Rue du monde, une histoire pas comme les autres

  

  

  

  

 

     Fin 1996, Alain Serres, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages pour la jeunesse crée une nouvelle maison d’édition indépendante. Sans aucun moyens financiers et loin des règles habituelles. En deux ans, la petite Rue du monde est parvenue à asseoir sa fonction dans le paysage éditorial mais aussi dans la société.

 Le jour de la décision

     Au milieu des année 1990, l’édition pour la jeunesse perdait un peu de ses couleurs. Des maisons d’éditions battaient de l’aile, d’autres disparaissaient. Les chemins de l’audace, des contenus et de l’exigence littéraire étaient de moins en moins nombreux, de plus en plus broussailleux. L’idée en tête depuis deux ans, Alain Serres a considéré qu’il était temps de proposer un espace différent pour encourager le regard critique et imaginatif des enfants sur le monde. Il prit l’avis de quelques libraires jeunesse, d’auteurs et de Pierre Marchand, alors directeur de Gallimard Jeunesse.

     Alain Serres refuse plusieurs propositions émanant d’autres maisons et, la veille du jour où il allait fêter ses quarante ans, il prend sa décision et fait le choix de l’indépendance totale vis-à-vis des grands groupes. Il se lance alors dans l’aventure avec plusieurs dizaines de projets de livres, de collections, mais à peine ce qu’il faut pour réaliser un tiers d’album. Plus une idée qui va lui, permettre de faire naître Rue du monde.

     En novembre 1996, Alain Serres lance un appel pour que se retrouvent ceux qui ressentaient les mêmes lacunes et aspiraient aussi à un pôle novateur. Il propose la réservation des quatre premiers titres de Rue du monde avant même leur parution. Mille souscripteurs relèvent le défi, essentiellement des enseignants, des bibliothécaires et des directeurs de centres de loisirs.

La rue de papier est lancée

     En trois semaines, le premier ouvrage, Le grand livre des droits de l’enfant, dont le manuscrit était prêt, est illustré, iconographié, imprimé et relié. Incroyables délais rendus possibles par la mobilisation chaleureuse de nombreux amis et professionnels. Les 250 premiers exemplaires arrivent tard dans la nuit, la veille de l’ouverture du Salon de Montreuil. Sur les 4m2 du stand, ils seront tous vendus et cet ouvrage est, dix ans apès sa parution, l’une des meilleures ventes, avec plus de 50000 exemplaires.

     Les quatre premiers titres en mains, Alain Serres essaie de convaincre un diffuseur-distributeur de relever le défi avec lui. C’est Frédéric Salbans et Bernard Coutaz, chez Harmonia Mindi, qui oseront s’ouvrir à la jeunesse. Aujourd’hui, ils sont toujours partenaires.

 Editer, un sacré métier

     Il a fallu tout apprendre : comment faire des factures, comprendre la TVA, celle qui rentre et celle qui sort, louer un nouveau local, calculer le poid du papier. L’équipe compte aujourd’hui six personnes.

     En dix ans, plus de 8000 projets ont été reçus, 130 ont été publiés. Ils sont, le plus souvent, nés d’une rencontre autour d’une ébauche, d’une réaction de l’éditeur à un dessin, d’un propos lu ou entendu. Pour la plupart des livres, une sorte de jeu de ping-pong s’instaure entre l’auteur, l’illustrateur et l’éditeur afin que les choix les plus pertinents puissent être faits en commun, au service du livre et de ses futeurs lecteurs.

     Née il y a dix ans de façon atypique, Rue du monde poursuit son travail pour titiller l’intelligence des enfants, attiser leur esprit critique et leur sensibilité artistique.

     Pour cette année anniversaire, des ouvrages forts, beaux et éclectiques : du travail d’orfèvre de François Place à l’humour de Pef, d’une Alice décapante à une succulente Cuisine tout en chocolat, des enfants des rues aux sans-papiers, de l’amour tout court à l’amour d’une terre en péril. Des images et des idées pour voir et rêver le monde.

( texte paru dans le n° 88 – décembre 2006 – du bulletin du CRILJ )     

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Les Petits Bonshommes

 par Dawinka Laureys

Une revue instructive et pacifiste des années vingt

     Un magazine pour enfants est le fruit de son temps et il est loin d’être innocent. C’est ce que nous nous efforcerons de démontrer par le biais de cette analyse en nous penchant sur l’exemple d’une revue française, Les Petits Bonshommes, publiée dans les années vingt. Son cas n’est certainement pas généralisable à l’ensemble de la presse de jeunesse. Par contre, les questions qui lui sont posées peuvent être généralisées et transposées à une série de médias pour enfants d’hier et d’aujourd’hui. Partant de la réflexion de Maurice Crubellier selon laquelle « toute société éprouve la nécessité d’adapter ses membres les plus jeunes à ses besoins », nous nous interrogeons sur le rôle des magazines pour enfants. Comment leurs rédacteurs, leurs illustrateurs s’y prennent-ils pour « adapter » la génération à laquelle ils s’adressent à leurs projets, conscients et inconscients ? Quels sont leurs rêves et leurs espoirs ? Ce type de médias est-il susceptible de prendre position par rapport aux faits du réel ? Si oui, comment et dans quel(s) but(s) ? Comment les représentations collectives des auteurs transparaissent-elles ? Que révèlent-elles de leur époque ?

    De 1922 à 1926, la revue Les Petits Bonshommes est éditée à Paris et diffusée partout en France et dans quelques autres pays, en Belgique notamment. La collection complète compte 159 numéros. En 1923, 11000 lecteurs y sont abonnés. À l’origine et de manière régulière, le magazine est appuyé par le Syndicat national des instituteurs (SNI) et par la Fédération de l’enseignement. Son comité de patronage se compose d’une quarantaine de personnalités de « gauche » dont des écrivains, des artistes et des militants syndicaux. La revue se présente sous la forme d’un magazine de seize pages en moyenne, de 20 cm de haut sur 25 de large. Sa texture en papier de bois lui donne une teinte légèrement brunâtre. Il s’agit d’une revue où domine le texte même si les première et quatrième de couverture sont illustrées, tout comme bien souvent la page centrale. Il arrive que les articles et les histoires soient aussi ponctués d’images monochromes ou polychromes, en fonction manifestement des ressources disponibles. L’histoire de la série est en effet marquée par des difficultés financières, des changements d’imprimeries, de maisons d’édition, de comités de rédaction. Toutes ces péripéties entraînent des irrégularités de parution et l’aventure prend fin avec le numéro du 7 janvier 1936.

Instruire et éduquer tout en amusant

     Les Petits Bonshommes émergent dans un contexte où la presse de jeunesse est en plein essor. Lors des premières décennies du XXe siècle, les périodiques pour enfants connaissent une transformation radicale tant au point de vue de la forme que du contenu. Sous l’impulsion conjointe des progrès de l’alphabétisation, des innovations technologiques et de la prospérité économique, leur tirage augmente considérablement. Relativement bon marché et toujours plus ouverts à l’image, ces magazines se consacrent de plus en plus au pur divertissement. En France, c’est l’époque de L’Épatant (1908-1939), de Fillette (1909-1964), de Cri-Cri (1911-1937) ou encore de la revue Le Petit Illustré (1904-1937). Ces nouveaux médias ne font plus de l’édification morale une priorité et privilégient les historiettes illustrées, les romans policiers. Face à cette vague, les éducateurs catholiques et, dans une moindre mesure, laïques tentent de maintenir des revues éducatives et instructives. Les rédacteurs des Petits Bonshommes s’inscrivent clairement dans cette démarche. Ils sont en relation avec le monde de l’enseignement et des rapprochements évidents peuvent être faits entre certaines intentions des auteurs et les visées de l’enseignement républicain. À l’époque, l’école a pour fonction première d’alphabétiser les enfants. Dans la revue, l’accent est clairement mis sur la lecture. La très grande place faite à l’écrit en témoigne. S’adressant aux enfants sous le pseudonyme de Tante Aurore, la directrice de rédaction (Thérèse Dispan de Floran) fait part de ses conseils orthographiques et stylistiques et elle rappelle de manière récurrente l’importance de la maîtrise de l’écriture. L’intention d’instruire les lecteurs se dégage également des multiples articles consacrés à l’acquisition de savoirs (en histoire, en archéologie, en littérature, en sciences : zoologie, botanique, physique, médecine, etc.), de savoir-faire (en couture par exemple) et d’aptitudes (comme l’apprentissage de la dextérité ou de l’hygiène). L’instruction morale et civique occupe une place importante par l’exaltation de valeurs telles que l’honnêteté, l’humilité, le courage, l’effort, l’entraide. D’autres notions, chères aux rédacteurs et à la IIIe République, telles la raison et la laïcité, imprègnent véritablement les différentes rubriques jusque dans les histoires et récits de voyage.

     Toutefois, la revue des Petits Bonshommes ne peut pas être qualifiée d’austère. Elle cherche à divertir les jeunes lecteurs. Il s’agit sans doute d’une question de survie : dans un contexte marqué par un succès croissant de la presse tapageuse, un média pour enfants se doit d’être amusant. Ainsi, humour et aventure se mêlent aux blagues, rébus, récits, historiettes illustrées voire même aux notices sur des personnages célèbres. L’enfant est invité à participer à des concours de dessins, à apprendre des chansons, à confectionner des bricolages, à réaliser des saynètes théâtrales, à faire du sport. Dans Les Petits Bonshommes, ces activités se veulent sources d’édification morale ou d’apprentissage. Plusieurs bricolages proposent, par exemple, de confectionner la maquette d’une coopérative ou d’une machine à vapeur. Quant à l’humour, il peut être subordonné à un discours moralisateur, en tournant en ridicule la prétention, la paresse. Certaines blagues ou histoires se permettent de dénoncer les disparités sociales.

    Par ailleurs, le divertissement se veut rationnel. Les références aux univers et aux personnages irréels ou divins sont rares, et quand elles apparaissent, elles sont vivement critiquées par les lecteurs adultes. À l’époque, nombre d’enseignants mais aussi de psychologues, psychiatres et pédagogues recommandent de bannir les fées de la littérature enfantine. Le réel est amplement suffisant comme source de merveilleux lorsqu’il est décodé par le prisme des sciences et des techniques. Les ingénieurs et chercheurs sont présentés aux jeunes lecteurs comme de véritables magiciens. Leurs découvertes récentes sont expliquées, comme celle de la télégraphie et de la téléphonie « aussi merveilleuse qu’un conte de fées ». Cette conception du « merveilleux rationnel » peut être mise en lien avec une société marquée en ce début de XXe siècle par de multiples découvertes scientifiques et techniques, par une déchristianisation des masses et par la généralisation de l’instruction publique qui tend à uniformiser la culture au détriment des langages et des croyances locales.

 En marche vers une société pacifique, international … et républicaine

     La revue naît à la sortie de la Première Guerre mondiale dans une société bouleversée par ce conflit. Vainqueurs et vaincus font le bilan : un total de dix millions de morts et de disparus (un recors jusqu’alors inégalé), vingt millions de blessés, des conséquences économiques et financières désastreuses. Chacun est persuadé que la Grande Guerre sera la « der des der » et tous sont résolus à ce qu’elle n’ait pas de postérité. Dans le camp des vainqueurs, certains estiment que seule une politique d’intimidation à l’égard de l’Allemagne évitera une nouvelle offensive. D’autres, par contre, pensent que l’heure est à la réconciliation des pays. Dès mai 1919, le mouvement « Clarté » ou « Internationale de la pensée » se dessine autour d’Henri Barbusse et se définit par la trilogie : pacifisme, internationalisme et justice. Or, plusieurs des membres du comité de patronage des Petits Bonshommes sont membres du mouvement « Clarté ». Plusieurs sont aussi proches du Parti communiste français (PCF) dont le pacifisme leur paraît le plus radical. De fait, il est le seul parti à avoir protesté ouvertement contre l’occupation de la Ruhr puis, quelques années plus tard, contre la guerre du Rif.

     Les prises de position pacifistes des rédacteurs des Petits Bonshommes sautent aux yeux. Les récits et poèmes qui condamnent la guerre sont récurrents. C’est entre autres le cas lors du conflit au Maroc précisément. Dans les numéros d’avril 1925 à janvier 1926, une bande dessinée satirique dénonce la guerre du Rif. Elle conte les aventures du reporter français dépêché sur place « Bourlekrane, le plus menteur des journalistes, décoré pour ses nombreux services pendant l’avant-dernière guerre ! ». Par ailleurs, Jean Jaurès et son combat pour la paix font l’objet de plusieurs articles. Les méfaits des combats sont rapportés et pleurés, en particulier par la directrice de rédaction, Thérèse Dispan de Floran. Dans la rubrique qui lui est consacrée, celle-ci veut œuvrer à la paix internationale et suggère que tous les enfants du monde se mettent à correspondre. Tante Aurore fournit des adresses postales de manière à encourager de tels échanges, notamment entre Français et Allemands. Elle s’en explique : « le salut du monde est dans les mains des enfants (…). Si nous nous connaissions vraiment les uns les autres, si nous savions combien les peuples des autres pays nous ressemblent, la guerre deviendrait impossible entre les nations (…) ». Dans la France des années vingt, Tante Aurore et ses projets de « fraternité universelle » sont vivement critiqués par la presse patriotique. Par contre, ils rejoignent les propositions formulées par l’Internationale de l’Enseignement qui préconise l’établissement de relations entre les jeunes de la terre entière.

    Oeuvrer à la paix, c’est aussi combattre le chauvinisme. Sur ce point, les rédacteurs sont à nouveau porteurs de raisonnements partagés par l’Internationale de l’Enseignement, mais également par l’internationalisme qui repose sur la croyance selon laquelle la nation est une unité artificielle, qui doit être dépassée et supprimée par l’action conjuguée des hommes de tous les pays des prolétaires en particulier. À l’époque, c’est l’ensemble du corps enseignant qui s’interroge sur le rôle de l’école – et notamment du cours d’histoire – dans l’exaltation du sentiment national. Dans Les Petits Bonshommes, il n’y a point de récits franchement patriotiques, comme c’est le cas dans le magazine pour fillettes La semaine de Suzette, par exemple. Pour les rédacteurs, combattre le chauvinisme nécessite d’aller à la rencontre des autres nations. Les lecteurs sont invités à découvrir des monuments et sites, mais également des habitudes et coutumes de diverses contrées. Il y est question du Kremlin de Moscou, des temples incas, de la vie à l’école aux États-Unis ou en Algérie… Dans la rubrique consacrée « aux grands hommes », diverses nationalités sont représentées dont des Allemands (le compositeur Jean-Sébastien Bach ou le scientifique Roentgen) et des Russes (les auteurs Dostoïevski, Gorki, Tchekhov, Tourgueniev et Tolstoï). Cette ouverture au monde se colore de fraternité lorsque Tante Aurore fait appel à la solidarité internationale en invitant les lecteurs – et leurs parents – à venir en aide à des enfants russes, africains, japonais, irlandais ou allemands qui vivent dans des conditions très précaires.

     Si Tante Aurore ne cesse de mettre l’accent sur les ressemblances des enfants par delà les frontières, rédacteurs et illustrateurs nous conduisent également à constater des différences. Celles-ci s’expriment en particulier dans les récits de voyage ou à travers le temps. C’est l’occasion de rapporter la vie des Indiens, des Esquimaux, des habitants des montages kabyles… ou celle des hommes de la Préhistoire et du Moyen-Âge. Même si les articles et récits regorgent de représentations diverses, les étrangers ou les « hommes anciens » apparaissent généralement comme vertueux, courageux, honnêtes, tandis que les hommes « blancs et d’aujourd’hui » ont pour défauts l’orgueil, le goût du profit et de la guerre. Ces hommes blancs n’en sont pas moins présentés comme des êtres faisant preuve de raison et maîtrisant les sciences et les techniques. Consciemment ou inconsciemment, les auteurs considèrent manifestement que par leurs attitudes et leurs acquis, les hommes d’Occident s’écartent et se distinguent des autres peuples encore sous le joug des croyances divines et de savoir-faire primitifs.

     Ainsi, la société rêvée par Les Petits Bonshommes se veut certainement pacifiste et internationale, mais elle se doit aussi d’être mue par la raison, la laïcité et la justice… si elle veut poursuivre son ascension vers le « progrès ».

Les Petits Bonhommes ouvrent le débat

    La revue Les Petits Bonshommes est le fruit de son temps. Les rédacteurs prennent position vis-à-vis des « faits du réel » avec ce qu’ils sont, leurs croyances, leurs blessures, leurs espoirs, leurs idéaux. Pour demain, ils rêvent de « bons hommes » et de  « bonnes femmes » instruits, ouverts sur le monde, pacifistes, courageux, solidaires, humbles, travailleurs et… porteurs de valeurs républicaines (raison, laïcité, justice). Cet exemple d’un périodique des années vingt, nous invite à nous pencher sur notre cas, ici et aujourd’hui. Les questions que nous posions en début d’analyse peuvent être adaptées aux magazines actuels – voire aux médias en général – pour enfants et adolescents. Qui en sont les rédacteurs et les illustrateurs ? Quels organes les soutiennent ? De quelles valeurs, de quelles intentions, de quels projets sont porteurs les acteurs qui gravitent autour de ces médias ? Suis-je en mesure de les détecter, de les identifier ? Est-ce que les auteurs prennent position par rapport aux événements de leur époque ? Si oui, de quelle(s) manière(s) ? Si non, pourquoi ? Comment est-ce que je me situe par rapport à ce qui est véhiculé ou ce qui est passé sous silence (faits du réel, représentations, projets, valeurs) ? Et ce, en tant que lecteur, en tant que citoyen, en tant que parent, en tant qu’éducateur ? Suis-je en accord, en désaccord ? Comment est-ce que je l’exprime ?

     L’exercice pourrait par exemple être mené à l’égard des magazines édités par les maisons d’édition Bayard-jeunesse en France, ou Averbode en Belgique pour n’en citer que deux bien connues. Leurs publications n’échappent point à la règle puisqu’elles sont nécessairement le fruit de leur temps. Une analyse détaillée de celles-ci serait sans doute très révélatrice de notre époque et de nos propres paradoxes. Le caractère étonnamment politique de la revue Les Petits Bonshommes sortirait sans doute renforcé d’une telle analyse.

    Par ailleurs, nombre des questionnements qui précèdent peuvent aussi être transposés aux médias pour adultes. Avec une différence fondamentale cependant : un enfant dispose de moins de ressources qu’un adulte pour décoder les textes et les illustrations qui lui sont adressés. D’où sans doute l’importance pour les parents et les éducateurs de poser sur ces médias un regard analytique …

    Microsoft Word - 20090908 Petits Bonshommes _v5_.RTF

Historienne diplômée de l’Université de Liège (licence en histoire en 1999, agrégation de l’enseignement secondaire supérieur et D.E.S en documentation et sciences de l’information en 2000, doctorat en histoire en 2005), Dawinka Laureys mène, pendant quatre ans, des recherches relatives à l’histoire spatiale belge (CHST de l’Ulg). Elle enseigne quelques mois auprès de la Haute École de la Ville de Liège. Archiviste pendant plus de trois ans auprès du centre d’archives privées d’Etopia, centre d’animation et de recherche en écologie politique situé à Namur, elle rejoint à Seraing, comme attachée scientifique chargée de l’éducation permanente, l’équipe de l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale. Nous remercions Dawinka Laureys pour nous avoir confié son texte publié en 2009 sur le site de l’IHOES avec le soutien de la Communauté française Wallonie-Bruxelles. L’illustration ci-dessus, planche originale pour la revue Les Petits Bonshommes, provient des collections de la Bibliothèque L’Heure joyeuse

Stépan Zavrel

  par Janine Despinette

     La communauté internationale des artistes illustrateurs des cinq continents est en deuil. Stépan Zavrel est mort accidentellement à Sarmède, en plein chantier de ses fresques sur les facades des maisons de la cité du Vénéro, le 27 février 1999.

     Pour la plupart des lecteurs du bulletin du CRILJ, le nom de Stépan Zavrel n’est sans douté lié qu’aux illustrations de Un rêve à Venise (Nathan), Le soleil disparu (Nord-Sud), Une pluie d’étoiles (Le Cerf), Le dernier arbre (Bohem Press et Bilboquet), La Cité des fleurs (Le Cerf), prix « Critique en herbe » de la Foire de Bologne en 1988.

     Pourtant, nous pensons que ceux qui ont eu l’occasion de visiter Imaginaires des illustrateurs européens, exposition présentée en 1993 à la salle d’actualité de la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Pompidou par Christiane Abbadie-Clerc et la Communauté de Sarmède dont Stépan Zavrel était le directeur artistique, comprendront que nous rendions hommage ici, même brièvement, au rôle essentiel  qu’a joué, pour l’Europe, ce peintre poète praguois, émigré en Italie en 1959, et vers qui est venue toute une génération d’artistes et d’artisans d’images pour qui il fondera, avec Oscar Bozejvsky, Bohem Press, basé en Suisse. Mais pour qui il inventera aussi, dans des structures « à la jonction de l’école et du musée », une nouvelle esthétique de la communication, totalement pluriculturelle, capable de résister pour longtemps aux stéréotypes numériques en place et à venir.

     Il était polyglotte, il savait tout faire, des marionnettes, des films et des livres. Il aimait la vie. Il savait dialoguer avec les enfants et inventer pour eux des mondes colorés fabuleusement beaux, mais il savait aussi regarder les images des autres et être à l’écoute de leurs projets, de les aider à découvrir leur vrai talent. A partir de Sarmède, il montait avec eux des expositions itinérantes, événements culturels aussi bien à Nex-York qu’à Tokyo ou à Paris, à Strasbourg qu’à Zagreb.

     Au stand Bohem Press comme au stand de Sarmède Paese della Fiaba, cette année, à Bologne, le sentiment d’absence sera grand.

 ( texte paru dans le n° 64 – mars 1999 – du bulletin du CRILJ )

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Né à Prague en 1932, Stépan Zavrel y fréquente la Faculté des arts cinématographiques et se spécialise dans le film d’animation. En 1959, il s’inscrit à la Faculté de Peinture de l’Académie des Beaux-Arts de Rome, et en 1963, s’établit à Munich où il approfondit ses études. De 1965 à 1968, il dirige à Londres la section du film animé du studio Richard Willims. S’établissant enfin à Rugolo, près de Trévise, il exerce son activité de peintre et d’illustrateur. En 1971, il fonde avec Otakar Bozejovsky la maison d’édition suisse Bohem Press. Son intérêt pour le monde de l’enfance et son attention constante aux jeunes illustrateurs l’incite à organiser de nombreuses expositions itinétantes d’illustrations d’originales. En 2001, s’est tenue à Sarmède (Italie), sous le titre Le monde magique de Stépan Zavrel, une exposition-hommage accompagnée d’un fort beau catalogue.

Les surprises d'un sondage

     La section locale du CRILJ/Midi-Pyrénées a adressé, à propos de la lecture des enfants et des jeunes, un questionnaire dans les écoles, bibliothèques et collèges de la région. 1292 réponses d’enfants et d’adolescents ont été dépouillées, 240 pour les 7/10 ans, 1052 pour les 10/15 ans.

     Ce référendum nous a été retourné par des établissements urbains et ruraux où un effert important est engagé en faveur de la lecture. De là, sans doute, des affirmations qui, pour l’essentiel, battent en brêche le bataillon des idées toutes faires, donc mal faites, et soulignant la relative variété des lectures juvéniles.

 Il n’y a pas de facilité du goût enfantin

     Par exemple, si la bande dessinée l’emporte sur les livres chez les 7/10 ans (136-108), c’est l’inverse chez les 10/15 ans (668-546).

     L’aventure comme le conte correspondent au goût des lecteurs des deux âges. Ainsi, les contes et légendes arrivent-ils en tête chez les 10/15 ans (547), suivis de près par les témoignages vécus (537), la science-fiction (523), le roman (498), l’histoire romancée (431) ou racontée comme une histoire (354), les documentaires ne dépassant pas 236 suffrages.

     On relèvera aussi qui si 416 lecteurs sont gênés par un langage trop familier (contre 654), 618 ne le sont point par un langage littéraire (contre 514) ; que 128 + 489 enfants lisent des poèmes ; que plus de la moitié des 10/15 ans, tout en goûtant le plaisir et la nécessité du « dépaysement » et de l’ouverture, s’étonnent – voire s’irritent – de la surabondance des œuvres traduites dans certaines collections ; qu’enfin, chez les seniors, 934 préfèrent un récit achevé, avec une fin généralement heureuse, mais que 250 aiment ou aimeraient le continuer eux-mêmes.

 Les valeurs sûres et les autres

     Le sondage, auprès des 10/15 ans notamment, fait apparaitre des titres appartenant à des collections reconnues, les valeurs sûres. Mais s’y ajoutent, aussi nombreuses, des œuvres plus actuelles, contemporaines, toute une « géographie cordiale » où s’expriment la douleur, la générosité, la fantaisie poétique, le réalisme, le futurisme, le régionalisme.

     Les groupes qui ont répondu à l’enquête sont souvent ceux où des auteurs et des illustrateurs ont rencontré des enfants et participé à l’animation d’un ouvrage dans les écoles, bibliothèques, librairies ou fêtes du livre. Ainsi peut s’expliquer, pour une bonne part, le choix d’écrits régionaux sans qu’il soit besoin d’affirmer magiquement l’existence de « best-sellers » imprévus.

     Et puis, au-delà des thèmes de l’amour, de la drogue, de la guerre, en particulier, les plus de dix ans ont marqué leur préférence pour la géographie humaine, la psychologie, la préhistoire, l’archéologie, les sciences, les drames du racisme, la société, l’humour.

     Sujets de réflexion pour tout ceux qui s’intéressent à la littérature pour la jeunesse.

( texte publié dans le n° 24 – novembre 1984 – du bulletin du CRILJ )

 lecteurs

Les albums sans texte sont de grands bavards

    Le samedi 20 mars 2010, à l’occasion de son assemblée générale annuel, le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, associé à la bibliothèque l’Heure Joyeuse, avait invité Sophie Van der Linden, auteure de Lire l’album, rédactrice en chef de la revue Hors Cadre[s], pour une conférence à propos des albums sans texte. Intitulé exact : Albums sans texte : la preuve par l’image.

   En introduction, Hélène Gourraud, bibliothécaire à l’Heure Joyeuse, présentera brièvement l’exposition  Les albums sans texte : quand les images nous racontent des histoires dont elle est maître d’œuvre, introduction ou prolongement idéal à la conférence. L’exposition qui rassemble des ouvrages récents et des albums du fonds ancien de la bibliothèque, propose au visiteur, outre un bref historique, un essai de typologie pouvant aider le jeune (ou moins jeune) lecteur à se repérer dans le genre. Sont ainsi distingués : les albums narratifs où l’intérêt porté au récit est manifeste, les albums pour imaginer où une place importante est laissée à la subjectivité du lecteur, les albums cinématographiques qui s’appuient d’évidence sur les codes du langage filmique, et les albums-jeux qui jouent avec les formes cachées, les découpages, les cachettes et les masques.

    « Le livre sans texte est un objet fascinant dont on ne fait pas aisément le tour. » Une fois constaté que des créateurs s’intéressent à ce type d’ouvrages selon des approches stylistiques variées, il reste encore beaucoup à échanger et à confronter car ces livres ne sont, semble-t-il, faciles ni pour les éditeurs, ni pour les libraires, ni pour les médiateurs. La lecture qu’ils requièrent, dénotative, demande une attention accrue et, à condition de prendre son temps, certains albums sans texte autorisent des lectures multiples, assez souvent complexes. « Albums sans texte pour non lecteurs est une équation qui ne fonctionne pas. »

    Peut-on tenter un historique ? On trouve les premiers albums sans texte dès 1860, chez des éditeurs comme Staël et Hachette. Citons également, le titre est explicite, Les 30 histoires sans paroles à raconter par les petits, chez Nathan, et Histoires en images, collection d’albums publiée dès les années 30 à l’Atelier du Père Castor. Se développe, à la fin des années soixante, un type d’album sans texte qui abandonne l’idée que ces livres sont d’abord faits pour faire parler. Les Aventures d’une petite bulle rouge, album publié à l’Ecole des Loisirs en 1968 et qui abandonne la narration univoque est, à cet égard, devenu un classique. Dans les années qui suivent, des éditeurs comme Harlin Quist et François Ruy-Vidal amplifient cette voie, rompant avec la pédagogie pour s’adresser à l’imaginaire et ouvrir à la polysémie. En 1990, les éditions Epigones publient Sara (A travers la ville) et, en 2004, les éditions Autrement crée la collection « Histoires sans paroles » qui accueille les propositions d’illustrateurs aux styles fortement diversifiés.

Pas si facile

    Sophie Van der Linden a souhaité battre en brèche l’idée que l’on peut parler sans fin sur les livres narratifs sans texte. Non, dit-elle, car il y a un propos qui est tenu par l’auteur-illustrateur. Il n’est pas question, au titre du droit du lecteur, d’interpréter l’œuvre abusivement. Il faut un propos, il faut une narration, un enchaînement lisible pour qu’un album sans texte fonctionne. Les « livres ratés » sont, dans ce genre particulier, ceux qui proposent un trop grand foisonnement de détails, ceux pour lesquels il n’y a pas de lien entre une image et la suivante.

    Il peut paraître plus aisé de « regarder » un album sans texte avec des tout petits que de lui « lire » une histoire illustrée. Autre idée fausse. Certes, les enfants ne se heurteront pas aux formulations de la langue écrite – pas de vocabulaire inhabituel, pas de phrases longues ou complexes – mais, en réalité, lire des images est aussi sinon plus difficile. De nombreux codes qui nous paraissent, à nous adultes, aller de soi, doivent en réalité être construits par les enfants. Ainsi, l’album sans texte exige des jeunes lecteurs qu’ils parviennent à établir des liens entre les images, les choix, allusifs ou non, de l’auteur qui les a ordonnées, l’obligeant à imaginer un enchaînement le plus souvent causal et lié aux motivations des personnages. Risque d’erreur, plaisir de comprendre, l’album sans texte est ici objet d’apprentissage.

Quelques noms, quelques titres

    Parmi les auteurs-illustrateurs qui se sont particulièrement intéressés à l’album sans texte, Iela Mari, déjà citée, abordable par les plus petits, Peter Spier et Mitsumasa Anno pour les plus grands, et puis Sara, magistralement, et Anne Brouillard, dont les ouvrages, parfois au-delà de leur évidence première, sont plus complexes à déchiffrer. Quand le lecteur y parvient – et les enfants y parviennent plus souvent qu’on ne l’imagine – l’émotion est au rendez-vous.

    Quelques ouvrages sans texte qui méritent la lecture des enfants comme celle des adutes : Volcan de Sara (Eolune), La course au renard de Géraldine Alibeu (Autrement), La course au gâteau de Thé Tjong Khing (Autrement), Balade de Betty Bone (Le Sorbier), Zoom de Istvan Banuai (Circonflexe) et le très cinématographique Loup Noir d’Antoine Guillopé (Duculot-Casterman). Ne pas oublier les livres de Bruno Munari ou d’Olivier Douzou.

    Deux auteurs ont retenu plus longtemps que d’autres l’attention de la conférencière :

– l’américain David Wiesner dont Chute libre (Circonflexe), Mardi (Flammation), Les trois cochons (Circonflexe) sont particuliérement jubilatoires. Succès populaire aux Etats-Unis, succès d’estime en France.

– la belge Anne Brouillard dont l’album L’orage (Grandir) ouvre, lecture après lecture, des perspectives renouvellées. « Dans cet album, on entre dans l’image comme dans la maison et c’est l’illustratice qui, plaçant les repères, guide notre regard. »

Mais encore

    Pour étayer son exposé, Sophie Van der Linden se place en lectrice experte. Plusieurs participants ont, pour compléter l’analyse, souhaité échanger à propos des pratiques de lecture d’images à l’école et dans les bibliothèques. Synthèse possible de la discussion : il faut faire confiance aux enfants, leur présenter des albums sans texte en toute simplicité, prévoir sans doute une progression – attention à bien choisir les  premiers titres à regarder ensemble – et, plus particulièrement à l’école, ne pas hésiter à nourrir, habilement, les libres propos des enfants d’un peu de « grammaire de l’image » et à  donner aux jeunes lecteurs les mots qu’il faut pour mieux dire les choses.

    A signaler, pour finir ici, le numéro 3 de la revue Hors Cadre[s] consacré aux albums sans texte. En vente dans les bonnes librairies et à l’adresse de l’Atelier du Poisson Soluble, 35 boulevard Carnot, Le Puy-en-Velay. Prix du numéro : 12,00 euros.

gerda muller

Inspectrice d’académie et inspectrice pédagogique régionale vie scolaire honoraire,  Anne Rabany s’intéresse à la littérature pour la jeunesse depuis son entrée dans l’enseignement.  Elle a participé à différentes actions de promotion de la lecture : plans lecture de la ville de Paris et de l’académie de Créteil, développement des BCD, formation d’animateurs, tournées culturelles pour les centres de vacances de la CCAS/EDF, etc. Publications dans de nombreux périodiques (Textes et documents pour la classe, Ecole des parents, Monde de l’éducation …) Contributions à plusieurs ouvrages collectifs dont une étude sur « Les enfants terribles dans les albums » dans L’humour dans la littérature de jeunesse paru chez In Press en 2000. Anne Rabany intervient au niveau des masters 1 et 2 d’édition à Montauban (Université Toulouse II Le Mirail) ainsi qu’au Pôle Métiers du Livre de Saint Cloud (Université Paris X). Elle participe, au plan national, à l’activité quotidienne du CRILJ. Elle a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.

Michel-Aimé Baudouy

 Un humaniste de la littérature enfantine

     La disparition de Michel-Aimé Baudouy nous permet l’indispensable retour pour apprécier cinquante années de littérature pour la jeunesse, marquées par un parcours singulier et original. L’homme a fui toute sa vie le tumulte, la bousculade médiatique, volontiers revenu à son Vernet d’Ariège. Il n’a cependant jamais perdu le contact avec le monde des jeunes et les problèmes de notre temps. La nature et la montagne, la forêt et la mer l’inspîrent, de L’enfant aux aigles, qui voit son entrée en écriture pour la jeunesse, à l’admirable Seigneur des Hautes Buttes. Mais il abordera le sport avec Allez les petits ou Mick et la P. 105, sans oublier la technique de pointe, suivant la construction du « France » ou celle d’un barrage et se penchant sur l’agriculture en mutation dans Sylvie de Plaisance.

     Au travers de son œuvre, c’est un véritable panorama de la France de l’après deuxième guerre mondiale qui se déroule dans un climat de compréhension pour les êtres et les choses. Nous nous souvenons de sa joie quand il reçut avec Le rouquin de Lartigue le Prix de la Ville de Vénissieux en 1981.

     Difficile de ne pas le revoir, s’échauffant un peu quand certains le trouvaient trop indulgent, ou d’oublier la complicité qui l’unissait à Tatiana Rageot dans une volonté de faire œuvre de qualité et de bonté dans un humanisme solide et tranquille et dans les moments passés en longs échanges.

     Peut-être sa disparition va-t-elle permettre à certains de le redécouvrir. J’ai bien envie d’aller parler de lui avec le Seigneur de la Butte, que je ne sais où trouver, en lisière de la forêt de Mervetn peut-être.

( texte paru dans le n° 64 – mars 1999 – du bulletin du CRILJ )

baudouy

Né en 1909, au Vernet, dans l’Ariège, Michel-Aimé Baudouy fréquente l’école normale d’instituteurs de Foix et de Toulouse, la faculté des lettres de Toulouse, la Sorbonne, l’Institut d’études hispanique, l’Ecole normale supérieure de l’enseignement technique. Professeur de lettres à Tourcoing, Nantes, Paris. Son premier roman Une morte de rien du tout parait en 1946 chez Calmann-Levy. Prisonnier de guerre, il écrit avec des moyens de fortune L’enfant aux aigles, son premier ouvrage pour la jeunesse (Amitié-G.T. Rageot, 1949). Choisissant volontiers ses sujets parmi les grandes préoccupations de la vie contemporaine, cet admirateur de Montaigne, « pour la pensée », et de Colette, « pour le style », écrivit plus de quarante ouvrages en direction des enfants, y compris, caché parfois sous le pseudonyme de François Vernières, plusieurs romans policiers.    

« Dans la littérature enfantine comme dans les autres genres, il existe une production en série qui peut se satisfaire des procédés de dosage : tant pour-cent d’aventures, tant pour-cent d’émotion, tant pour-cent d’exotisme. A la fin, triomphe du mal, apothéose du héros ou de l’héroine. C’est ici que la ligne de démarcation se situe véritablement, non pas entre la littérature enfantine et la littérature tout court, mais entre la bonne et la mauvaise littérature, entre le talent véritable et la fabrication. Un roman pour enfant ne se bâcle pas, ne se fabrique pas avec des trucs. Un roman pour enfants se médite et s’écrit longuement avec la même conscience et la même ferveur qu’un véritable artiste met à la réalisation, toujours recommencée, de ce qui sera peut-être son chef d’oeuvre. »

L'IBBY sous le soleil levant

 

 

 

 

 

     Pour sa majorité, le Congrès bisannuel de l’IBBY (International Board on Books for Young People) s’est offert le luxe de quitter l’Europe pour la première fois. Organisé de main de maître et avec une vraie ampleur nouvelle par la section japonaise, il a tenu ses assises du 18 au 23 août dernier, dans le Palais des Enfants, en plein cœur de Tokyo.

     Les objectifs d’une telle manifestation comme les attentes des participants sont divers et multiples : approfondissement d’un thème-clé par conférences et débats interposés, assemblée pleinière statutaire, mais aussi plate-forme de rencontres, de contacts, d’échanges intellectuels ou commerciaux.

 Pourquoi écrivez-vous pour les enfants ? Enfants, pourquoi lisez-vous ?

     Tel était le vaste thème mis en scène par les organisateurs. Pour répondre à la deuxième question, quelques jeunes Japonais et, entre autres conférenciers invités à apporter leur contribution à la première, la Brésilienne Ana Maria Machado, le Chinois Yan Xenjing, la Britannique Philippa Pearce, le Soviétique Sergei Mikhalkov, l’Autralienne Patricia Wrightson, le Japonais Mutsumasa Anno et l’Allemand Michael Ende. Pour raisons de santé, Maurice Sendak avait hélas dû renoncer au voyage.

     Simple et compliqué à la fois d’apporter sa pierre à l’édifice. Les réponses des orateurs se sont trouvées très culturellement marquées, les Asiatiques rappelant au fil de leur vie les étapes déterminantes qui les conduisirent à l’écriture pour enfants, alors que es Occidentaux en tiraient un exposé souvent plus philosophique que littéraire.

     Particulièrment brillante à nos yeux fut l’intervention de Michael Ende, le génial et secret auteur de Momo et du bestseller universel qu’est L’histoire sans fin. Au fond, je n’écris pas pour les enfants. En écrivant, je ne pense jamais aux enfants, mais j’écris des livres que j’aurai aimé lire étant enfant. En ce sens, je ne suis encore jamais devenu adulte. L’enfant signifie le futur qui est en nous. Je raconte donc mes histoires pour l’enfant qui vit en moi et en nous tous. » Et l’écrivain de dénoncer la tristesse et la banalité de la présentation du monde faite aux enfants. « Quelle motivation en tirer, sinon le non-sens et l’absurdité de cette image du monde. Les artisans, les poètes et les écrivains ont comme travail de redonner mystère et légende à cette réalité. » La réponse artistique de Michael Ende prend quatre noms succsissifs : fantaisie, beauté, merveilleux et humour. Une véritable profession de foi.

     On pourrait également aller plus droit au but et répondre, comme le grand Mitsumasa Anno concluant son exposé par une longue citation du musicien Pablo Casals : « Pourquoi écrivez-vous et pourquoi lisez-vous ? Mais, bon dieu, pour vivre ! »

 Les héros de la fête

     Surprise en avril à Bologne : face au Sautereau et Lapointe, Burningham, Van Allsburgh, Delessert et autres, le Jury Andersen portait son choix sur deux artistes issus pour la première fois du même pays. Outre qu’elle a sans doute voulu honorer la zone pacifique, cette désignation de deux Australiens pour l’attribution du « Nobel » de la littérature de jeunesse – prime et médias en moins – n’est en rien gratuite. L’écrivain Patricia Wrightson et le peintre Robert Ingpen ont, tous les deux, largement contribué au dévelloppement littéraire et artistique de leur pays et du livre pour enfants dans son ensemble. Souhaitons que cette récompense nous apporte aussi promptement quelques traductions françaises de leurs livres promus chefs-d’œuvre.

     L’Assemblée Générale des délégués de l’IBBY a également apporté quelques noms nouveaux parmi les « héros » puisque l’élection d’un nouveau comité international a conduit au remplacement du très compétent président sortant, l’éditeur madrilène Miguel Azoala, par l’estimé directeur de la BIB, le tchécoslovaque Dusan Roll. Par ailleurs, Ana Maria Machado a été désignée pour succéder à la merveilleuse Patricia Crampton à la tête du Jury Andersen.

 Bilan et rendez-vous

     L’hospitalité – et la climatisation – nipponne ayant fait des merveilles, l’IBBY a pu dignement fêter cette vingtième rencontre. Talonné d’expositions et d’échanges culturels, doublé de débats sur le futur du livre pour enfants ou les intentions et méthodes de la création – avec notamment une intervention de Mijo Beccaria – ce congrès a rempli son ambitieux programme : rapprocher les peuples au travers d’une connaissance accrue de ce qui constitue la meilleure littérature pour les actuels héritiers du monde. Autant le terme peut-il paraitre pompeux et le bilan optimiste, autant l’écho doit-il en être multiplié de par le monde.

     C’est également pour ce faire que l’IBBY s’est fixé de nouveaux rendez-vous pour ses 21ème et 22ème congrès : en septembre 1988 à Oslo sur le thème prometteur de La littérature de jeunesse face aux mouveaux médias, puis outre-atlantique en septembre 1990 à Williamsburg (Virginia) pour prouver au monde que « Les livres pour enfants font la différence. »

( texte paru dans le n° 29 – octobre 1986 – du bulletin du CRILJ )

   ibby cat

Né en 1958, Olivier Maradan a travaillé dans le domaine de la promotion de la lecture et de la littérature de jeunesse durant les années quatre-vingt et jusqu’au milieu de la décennie suivante. Il a été en Suisse l’un des fondateurs d’AROLE, l’association romande de littérature pour l’enfance et la jeunesse, construite sur le modèle du CRILJ, et durant une décennie l’un des organisateurs des fameuses Journées d’AROLE, séminaire bisannuel de formation et d’échanges. Ses travaux ont surtout porté sur la transmission du goût de lire, dans le cadre de la formation des enseignants, des bibliothécaires et des parents. Il a tenu durant douze ans une chronique hebdomadaire de présentation de nouveautés éditoriales et de manifestations internationales en littérature de jeunesse pour un quotidien de Fribourg et a siégé dans plusieurs jurys en Suisse, en France et en Italie. Depuis 1996, ses responsabilités professionnelles dans l’éducation l’ont éloigné du domaine éditorial. Il est actuellement secrétaire général adjoint de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique et responsable de l’harmonisation de la scolarité obligatoire en Suisse.

 

 

   

 

 

Du CRILJ au CRILJ

    L’aventure du CRILJ commence à la fin de 1962.

    Dans les diverses actions pour le livre, un certain nombre de personnes  étaient devenues très proches les unes des autres dans leur préoccupation. Une sensation de distorsion entre l’état de la recherche et de l’information en France et dans le monde, une réalité d’abandon de la part des pouvoirs publics pour lesquels l’idée  d’une action culturelle pour l’enfance et la jeunesse apparaissait comme une utopie peu sérieuse, les divers cloisonnements renforcés par une période de pénurie où chaque catégorie : enseignants,  bibliothécaires, éducateurs, libraires ou éditeurs lorgnait  plus du côté du voisin que vers un plan d’ensemble. Tout cela faisait le fond de nos conversations.

    De rencontre en débat, de « il faudrait que » à « il faut faire quelque chose »,  naissait un projet qui se concrétisait peu à peu grâce à l’accueil souriant et efficace de Natha Caputo.

    C’est donc dans l’appartement de Natha Caputo, rue Victor Schœlcher, à Paris, dans le 14ème arrondissement, qu’est né le CRILJ, sous le double signe d’un militant de la lutte contre l’esclavage et contre le Second Empire et d’une critique attentive aux « livres qui apprennent à aimer », suivant sa belle expression.

    Se retrouvaient là autour de Natha Caputo, Isabelle Jan, Mathilde Leriche, Marc Soriano et nous (Jacqueline et Raoul Dubois) dans un premier temps du moins, car d’autres allaient bientôt nous rejoindre.

    La décision définitive de créer le CRILJ fut prise à la réunion du 26 juin 1963, dans l’après-midi.

    Assistaient à cette réunion toutes les personnes nommées ci-dessus, à l’exception de Jacqueline Dubois, retenue par ses obligations professionnelles.

    Le relevé des conclusions se présentait en 11 points :

– La situation des études et recherches en littérature de la jeunesse en France fait de la France un pays retardataire en ce domaine,

– L’Université ignore pratiquement la littérature de jeunesse à tous les échelons,

– La formation des éducateurs de tous les degrés ignore en fait la littérature de jeunesse,

– Les liaisons sur le plan international sont le fait d’initiatives personnelles, elles ne sont pas coordonnées et ne permettent pas d’échanges fructueux,

– Il est donc nécessaire de créer un organisme indépendant, regroupant des critiques, des universitaires, des chercheurs, et pouvant préparer une reconnaissance de la littérature de jeunesse comme branche de la littérature,

– L’accord se fait sur la création du Centre de Recherche et d’informations sur la Littérature de jeunesse,

– Ce Centre pourra se constituer de façon légale à la rentrée, il essaiera de se faire attribuer un siège social à l’Institut Pédagogique National,

– Ce groupe de travail primitif pourrait s’adjoindre diverses personnalités ; dans l’immédiat : Mesdames Raymonde Dalimier et Colette Vivier,

– Seront par ailleurs sollicités :  Mesdames Luce Langevin, Odette Levy Bruhl, Janine Despinette, Marie-José Chombart de Lauwe, Mme Darier, Madeleine Raillon, Christiane Cohen, Marguerite Vérot ; Messieurs Claude Aveline, Paul Faucher, Claude Santelli.

– Il serait intéressant d’y adjoindre des folkloristes, des psychologues et chaque participant est invité à donner des listes supplémentaires.

– Raoul Dubois assurera  la mise au net des décisions et un projet de statuts sera établi,

    Le bureau provisoire serait ainsi proposé :

Présidente : Mathilde Leriche

Vice présidents : Natha Caputo, Marc Soriano,

Secrétariat : Isabelle Jan, Raoul Dubois

Membres : Colette Vivier, Raymonde Dalimier

Le poste de trésorier sera proposé à Jacqueline Dubois (qui l’accepta).

    La demande faite à l’Institut Pédagogique National dès octobre fut étudiée et acceptée, les statuts discutés et acceptés par une réunion tenue à la rentrée et les diverses personnalités contactées par courrier.

    Si les premières réunions continuent à se tenir malgré les difficultés de l’époque, ce n’est que le 6 juillet 1965 que les statuts seront déposés à la Préfecture de Police, indiquant bien l’Institut Pédagogique National comme Siège Social. Ce n’est qu’en 1972 que dans le cadre de la réorganisation de l’IPN fut retirée aux associations non directement pédagogiques d’y domicilier leur siège social.

    C’était assez bien remarquer la place faite à l’époque à la littérature de jeunesse.

    Dans le contexte de la vie associative d’alors il était sans doute prématuré de créer ou espérer faire vivre une association libre de toute contrainte vis-à-vis des pouvoirs publics ou des grandes forces parcourant les associations culturelles, par ailleurs très préoccupées de leur survie. Les créateurs du CRILJ auxquels s’étaient joints Germaine Finifter, Bernard Epin, André Kédros, Monique Bermond et Roger Boquié et un certain nombre de correspondants à Paris et en province, ne trouvèrent évidemment pas les moyens de faire fonctionner une association de coordination alors que toute leur activité était sans  cesse remise en question.

    C’est aussi à ce moment que l’action de la Section Française de l’Union Internationale de Littérature de Jeunesse (IBBY) se développe prenant en quelque sorte le relais de cette tentative.

    Elle devait refaire surface à  la suite des stages de Sèvres, organisées au Centre International d’Études pédagogiques, sous l’autorité de son directeur d’alors, Jean Auba.

    Au fur et à mesure que les stages se succédaient, se manifestait l’exigence d’une structure souple de concertation et de rencontre associant les divers partenaires de l’action en faveur de la littérature de jeunesse.

    Le repli sur soi de chacune des professions était ressenti comme néfaste par beaucoup de bibliothécaires, d’enseignants, d’éducateurs, de libraires et même d’éditeurs parmi les plus novateurs. Si chacun sentait bien le bouillonnement des idées et des initiatives autour de la lecture des enfants et des jeunes, le manque de point de rencontre se faisait cruellement sentir.

    Ainsi naquit peu à peu cette idée : utiliser une structure demeurée un peu vide mais ayant le mérite d’exister, et gagner du temps, le CRILJ dont quelques animateurs avaient constitué les chevilles ouvrières des stages de Sèvres.

    La présidente du CRILJ, Mathilde Leriche, fut donc sollicitée le 7 juin 1973 pour relancer l’association sur de nouvelles bases :

Un groupe de travail restreint a mis au point les aspirations confuses à une sorte d’institution sur la littérature enfantine.

Chemin faisant nous avons reparlé du centre de recherche et d’Information sur la Littérature de Jeunesse que nous avons créé en 1964 sous l’impulsion de notre amie Natha Caputo.

Au cours des discussions du groupe de travail réuni le 6 juin il a paru économique du point de vue du temps et des formalités administratives de reprendre le CRILJ pour, en modifiant les statuts, en faire la première pierre d’un édifice qui serait ensuite construit progressivement.

C’est donc cette solution qui sera préconisée par le groupe de travail à la réunion plénière le 20 juin prochain. Vous avez déjà été conviée (ou vous le serez bientôt) à cette réunion et nous nous permettons d’insister pour que vous participiez aux travaux.

Nous pensons qu’il est utile que tous les anciens membres du bureau du CRILJ participent à nouveau au bureau provisoire qui comprendra également les groupes de travail. Ce groupe comprend : Geneviève Patte, Marc Soriano, René Fillet, Lise Lebel, Jean Hassenforder, Jacques Charpentreau, Raoul Dubois. S’y adjoindront donc, si vous êtes d’accord : Isabelle Jan, Raymonde Dalimier, Mathilde Leriche, Colette Vivier et Jacqueline Dubois.

Qu’en pensez-vous ?

Il nous semble que, au moins à titre provisoire, vous ne pouvez pas refuser de participer à ce travail. Un bureau définitif sera désigné en octobre ou novembre. 

( Lettre à Mathilde Leriche du 7 juin 1973 d’un auteur non identifié )

    La réunion eut lieu et la décision de reprendre le CRILJ confirmée.

    Les Statuts modifiés étaient déposés à la préfecture de Police de Paris le 30 janvier 1975  (publication au JO du 15 février 1975). C’est dire que tout cela fut fait sans hâte avec le maximum de précautions pour éviter de faire apparaître cette association comme une possible concurrence à d’autres initiatives. Le Siège Social était transféré au Centre d ‘Études pédagogiques (Sèvres) qui avait vu la renaissance du CRILJ.

    Il faudra attendre le 24 novembre 1978 pour que la nouvelle association obtienne son agréement du Ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs.

    On peut dire sans crainte d’être démenti que les premières années du CRILJ ont été un miracle de tous les instants. Dans toute la mesure de nos moyens nous y avons mené une action très chaleureuse, René Fillet ou Jean Auba ont sans doute beaucoup fait pour aider le CRILJ à affronter une navigation en eau calme. Que de procès d’intention ont été faits au CRILJ ou à certains de ses animateurs ! Encore une fois nous avons pu mesurer les difficultés de survie des structures de coordination. Souvent on déplore le manque de liaison pour aussitôt craindre dans ces liaisons on ne sait quel empiètement sur un territoire souvent vécu comme une sorte de monopole de fait. Nous pensons quant à nous avoir toujours joué pleinement le jeu, quelquefois au détriment de notre propre activité.

    En tout état de cause et en grande partie grâce à l’obstination de Monique Hennequin, le CRILJ peut mettre à son actif une série de réalisations dans des domaines fort divers et qui tous participent bien de l’information et de la formation. Si le bilan « recherche » n’est pas aussi riche, c’est qu’il n’y a pas de recherche sans moyen.

    Parmi les réalisations les plus intéressantes il faut faire place aux divers colloques dont certains ont le mérite de poser les problèmes à un moment où ils n’étaient pas forcément passés dans le domaine public.

    Il en a été de même et nous aurons l’occasion d’y revenir sur la place du « Livre scientifique et technique » dans l’édition pour la jeunesse et pour l’ensemble de l’activité lecture-jeunesse.

    Enfin le pilotage des Prix de la Jeunesse et des Sports a sans doute permis leur maintien dans un contexte difficile.

    Les sections régionales du CRILJ s’organisent peu à peu. Elles ont chacune son visage et cette diversité aurait sans doute beaucoup réjoui Natha Caputo qui n’aimait pas trop  les structures rigides et nous avait dès le départ mis en garde.

    Notre seul regret vient du peu de soutien matériel des pouvoirs publics. Certes, la reconnaissance d’utilité publique en 1983 est une sorte de légitimation des efforts de tous, mais elle ne s’accompagne d’aucune reconnaissance du Ministère des Finances…

    Enfin, nous ne sommes pas clandestins, c’est déjà quelque chose ! Le répertoire des auteurs français pour la jeunesse, édité par le CRILJ, en est une preuve évidente.

    Sans doute pouvons-nous constater que les forces centrifuges traversant la société française depuis 1968 et leur renforcement par la régionalisation ont des conséquences négatives sur la place faite aux associations nationales. Par contre les structures régionales et départementales peuvent, dans certains cas, bénéficier d’aides sérieuses susceptibles de déboucher sur des travaux et des réalisations.

    Dans le domaine qui nous intéresse on peut cependant constater un grand nombre de « doublons » dans les réalisations d’outils coïncidant avec des manques regrettables.

( La Lecture buissonnière  –  tapuscrit consultable au CRILJ à Orléans, à l’Université d’Artois  à Arras, à la bibliothèque l’Heure Joyeuse à Paris )

raoul

Né en 1922, Raoul Dubois est à seize ans plus jeune instituteur de France. Résistant pendant la seconde guerre mondiale, il cache des enfants juifs, les faisant passer pour musulmans. Il s’engage au Parti Communiste. Après guerre, il consacre son énergie à l’école publique, d’abord dans le primaire puis en collège. Fondateur à la Libération des « Francs et Franches Camarades », il y fut à l’origine des revues Jeunes Années et Gullivore. Raoul Dubois est l’auteur d’ouvrages historiques pour la jeunesse tels que Au soleil de 36 (1986), À l’assaut du ciel (1990), Les Aventuriers de l’an 2000 (1990), Julien de Belleville (1996). Co-fondateur du CRILJ, il lui restera, organisateur et débatteur de talent, avec Jacqueline son épouse, fidèle sa vie durant. « Raoul Dubois a été un éminent lecteur de littérature de jeunesse, un critique exemplaire, toujours exigeant et ne confondant jamais littérature et pédagogie. Il savait lire, il aimait lire et il faisait vite la différence entre la cohorte des textes toujours à la mode, toujours au goût du jour, et les textes écrits. » (Yves Pinguilly). Raoul Dubois est mort en décembre 2004.

Yvonne Meynier

 

 

 

 

      Le 29 janvier, à Rennes, le Prix Korrigan 1996 a été décerné à Margot Bruyère pour son ouvrage Les aventures de Marion du Faouêt par chez Liv’Editions.

     Il s’agit là d’un des plus anciens prix de littérature de jeunesse, attribué chaque année par l’Association des Ecrivains de l’Ouest, fondé peu après la guerre par Yvonne Meynier et Robert Merle.

     Yvonne Meynier, un nom sans doute oublié aujourd’hui par les jeunes lecteurs mais toujours à l’esprit (et au cœur) d’un grand nombre de leurs ainés. Limousine  de naissance, elle se fixa à Rennes en 1938 pour suivre son mari André Meynier, professeur de géographie et nommé à l’université de la ville, une rue de Rennes portant aujourd’hui son nom. A partir d’août 1944, Yvonne Meynier créera et animera sur Radio Bretagne Comme une plume au vent, une chronique régulière. En 1946, parait son premier roman Marion de l’assistance, chez Calman-Lévy.

     A dater de 1958, elle se consacrera presque exclusivement à la littérature de jeunesse. Vingt neuf livres en guère plus de vingt années, dont Un lycée pas comme les autres que beaucoup aujourd’hui aimerait voir rééditer. Elle a reçu le Prix Enfance du Monde en 1961 pour Une petite fille attendait et le Prix Jeune France en 1972 pour Delphine reine de la lumière.

     Décédée un lundi de Pâques à l’âge de 97 ans, son souvenir est ravivé chaque année lors de la remise du Prix Korrigan.

     Dans le courant de 1997, l’Institut culturel de Bretagne prévoit d’organiser avec la Bibliothèque Principale de Rennes, une exposition consacrée à Yvonne Meynier avec les témoignages de tous ses amis et les documents et manuscrits cédés à la ville par ses filles.

 ( texte  paru dans le n° 58 – mars 1997 – du bulletin du CRILJ )   

meynier

Née le 15 mars 1908 à Bourganeuf (Creuse), enseignante, directrice de jardin d’enfants adepte de Maria Montessori, conférencière, productrice à la radio et à la télévision à partir de 1944 où elle assure des chroniques régulières de critique littéraire, Yvonne Meynier publie en 1958 son premier livre pour enfants, L’expédition du Puy Caprice, chez GP, en Rouge et Or Dauphine. Nombreux autres titres, romans ou albums, chez GP, Hatier, Magnard dont en 1962 Un lycée pas comme les autres qui reçoit le Grand prix de la littérature pour les jeunes, Erika des collines en 1964, Un cambriolage pour rire en 1980. Gros tirage, nombreuses traductions, adaptation de nombreux titres pour la radio et le théâtre.

 

Trente ans au service des enfants

    

 

 

 

 

     Ma collaboration avec Flammarion a duré trente ans.

     En 1967, au décès de mon père, l’Atelier du Père Castor n’existait plus. Encouragé par Henri Flammarion, je reprends seul la direction des collections du Père Castor et, travaillant d’abord à mon domicile, je deviens responsable d’un service à créer.

     Avoir des notions sur l’édition pour entreprendre et mener à bien un programme de production pour l’enfance et la jeunesse est certes nécessaire et peut satisfaire des objectifs purement commerciaux. En ce qui me concerne, j’ai considéré l’édition comme un moyen et non comme un but, le but étant d’établir une relation privilégiée avec les enfants. Je suis en effet convaincu que dans le domaine du livre pour enfants, la première donnée, c’est l’enfant.

     Mais de quel enfant s’agit-il ?

     Tout ce qui touche à l’enfance est souvent abordé et vécu sur le mode de la sensibilité, voire de la sensiblerie, de l’émotion voire de la passion. C’est que, pour beaucoup d’entre nous, les seules références dont nous disposons sont nos souvenirs de l’enfant que nous croyons avoir été.

     Les réactions devant l’enfant inconnu, mystérieux, varient de l’extrême solicitude à la condescendance, de la méfiance au rejet, la circonspection n’étant pas la pire des atitudes ni la plus rare. Les meilleures intentions de ceux qui s’adressent aux enfants ne sont pas suffisantes, ni les improvisations, ni les approximations. Un minimun de connaissance sur l’évolution et les besoins fondamentaux des enfants à chaque étape de leur évolution est primordiale. Espérances à sauvegarder, public à respecter, dès lors qu’on s’adresse aux enfants, ils ont droit à plus d’attention, à plus de respect, et si possible, à plus d’art que tout autre public. La responsabilité de l’éditeur est engagée et cette responsabilité n’est ni infantile, ni mineure, elle participe à l’éducation des hommes et des femmes de demain.

     Education ! Le maître mot est laché ! C’est la seconde donnée du livres pour enfants. Au sens large, conduire chaque enfant sur le bon chemin. Quand on aborde cette notion après avoir évoqué l’enfance et ses lois génétiques, surgissent généralement de nouvelles interrogations, dictées elles aussi par le souvenir, le souvenir de l’éducation qu’on a cru recevoir.

    La tâche, la mission que remplissent les éducateurs relève plus d’un art que d’une technique, un art aux exigences sévères, où tout est toujours à recommencer, génération après génération.

     Nées de l’Education Nouvelle, les productions du Père Castor sont restées fidèles à ces principes.

     Cette Education Nouvelle à l’écoute des besoins des enfants, et non de leurs caprices, suppose la faculté de s’adapter dans l’instant aux situations les plus imprévisibles. Elle reste aujourd’hui la meilleure voie, pour répondre à ce qu’exprimait Jean Piaget, « si l’on désire, comme le besoin s’en fait sentir, former des individus capables d’invention et faire progresser la société de demain, il est clair qu’une éducation de la découverte active du vrai est supérieure à une éducation ne consistant qu’à dresser les sujets à vouloir par volontés toutes faites et à savoir par vérités simplement acceptées ». Les enfants d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, pour développer harmonieusment leurs facultés ont besoin, autant que d’air pour respirer, d’un climat de sécurité affective, de valorisation, d’encouragement dans leurs entreprises constructives, surtout pour celles qui sont audacieuses, pourvu que les mesures de sécurité soient prises. Leurs rencontres avec le livre doit se faire sous le signe du plaisir, voire de la jubilation, c’est la troisième donnée du livres pour enfants.

     En étant fidèle à des principes éprouvés, les albums du Père Castor ont été récompensés par la fidélité du public. Ainsi les créations d’hier sont devenues aujourd’hui des classiques. N’est-il pas émouvant d’observer les enfants découvrant avec le même plaisir l’album Très fort illustré par Helen Oxenbury paru cette année et Michka illustré par Rojan qui avait déjà régalé leurs parents et leurs grands-parents ? Ce paradoxe n’est-il pas la cinquième donnée du livre pour enfants ?

     Le public des enfants représente un « marché » de plus en plus âprement disputé. La notion de rentabilité si, à elle seule, n’est pas suffisante, est cependant indispensable pour la création de nouveautés. C’est la cinquième donnée du livre pour enfants, valable pour toute autre production.

     C’est pour toutes ses qualités de défricheur, de bâtisseur, de pionnier, que le castor a été choisi comme symbole d’un programme constructif qui accompagne les enfants dès leurs premiers balbutiements, avant même un an, jusqu’à la lecture maîtrisée, dix ou douze ans et même au-delà.

     Parmi les fleurons de nos éventails figure L’imagier du Père Castor. Il s’adresse aux enfants qui ne savent pas encore parler. Toujours réimprimé, sans cesse remis au goût du jour par de nouvelles images, souvent copié, il a été traduit dans de nombreux pays grands ou petits et il existe une version en Croate, en Serbe, en Zoulou, en Islandais.

     A la pointe du progrès, le Père Castor a immortalisé des albums comme La Vache orange illustré par Lucile Butel, Marlaguette illustré par Gerda, La plus mignonne des petites souris illustré par Etienne Morel, Roule Galette illustré par Pierre Belvès, et plus de cent autres albums qui défient le temps et dont les illustrateurs et les auteurs de renon ont souvent fait leur début à l’Atelier.

     Et puis, « Le Roman des bêtes » dont chaque album présente un animal dans son milieu naturel à travers un roman palpitant pour découvrir la poésie de réel et le merveilleux de la nature, « Les enfants de la terre », collection d’amitié internationale qui souhaite faire comprendre et respecter les différences. la collection « Castor-Poche » riche de plus de cinq cent titres que les enfants achètent eux-mêmes et qui s’est imosée parmi les deux ou trois premières ollections de poche.

     « L’enfant n’est pas un vase qu’on emplit mais un feu qu’on allume. » disait Rabelais. Le Père Castor ajoute : « Je n’ai pas voulu des livres-entonnoirs, j’ai rêvé d’albums-éticelles. »

    Nous espérons donner aux enfants qui aiment nos livres, l’envie de grandir et d’entreprendre dans l’enthousiasme. Toutes ces convictions, je me suis employé à les faire partager avec tout ceux qui ont travaillé à l’Atelier du Père Castor.

     Aujours’hui, le Père Castor présente un catalogue de plus de mille titres, solide par son fond, diversifié par ses nouveautés. Avec une équipe de dix professionnels de l’édition et, pour certains, de l’éducation, un local bien adapté, un équipement informatique complet. Sous la direction d’Hélène Wadowski qui, a ma demande, a bien voulu nous rejoindre, ce département va franchir de nouvelles étapes.

     Si le Père Castor est devenu une institution, il a ses exigences dans le choix de ses critères, le plus important étant le respect de sa marque, pour lui-même et pour son public. Il a fallu du temps pour l’affirmer, il faudra de la vigilance pour la maintenir.

 Et pour l’avenir ?

     Le 30 juin 1996, je quitte mes fonctions de Directeur du département tout en poursuivant mes fonctions de Directeur de collections, je suis « le garant de la continuité de l’esprit et de l’image qui caractérise ‘le Père Castor » dans ses aspects créatifs, artistiques et pédagogiques notamment, tels qu’ils ont été conçus et développés à l’usage de la jeunesse. » Tout en participant aux comités de lecture et aux comités graphiques, je me consacrerai plus spécialement au développement des K7 audio et des CD-rom.

     Enfin, en tant que Président de l’Association des Amis du Père Castor, crée en 1995, j’aurai à réaliser le projet de la ‘Maison du Père Castor », qui sera élaboré dans le cadre du Pôle d’Economie du Patrimoine, ce projet ayant été retenu par la Délégation à l’Aménagement du Territoire Régionale.

 ( texte paru dans le n° 57 –  novembre 1996 – du bulletin du CRILJ )

 

        père castor

 Né à Prague en 1932, fils de Paul Faucher, le Père Castor, et de Lida Durdikova, François Faucher a pour parrain Frantisek Bakulé, éducateur adepte de l’Education Nouvelle, auquel il consacrera un livre, Franticek Bakule, l’enfant terrible de la pédagogie tchèque, en 1998. Après une enfance limousine, il choisit de devenir typographe. Mort de sa mère, deux ans de guerre d’Algérie. Son père, malade, l’appelle auprès de lui, chez Flammarion. Conditions de travail difficiles et licenciement en 1962. Rappelé par Henri Flammarion, François Faucher renouvellera et prolongera l’œuvre de son père à la mort de celui-ci en 1967. On lui doit notamment le premier Album du Père Castor en occitan et la création de la collection « Castor-Poche ». Parti à la retraite en 1996, il préside  l’Association des Amis du Père Castor qui, en 2006, inaugure à Meuzac (Haute-Vienne) une « Maison du Père Castor », lieu de mémoire destiné aux éducateurs, bibliothécaires, spécialistes de la littérature pour l’enfance et la jeunesse et simples curieux.