Claude Aveline

par Mathilde Leriche

    Claude Aveline, né le 19 juillet 1901 (de son vrai nom Evgen Avtsine) était fils d’immigrés russes installés à Versailles. Il est mort à Paris dans la nuit du 3 au 4 novembre 1992.

     Editeur, auteur connu de nombreux romans, d’études sur des sujets variés révélant une grande richesse intellectuelle. Auteur aussi d’ouvrages scolaires, membre actif de divers organismes et associations, militant du Front Populaire en 1936, Claude Aveline participait pleinement à la vie sociale et littéraire de la France. Mais d’autres, mieux que moi, sauront évoquer son rôle, analyser sa personnalité.

    Je connais mieux son œuvre pour les enfants, pleine de fraicheur, de drôlerie, originale et malicieuse comme Histoire du chien qui voulait apprendre à lire, L’éléphant qui voulait passer pour un moustique, L’arbre Tic-Tac, Histoire du lion, de l’élephant, du chat … et de quoi encore ?

     Mais de tous ces livres pour enfants, celui qui me semble exprimer le mieux la pensée de Claude Aveline, c’est Baba Diène et Morceau de sucre, conte moderne paru en 1937, un des premiers livres anti-racistes écrit pour les enfants et qui se déroule en Afrique, dans une palmeraie.

     Conte moderne où la cornue et l’alambic du savant remplacent la baguette magique et deux hommes blancs généreux les fées. Un liquide, fruit des recherches d’un savant est bu en cachette par un petit noir, ce qui le rend blanc et blond. Un autre liquide lui rendra sa première apparence et tout le monde sera heureux. Mais que d’aventures, que de mystères et une bien jolie amitié entre les enfants.

     Voilà ce que dit le savant :

Je suis fou de joie, aujourd’hui est le plus beau jour de ma vie … J’ai trouvé le moyen de changer un nègre en blanc … Je pourrai aussi bien transformer un jaune en nègre ou un blanc en jaune … On nous racontait depuis toujours qu’il y a des races supérieures et des races inférieures et que, par exemple, les nègres sont moins intelligents que nous, qu’ils ne parviendront jamais à nous égaler. Ce sont de mauvaises raisons, inventées par les blancs afin de dominer les noirs. Les noirs savent moins de choses que nous, voilà la différence mais, pour le cœur et pour l’esprit, tous les hommes ont frères … J’ai pensé que si les hommes sont vraiment frères, il devrait y avoir un moyen pour qu’ils se ressemblent aussi par leur aspect physique.

     Je sais peu de chose sur Claude Aveline. Je l’ai connu vers 1936, au temps des années pleines d’enthousiasme du Front Populaire. On se retrouvait dans des réunions débordantes de projets consacrés au bonheur des enfants : école aux méthodes d’éducation nouvelle, bibliothèque, culture, loisir. On discutait beaucoup, on travaillait aussi.

     Chaque fois que j’ai rencontré Claude Aveline, il y avait entre nous une atmospère amicale, chaleureuse. On se quittait avec les promesses de se retrouver bientôt.

     Et les années passèrent …

     En 1959, Simone Martin-Chauffier reçut le Prix Jeunesse pour L’Autre chez les corsaires (Editions Bourrelier), excellent roman que Claude Aveline admirait beaucoup. A cette occasion, nous renouvelâmes une fois de plus la promesse de nous revoir.

     Mes plus récentes relations avec Claude Aveline dataient de ces dernières années, relations téléphoniques. Claude Aveline s’occupait très activement des rééditions de ses livres et pensait que je pourrais l’aider.

     Comme j’aime bien écouter ce qui m’intéresse, ces longues conversations avaient beaucoup de charme. C’est au cours d’une d’elles que Claude Aveline m’apprit qu’il avait créé une petite école portant son nom dans le Morbihan, près de l’Ile aux Moines. Je souhaite que cette petite école qu’il aimait beaucoup reste fidèle au souvenir de son créateur qui lui offrit sans doute, avec son œuvre si variée, le meilleur de lui-même.

 ( texte paru dans le n° 46 – décembre 1992 – du bulletin du CRILJ )

 aveline

Né Evgen Avtsine, en 1901, à Paris, de parents russes qui, fuyant la ségrégation raciale dont ils étaient victimes en Russie, s’étaient installés en France, Claude Aveline fut, malgré une santé fragile, un homme de lettres prolifique : poèmes, romans, récits, pastiches, contes et nouvelles, théâtre et théâtre radiophonique, articles de presse, critiques cinématographique, essais, mémoires et quelques textes pour les enfants dont, en 1946, Histoires du lion, de l’éléphant, du chat et … de quoi encore ? Il fonda en 1951 le Prix Jean Vigo – du nom d’un cinéaste mort jeune et dont il fut le fidèle soutien – et il publia en 1932 un singulier roman policier La Double Mort de Frédéric Belot, premier titre d’une « suite policière » qui, selon Boileau-Narcejac, « donna au genre ses lettres de noblesse ». Claude Aveline, prémonitoire, déclarait dans la préface :« Il n’y a pas de mauvais genres, il n’y a que de mauvais écrivains. »

Les éditeurs français face à l’Europe

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     Les éditeurs français de livres pour la jeunesse sont-ils, face à l’Europe, considérés comme innovateurs ou sont-ils à la traine ?

     D’abord, qui est concerné ? Les éditeurs industriels et déjà internationalisés depuis longtemps ou la littérature et l’art graphique français ?

     Quelles conséquences à long terme ? Pour l’évolution des mentalités des générations 2000 ? Pour celles des jeunes lecteurs d’une part, celles des admirateurs étrangers de la culture française d’autre part ?

     La Foire de Bologne a fêté le printemps dernier ses 25 ans d’existence. Les stands de quelques 1190 éditeurs exposaient la production de 55 pays.

     De cet ensemble de livres (présentés par pays) se dégage, pour le visiteur attentif, les lignes pédagogiques sous-jacentes qui déterminent les nouveaux comportements de lecture, mais aussi, liés alors aux contextes socio-économiques, les modes artistiques lancées par des personnalités fortes de créateurs que ceux-ci soient éditeurs, concepteurs ou illustrateurs, plus rarement romanciers jusqu’à maintenant.

     Avec l’industrialisation, le vocabulaire se modifie. Le livre n’est plus une œuvre mais un produit à rentabiliser par une diffusion et une vente rapide.

     Dans la rationalisation des écoulements de cette production sur un marché de dure compétition, nous pouvons le reconnaitre, les livres d’audience limitée comme les romans « littéraires » ou les albums d’artistes trouvent de plus en plus difficilement leur place.

     Selon les statistiques du Syndicat National de l’Édition, la production de livres pour l’enfance et la jeunesse en Francophonie représente 10 % du chiffre d’affaire de l’ensemble de l’édition avec quelques 550 collections, 4500 titres au tirage moyen de 13000 exemplaires dont plus de 55 % de traduction sur l’ensemble des titres parus en 1987. 112 sont des rééditions, 2738 des réimpressions en poche, reste donc, pour la création, 1970 titres à répartir entre bandes dessinées, ouvrages documentaires, ouvrages à caractère historique, livres-jeux, livres pratiques, romans et livres d’images.

        Sur quoi faut-il juger de la novation ?

     Sur le production des technocrates qui savent renouveller les emballages et qui assurent, sans risque financier mais avec honnêteté intellectuelle, la pérennité des textes classiques en direction du plus large public ?

     Ou sur l’œuvre d’avant-garde, pleine d’inventivité, conçue, créée, composée avec passion par une équipe artisanal, avec tous les aléas de diffusion et, par conséquent, de rentabilité que cela comporte ?

 ( article paru dans le n°35 – mars 1989 – du bulletin du CRILJ )

Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle est – depuis fort longtemps et aujourd’hui encore – administratrice du CRILJ.  

  despinette

Italie che festa !

Forte présence de la littérature pour la jeunesse italienne au récent Salon du Livre et de la Presse Jeunese en Seine-Saint-Denis. Les acteurs du pays invité cette année ont assuré, pendant les six jours de la manifestation, une présence continue : librairie, expositions, ateliers, rencontres, débats, dédicaces, café littéraire, salade de pâtes et tiramisu. Au rendez-vous de 10 heures du lundi 30 novembre participaient Antonio Monace, coordinateur du groupe jeunesse de l’Association des Editeurs Italiens et Hélène Wadowski, présidente du groupe jeunesse du Syndicat National de l’Edition. Fabio Gambaro modérait et Anne Rabany prenait des notes à la volée.

      En Italie comme en France, on constate que les filles lisent plus que les garçons. De 6 à 10 ans on compte 51,8 % de lecteurs et entre 11 et 14 ans 68%. Ces constats peuvent s’expliquer par le fait que la lecture est une activité solitaire qui demande une « collaboration lecteur/auteur ». Par ailleurs l’imaginaire est sans doute une dimension plus féminine. Il n’y a pas de concurrence entre les livres et les jeux. Les lecteurs qui lisent beaucoup jouent et regardent internet. Par contre l’inverse n’est pas vrai.

     En France, les livres d’éveil petite enfance, c’est-à-dire pour les moins de huit ans, permettent d’atteindre 39% du chiffre d’affaire. Le documentaire représente 11% et le roman 50%. Il y a 20 ans un grand lecteur lisait plus de cinquante livres par an. On considère aujourd’hui bon lecteur celui qui lit 20 livres par an. Le nombre de lecteurs a toutefois augmenté. 62% des filles lisent plus d’un livre par an et 58% des garçons lisent un livre par an. Le temps passé à lire a changé. Il y a les journaux, les écrans, les activités d’écriture pour les échanges en ligne.

Les structures publique et les aides

    En Italie, les éditeurs ont, depuis 2009, un « Centre du Livre » et l’état finance l’édition à raison de 1,5 millions d’euros.

    Les bibliothèques scolaires et publiques achètent en France pour 75 millions d’euros, mais pour l’Italie, ce n’est que 15 millions d’euros. La France dispose d’un bon réseau de bibliothèques, de CDI et de BCD.

     Pour le correspondant italien, la lecture est une vertu civile en France mais une vertu domestique en Italie.

Les librairies

      En 1972 s’est ouverte en Italie la première librairie spécialisée et le mouvement s’est accéléré en 1990. Des librairies se sont crées avec souvent une personne venant du monde de l’édition. Il y a des compétences en ce qui concerne le livre, un peu moins en ce qui concerne les lecteurs.

     En France plusieurs réseaux témoignent de l’activité des libraires : le réseau Sorcière, la FNAC, Eveil et Jeux, les librairies Chantelivre, d’autres, plus petites, indépendantes. Dans ces lieux, plus de la moitié du chiffre d’affaire provient de vente de nouveautés, ce qui montre l’importance du  travail militant.

Données sur la situation en Italie et en France

 

Italie

 

France

 

   Chiffre d’affaire : 150 millions.

   Chiffre d’affaire : 320 millions. (selon SNE)

 2000 nouveautés pour 4000 titres annuels.

5000 nouveautés pour 12000 titres annuels. La littérature pour la jeunesse c’est de 11% à 16% de l’édition globale. 205 millions d’exemplaires produits, 90 millions vendus.

Dépense moyenne par enfant en livres : 11 euros par an.

Dépense moyenne  par enfant en livres : 27 euros par an.

   Tirage moyen : 1900 exemplaires.

   Tirage entre 6000 à 8000 exemplaires.

179 maisons dont les 12 plus grandes représentent  la moitié des livres publiés. Les éditeurs possèdent plus de la moitié des 200 librairies.

120 maisons. Beaucoup de très petites publiant un ou deux titres par an.

Les exportation sont en croissance, de 300 à 1000 titres entre 1980 et 2009 1300 titres par an proviennent désormais de l’étranger. L’Italie traduit 100 titres par an venant de France.

Le nombre de traductions dépend du secteur et le roman est le secteur qui comporte le plus de traductions. La France traduit 45 titres par an venant de l’Italie.

   Une spécificité italienne : les illustrateurs.

Le nord de l’Europe est marqué par le roman, c’est très net en Allemagne où l’idée de première lecture a disparu. La France développe une politique d’illustrateurs.

Editeurs « jeunesse » en Italie

     Les grands : Mondadori, Einaudi Ragazzi, Fabbri, De Agostini Ragazzi, Salani, Giunti, Motta juniot. Mondadori, Bompiani, Feltrinelli, Giunti, Salani, Laterza, Rizzoli, Mauri Spagnol prennent plus de deux tiers du marché et sont à la fois éditeurs et distributeurs.

     Ils possèdent plus de la moitié des 2000 librairies.

     D’autres qui ont su s’approprier des espaces créatifs et commerciaux intéressants, dont les plus importantes sont Arka, Art’è, Babalibri, Nord-Sud, Il Castoro, Fatatrac, Editoriale Scienze.

     De plus petits tels que Città Aperta, Edizioni Corsare, e/o, MC, Nuove Edizioni Romane, Orecchio Acerbo, Sinnos, Editions du Dromedaire, Zoolibri. En Italie comme en France les petits éditeurs se multiplient.

    Plus petits encore, indépendants et créatifs : Topipittori, Orecchio Acerbo, Zoolibri, Lapis, Interlogos, Babalibri. 

Les auteurs actuels très diffusés

     Les auteurs italiens se vendent bien et certains illustrateurs sont connus ou, pour se faire connaîtren travaillent à l’étranger. Quelques noms : Elisabetta Dami, Bianca Pitzorno, Andrea Molesini, Domenica Luciani, Emanuela De Ros, Giovanni Rodari, Francesco D’adamo, Angela Nanetti, Beatrice Masini, Luciano Comida

 Foires et prix

     Des librairies motivées, Giannino Stoppani à Bologne, Libri liberi à Florence, Fiaccadori à Parme, organisent le festival Minimondi avec l’association Hamelin.

     Ne pas oublier la Foire de Bologne et les prestigieux « Bologna Ragazzi Award ».

 

innocenti

Anne Rabany est membre du CRILJ depuis 1975. Elle a trouvé auprès de cette association les ressources et les accompagnements nécessaires à différents projets qui ont jalonné sa carrière : pour la mise en place des Bibliothèques Centres Documentaires, la formation des personnels lorsqu’elle était Inspectrice départementale puis directrice d’Ecole normale, pour l’animation et le suivi des Centres de Documentation et d’Information des collèges et des lycées en tant qu’Inspectrice d’Académie, Inspectrice Pédagogique Régionale Etablissement et Vie Scolaire et, actuellement, pour préparer des cours en tant qu’enseignante au Pôle du livre de l’Université de Paris X.

 

 

Pierre Ménenteau

     Pierre Ménenteau vient de mourir dans sa quatre-vingt-septième année – mais sa poésie reste à jamais très jeune : elle est connue, aimée, récitée chaque jour par des enfants. Il n’appartient pas à la race des « poètes maudits », car il est de ces poètes heureux qui sont aimés des enfants.

     Sa poèsie est marquée par une double fidélité : à l’enfance et à la nature des pays de l’ouest.

     L’enfance, il l’a bien connue. D’abord parce qu’il était un ancien enfant, comme la plupart des gens, évidemment (mais lui ne l’avait pas oublié). Mais aussi parce qu’il a mené une carrière exemplaire d’enseignant, de directeur d’Ecole Normale, d’inspecteur primaire à Paris.

     J’ai eu le privilède d’être un de ses administrés et jamais je n’ai rencontré un inspecteur aussi bienveilant (mais jamais dupe), aussi attentif à aider les enseignants, à aimer les enfants, aussi plein d’humour sur lui-même, son rôle, ses activités.

     La nature, il l’a toujours passionnément aimé, bêtes et plantes qu’il connaissait toutes, paysages qu’il fréquentait. Ses fonctions l’obligeaient à vivre en ville – où, disait-il, il lui fallait tout de même la proche présence d’un arbre pour vivre.

 Le poète

     Ces deux thèmes fondamentaux se retouvent dans toute sa poèsie, dans les livres qu’il publia à l’intention de la jeunesse et dans ceux plus spécialement destinés aux lecteurs adultes. Les uns et les autres lui valurent de nombeux prix littéraires. Mais il ne tenait pas aux honneurs.

     Certains de ses recueils furent destinés spécifiquement à l’enfance. Mais on voit bien pour quelles raisons sa poésie fut adoptée par les enfants. Ce fut non seulement grâce à l’esprit d’enfance qu’il avait su garder en lui (c’est à dire la fraicheur d’un émerveillement jamais émoussé devant la beauté du monde), mais aussi grâce à deux qualités fort rares dans la poésie contemporaine.

     D’abord une transparence de ses poèmes qui n’a jamais été masquée sous une obscurité tellement à la mode. Cette transparence permet un accès immédiat à l’âme même du poète qu’il transmet par des mots. C’est l’essentiel de la poésie, on l’oublie trop aujourd’hui.

     Ensuite, une musicalité de ses vers qui le rattache à la grande tradition de la poèsie française : une harmonie comme « naturelle »  – le travail ne se voit jamais – qui fait chanter la langue par le rythme, les sonorités, les images.

     Ses plus beaux poèmes sont d’une savante simplicité et leur richesse profonde – celle de l’homme qui les écrivit – leur permet de s’adresser aussi bien à l’enfant qu’à l’adulte.

     C’est pourquoi bien de poèmes de Pierre Ménenteau sont devenus des « classiques » au sens propres ; ils sont présents dans les classes de nos écoles, dans les bibliothèques les plus vivantes.

     L’homme était d’une modestie rare et d’une bonté peu commune – mais, disait-t-il plaisamment : « Cela me coûte ».

     Une école porte déjà son nom en Vendée. Et ses poèmes vivent tous les jours par des voix d’enfants.

ménenteau

Né au Boupère (Vendée) en 1895, Pierre Menanteau eut un père instituteur et il est facile d’y voir là l’origine de sa carrière professionnelle. Poète, auteur de contes, il avait le goût des anthologies et des florilèges. Il fut critique littéraire, peintre et participa assidument au jury du Prix Jeunesse, Il entretint une correspondance avec Georges Duhamel, Jules Supervielle, Gaston Bachelard, Max Jacob, Maurice Fombeure, Tristan Klingsor, Maurice Carême. Attentif à la présence de la poésie à l’école, il publia Poésie et récitation chez Bourrelier en 1954. Son recueil Nouveau trésor de la poésie (Sudel, 1974) fut acheté dans de nombreuses écoles. Parmi ses textes pour la jeunesse, notons Les voyageuses sans billet, à la Farandole en 1965.

 

L’enfant et la poésie

     Je demande aux participants de ces rencontres de m’excuser si, obligé de rester hors de Paris, je ne puis être parmi eux.

     Le thème abordé ces jours-ci est passionnant et je suppose que l’on n’a pas manqué de souligner une fois de plus les modifications fondamentales qui ont changé la place et le rôle des enfants dans la société moderne.

     Il n’y a pas si longtemps – disons pendant le première moitié du XIXième siècle – les enfants étaient comparables à des esclaves. Ils n’avaient aucun droit, ni celui de parler ni  d’avoir des sentiments ou des idées ou des goûts personnels. Ils n’avaient qu’à obéir. Ils étaient enfermés dans un système d’interdictions, dans un monde à la fois clos et marginal où tout écart, toute évasion étaient sévèrement punis.

     Sous l’influence des grands réformateurs de l’éducation, sous l’effet des sciences de l’homme et grâce au génie des philosophes, des savants et des artistes, de Rousseau à Freud, de Lewis Caroll à Wilhem Bush, ils ont conquis plus de liberté et ont pris de plus en plus conscience de leur identité et de leur valeur propre.

     Aujourd’hui, on respecte, on favorise leurs talents, surtout dans le domaine des arts créateurs.

    Cela est si vrai que, désormais, leur style d’inspiration influence à son tour beaucoup d’artistes adultes, parfois parmi les plus grands. Etre « naïf », ce n’est plus une tare, une preuve de sous-développement. C’est, au contraire, remonter à la source de l’inventivité, c’est laisser libre cours à l’imagination, c’est une façon de sentir, de voir et d’exprimer qui rend notre vie plus colorée, plus fraîche, souvent plus vraie et plus significative.

    Dans cette évolution, le rôle des enseignants a deux aspects complémentaires :

– d’une part, on invite de plus en plus d’enfants à s’exprimer librement et à faire connaître leurs productions sans fausse modestie.

 – d’autre part, on a eu l’idée d’offrir au public des jeunes et même des très jeunes, non seulement des œuvres composées spécialement pour lui, mais des œuvres qui, sans avoir été créées à son intention, correspondent spontanément à la mentalité et aux aspirations profondes de l’enfance.

     On s’est aperçu en effet que, dans bien des cas, la part la plus précieuse, la plus exquise de l’œuvre des artistes et des poètes majeurs était de même nature que la créativité enfantine.

     En bref, tout se passe comme si l’art enfantin, par ses dons d’imagination, par sa faculté à interpréter et de simplifier le réel, présentait déjà certains aspects propres à ce que l’on nomme la génie ou bien, ce qui revient au même, comme si une part du génie des adultes avait su conserver intactes certaines vertus inaliénables de l’enfance.

     C’est une découverte capitale de notre temps.

( communication  parue dans le n° 29 – mai 1986 – du bulletin du CRILJ )

Jean Tardieu (1903-1995), essayiste, dramaturge, critique d’art et surtout poète, travailla aux Musées Nationaux, chez Hachette et, après la guerre, pendant près de vingt ans, au « club d’essai » de la Radiodiffusion française. Traducteur de Goethe et de Hölderlin, il reçut le Grand Prix de Poésie de l’Académie française en 1972 et le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres en 1986. Jean Tardieu n’écrivit pas spécifiquement pour les enfants, mais ses textes qui multiplient volontiers les expériences autour du langage poétique, sont fort souvent repris en albums et en anthologies. La communication ci-dessus a été lue le dimanche 20 avril 1986 lors du colloque « L’enfant et la poésie » organisé par le CRILJ.

 tardieu

Images comme ça

 

 

 

 

 

 

      Dans une époque où les jeunes illustrateurs frais émoulus des écoles d’art sont devenus des virtuoses de la souris et du clavier, il demeure des artistes qui s’expriment avec le pinceau, la plume ou le crayon.

     Plus rares encore sont les graveurs, héritiers d’un longue et noble tradition, aquafortistes, lithographes et autres xylographes.

     C’est à cette dernière catégorie, infiniment précieuse, qu’appartient May Angeli

     Cette remarquable artiste, née en 1937, a fait ses débuts en illustrant au crayon, à la gouache et à l’aquarelle des récits où se manifestent sa générosité, son respect de l’enfant et son attrait pour les cultures du monde.

     En 1975, elle découvre le Maghreb qui devent une de ses sources d’inspiration privilégiée. Elle fait désormais de fréquents séjours en Tunisie où elle a noué des relations de travail et de  coeur.

     C’est en 1980, au cours d’un stage à Urbino, qu’elle a la révélation de la gravure sur bois.

     En 1992, Régine Lilensten, créatrice et directrice du Sorbier, toujours dynamique et inspirée, se laisse séduire par la force graphique de cette technique,.suivie très vite par d’autres éditrices dont Valérie Cussaguet (Thierry Magnier), Françoise Mateu (Seuil Jeunesse),  Amélie Léveillé (L’élan vert) et Caroline Drouault (Sorbier). Certains de ces livres xylogravés  (Chat, Dis-moi) ont fait date dans l’histoire du graphisme et ont été sélectionnés par la Biennale de Bratislava et la Foire de Bologne. C’est aussi en renouvelant cette  technique qui était tombée en désuétude qu’elle a créé de merveilleux livres pour tout petits (Carotte ou pissenlit ou Petit) et réalisé cinq  livres d’artistes très raffinés.

     Dans cette veine, elle a illustré, à la suite des dessins alertes nés de la plume de l’auteur  lui-même, Histoires comme ça (1ère édition, 1903) puis, récemment, Le Livre de la Jungle (1894 & 1898) de Rudyard Kipling.

     Un travail considérable: douze gravures pour chacune des douze Histoires, vingt-quatre planches pour Le Livre de la Jungle, plus les pages de garde, et de nombreuses vignettes. Une prouesse technique réalisée d’un coup de gouge précis et énergique, mais aussi un usage inspiré de la couleur, un sens aigu de la mise en page, et une sensibilité esthétique qui font de cet ensemble une réussite exceptionnelle.

     Peintre de la nature, elle a su capter la luxuriance des jungles et la présence charnelle des animaux, avec poésie, humour, vigueur et tendresse.

     Il est passionnant de voir comment, un siècle après, cette femme d’aujourd’hui a pu exprimer, par delà les divergences historiques, sociales et géographiques, la séduction, la dérision et la violence des contrées exotiques fréquentées par Rudyard Kipling. De Bombay (1865) à Londres (1936), ce fils du conservateur du musée de Lahore, est expédié à 6 ans en Angleterre pour y parfaire, durant 11 ans, son éducation. Les souffrances de son enfance délaissée, les nombreux voyages de sa  carrière de journaliste et les deuils de sa vie familiale  (il perd, de maladie, une de ses deux filles, et son fils est tué à la giuerre), ont nourri une oeuvre sensible et imaginative où sont magnifiées les multiples cultures de son Inde natale.

     C’est dans cet intérêt commun pour les civillisations lointaines, l’amour de la nature et des animaux et l’émotion de sentiments éternels, que May Angeli et Rudyard Kipling se rejoignent pour notre plus grand bonheur.

  angeli

Agrégée de lettres modernes, professeur en collège, lycée, Ecole Normale et IUFM où elle enseigna jusqu’en 2002 la didactique du Français et la littérature de jeunesse, chargée de cours à l’Université de Picardie (Licence des Métiers du livre) depuis septembre 2005, Janine Kotwica écrit, voyage, expose : articles nombreux dans la Revue des Livres pour Enfants, Griffon, Parole, etc ; stages de formation à Abidjan, Tunis, Bucarest, Cotonou, Bamako, etc ; commissaire de nombreuses expositions d’illustrations originales dont Posthume sur mesure en hommage à André François. et, dernières réalisations en date, les Portraits-devinettes d’auteurs illustres de Philippe Dumas et Images comme ça consacrée à May Angéli.

 

 

 

Brigitte Richter

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       Brigitte Richter nous a quitté à la fin de 1991. Elle avait 48 ans.

     Directrice de la médiathèque municipale Louis Aragon au Mans de 1984 à 1991 après avoir dirigé la Bibliothèque Centrale de Prêt de la Sarthe de 1968 à 1984, elle avait littéralement créé et donné vie à ses deux institutions.

     Cette amie de longue date avait en effet, en même temps qu’une compétence aiguë des pratiques de bibliothécotomie moderne, un sens extrêmement ouvert de la lecture publique. Tant sur le plan de la distribution des livres dans les campagnes que sur celui de la création de dépôts vivants dans les petites villes et bourgades du département, elle avait lors de son passage à la BDP fait pénétrer le livre et la lecture partout. Et surtout elle veillait avec une vigilance de tous les instants à l’animation et au développement de la section « jeunesse ».

    Créant de toutes pièces la moderne médiathèque municipale du Mans, elle avait conçu un système original de présentation au public des différentes sections de l’établissement et d’exposition des docuents rares ou récents. Là encore elle apporta un soin tout particulier à la section « jeunesse », organisant des expositions et des rencontres avec des écrivains et des illustrateurs.

     Il faut dire que cette bibliothécaire moderne, auteur d’un magistral Précis de Bibliothéconomie, participait à des séances d’animation et de présentation de livres pour les jeunes. Remarquable pédagogue, elle enseignait aux Universités du Mans et de Paris formant des bibliothécaires avec compétence et passion.

     C’est que Brigitte ne se contentait pas d’être une bibliothécaire, une enseignante, une animatrice, elle portait en elle le démon de la poésie. Auteur d’un remarquable recueil Le cœur gouverné (éditions Saint-Germain-des Près, 1974), elle exalte en même temps que l’amour une espèce de méditation sur le temps. « Il fait jour chaque matin. Je t’offre la durée. » écrit-elle et cela résonne amèrement aujourd’hui.

     Et puis, elle écrivit et publia des poèmes plus particulièrement destinés aux enfants dont Le jardinier des bêtes (éditions Corps Puce. 1980), délicieux textes remplis de rêves. Ainsi : « Le hérisson se couche en rond comme une pelote de soleil. »

     Brigitte adorait conter et ses histoires pour les jeunes ont le charme rempli d’humour des vieux contes écrits pour des enfants d’aujourd’hui.

    Ses recueils sont en partie publiés : La Fugue de Grand père Médéric (éditions Magnard, 1984), L’arbre à chats (éditions de la Queue du chat, 1987), La vie compliquée de Marie Chicotte (éditions Magnard, 1989), Moi Benoît Largeliet fils de ma mère (éditions Magnard, 1991). Et il reste beaucoup de poèmes et de textes inédits à paraître.

     C’est avec des êtres comme Brigitte que la lecture en général et la lecture des jeunes en particulier peuvent devenir une réalité qui assure aux hommes une survie culturelle plus que jamais nécessaire. Elle a montré que dans ce domaine la conjonction d’un professionnalisme solide et d’un imaginaire généreux et sans cesse en marche est indispensable.

     Je n’oublierai jamais son regard rempli de songes exprimant une vie intérieure originale où l’esprit rejoignait la « raison ardente ».

     Brigitte, reçois mon affectueuse tendresse et celle de tous tes amis du CRILJ : « Nous ne connaitrons pas nos limites car l’éternité nous a pris dans sa foulée ».

 ( texte paru dans le n° 44 – mars 1992 – du bulletin du CRILJ )

   richter

Née en 1943 à Charlieu (Loire), Brigitte Richter écrit son premier récit à neuf ans. Elle continuera à écrire sa vie durant mais, à quelques exceptions près, seuls ses contes et ses romans pour enfants auront une diffusion commerciale. Conteuse, elle participa à de nombreuses animations dans les écoles, les collèges et les veillées festives. Photographe, elle aima travailler avec des plasticiens. Elle régala, dit-on, ses amis de plats inédits où « son talent créateur faisait merveille ». Brigitte Richter fut directrice de la bibliothèque de prêt de la Sarthe puis de la bibliothèque municipale du Mans. Elle fit connaître ses expériences dans des rapports, des articles et un Précis de bibliothéconomie qui a eu cinq éditions de 1976 à 1992.

Merci Massin !

 

 

 

 

    Premier coup  en janvier 1971, Nathan accepte de mettre en œuvre notre programme éditorial d’Europart, et de nous accueillir du même coup, Pierre Marchand et moi.

    Second coup : une semaine plus tard, Hachette nous fait la même proposition par la bouche de monsieur Schuwer, directeur d’Hachette Jeunesse.

    Troisième coup : en allant porter à Jean Massin, directeur artistique de Gallimard, le dessin qu’il m’a demandé pour illustrer la couverture des Aristocrates dans Folio qui va naître, je lui annonce que « Tiens, nous allons entrer chez Hachette, comme éditeurs, un copain et moi, la semaine prochaine. »

    – Ah, sourit-il, parce que tu fais également l’éditeur ?

    Alors je lui raconte Europart, Voiles et Voiliers, nos projets, nos coéditions, tant et si bien qu’il finit par me conseiller de ne rien signer avant d’avoir rencontré Christian Gallimard. Ce qui fut fait très vite et bien fait.

    Merci Massin !

    Voila comment, en avril 1971, un an jour pour jour après la sortie du premier numéro de Voiles et Voiliers, nous entrons, Pierre et moi, chez Gallimard, la caverne d’Ali Baba de l’édition française. Nous allons très vite y allumer « Mille Soleils » avant d’y puiser la matière des premiers « Folio/junior ».

    C’est là que nous dirons au revoir au Pierre des commencements. Nous sommes un vendredi soir. Après une semaine très remplie – les premiers « Folio/junior » sont à l’imprimerie – je m’apprête à rentrer à l’île d’Yeu où j’habite depuis un an. C’est alors que Pierre m’arrête. Il est inquiet : « Tu crois vraiment que l’on fait bien de mettre nos noms sir les pages de garde ? Si on se plante … Il est encore temps, réfléchis. » Je lui réponds que ceux qui se sont plantés avant nous n’avaient pas nos atouts, que Fixot est confiant, que ci, que ça, bref qu’on a bien fait, j’en suis sûr.

    Et je suis toujous convaincu, vingt-cinq années plus tard. Parce qu’on s’est assez peu plantés, finalement, pendant toutes ces années …

( article  paru dans le n° 74 – juin 2002 – du bulletin du CRILJ )

 

 Jean-Olivier Héron est né en 1938 à Cholet. Passionné de bateaux, il fonde en 1971 une entreprise de voile de plaisance et crée avec Pierre Marchand  le mensuel spécialisé Voiles et voiliers. Les réflexions de Pierre Marchand et de Jean-Olivier Héron sur un renouvellement de l’édition jeunesse prennent forme. Leurs projets, refusés par Hatier, mieux accueillis par Nathan et par Hachette, aboutissent en 1972 à la création de Gallimard Jeunesse. Auteur, illustrateur, peintre, installé à l’île d’Yeu depuis 1973, il est à l’origine des éditions Gulf Stream qui publient affiches, cartes postales et documentaires pour la jeunesse. Parmi les nombreux ouvrages écrits ou illustrés par Jean-Olivier Héron : Le hautbois de neige, Les Contes du 7ième jour, Le livre qui avait un trou.

mille soleils

Samivel

    Samivel vient de mourir à 84 ans. Nous sommes nombreux à avoir devant nos yeux des illustrations d’albums pour jeunes : une double page avec un champ de neige et un petit personnage, un chamois au sommet d’une montagne, un très gros et rond personnage tiré de l’œuvre de Rabelais.

    Il fut un dessinateur, un écrivain pour les jeunes et les adultes, un poète, un humoriste plein de saveur et un écologiste avant l’heure. Explorateur, il fait partie de la première expédition Paul-Emile Victor au Groenland en 1948. Conférencier à « Connaissance du Monde » de ses nombreux voyages en Egype, en Grèce, en Crête, en Isalnde, il rapporta es films, des livres illustrés, des photos.

    Ses premiers albums pour jeunes ont été publiés dans les années 1933-35 : Parade de Diplodocus et Les blagueurs de Bagdad chez l’éditeur Paul Harmann en 1937, Sous l’œil des choucas chez Delagrave. Puis il illustra des adaptations de Rabelais, Pantagruel et Gargantua, et illustra trois épisodes du Roman de Renard : Goupil, Brun l’ours, Les malheurs d’Isengrin, toujours chez Delagrave. Pendant la guerre, chez l’éditeur IAC, à Lyon, il écrivit et illustra, entre autres, Chansons de France et Bon voyage monsieur Dumollet. En 1944, il donna sa vision des Fables de La Fontaine. Dans les années 1950 vont paraître, chez divers éditeurs, Les Contes à pic et Alain Bombard naufragé volontaire.

    Certains livres ont été réédités ou se trouvent toujours chez Delagrave. L’éditeur Hoëbeke a fait paraitre en 1986 le Samivel des rêves, anthologie pour jeunes, et, en 1991, Tartarin dans les Alpes.

    En décembre 1990 une exposition des originaux de ses dessins a été organisée au Musée Ethnologique de Conches près de Genève.

    Samivel dit par le dessin, l’écriture, les conférences, les films, son amour de la nature, de la neige, des glaces. Il traite les animaux avec une indulgence amusée et les hommes avec une ironie parfois cinglante. Son trait est précis, enveloppant pour les rondeurs, ses couleurs sont simples et fraîches. Et il sait faire vibrer le blanc de la neige. Michel Tournier a dit : « Perdu dans la grandiose splendeur alpine, que l’homme est petit, laid, stupide et sale. »

    Pour moi, l’homme Samivel est un curieux non spécialiste, épris de la beauté et de la nature. Il a déclaré un jour : « La liberté coûte cher, mais c’est la liberté. »

    Samivel a su faire partager à ses lecteurs ses passions et son œil amusé.

( texte paru dans le n° 44 – mars 1992 – du bulletin du CRILJ )

brun

Né à Paris en 1907, savoyard d’adoption, Paul Gayet-Tancrède emprunta son nom à une lecture d’enfance, Les Aventures de Mr Pickwick de Charles Dickens. Samivel se fait connaître dès 1928 par ses illustrations dédiées à la montagne, notamment celles qu’il donne à la revue La vie Alpine. Ecrivain dès 1940 avec L’Amateur d’abîmes, Samivel n’oublia pas les enfants, adaptant et illustrant pour eux quelques grands auteurs. Alpiniste confirmé, grand voyageur, artiste multiple, écologiste de la première heure, humaniste avant tout, Samivel est traduit en anglais, allemand, italien, espagnol, polonais, islandais.

 

Philippe Dumas dans la Somme

 

 

 

 

 

L’auteur-illustrateur Philippe Dumas est né à Cannes en 1940. Après des études à l’École des Métiers d’Art et à l’École Nationale supérieure des Beaux-Arts, il commence, en 1971, à créer d’abord pour les adultes puis, en 1976, pour les enfants, la plupart de sa belle centaine de livres paraissant à L’École des loisirs. Il y alterne les grands albums élégamment aquarellés et les petits livres griffés de petits dessins à la plume très alertes, au trait empreint d’un humour tendre et ébouriffé ou d’une ironie réjouissante, acérée sans méchanceté. Il se réfère avec admiration à Töpffer, Busch, Samivel et André François. Dans un  temps où les jeunes illustrateurs collent et bricolent et où l’ordinateur tente de détrôner crayon, gomme, plume et pinceau, le dessin expert et savoureux de Philippe Dumas nous est infiniment précieux.

Bon nombre des livres de cet artiste sensible et inspiré prennent leur source avec authenticité dans les événements de sa vie familiale, ainsi Ce changement-là qui raconte la mort de son père, la série des Laura qui évoque ses deux aînés, Émile et Alice, Pêche à pied qui relate la connivence affectueuse d’une escapade en bord de mer avec son fils Jean, Robert et Louis qui narre des anecdotes vécues par ses « petits derniers » en Angleterre ou encore Fils Hermès où ses souvenirs personnels se mêlent avec la description du fonctionnement d’une entreprise parisienne.

Il donne même aux héros des contes le visage de ses proches parents et amis, ainsi de sa mère en Grand-mère du Chaperon Bleu marine, de son compère Boris Moissard qui lui servit de modèle pour de savoureux portraits  dont celui du berger de Une ferme, ou de ses neveux croqués princièrement dans La reine des abeilles des frères Grimm.

Nostalgique des villages et des maisons d’antan (César, le coq du village), il ressuscite des scènes de la vie rurale et bourgeoise avec une distance poétique teintée d’humour. Il partage en bon pédagogue sa connaissance des arts équestres avec ses jeunes lecteurs avec une érudition qui ne pèse jamais (L’équitation et l’école espagnole de Vienne et Nougatine). Même ses leçons de morale ou de savoir-vivre sont distillées avec une drôlerie irrésistible – indispensable Convive comme il faut – et une allégresse désinvolte qui leur ont assuré un durable succès.

Il dessine et peint aussi sur le motif et Dieppe à deux, fruit de sa vieille amitié avec Gérard Barthélémy qu’a édité Elizabeth Brunet, nous dévoile, comme Trajets qui illustre une méditation de Ulrike Blatter, une autre facette, bien séduisante, de son grand talent.

D’une culture éclectique et d’un esprit très ouvert, il excelle dans les illustrations des chansons et comptines du patrimoine (Au clair de la lune, Il pleut bergère et Le temps des cerises) et  revisite les contes traditionnels (Les  fées)  et même la Bible. Il a mis son humour élégant et distancié au service de très nombreux écrivains du passé et d’aujourd’hui, en vrac, Maupassant, Jarry, Hugo, Gautier, Mérimée, Dutourd, Aymé, Rostand, Voltaire, Hauff, Ardizzone, Rudigoz, Dickens, Topelius, Tchékhov, Gripari, Flaubert, Courtine, Carême, Edward Lee Master, Tourgueniev …

L’interpénétration de l’univers familial et de la littérature est particulièrement réussie  dans Victor Hugo s’est égaré, chef d’œuvre de complexité narrative et de virtuosité littéraire et graphique.

Les Portraits-devinettes d’auteurs illustres (École des loisirs, 1994), qui font l’objet de l’exposition de le Bibliothèque Départementale de la Somme, se moquent avec une irrévérence savante de ses gens de lettres préférés. Il y illustre avec brio les pastiches et anagrammes composés avec une aisance légère et néanmoins érudite par Anne Trotereau. Fille d’un peintre, née à Paris en 1944, cette brodeuse de talent qui crée des tableaux d’étoffe sur le thème des Contes de Perrault ou de Marcel Aymé, a écrit pour Philippe Dumas des textes, comptines et chansons visant la première enfance. Discrète, celle que son complice nomme parfois, non sans malice, « Anne Trop-Trop » ou « Âne Trot-Trot » est aussi l’auteur d’un roman nourri de ses souvenirs de petite fille. La teneur de ses pastiches littéraires en dit long sur sa maîtrise de l’écriture et son exceptionnelle connaissance des lettres françaises.

La virtuosité, l’allégresse désinvolte et la maîtrise d’un trait éminemment rapide, l’ouverture de deux esprits curieux, la spontanéité et la complicité amusée de leur double regard, la drôlerie des postures et des situations, une joyeuse irrévérence qui n’exclut pas l’admiration, font de cette cinquantaine de portraits des petits chefs-d’œuvre uniques en leur genre dans le paysage éditorial français.

dumas 

Agrégée de lettres modernes, professeur en collège, lycée, Ecole Normale et IUFM où elle enseigna jusqu’en 2002 la didactique du Français et la littérature de jeunesse, chargée de cours à l’Université de Picardie (Licence des Métiers du livre) depuis septembre 2005, Janine Kotwica écrit, voyage, expose : articles nombreux dans la Revue des Livres pour Enfants, Griffon, Parole, etc ; stages de formation à Abidjan, Tunis, Bucarest, Cotonou, Bamako, etc ; commissaire de nombreuses expositions d’illustrations originales dont Posthume sur mesure en hommage à André François et, dernière en date, les Portraits-devinettes d’auteurs illustres de Philippe Dumas. La prochaine sera consacrée à May Angéli et à Rudyard Kipling.