérieure de Fontenay où elle entre en 1945. Professeur de lettres dès 1948, elle enseignera dans le midi jusqu’en 1985, année de la retraite. Passionnée d’histoire et de littérature, Nicole Ciravegna écrit, à compter de 1962, de nombreux ouvrages pour les enfants, les adolescents, les adultes, où elle traite de sujets graves comme l’accueil des enfants démunis dans Le sentier sous les herbes (1962),  la Deuxième Guerre Mondiale dans La rue qui descend vers la mer (1971) ou de la vie quotidienne comme dans la série des Chichois (à partir de 1979). Ses personnages sont chaleureux, authentiques et incarnent les valeurs d’amitié et de tolérance. En septembre 1999, le Grand Prix littéraire de Provence a couronné l’ensemble de son œuvre, soit, à cette date, vingt-deux romans.

« Mes élèves adolescentes aiment lire et font une totale confiance au professeur qui les conseille dans leurs lectures. Laissées à elles-mêmes, elle lisent la presse du cœur ; mais aidées et éclairées, elles ont d’intelligentes lectures. Elles ne demandent que cela : bien lire. Je connais bien les adolescentes, leurs problèmes, leurs bons et leur mauvais goûts, et il m’est relativement facile de composer des histoires dont les thèmes répondent à leur attente. »

Penser national, agir local

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par André Delobel

    Au début des années 1970, quinze millions de français ayant moins de 15 ans, la production de livres pour l’enfance et la jeunesse connait une augmentation soudaine. Les catalogues se diversifient. La qualité s’améliore. Au même moment, les recherches sur la littérature de jeunesse se multiplient et on observe une sensibilisation croissante des éducateurs aux questions de lecture. Pourtant, les seuls ouvrages vraiment connus de la plupart des enfants sont encore leurs livres d’école et les bibliothèques, en nombre insuffisant, souvent sous-équipées, ne constituent pas une alternative suffisante. La formation souhaitée par tous, professionnels et bénévoles, se met en place peu à peu, institutionnelle parfois, militante le plus souvent.

    Ne pas s’étonner de voir alors, à l’issue de journées d’études souhaitées par le Centre International d’Études Pédagogiques de Sèvres en 1973 et d’une rencontre organisée à Marly en octobre de la même année par la section française de l’Union Internationale des Livres pour la Jeunesse, réapparaitre l’idée d’une association qui serait le carrefour de toutes les personnes et de toutes les initiatives recensées dans le domaine du livre pour l’enfance et la jeunesse. En 1974, profitant du sigle d’une association en sommeil dont Mathilde Leriche fut présidente, le CRILJ, Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, se constituait.

    Il apparut très vite à l’équipe essentiellement parisienne qui, de Sèvres, organisait les commissions de travail et diffusait l’information, que le développement de l’association ne pouvait passer que par une déclinaison couvrant le territoire et c’est ainsi que, fort de ses 1800 adhérents, le CRILJ s’organisa en vingt-cinq sections, locales, départementales ou régionales.

    En 1977, la section de l’Orléanais du CRILJ fut l’une des premières à prendre forme. Portée par un groupe de parents et d’enseignants de Saint-Jean-de-la-Ruelle, soutenue notamment par Jacqueline Held, elle parvint à rassembler, dès son origine, des enseignants, des bibliothécaires, des libraires, des auteurs, des animateurs, des parents d’élèves et son assemblée générale constitutive bénéficia de la présence encourageante de Marc Soriano. « J’ai aimé, se rappelle Linette Erminy toujours présidente, travailler à solidariser parents, enfants et enseignants autour des livres. Ce fut une époque où le CRILJ milita pour que les mairies créent des bibliothèques, pour que les enseignants ouvrent des coins-lecture, pour que les parents achètent des livres aux enfants et pour que les enfants acquièrent le goût de lire et le conservent. Dans ces projets, militant aussi était le choix des livres. »

    Un regard rétrospectif sur plus de trente ans de CRILJ/Orléanais permet de parcourir les principales initiatives et de saisir les évolutions :

– Les réunions mensuelles des premières années pendant lesquels chacun faisaient part aux autres de ses lectures, les listes à mettre à jour, les malles à constituer, les prochaines expositions-ventes à organiser, l’agenda des rencontres à compléter, le courrier aux adhérents à mettre sous enveloppe. Un bureau d’une petite dizaine de personnes toujours partantes.

– La mise à disposition, grâce à l’entremise d’une conseillère municipale orléanaise acquise à nos actions, d’un local de 90 m2 facilement accessible et l’obtention auprès de la DRAC de la région Centre d’une subvention permettant d’acheter armoires et rayonnages et de mettre à disposition de toute personne intéressée les livres et les documents jusqu’alors dispersés en divers greniers.

– Les groupes d’enseignants reçus au Centre de ressources, semaine après semaine, au bon temps de la formation continuée, pour donner envie de lire albums, romans et documentaires, pour convaincre de mettre ces livres à disposition des enfants, pour aider les équipes à mettre en place la Bibliothèque Centre Documentaire de l’école et à la faire vivre. C’était un temps où il fallait encore, parfois, se justifier quand on présentait Le Géant de Zéralda ou Max et les maximonstres …

– L’implication, dans le cadre d’un comité d’organisation élargi, dans l’organisation et l’animation du Salon du livre pour enfants et adolescents de Beaugency, chaque édition relançant l’aventure, pleins feux sur les bébés lecteurs une année, sur les adolescents l’année suivante. Je n’oublie pas non plus les rencontres Pages et Plume en complicité avec la collégiale Saint-Pierre-le-Puellier, à Orléans.

– L’envoi chaque quinzaine, depuis 2003, d’un courrier électronique proposant textes et informations à 1500 correspondants. Pour cause de transfert, ce chiffre serait, nous a-t-on expliqué, à multiplier par quatre.

– L’accueil, chaque année depuis cinq ans, de deux ou trois stagiaires en Master de traduction à qui nous proposons de traduire en français, sous notre contrôle, des ouvrages de littérature pour la jeunesse ou des articles de revues spécialisées. Il s’agit certes, pour le stagiaire, plus d’un élargissement de formation qu’un véritable stage en entreprise, mais il s’évère que chacun des partenaires (étudiants, université, association) trouve son compte dans le dispositif que nous proposons.

    C’est le CRILJ/Orléanais qui assura, à compter de septembre 1983, la continuité hebdomadaire de la rubrique « Lire à belles dents » publiée pendant quatorze ans dans le quotidien orléanais La République du Centre, faisant cohabiter propos de jeunes lecteurs et parole adulte. Se replonger dans la collection, c’est traverser l’histoire de la littérature pour la jeunesse de ces années-là.

    Le CRILJ/Orléanais conserve également un ensemble privé de 9000 affiches en relation avec le livre et la lecture pouvant être prêtées pour des expositions. Cette collection qui s’enrichit de plusieurs centaines de pièces chaque année est certainement sous-employée, mais faire plus est, dans l’état actuel des finances de l’association, un rêve lointain.

    Depuis 2009, notre section s’est fortement rapprochée du CRILJ national. La cohabitation en un même lieu de deux entités distinctes n’a pas, dans les premiers temps, facilité la lisibilité. En revanche, la proximité des moyens matériels et humains permet à l’une et à l’autre des structures un déploiement amélioré. Ce sera l’affaire des prochaines années.

( version ‘augmentée’ d’un article paru dans le dossier consacré au livre et à la lecture en  Région Centre dans le numéro 50 de mai 2010 de la revue de l’Association des Bibliothécaires de France )

crilj orléanais

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Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Éducation, il a assuré pendant quatorze ans la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans la République du Centre. Il est, depuis mars 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national. Il a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.

Louis Mirman

 

 

 

 

     Louis Mirman qui, à partir de 1947, a tenu une place importante dans la littérature de jeunesse aux éditions Hachette, quand ces éditions dominaient la production tant au niveau des albums qu’à celui des livres, a disparu. Il était né en 1916.

     Entré chez l’éditeur pour s’occuper plus particulièrement des traductions de textes étrangers, professeur d’anglais à l’origine, grand admirateur de la culture anglaise, il n’a pas peu contribué à la traduction d’oeuvres anglo-saxonnes, en particulier dans la Bibliothèque Verte et la Bibliothèque Rose. Le Club des Cinq, le Clan des Sept et les Oui Oui d’Enid Blyton lui doivent une part de leur succès, ainsi que les ouvrages de Caroline Quine, la série des Alice et des Sœurs Parker.

     Comme il le reconnaissait lui-même, en 1956, dans un numéro spécial d’Enfance où il analysait bien son action, « nos gros tirages ont un revers, ils nous limitent à des valeurs sures et rendent prudentes nos expériences, qui ont un endroit car nous donnons une vraie chance aux nouveaux auteurs. »

     C’est sans doute à cette conception que nous devons la publication des ouvrages de Georges Bayard (la série des Michel), des romans de Paul-Jacques Bonzon, Les Six Compagnons, mais aussi des Fantômette de Georges Chaulet et des Langelot de Lieutenant X.

     Homme de dialogue, Louis Mirman n’a jamais fui la discussion, n’oubliant jamais de nous faire remarquer quand nous critiquions des séries que l’ensemble des éducateurs considéraient comme très faibles, « oui, mais les ouvrages que vous aimez sont ceux que je ne vends pas » – répondant avant la lettre par les arguments de l’économie de marché à toute action à vocation culturelle.

     Il nous arrive souvent de penser à lui quand nous essayons de parler d’exception culturelle en ces temps de mondialisation, mais il n’est pas certain que nous recevions le même accueil des maîtres actuels de l’information. Bourdieu, pour l’avoir tenté avec brio, ne fut pas plus heureux face aux maîtres es/communication.

     Mais peut-être le secret de Louis Mirman était-il ailleurs et nous fut-il révélé quand, en 1982, nous avons lu en manuscrit Silex Noir, puis, après, quand fut décerné le Grand Prix du Livre pour la Jeunesse du Ministère de la Jeunesse et des Sports, la même année. Le nom de l’auteur : Louis Mirman ! Nous avons, ce jour-là, discuté franchement de nos accrochages d’antan.

     Et ce n’est pas le moindre message que nous laisse, peut-être malgré lui, Louis Mirman, celui d’inviter tout ceux qui travaillent à la création culturelle de ne pas obéir aux contraintes et aux « lois du marché » et de poursuivre leur chemin contre toutes les entraves et toutes les innombrables formes de censure.

     Mon adieu n’est sans doute pas conformiste, mais je suis certain que Louis Mirman sourirait en le lisant …

( texte paru dans le n° 66 – octobre 1999 – du bulletin du CRILJ )

  silex noir

 Louis Mirman est né en 1916, de parents instituteurs. Licencié ès lettres, il enseigne l’anglais puis se tourne vers le journalisme d’agence et de radio. En 1947, il entre chez Hachette pour s’occuper de traduction puis de la Bibliothèque Verte et de la Bibliothèque Rose. En 1970, il devient directeur de l’ensemble du service Jeunesse-Collections, fonction qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1979. Il se met alors à écrire : Le Silex Noir (1984), Young (1985), Grite parmi les loups (1987), A la recherche de Tiang (1990), quatre titres parus chez … Gallimard Jeunesse, en Folio Junior.