Du côté de La Farandole

 

 

 

 

 

      La création en 1955 de la maison d’édition La Farandole émane vraisemblablement d’une décision des instances du Parti communiste français et fut réalisée grâce à l’apport de capitaux de particuliers. Il s’agissait vraisemblablement d’adhérents qui apportaient ainsi leur soutien à l’initiative du Secrétariat général. La direction de la maison d’édition fut alors confiée à deux adhérentes du Parti qui présentaient les « garanties technico-politiques » souhaitées. Le Parti compléta sans doute par ce biais son appareil éditorial mais ne semble pas avoir imposé une quelconque ligne éditoriale au tandem formé par Madeleine Gilard, « directrice de collection », et Paulette Michel, au rôle plus administratif.

     Néanmoins, s’il ne semble pas avoir interféré sur le projet éditorial de la Farandole autrement que par une commune idéologie, il permit à La Farandole d’établir des partenariats avec ses organismes de diffusion : le Centre de Diffusion du Livre et de la Presse et Odéon diffusion et, peut-être, l’Agence Littéraire Artistique Parisienne …

     L’originalité de La Farandole réside dans son choix de proposer, bien avant les autres éditeurs, des ouvrages ouverts sur la vie sociale, l’histoire et les cultures étrangères. C’est une particularité qui procura son identité à la Farandole et qu’elle développa tout au long la période que nous avons étudiée. Elle sut, en partie grâce à l’impulsion de Régine Lilensten, faire de mai 1968 un tremplin pour en renforcer l’importance et aborder des sujets jusque là tabous.

     Pour faire aboutir cette volonté d’ouverture, elle s’entoura, dès ses débuts, d’auteurs et illustrateurs aptes à offrir ces perspectives aux lecteurs tout en faisant preuve de grandes qualités littéraires et picturales, voire artistiques. Au fil des ans leur nombre s’accrut et leurs horizons se diversifièrent, notamment grâce aux nombreuses traductions et aux coéditions que La Farandole mit en place avec des confrères (surtout du bloc de l’Est) à partir des années soixante.

     La constance de cette recherche de qualité prévalant sur une augmentation de sa rentabilité, La Farandole prit souvent le risque de publier de jeunes auteurs ou illustrateurs qui furent par la suite reconnus et acquirent une renommée importance dans le domaine de la littérature pour la jeunesse.

     Ce sont ces caractéristiques qui, à notre sens, permirent à La Farandole de s’implanter avec succès dans le paysage éditorial.

     Sa création prit pourtant place dans un contexte peu favorable aux nouvelles entreprises. De plus La Farandole choisit de dédier son activité uniquement à la littérature pour la jeunesse alors que la majorité des publications était réalisée par des départements ou secteurs de maisons d’édition généralistes ou scolaires qui pouvaient ainsi compenser d’éventuels échecs par le reste de leur production. Cependant la Farandole parvint à suffisamment se développer pour prendre l’ampleur et les statuts d’une société anonyme.

    Dès lors sa place au sein du milieu éditorial ne cessa de se renforcer et la maison d’édition conquit de plus en plus de spécialistes, critiques, bibliothécaires et enseignants. Sans jamais être véritablement connue du grand public, La Farandole se vit gratifiée d’un certain nombre de reconnaissances littéraires : critiques, sélection de livres, prix Jean Macé, prix international Hans-Christian Andersen. À la fin de la période étudiée, elle était parvenue à asseoir sa place de « petite maison d’édition novatrice », notamment grâce à Régine Lilensten, directrice dès 1972, qui semble avoir intensifié la communication de La Farandole. Elle avait également réussi à développer les relations avec d’autres éditeurs français et à ouvrir un marché au Québec.

     La Farandole était, à l’orée des années quatre-vingt, une petite maison d’édition bien implantée, certainement partisane mais pas propagandiste. Sans conteste, elle avait bénéficié du soutien du Parti communiste, de ses organes et de ses militants mais avait su s’implanter grâce au projet éditorial défini et mené par Paulette Michel et Madeleine Gilard. Elle avait d’autre part assis cette place grâce à une certaine professionnalisation de son activité et une redynamisation opérées par Régine Lilensten.

     Non déficitaire, elle fut cependant incorporée au groupe Messidor, pendant communiste des groupes capitalistes qui se constituèrent à la même époque et transformèrent l’édition française.

     Toutefois, le Parti communiste vécut une crise qui s’aggrava au cours des années quatre-vingt et dont le groupe Messidor pâtit, en plus d’essuyer des revers économiques. Faillitaire en 1992, Messidor fut racheté par le groupe Scandéditions qui fut lui-même mis en liquidation judiciaire en 1994. Une étude de l’histoire de la Farandole au cours de cette période permettrait de déterminer comment un tel contexte influa sur la gestion, la production et les lignes éditoriales de la maison d’édition ; si celles-ci furent transformées et, le cas échéant, dans quelle mesure. Par ailleurs, un tel travail permettrait peut-être de mieux saisir les raisons qui ont rendues cette liquidation particulièrement conflictuelle, et font aujourd’hui de l’histoire de la maison d’édition un sujet d’amertume.

 ( conclusion du mémoire de Master 2 d’Histoire Contemporaine Histoire de la maison d’édition La Farandole, 1955-1982 – juin 2009 )

   farandole

Née en 1985, Hélène Bonnefond effectue son cursus d’étudiante à l’université François Rabelais de Tours, avec le projet final de passer le concours de bibliothécaire territorial. Licence puis master d’histoire et, comme sujet de mémoire, sur une suggestion de Cécile Boulaire, maître de conférence en Littérature pour la jeunesse à l’université François Rabelais, Histoire de la maison d’édition La Farandole, 1955-1982. Travaillant actuellement comme assistante documentaliste dans un lycée professionnel, Hélène Bonnefond participe, à titre bénévole, aux activités de l’association tourangelle « Livre passerelle ». Elle hésite, pour les prochaines années, entre un travail de bibliothécaire, d’animateur en milieu scolaire et d’organisateur d’événements. Merci à elle pour nous avoir confié son mémoire.

 

 

 

 

Germaine Finifter

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    Germaine Finifter a disparu de façon tragique ce 22 août 1996 alors qu’en compagnie d’Aline Roméas, autre pionnière de la littérature de jeunesse, elle se rendait chez un écrivain. Germaine fut, lorsque j’entrai en littérature de jeunesse, l’une des personnes dont j’entendis parler et je la rencontrai bien vite en 1973 lors des réunions préalables à la création du CRILJ. Souvent ensuite, lors de rencontres, surtout parisiennes, nous partagions nos soucis de directrice de revue, nous évoquions certains livres, certains auteurs. Plus récemment, elle parlait avec tendresse et orgueil de sa famille multiculturelle et de ses petits enfants. Elle adorait les jeunes et son intérêt pour eux, à  quelque pays qu’ils appartiennent, de quelque race qu’ils soient. Elle put le manifester chez Syros à la fin des années 80 et en militant, le mot n’est pas trop fort, pour la compréhension entre les cultures. Qu’il s’agisse de la collection « Les copains de la classe » qui, par des témoignages de jeunes de différents pays fait connaître à nos enfants qui sont leurs ‘copains’, qu’il s’agisse de la collection « Les uns et les autres » qui, à travers des romans marqués par un caractère littéraire certain, font vivre aux jeunes lecteurs des moments durs de l’histoire, leur font prendre conscience de problèmes graves qui agitent les sociétés d’aujourd’hui, leur communiquent les valeurs de tolérance, de compréhension et de respect mutuels, la littérature de jeunesse de ces années 80 et 90 restera marquée par l’engagement de Germaine.

     Elle était ici, dans le village que j’habite, pour le colloque « Aux livres, jeunes citoyens ! » où sa communication « Les livres de jeunesse peuvent-ils être facteurs de changements ? » fut forte, communiquant ses convictions à l’auditoire et animant les débats avec l’énergie têtue et vibrante que nous lui connaissions. Elle avait promis d’y revenir, n’ayant pas eu le temps d’aller sur un lieu douloureux de sa vie, le camp de Gurs, où son mari avait été interné dans les années 40. Germaine ne viendra pas. Que ces modestes mots soient un témoignage de notre sympathie affectueuse.

 ( texte paru dans le n° 57 –  novembre 1996 – du bulletin du CRILJ )

 finifter

Née à Varsovie en 1923, après des études secondaires interrompues par la guerre, après des universités d’été et des séminaires pendant lesquels elle fréquente Georges Jean et Marc Soriano, Germaine Finifter rencontre Natha Caputo en 1954. Elle lui doit ses premiers travaux critiques dans Heures Claires. Elle fonde en 1960 la revue Livres Services Jeunesse en collaboration avec les enseignants et les parents de l’école Decroly de Saint-Mandé. Intervenante passionnée dans de nombreux stages ou colloques, directrice de collection chez  Nathan et chez Syros, elle écrira plusieurs ouvrages à caractère documentaire. Très active au sein du CRILJ, elle participera également, avec Christian Grenier, Béatrice Tanaka, Rolande Causse, Robert Bigot et quelques autres, à la rédaction du manifeste fondateur de la Charte des Auteurs et Illustrateurs pour la Jeunesse.

Des bébés, vraiment, des bébés ?

      Marie Bonnafé vient de publier Les livres c’est bon pour les bébés aux éditions Calmann-Lévy. Celà fait déjà  quelques années que ce type de conviction se tépand parmi les médiateurs du livre. Mais, à Promolej, on ne se contente pas de discours, on vérifie. Nous avons donc mis en chantier une expérimentarion, et nous en livrons ici les résultats.

     Précisons d’abord que les deux filles observées – nous avons chosi des filles car elles ont la réputation de lire davantage et plus tôt que les garçons – ne constituent pas un échantillon représentatif. Mais le fait qu’elles aient été choisies dans deux départements différents nous parait suffisant pour affirmer qie les constats de cette observation sont généralisables.

     La première photo représente un bébé-fille qui, depuis quelques mois déjà, est exposée aux images réitérées de livres destinés à la jeunesse. Comme chacun peut le constater, le bonheur ne semble pas à l’ordre du jour de cette petite lectrice.

     La seconde photo représente une fillette qui, nous l’avons pu vérifier, est soumise au feu roulant des livres depuis sa prime enfance. Apparemment cela ne s’arrange pas.

     Pourtant ces deux enfants sont issues d’un milieu socio-professionnel honnête où les parents lisent, elles sont nourries convenablement, elles regardent modérément la télévision et ne présente pas de tares apparentes.

     Soumises à un questionnaire de contrôle commençant par « Aimez-vous lire ? », elles se sont contentées de regarder l’enquêteur d’un air de profonde incompréhension.

     Suite à cette expérience, nous nous posons donc les questions suivantes :

 – A partir de quel âge, en réalité, peut-on parler de lecture-plaisir ?

 – Un contact trop précoce avec le livre embrume-t-il l’esprit de l’enfant ?

 – Dans la mesure où les fillettes n’ont pas répondu au questionnaire, peut-on penser que lire trop tôt rend sourd ?

  – Doit-on plutôt incriminer la nature des livres lus ? Comme on peut le constater sur les photos, aucun n’est un classique.

 – Où s’agit-il de surcharge cognitive ?

     Cette expérience sera prochainement généralisée à un troisième enfant.

( texte  paru dans le n° 51 – juin 1994 – du bulletin du CRILJ )

bébé

Né en 1944 à Paris, habitant le département de la la Sarthe depuis 1959, Christian Poslaniec est écrivain (romans, albums, poèmes, nouvelles, documentaires, polars et pièces de théâtre), spécialiste « tout terrain » de la littérature jeunesse : enseignant, formateur et organisateur de formation, chercheur, conférencier, directeur de collection (Zanzibar aux éditions Milan). Auteur de L’évolution de la littérature de jeunesse, de 1850 à nos jours, au travers de l’instance narrative (thèse publiée en 1999 aux Presses Universitaires du Septentrion), nommé en 2003 président de la commission de choix des livres pour la jeunesse du ministère de l’Éducation nationale, il vient de publier dans la collection Découvertes (Gallimard) Des livres d’enfants à la littérature de jeunesse. Christian Poslaniec est avec Christine Houyel à l’origine de Promolej, regroupement pour la « Promotion de la lecture et de l’écriture des jeunes ».

Quand les enfants font des livres

Le samedi 16 janvier 2010 a eu lieu à la bibliothèque l’Heure Joyeuse, rue des Prêtres-St-Séverin à Paris, sous l’intitulé Petites empreintes et livres d’art : si les enfants se mettent à faire leurs livres, une passionnante journée d’étude.

     En ouverture, Jean-Claude Utard, adjoint au chef du bureau des bibliothèques et de la lecture à la ville de Paris, explique que cette journée répond aux principes historiques de l’Heure joyeuse, l’accent étant mis sur l’enfant acteur, l’enfant créateur. Elle participe de cette volonté d’assurer une continuité entre praxis et théorie et s’inscrit dans la politique des bibliothèques de la ville. Jean-Claude Utard précise qu’en 2009 des ouvertures de nouvelles bibliothèques ont été réalisées (Chaptal et Quartier de la Réunion) et que le budget pour les acquisitions a été maintenu. Cette rencontre, ajoute-t-il, a longuement muri. C’est le résultat de contacts pris lors du Mai du livre d’art, d’un travail avec Catherine Binon, artiste plasticienne, une suite à l’exposition et aux ateliers de 2009 autour des empreintes, de la gravure et de la fabrication de livres par les enfants.

    Les participants ont ensuite été conviés à entrer dans un moment d’art et de pensée en écoutant, lues par le comédien Greg Germain, les réponses d’Edouard Glissant à des questions comme : comment imaginez-vous une éducation de la différence ? Comment rendre compte de la créolisation ? Pensez-vous qu’un nouvel imaginaire passe par les enfants ? Nous retiendrons qu’il n’y a pas de règle pour cette éducation. La seule orientation est d’inviter à imaginer, à renouveler nos perceptions. Des éléments sont porteurs et déclencheurs d’imaginaire : les cartes, les déserts, les sommets de montagnes, les fleuves navigables ou non. Partons des florilèges sur ces espaces. D’autre part, enseignons les convergences plutôt que les différences. Les enfants sont plus ouverts que les adultes, confondent moins racines et enfermement. Leur imaginaire est inattendu, rebelle. Mais il n’y a pas de révolte incontrôlable, donc sans fruit. Facilitons la relation, l’art de la relation au « tout monde ».

    Emmanuel Pernoud, historien de l’art, parle des mouvements d’avant-garde, de leur production, de leurs apports dans le rapport adulte/enfant. L’art enfantin a nourri l’art moderne et l’enfance devient la substance même de l’art. Pour lui, les représentations de l’enfant dans les arts et dans l’illustration permettent d’établir des parallèles. Livres pour enfants et œuvres d’art se répondent. Le jeu, dans ces deux supports peut être pédagogique mais aussi pure gratuité, associé à la création et même à la transgression. On peut trouver dans les illustrations un idéal d’enfance avec aussi des contre exemples qui s’adressent à l’enfant lecteur. En littérature, le  personnage de Cosinus est à l’image de l’enfant, résistant. L’intervenant s’appuie sur les créations de Maurice Boutet de Monvel, illustrateur de livres pour enfants, sur des œuvres de Bonnard, Promenade des nourrices, de Picasso, de Félix Vallotton. Il rappelle la fantaisie des compositions de Claude Debussy et de Maurice Ravel où l’écart à la règle est dissonance mais aussi jeu.

    Le jeu est source première des artistes. Pablo Picasso peint des jeux avec règles mais utilise aussi des assemblages hybrides, combine des matériaux. L’artiste d’avant-garde est entre le jeu et la création, explore les deux. Le jeu est visible chez Henri Matisse, Kasimir Malevitch, Max Ernst, Otto Dix, Alexander Calder, Philippe Garcia. L’enfance est tenue comme génie brut. Les réalisations de Jean Dubuffet ou du mouvement Cobra ont été comparées à celles des enfants mais ici les représentations des artistes sont feintes. Le dessin d’enfant a intéressé les artistes. Paul Klee avait conservé certains de ses propres dessins d’enfant – dont plusieurs sont intégrés, signés, dans le catalogue de son œuvre – puis ceux de son fils Félix. Matisse, Picasso, Miro, se penchèrent non moins, avec une attention admirative, sur les dessins de leurs enfants ; mais aussi, plus tard, les membres du groupe Cobra (en particulier Karel Appel) et Jean Dubuffet (en 1939/1940 déjà), constituèrent leurs propres collections. Selon Picasso, il ne faut pas imiter l’enfant mais faire comme lui : « Il m’a fallu, dit-il, toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. » Un livre : L’invention du dessin d’enfant en France, à l’aube des avant-gardes d’Emmanuel Pernoud chez Hazan (2003).

    François Ruy Vidal revient sur sa carrière d’enseignant, d’auteur, d’éditeur. Il avait constaté combien l’illustration était descriptive, narrative et, pour lui, il fallait revenir à Gustave Doré, Granville, William Black, Jérôme Bosch, Breughel. Il plaide toujours  pour que l’enfant puisse ne pas être conditionné et privé de prise de conscience. « L’enfant rappelle à l’homme ce qu’il a été ». En tant qu’éditeur, il a aidé les artistes à s’exprimer à l’intention des enfants sans s’expurger. Il va raconter ses ouvrages comme La courte Echelle et Les métamorphoses d’Alala. Il rappelle ses souvenirs et revient sur ses 20 ans, en 1951, sur ses trois fées marraines et marâtres. Françoise Dolto, Christiane Faure, Mathilde Leriche ont, toutes les trois, eu une influence sur son travail – Françoise Dolto ayant aussi « assassiné » son travail.  

    Claude Ponti, auteur-illustrateur, présente le projet Muz et invite à visiter le site (lemuz.org). C’est un musée virtuel qui a reçu l’aide de la région Ile de France, d’éditeurs comme L’Ecole des Loisirs, Gallimard, et qui a de nombreux parrains. On y circule par thème, technique, âge, sexe, origine des artistes, etc. Il se compose d’une collection principale et de collections particulières (pédagogie Freinet, Constellation, collection Germaine Tortel). On y trouve des travaux conduits par l’association La Source. On peut y exposer temporairement des projets. Les enfants du monde ont ainsi l’occasion de communiquer. Ce site est bien dans l’esprit de pédagogues comme Célestin Freinet, Arno Stern, Maria Montessori, qui envisagent l’enfant créateur et non artiste, et dans la volonté d’échanger en utilisant les moyens de communication de son époque.

     Emmanuel Morin, plasticien, nous présente l’abbaye de Fontevraud et les projets artistiques conduits dans ce site prestigieux. Ils ont pour but de faire venir et de faire participer la population locale. Les artistes résidents ou invités montrent à leur manière les lieux. Les œuvres des enfants sont incorporées dans les expositions, conservées parfois dans différents espaces dont les écoles. Un projet a été  conduit autour des écrits de Jacques Le Goff sur le Moyen Age. La série des « cahiers » commencée avec Paul Cox puis continuée avec François Place peuvent être acquis.

     Beaucoup d’humour dans la communication de Roger Dadoun, philosophe et psychanalyste, qui emploie deux expressions qui vont de soi, et pourtant ! Enfant créateur, enfant héritier. L’enfance, la féminité sont liés, elles nous échappent. Comment le peuvent-elles,  alors qu’elles sont si concrètes ? Il y a un refoulement originel. C’est l’homme qui fait ce travail de refoulement en sectorisant, en découpant,  pour surmonter ce refoulement. Mais subsiste une volonté de connaître ce monde de l’enfance qui semble résister. L’enfant est à saisir comme ébauche et comme débauche. Ebauche est une image qui court dans tous les esprits. Lorsqu’il crée sa production est jugée incomplète par rapport à un modèle adulte parachevé. L’enfant pourrait être toutefois perçu comme l’ontogénèse récapitulant, reprenant le développement de l’espèce elle-même comme l’expose la loi de Haeckel. Ce serait une manière d’approcher l’enfant comme autocréateur et de voir dans  ses productions une compétence originaire, une capacité à travers des signes. Pourquoi y-a-t-il refoulement ? L’espèce humaine est une espèce qui ne se supporte pas. L’être humain est « dénaturé » car il ne dispose pas des atouts des autres espèces, en plus il le sait. C’est un « pervers polymorphe ». Il y a eu castration, une schize, une coupure. L’homme ne se supportant pas lui-même projette sur la femme et l’enfant. L’enfant lui est « insupportable » alors qu’il peut être charmant, parce qu’il interroge. C’est une interrogation de l’espèce donc c’est insupportable. L’enfant avenir est porteur d’une contradiction. L’enfant héritier, totalement héritier, n’est plus lui-même, mais il ne peut pas ne pas résister. Alors l’adulte est dérouté. L’enfant vit une étape difficile. Il faut se projeter d’une façon anthropologique et se dire qu’il est notre, semblable. Le mot d’enfant que l’adulte relève c’est la permanence de l’enfance qu’il écoute. Savoir porter l’enfance en soi toute sa vie, c’est porter l’ancien de l’espèce humaine.

     L’après-midi, la création et ses moyens d’expression sont abordés par plusieurs  intervenants, enseignants, plasticiens, illustrateurs. Un lien est fait entre la capacité de dessiner et la capacité d’écrire. Plusieurs définitions de l’enfant artiste se superposent. L’accompagnement est catalyseur de l’expression. Le maître est là pour aider à choisir le langage le mieux adapté à une envie de dire, de communiquer. Chaque personne peut  alors exprimer sa singularité. L’atelier artistique est un lieu de communication, un lieu d’expérimentation pour un travail sur soi et avec les autres.

     Les interventions de cette journée ont témoigné d’une valeur accordée à l’enfance se traduisant particulièrement dans la considération dévolue par les adultes aux productions et expressions des enfants. Elles sont une invitation à poursuivre le voyage en se rendant sur différents sites comme celui de l’abbaye de Fontevraud ou de Muz, en allant voir les livres-maison de la maison d’édition Homecooking, en regardant autour de nous les productions des nombreux lieux associatifs ou institutionnels de pratique(s) artistique(s).

    L’éducation nouvelle a souvent servi de référence, pour montrer comment ses préceptes sont repris. Les interventions nous renvoient aux travaux de Lévy Strauss et à ses propos : « Reste à savoir si c’est l’école qui a tort, ou une société qui perd chaque jour davantage le sens de sa fonction. En posant le problème de l’enfant créateur, nous nous trompons de sujet : car c’est nous-mêmes, devenus consommateurs effrénés, qui nous montrons de moins en moins capables de création. Angoissés par notre carence, nous guettons la venue de l’homme créateur. Et comme nous ne l’apercevons nulle part, nous nous tournons, en désespoir de cause, vers nos enfants. » (in Le regard éloigné, Plon, 1983 ; première publication dans La nouvelle revue des deux mondes en 1975).  art enfantin

Inspectrice d’académie et inspectrice pédagogique régionale vie scolaire honoraire,  Anne Rabany s’intéresse à la littérature pour la jeunesse depuis son entrée dans l’enseignement.  Elle a participé à différentes actions de promotion de la lecture : plans lecture de la ville de Paris et de l’académie de Créteil, développement des BCD, formation d’animateurs, tournées culturelles pour les centres de vacances de la CCAS/EDF, etc. Publications dans de nombreux périodiques (Textes et documents pour la classe, Ecole des parents, Monde de l’éducation …) Contributions à plusieurs ouvrages collectifs dont une étude sur « Les enfants terribles dans les albums » dans L’humour dans la littérature de jeunesse paru chez In Press en 2000. Anne Rabany intervient au niveau des masters 1 et 2 d’édition à Montauban (Université Toulouse II Le Mirail) ainsi qu’au Pôle Métiers du Livre de Saint Cloud (Université Paris X). Elle participe, au plan national, à l’activité quotidienne du CRILJ. Elle a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.

 

 

 

 

Paul Berna

Jean Sabran, l’homme aux pseudonymes – Bernard Deleuze chez Denoël, Paul Gerrard aux Presses de le Cité, Paul Berna chez Rouge et Or – vient de disparaitre.

    Né en 1908 dans le Var, marié à Jany Saint-Marcoux, elle-même auteur pour la jeunesse, il exerce différents métiers – comptable, rédacteur, agent d’assurance – avant de se consacrer à la littérature.

    Après des débuts en littérature générale en 1947, il commence à écrire en 1953 pour les jeunes et, en 1955, remporte le Grand Prix du Salon de l’Enfance avec Le Cheval sans tête publié aux Editions Rouge et Or. Ce roman, depuis quarante ans constamment réédité, a été traduit en une quinzaine de langues dont les langues scandinaves, les langues slaves, le japonais, l’hébreu. Il a été porté à l’écran par les productions Walt Disney.

    D’autres prix ont été décerné à Paul Berna : en 1956, le Grand Prix des Parents d’Elèves pour Le Champion et, en 1950, l’Edgar Poë Award du meilleur roman policier pour L’Epave de la « Bérénice ». Il est le seul auteur français a avoir reçu cette distinction.

 ( texte paru dans le n° 50 – mars 1994 – du bulletin du CRILJ )

     berna

 Les enfants de la bande à Gaby ne sont pas riches. Pourtant, ils possèdent un trésor inestimable : un vieux cheval à roulettes qui leur permet de dévaler la rue dans de grands éclats de rire. Les chutes ne sont jamais graves, même si l’on y perd une ou deux dents de lait. Mais un trésor attire forcément les voleurs et, un jour, les enfants sont entrainés dans une aventure plutôt cocasse. La gare de triage et le hangar abandonné cachent des mystères que le commissaire Sinet ne découvrira pas tout seul …

« Et Marion sifflait toujours dans la nuit noire du Clos Pecqueux. Son appel affaibli parvint jusqu’aux maisonnettes du Petit-Louvigny et du Faubourg-Bacchus, déchaîna comme une épidémie de rage parmi les bouffeurs de lion du quartier, chiens de chiffonniers, bâtards de bâtards, voyous, bagarreurs, qui n’avaient peur de rien et vivaient comme des hors-la-loi en marge des belles rues à magasins. Toute affaire cessante, cette racaille surgit en trombe des terrains vagues et des baraques en planches, déferla en pleine ville, traversa la Grand-Rue et la rue Piot, tourna par la rue des Alliés, s’engouffra dans la rue des Petits-Pauvres en bloquant toute la largeur de la chaussée. Pipi, le fox jaune et blanc de Juan-l’Espagnol, menait la charge avec Arthur, le chien du vieux Chable, un corniaud bas sur pattes, avec une tête de chacal, un dos rugueux comme un tapis-brosse, un oeil noir et l’autre bleu. »  (Le Cheval sans tête)

 

   

De l’usage difficile des index et des statistiques

      Le CRILJ qui s’intéresse aux mouvements de traduction essaie depuis toujours de promouvoir le livre pour la jeunesse français à l’étranger. Il est toutefois difficile de faire un recensement, sur deux ans, des ouvrages traduits du français vers l’étranger.

     Par contre, une étude relative aux ouvrages étrangers traduits en France a pu être  effectuée en prenant comme base « Les livres du mois » de La Bibliographie de la France. S’agissant des livres français traduits à l’étranger, peuvent être utilisés, d’une part, avec plusieurs années de retard, l‘Index Translationum de l’Unesco et, d’autre part, les renseignements fournis pour l’édition de l‘AZ des auteurs et illustrateurs francophones pour la jeunesse édité par le CRILJ en 1991 et remis à jour en 1994.

     Prendre en compte les statistiques est une façon concrète de poser le problème. J’ai donc simplement repris les parutions de l’année 1995, avec une possibilité de comparaison pour les années 1982 et 1991/92 pour lesquels le CRILJ avait mené une étude lors d’un colloque relatif aux problèmes économiques et culturels dans l’édition de la littérature de jeunesse.

     La nouveauté qui ressort de cette confrontation est la part de la création française par rapport aux années antérieures et les nombreux échanges que l’on a sur ce sujet  montrent qu’il y a une vraie richesse de la création française.

     En 1982, on dénombrait environ 54% de livres traduits dont 90% de livres anglo-saxons. En 1992, le chiffre était de 36% et de 30% en 1995, avec encore une propondérance de l’origine anglo-saxonne (81% de l’ensemble des livres traduits). Notons qu’il n’est pas simple de déterminer le pays d’origine des ouvrages de langue anglaise car les traductions ou les adaptations de livres américians ou canadiens portent le plus souvent la simple mention « traduit de l’anglais ». L’ensemble des autres pays  représentaient, en 1992, 19% – ce qui est très peu.

     En 1995, les traductions se ventilent entre 40% d’albums, 25% de romans, 24% de documentaires alors qu’en 1982 la répartition était sensiblement à parts égales : 34%, 31%, 27%. Il faut, je crois, noter à part les parutions « Walt Disney » qui représentent chaque année environ 10%.

     Mais on trouve aussi des choses étonnantes : Shakespeare traduit du tchèque, Perrault, Madame Leprince de Beaumont, Andersen traduits et adaptés de l’américain, Heidi traduit et adapté du danois, tout autant de pratiques qui nous renvoient aux épineuses questions de marché et de co-édition internationale.

     Comme indiqué plus haut, la part des ouvrages d’origine « Walt Disney » est importante. En 1995, sur environ 1800 nouveautés parus, on relève 78 livres dits « classiques » et 55 ouvrages « Walt Disney ».

     Que ce soit avec les petits albums sans nom d’auteur et d’illustrateur (160 titres répertoriés), qui se vendent très facilement, ou avec les albums de grand format signés par leurs auteurs et illustrateurs, il est difficile – à moins d’avoir l’ouvrage en main – d’en connaitre la provenance exacte entre Grande Bretagne et Etats-Unis. Parfois même, l’auteur ou l’illustrateur étant mentionné, le pays d’origine diffère.

     Il est indiqué 35 livres traduits de l’allemand. En y regardant de près, on s’aperçoit que 25 de ces livres ont été publiés directement en français par les éditions Nord-Sud basées en Suisse alémanique.

     En fait très peu de livres viennent d’Allemagne, un peu plus d’Espagne et d’Italie, essentiellement des petits albums. On relève aussi, assez souvent, des traductions « à l’unité » : un livre de Pologne, deux livres de la République Tchèque dont une réédition, un Baba Yaga venu de Russie, ce qui n’est pas vraiment une nouveauté.

    En fait, très peu d’auteurs contemporains sont traduits. Lorsqu’il y a quelques années nous avons affectué une recherche pour des collègues du Mans qui souhaitaient établir des relations entre leurs classes de quatrième et les douze pays de la communauté européenne en édudiant en commun un auteur traduit dans chacun des pays, il nous a été impossible de trouver cet auteur parmi les contemporains.

     L’Index translationim édité par l’Unesco est sur CD-rom en listing alphabétique. Mais les auteurs ne sont pas répertoriés en tant qu’auteurs écrivant pour la jeunesse. Nous envisageons au CRILJ de nous mettre à l’ouvrage. Nous aurons ainsi, dans le domaine d’intervention qui est le notre, en complément de notre AZ des auteurs et illustrateurs, une vision plus satisfaisante des échanges littéraires à travers le monde.

 ( texte paru dans le n° 48/49 – avril 1993 – du bulletin du CRILJ )

traduction

Quittant les éditions Stock quand Hachette rachète la maison, Monique Hennequin entre à l’Association nationale pour le livre français à l’étranger (Ministère des Affaires étrangères) où elle est l’adjointe de Lise Lebel. Elle publie chez Seghers en 1969 un Dictionnaire des écrivains pour la jeunesse de langue francaise, non signé, pour la section francaise de l’Union internationale des livres pour la jeunesse. Travaillant ensuite à mi-temps au Comité permanent du livre français à l’étranger (Ministère de la Culture), elle assure à compter de 1980 le secrétariat général du CRILJ. Déclarant volontiers ne pas être une militante, Monique Hennequin fut, pendant trente années, l’indispensable cheville ouvrière de l’association.

Lire et puis voter

  

 Quand le plaisir de lire est associé à une véritable démarche citoyenne

     Depuis six ans, le CRILJ Bouches du Rhône, dont le siège est à Velaux, organise, dans des établissements scolaires, centres de loisirs, médiathèques et maisons de retraites, le « Prix Chronos » de littérature.

     Ce prix, créé par la Fondation Nationale de Gérontologie, propose aux participants de tous âges de lire des ouvrages ayant pour thème les relations entre générations, la transmission du savoir, le parcours de vie, la vieillesse, la mort et a pour objectif de  primer les meilleurs albums et romans traitant des relations entre générations et d’éduquer à la citoyenneté grâce au vote individuel.

     Dès l’engagement dans ce projet, en 2003, projet alors soutenu par la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports, nous nous sommes efforcés de former, soutenir et même aider financièrement les responsables de structures éducatives de plusieurs villes du département, intéressées : Les Pennes-Mirabeau, la Fare les Oliviers, Vernègues, le Tholonnet, St-Chamas, Vitrolles, Mallemort, le 13 ième arrondissement de Marseille, Berre.

     Cette action a été reconnue par l’obtention du « Prix D’Age en Age », qui récompense les associations qui font participer le plus de lecteurs d’âges différents, prix honorifique dispensé par la Fondation Nationale de Gérontologie.

     A Velaux, voilà cinq ans que nous prenons en charge l’organisation du Prix Chronos pour faire lire et voter les enfants des deux groupes scolaires, certaines classes du collège Roquepertuse, des enfants du centre de loisirs Evea, les jeunes du comité de lecture de la médiathèque et, cette année, des résidents de la maison de retraite, sans compter les adultes qui participent volontiers à cette aventure.

     Tous ces lecteurs se retrouvent le jour du vote, carte d’électeur en main, dans différents bureaux : médiathèque, maison de retraite et même, une année, mairie, tenus par un élu de la commune. A Velaux, la participation amicale des élus sollicités donne à l’évènement un caractère solennel.

     Les enfants se souviennent longtemps après de ce jour où, à tour de rôle, dans le calme et le respect des règles, ils sont passés par l’isoloir, ont mis le bulletin choisi dans l’urne, ont signé la feuille d’émargement et, pour certains, participé au dépouillement. Plusieurs « grands » sont fiers de présenter leur carte d’électeur précieusement conservée d’une année sur l’autre et quelle responsabilité pour ces petits de maternelle qui, cette année, sont arrivés avec la procuration de leur parents pour voter à leur place car, oui, les parents ont le droit de lire aussi et ils ont le droit d’exprimer leur choix !

     Une innovation cette année : la création, à Velaux, d’un prix de poésie, « le Prix Ronsard », demandé par les enseignants du primaire, présenté et organisé selon le même processus que le « Prix Chronos ».

     Ce prix a eu un tel succès et a eu des prolongements si prometteurs (voir l’exposition itinérante réalisée par l’atelier d’art graphique du CASL) que nous nous préparons à renouveler cette action qui permet de sensibiliser à la magie des mots et à l’art de la poésie. 

 

  chronos

Née à Tunis en 1941, Mireille Joly doit à son institutrice de CM2 sa passion pour les lectures partagées. Psychologue scolaire, formatrice en Ecole Normale, directrice de CVL, responsable pendant dix ans d’un organisme de formation, elle est depuis fort longtemps impliquée dans la promotion de la littérature de jeunesse : création de coins-lecture en milieu scolaire et en centres de loisirs, animation de BCD, introduction de la littérature pour la jeunesse dans la formation initiale des animateurs présentant le Bafa et le Bafd, mise en place de stages spécifiques. Adhérente du CRILJ depuis plus de vingt ans, elle est l’actuelle présidente de la section locale des Bouches du Rhône qui, dans le cadre de ses nombreuses activités, apporte un soutien sans faille au Prix Chronos.

 

 

 

 

Alice Piguet

 

     » Pourquoi j’écris pour les jeunes ? Parce que je les aime et parce que c’est difficile.

     J’ai eu le privilège d’être élevée par une mère exigeante qui combattait la bassesse d’âme, la petitesse d’esprit, mais respectait les dons d’enfance.

     J’ai grandi, de ce fait, sans me dépouiller de cette aura spéciale aux jeunes et aux peuplades primitives. Bref, j’ai été mal élevée, si l’on s’en tient aux critères conventionnels, mais je me trouve de plain-pied avec les enfants et je préfère leur compagnie à celle des adultes.

     En littérature, le roman pour enfants est le genre le plus difficile qui soit. Il y faut, non seulement une grande aisance de langue, mais encore un sens développé de la construction : un mauvais synopsis ne retient pas l’attention des jeunes lecteurs.

     A cela, il  faut ajouter des clartés sur la vie de la nation, les mœurs, les nouvelles méthodes d’éducation, les progrès de la science, la psychologie et l’optique enfantine, la camaraderie, le sport. Cet ensemble de connaissances doit demeurer en toile de fond et ne jamais montrer le bout de l’oreille.

     L’auteur doit s’amuser en écrivant et seulement s’amuser.

    Ecrire pour les enfants, comme c’est gentil ! Comme j’aimerais ! s’écrient les femmes du monde. Eh là, mesdames, en échange de tout ce travail, qu’obtiendrez-vous ? La rentabilité ? Médiocre. La considération ? Nulle. En France, un écrivain pour les jeunes est un écrivain qui n’a pas su faire autre chose. Reste l’amour que les enfants portent à l’auteur à travers ses héros, et c’est cela la vraie récompense.

     Mais quoi, s’occuper des jeunes, n’est-ce pas tenter de les aider à devenir des hommes ? C’est dans cet espoir que j’écris. J’écris me servant plus souvent des ciseaux et de la gomme que du stylo. Et je sais bien que j’écrirai jusqu’à mon dernier souffle, parce que le livre, le vrai, celui qui portera enfin toute la chaleur de mon esprit est de mon cœur est encore à naître. »

     C’est cette Alice-là, transcendée, qui m’apparut à travers la petite dame d’un âge certain qui poussa un jour la porte de mon bureau. Ce fut elle l’instigatrice de notre collabotation auteur-éditeur qui, de 1965 à 1978, donna naissance à la trilogie des Tonio, à Traine les cœurs et à Tremblez Godons.

     Je savais à quel point elle était agacée parfois par des remarques du comité de lecture qui, disait-elle, n’avait absolument rien compris à sa démarche, combien elle était irritée des lenteurs éditoriales, par des délais trop longs de parution. Elle faisait partie sans nul doute de ce que j’appelais les « auteurs-oursins ». Mais elle fut certainement celui d’entre eux avec lequel j’entretins des relations de travail les plus passionnantes, dès que j’avais sauté par-dessus les fils barbelés de ses récriminations.

     Je lui demandais un jour de m’expliquer cette passion pour l’Histoire. Elle me démontra combien il était capital que les jeunes d’aujourd’hui ne se croient pas le fruit d’une génération spontanée, mais l’aboutissement de l’évolition qui leur a donné naissance. Elle m’expliqua le plaisir intense qu’elle éprouvait à se documenter, la joie de comparer sa propre vie à celles d’autres temps, révolus, et de pouvoir ainsi relâcher la pression du quotidien et les inévitables tâches matérielles et soucis qu’elle engendre.

      » Après les notes, les fiches, enfin toute la compilation, vient le temps de me laisser vivre avec mes personnages, de leur donner vie et forme à partir de ce que j’ai pu apprendre sur leur époque. C’est exaltant de penser que mes lecteurs vont s’enrichir à leur tour de ce dont le me suis enrichie, et peut-être se révéler à eux-mêmes à travers mes histoires. »

     Cette possible maïeutique la stimulait tout particulièrement : « Quand mes romans sont mûrs, je les cueille. » J’entendais : quand j’ai porté mes romans en certain temps dans ma tête, je les écris.

     Elle n’éprouvait aucune honte à avouer qu’elle écrivait pour les enfants, bien au contraire, et elle se moquait de ceux qui, disait-elle, se vantent, non sans une « prétention matinée d’hypocrisie » de faire avant tout une œuvre littéraire, sans viser un public déterminé.

     Alice Piguet contribua comme Pierre Devaux, René Guillot, Léonce Bourlaguiet, Claude Cénac, Nicole Ciravégna, Pierre Debresse, Susie Arnaud-Valence, Robert Escarpit et bien d’autres auteurs à enrichir de textes de qualité la collection « Fantasia » qu’alors je dirigeait. Parmi eux, certains nous ont quitté, mais ils survivent dans leurs œuvres comme témoins, pour les jeunes d’aujourd’hui, de valeurs auxquelles le temps n’oppose pas de barrière.

     Alice Piguet a désormais franchi le miroir des apparences. Au revoir, chère Alice – par delà l’espace et le temps.

 ( texte publié dans le numéro 48/49 – avril 1993 – du bulletin du CRILJ )

piguet

 Née à Nîmes en 1901, découvrant le pouvoir de la littérature à sept ans en lisant Les mémoires d’un âne, Alice Piguet aura vécu sous le signe de l’enfance : garderies et visites aux enfants malades dès sa classe de philosophie, articles dans un petit journal, éducation de ses propres enfants, intérêt marqué pour la pédagogie nouvelle, contribution régulière à la page des jeunes de La mode pratique, institutrice dans un village de Saône-et-Loire, écrivain s’adressant, à compter de 1945, principalement aux jeunes lecteurs et, de la fin de la guerre à 1958, membre rapporteur de la Commission de Contrôle de la Presse Juvénile. Hormis pour Thérèse et le jardin (Bourrelier) qui recevra le Prix Jeunesse à l’unanimité des membres du jury, les romans d’Alice Piguet se déroulent tous à des époques éloignés sur lesquelles elle se documente scrupuleusement. Prix Fantasia en 1966 pour Tonio et les Tarboules (Magnard), un de ses meilleurs livres.

 

 

   

 

   

   

 

Petits cailloux de création

     Si écrire fait partie d’une nécessité et d’un désir profondément ancré en moi-même, n’y aurait-il pas, dans cet acte, égoïsme mais aussi don et appel incertain vers l’autre ?

     Tout être ne vit-il pas d’intenses moments qui le marquent et l’écrivain n’est-il pas celui qui se laisse aller à les écrire même si cela lui demande energie, courage et entêtement ?

     N’éprouve-t-il pas alors une distance avec les propres évènements de sa vie, accompagnés d’un certain bien-être, soulagement et plaisir d’avoir créé ce texte ?

     Mais l’écrivain ne cherche-t-il pas, au-delà de sa question primordiale, à donner une universalité à son récit ? Il souhaite secrètement que chaque lecteur vive cette histoire, non seulement comme la sienne, mais aussi comme le reflet qui porte les signes d’universalité.

     Ecrire c’est capter la sensibilité, les sentiments, décrire de l’intérieur le cercle du ressenti d’un être ainsi que la construction de ses pensées.

     Mais c’est aussi développer les cercles extérieurs, le lieu de naissance, les paysages d’enfance, la lumière, la faune, la flore, toute cette extériorité qui influence. Ce sont aussi les lieux de vie, campagne ou cité, ainsi que tous ceux qui nous entoure, protègent, vivent ensemble.

     Ecrire, c’est nouer les fils d’une tapisserie autour de la mémoire d’un groupe. Ecrire, cercle après cercle, c’est voir naître personnages et monde, sensibilité et pensées, afin que le lecteur puisse s’identifier et reçoive quelque réponse à ses propres interrogations.

 ( article paru dans le n°70 – juin 2001 – du bulletin du CRILJ )

 rolande causse

Rolande Causse travaille dans l’édition depuis 1964. Elle anime, à partir de 1975, de nombreux ateliers de lecture et d’écriture et met en place, à Montreuil, en 1984, le premier Festival Enfants-Jeunes. Une très belle exposition Bébé bouquine, les autres aussi en 1985. Emissions de télévision, conférences et débats, formation permanente jalonnent également son parcours. Parmi ses ouvrages pour l’enfance et la jeunesse : Mère absente, fille tourmente (1983) Les enfants d’Izieu (1989), Le petit Marcel Proust (2005). Nombeux autres titres à propos de langue française et, pour les prescripteurs, plusieurs essais dont Le guide des meilleurs livres pour enfants (1994) et Qui lit petit lit toute sa vie (2005). Rolande Causse est au conseil d’administration du CRILJ.

 

 

Photocopillage et googlelisation

Récemment, une jeune institutrice bien intentionnée m’a invité dans sa classe après avoir commencé la lecture d’un de mes romans publié, en poche, chez un petit éditeur. Brandissant un exemplaire sorti de son sac, elle m’a révélé en désignant les feuilles agrafées posées sur chacune des vingt-cinq tables : « J’ai dû le photocopier, nous n’avons aucun budget pour l’achat des livres. »

    Rien d’exceptionnel, ce n’est pas la première fois que je me trouve confronté à ce problème. J’explique à l’enseignante que cette pratique coûteuse (et interdite) contribue à tuer le livre. Coûteuse ? Les écoles ont un budget pour l’achat de papier, de photocopieuses – sans parler de leur maintenance et des toners. Le coût réel de la photocopie d’un roman de 200 pages dépasse largement 4,80 euros … sans compter que l’objet final ressemble bien peu à un livre !

    Comme l’enseignante s’excusait d’avoir minoré mes bénéfices, je lui ai expliqué que je touchais … 0,22 euros par ouvrage. « Ce n’est donc pas si grave, me répondit-elle, je vous ai fait perdre cinq euros cinquante. »

    Hélas, c’est plus compliqué et c’est plus grave. Un ouvrage est rentabilisé par l’éditeur à partir de 2 ou 3 000 exemplaires vendus. Imaginons qu’une centaine d’enseignants fasse acheter à leur classe 25 exemplaires d’un ouvrage. L’éditeur rentre dans ses frais (et je touche 2500 fois 0,22 euros, c’est-à-dire 550 euros à la fin de l’année). Mais si les cent enseignants agissent comme mon institutice, l’éditeur ne vendra que 100 exemplaires dans l’année – ne croyez pas que ce soit si rare, hélas ! – et il devra bientôt mettre la clé sous la porte, outre le fait que je toucherai alors dans l’année 22 euros pour avoir écrit un roman qui m’aura demandé des semaines voire des mois de travail.

    La morale de cet incident en apparence mineur ? Certaines pratiques contribuent à tuer la création et le livre. On pense souvent que les auteurs vivent de l’air du temps, à l’image de cet éditeur (je préfère taire son nom) qui, en 1975, m’a jeté, face à mes prétentions : « Incroyable ! Non seulement je prends le risque financier de vous publier, non seulement vous allez avoir votre nom sur un livre, mais en plus vous voulez être payé ? » Bizarre : les enseignants, les éditeurs et leur personnel sont payés, mais le créateur, lui, devrait travailler gratis. C’est un peu comme si les gérants de supermarché jugeaient normal que les producteurs de tomates ne touchent rien. Après tout, c’est si agréable, le jardinage.

    Dans le même ordre d’idée, Google a mis tout en place pour la numérisation future de tout ce qui a été déjà publié, en France comme ailleurs. Vous doutez ? Eh bien tapez simplement « Google livres » sur votre moteur de recherche, suivi du nom de n’importe quel écrivain vivant, moi si vous voulez, et vous constaterez que ses titres sont déjà tous répertoriés avec éditeur, nombre de page, résumé, extraits. Sympathique, n’est-ce pas ? L’accès futur serait gratuit – et tant pis pour les droits d’auteur – ce serait presque défendable, mais il n’y a que de naïfs internautes utopistes pour le croire. Google n’est pas une société à but non lucratif.

    La vérité est que tout a un coût, même lorsque l’on croit (ou que l’on juge) que ce devrait être gratuit. Que les élèves ne paient pas le livre que l’enseignant souhaite leur faire livre, d’accord. Mais la fabrication de cet ouvrage, de l’écriture à la vente en librairie, a un coût. Décider qui doit payer – la collectivité, l’utilisateur – est un autre débat.

  grenier

Né en 1945 à Paris, Christian Grenier sera professeur de lettres parce que ses parents, acteurs, ne souhaitent pas qu’il suive la même voie qu’eux. Le prix de l’ORTF qu’il obtient en 1972 pour son troisième roman, La Machination publié par GP, l’incite à écrire pour la jeunesse : textes de science-fiction, romans historiques, fantastiques, intimistes, policiers. Il travaille un temps dans l’édition comme lecteur et correcteur, rewriter, journaliste, directeur de collection, scénariste de bandes dessinées et de dessins animés pour la télévision (Les mondes Engloutis, Rahan). Quatre essais à propos de science-fiction dont, en 2003, La Science-fiction à l’usage de ceux qui ne l’aiment pas (Le Sorbier). Cofondateur de la Charte des auteurs et illutrateurs en 1975. Traduit en une quinzaine de langues, rencontrant très souvent ses lecteurs, il vit depuis 1990 dans le Périgord.