Jacques Asklund

par Guy Jiménez

    Jacques Asklund vient de mourir, à l’âge de 65 ans, emporté en quelques mois par une maladie qui ne lui aura laissé aucune chance. Nos pensées vont à ses proches, à leur souffrance, à celle de Jacques dont ils auront été les témoins.

    Au milieu des années 80, Jacques était conseiller municipal à Beaugency (Loiret) au moment où se créait l’un des premiers salons du livre de jeunesse. Il conçut alors l’idée d’un Prix du « livre le plus drôle » doté par la Ville. Je travaillais à la bibliothèque municipale où les livres proposés par les maisons d’édition arrivaient. Cette gestion au quotidien nous a rapprochés. Nous échangions sur les livres reçus, que nous lisions avec autant de passion que les enfants. Ce Prix avait pour caractéristique d’être décerné par les écoliers. Le moment des délibérations dans la belle salle du Conseil avec les délégués de chaque classe était réellement émouvant. Si ma mémoire ne me trahit pas, les premiers ouvrages récompensés ont été l’hilarant Ça coince de Benoît Déchelle, bestiaire où les animaux peinaient à tenir dans le cadre de la page, puis le subtil et sensible Victor Hugo s’est égaré de Philippe Dumas. Cela commençait fort. Vingt-cinq ans plus tard, le Prix créé par Jacques existe toujours, a récompensé bien des auteurs et contribué au rayonnement du Salon du livre et à celui de la Ville Beaugency à laquelle il était très attaché.

    C’est sans doute cette immersion dans la littérature de jeunesse qui a donné à Jacques l’envie de se lancer dans cette forme d’écriture. Il avait jusque-là produit des contributions spécialisées, en tant qu’historien, dans le cadre de la Société archéologique et historique balgentienne, en particulier une délicieuse monographie : Histoire des rues de Beaugency. Très vite, il voit ses premiers romans publiés par Rageot et Flammarion (Le Secret du général X, Un trésor dans l’ordinateur, L’homme qui rajeunit). Suivirent tout au long de ces années une quinzaine d’autres titres qu’il écrivait chaque année au moment de ses congés d’été.

    Ses thématiques pouvaient être historiques (comme le très beau Dernier des Maures) ou tout à fait contemporaines pour des enquêtes policières où le fantastique affleure (Crime d’auteur, Plongée fatale, Le fantôme mène l’enquête). Son écriture fluide, efficace, ses intrigues bien charpentées lui auront acquis de nombreux et fidèles lecteurs et valu des récompenses parmi lesquelles le Prix Tatoulu en 2006 pour Crime d’auteur ou le Lionceau d’or au salon du polar de Neuilly-Plaisance en 2008.

    Jacques est aussi l’auteur d’ouvrages pédagogiques spécialisés, en lien avec son métier d’enseignant d’histoire dont il était retraité depuis trois ans. Il a aussi composé un vibrant hommage à la Loire pour un beau livre de photographies qui connut un réel succès populaire, aux éditions CPE où le directeur lui proposa alors de créer un secteur jeunesse. Jacques se lança avec courage, en 2007, dans cette aventure éditoriale qui, malheureusement tourna un peu court pour des questions de diffusion. J’ai été dirigé par lui le temps d’un roman dans l’une de ses collections, et j’ai pu apprécier son intégrité et son respect de la chose écrite.

    Il nous est arrivé bien des fois de signer l’un à côté de l’autre sur un stand de libraire. Nous ne manquions jamais d’évoquer parmi d’autre le souvenir lointain, mais toujours vivace, d’un auteur qui nous avait menacé en maître chanteur de ne pas honorer son contrat de rencontres scolaires si le Prix du livre le plus drôle ne lui était pas attribué ! Nous rigolions bien.

    Voilà, je voulais évoquer, trop rapidement sans doute, la mémoire de Jacques, avec la tristesse de sa disparition, mais avec la joie, aussi, des bons moments que nous avons partagés.

 

Né à Oran en 1954, Guy Jimenez passe sa petite enfance en Algérie à Rio-Salado, aujourd’hui El-Malah, jusqu’en juillet 1963. Scolarité en région Centre. Bibliothécaire à Beaugency (Loiret) puis à Saint-Jean de Braye (Loiret toujours) où il réside. « Mon statut est, depuis 2001, celui d’auteur indépendant. » Isabelle Jan publie son premier roman, Le Grand réparateur (Nathan,1981) et Jacqueline Cohen ses premiers contes pour le magazine J’aime lire. Ouvrages édités chez Syros, L’école des loisirs, Rageot, Nathan, Oskar jeunesse. Prix du Roman pour la jeunesse du Ministère de la Jeunesse et des Sports en 1992, sur manuscrit, décerné par le jury des adultes, pour La Protestation, publié chez Syros grâce à Germaine Finifter « J’ai aussi écrit ou co-écrit des pièces de théâtre, des adaptations de romans et de contes, des récits documentaires pour la presse et quelques nouvelles noires. » Merci à Guy Jimenez pour nous avoir confié ce texte.

Traduire 'In the Night Kitchen' ou la difficile lecture d'un album

In the month of June

I stand beneath the mystic moon

(E.A. Poe)

    C’est une déception qui est à l’origine de cette étude. L’anecdote se situe pendant l’hiver 72/73. À l’occasion d’une exposition d’albums contemporains, je découvre la toute récente édition française de l’album de Maurice Sendak, In the Night Kitchen, paru aux États-Unis en 1970, et que Jean-Henri Potier venait de traduire pour les éditions de L’école des loisirs. Je connaissais déjà Max et les Maximonstres (Where the Wild Things Are) album pour lequel j’avais la plus vive admiration (1). C’est donc avec une certaine gourmandise que je m’isolai pour découvrir ce nouvel album. Après l’avoir lu, je le reposai l’album, déçue et déçue d’être déçue. Je profitai quelque temps plus tard d’un passage à Paris pour me procurer l’album dans sa version originale. Puis, pendant près de deux ans, je lus et relus le livre, fouillant tous ses recoins, m’interrogeant sur les possibles, ou impossibles, solutions d’une traduction française. Je me replaçais donc mutatis mutandis dans la position du traducteur qui doit lire l’oeuvre originale (construire du sens) pour la traduire, c’est-à-dire tout à la fois imiter des formes et re-produire du sens. Ce n’est que lorsque je crus avoir « épuisé » l’album dans sa version originale (ce qui bien sûr se révéla inexact) que je m’autorisai enfin à me procurer l’édition française. Je compris immédiatement les raisons de ma déception : la traduction française avait totalement fait disparaître ce qui faisait la profondeur de ce livre. Lors de la création de cet album, Sendak écrit à un de ses amis : « It comes from the direct middle of me, and it hurt like hell extracting it. Yes, indeed, very birth-delivary type pains, and it’s about as regressed as I imagine I can go. Simply, it’s divine (2). »

Comment une traduction peut-elle en venir à desservir à ce point le texte qu’elle ne pouvait que vouloir servir ? Un album pourrait-il poser d’autres problèmes que ces difficultés de traduction bien identifiées que sont les niveaux de langue, le rythme, les jeux de mots éventuels, les références culturelles ? Afin de mieux cerner l’échec de la traduction française et pour faire la part entre ce qui relève du traducteur, ce qui est imputable aux contraintes de la langue française et ce qui se dérobe à tout transfert culturel, je me suis procuré une traduction allemande de l’album. Je me propose de confronter l’édition américaine originale, l’édition de L’école des loisirs et l’édition publiée en 1971 à Zurich chez Diogenes Verlag sous le titre In der Nachtküche, dans une traduction signée Hans Manz (3).

Une impossible traduction ?

    In the Night Kitchen est un album qui fut abondamment traduit et qui offre cependant de grandes résistances à la traduction. Une partie de ces résistances concernent le texte lui-même et elles sont de nature classique. Nous nous trouvons tout d’abord devant un texte fortement assonancé, selon une pratique très fréquente de la littérature enfantine anglo-américaine, mais quasi étrangère à la tradition française. Le récit comporte d’autre part quatre jeux de mots. La déperdition éventuelle ne serait pas catastrophique si ces jeux de mots ne jouaient qu’un rôle marginal dans l’économie du texte. Or il se trouve que ceux-ci sont au coeur de la narration : ce sont eux qui fondent le récit. Le texte nous dit que « The bakers […] mixed Mickey in batter, chanting : / Milk in the batter ! Milk in the batter … » (p. 7-8) (4). En d’autre termes, les boulangers ont pris Mickey, le jeune héros de l’album tombé dans la pâte à pain, pour du lait [milk], et ils mettent au four un « Mickey-cake »[ » milky-cake« ] (p. 10). Mickey va donc devoir se libérer de cette confusion qui nie son identité et le réduit à de la pure matière. Il jaillit du four et affirme « I’am not the milk and the milk’s not me ! I’m Mickey ! » (p.12). Le lien entre Mickey et le lait est à nouveau affirmé un peu plus loin, mais sous la forme d’un jeu de mots attribué à Mickey lui-même. L’enfant fait cette fois un jeu de mots au lieu de le subir. Il déclare aux boulangers : « I get milk the Mickey way » (p.19). Au narrateur revient d’expliciter la paronymie : « And he grabbed the cup as he flew up / and up and up / and over the top of the Milky Way in the Night Kitchen. » (p. 20-22). Une ultime paronymie termine l’album, sans que soit donné cette fois le terme qui la sous-tend « […] Mickey […] slid down the side / straight into bed / cakefree [« carefree« ] and dried » (p. 31-34). Elle affirme la délivrance de Mickey et souligne le trajet narratif de l’album. Enfin lorsque Mickey chante son bonheur d’être délivré de la confusion « God bless milk and God bless me ! » (p. 26), Maurice Sendak lui prête la mémoire d’une Nursery rhyme :

I see the moon,

And the moon sees me ;

God bless the moon,

And God bless me (5).

Cette référence intertextuelle est nécessairement perdue en traduction, sauf à imaginer une culture qui possède une prière enfantine équivalente (6).

Le texte de Maurice Sendak est réparti entre trois espaces distincts. La part qui revient au narrateur est imprimée dans des cartouches rectangulaires et cernés, les propos de Michey et des boulangers sont dans des bulles, selon le codage maintenant classique des bandes dessinées. Les traducteurs sont donc contraints par la surface d’impression qui leur est impartie, mais la souplesse du lettrage de Maurice Sendak leur permet d’inscrire dans l’espace imposé un texte soit légèrement plus court soit légèrement plus long. Mais à ces deux premiers types de textes, vient s’ajouter un troisième, discontinu celui-ci et inséré dans l’image elle-même : des noms d’aliments, des marques d’un produit, des prix de vente, des messages publicitaires, des adresses, des numéros de téléphone. On n’en compte pas moins d’une vingtaine dans la grande double page de Mickley surplombant la bouteille de lait (p. 23-24). Ces écritures incluses n’ont été traduites ni dans l’édition allemande ni dans l’édition française. Les éditeurs se sont trouvés devant une difficulté technique propre aux textes illustrés et aux albums, qu’ils connaissent bien et qu’ils résolvent parfois à l’aide de quelques caches. Sans doute ont-ils craint dans ce cas précis de dégrader totalement les illustrations de Maurice Sendak. Or il se trouve que ce troisième niveau de texte n’est pas un simple exotisme, mais qu’il constitue un des espaces de sens du livre. Une partie des inscriptions sont d’ordre privé et elles sont donc aussi opaques pour un lecteur américain que pour un lecteur français ou allemand (7). Mais d’autres sont parfaitement lisibles pour un enfant de langue anglaise et, comme les cailloux du petit Poucet, elles tracent un chemin dans l’oeuvre. On trouve dans la double page 9-10 « Salt », « Cooked. Ready to eat », « Phoenix baking soda », « pure, cream, open » associés sur une même boîte où figure une vache. Le graphisme des boîtes d’aliments de la page 20 mêle texte et images, et l’illustration déploie les étapes – jalonnées de nourriture – de la petite enfance. Une bouteille, sur laquelle la représentation d’un bébé redouble la mention « baby syrop », domine une boîte cylindrique avec le profil d’une tête de vache et les deux inscriptions « condensed food » et « absolutely pure ». Devant cette boîte, au premier plan, un des boulangers semble désigner du doigt une seconde boîte cubique où un visage de jeune enfant est associé à trois inscriptions « open » (avec une flèche), « infant food » et « Price 42 ¢ » (8). Le doigt prolonge notre regard vers Mickey qui s’envole dans son petit avion et surmonte une quatrième inscription alimentaire sur la facade d’un immeuble « Rolled White Oates. First, Cheapest, Best ». Quelle est la meilleure nourriture, la première, la moins chère, celle qui est absolument pure et toujours prête à être consommée ? Celle vers lequelle s’élance l’avion de Mickey, le lait de l’enfance. Plonger enfin dans le blanc laiteux de la bouteille de verre, c’est remonter sans doute plus en amont encore, c’est remonter jusqu’au lait maternel et plonger dans l’espace des origines, là où enfin contenant et contenu se confondent. On le voit, c’est toute une dimension du texte, secrète, un peu énigmatique, qui est refusée au lecteur français ou allemand.

    La substitution des textes inscrits dans l’image se limite aux onomatopées initiales et terminales. La série initiale « / Dump, Clump, Lump / Bump » devient en allemand : « Wumm / Rumm, Pumm, Pumm / Bumm » et en français : « Roum / Doum, Cloum, Ploum / Boum » (9). De manière tout à fait classique, le triomphal cri du coq de Mickey « Cock.a. Doodle Doo ! » devient « Kiiii Ke ri Kiiiiii ! » en allemand et « Coco Rico ! » en français (10).

    La résistance iconotextuelle de In the Night Kitchen à toute traduction va au-delà de ces insertions de la lettre dans l’image. Le prénom américain de Mickey a été choisi par Maurice Sendak comme un discret hommage au héros de Walt Disney (voir note 7). Que le lecteur français ou allemand ne perçoive pas les clins d’oeil au graphisme du dessin animé – en particulier dans les deux images circulaires initiale et terminale – n’entrave pas sa lecture. Il identifie par contre aisément les traits de l’acteur Oliver Hardy donnés au trio des boulangers – alors que ceux de Stan Laurel ne sont que fugitivement prêtés à Mickey à la page 13 – parce que les films de ce duo comique sont devenus des classiques internationaux. Au-delà d’un hommage au cinéma de son enfance, Sendak suggère-t-il un « combat » du frêle Mickey-Laurel contre le massif Hardy, dont le triplement confine ici au cauchemar (11) ? Il n’est pas étonnant qu’une autre culture iconographique américaine – celle de la bande dessinée – soit présente dans cet album. On peut lire en tout petits caractères sur la boîte « Homer’s Sugar » de la page 7, « Little Nemo » (12). Les somptueuses planches de Little Nemo in Slumberland furent découvertes en France grâce à une édition (partiellement en couleurs) publiée par l’éditeur Pierre Horay en 1969 (13). Ce fut une révélation. Tout lecteur devenu familier du héros de Winsor McCay était donc prêt à apercevoir trois ans plus tard la ressemblance entre le lit de Little Nemo – représenté de profil avec ses hauts montants de bois – et celui de Cuisine de Nuit. Le lit de Mickey ouvre et ferme l’album à l’instar du lit de Nemo qui ouvre les (premières) planches de Little Nemo et les ferme, à une différence près. La présence du lit à la fin de chaque planche marque chez McCay un violent retour de Nemo au réel, alors que le lit final de Mickey vient accueillir l’enfant pour un sommeil cette fois apaisé. Enfin Maurice Sendak fait deux emprunts au Max et Moritz (1865) de Wilhelm Bush, la séquence narrative de Mickey pris dans la pâte à pain et mis au four, et la croûte de pâte cuite (qui fait à Mickey une combinaison d’aviateur) (14). La référence est cette fois tout à fait lisible pour un enfant de culture allemande alors qu’elle est invisible en France, où le livre est inconnu. Le maintien ou la perte des allusions intertextuelles et inter-iconographiques est donc moins fonction de la culture convoquée par l’oeuvre originale que des références que culture initiale et culture d’arrivée ont en commun.

    Un dernier aspect de In the Night Kitchen se dérobe à la traduction. Il s’agit des jeux entre une forme verbale et une représentation graphique, ce que l’on pourrait appeler des jeux de mots « iconotextuels ». Je pense en avoir relevé trois dans l’album. Dans le premier, les deux « termes » du jeu sont présents. Mickey est réveillé par un grand bruit dans la nuit et il crie « Quiet down there ! » (p. 2). Le mot engendre la chute : Mickey tombe et tourbillonne dans l’espace. La narration sera toute entière une succession de chutes et d’ascensions jusqu’au repos final de Mickey. Le traducteur allemand conserve le pouvoir de l’adverbe en traduisant « Ruhe da unten ! », alors que le traducteur français retient la tournure française la plus attendue « Eh, là-bas ! C’est fini ? », et introduit du même coup une latéralité qui fait perdre à la protestation de Mickey sa logique d’engendrement graphique. Dans les deux autres exemples, l’iconique est informé par deux expresions idiomatiques qui restent en absence. Les boulangers enfournent Mickey englouti dans la pâte à pain (p. 10). Or, il existe une expression anglaise : « to have a bun in the oven » [a bun est un petit pain au lait], dont l’équivalent français pourrait être, dans un registre un peu plus familier, « avoir un polichinelle dans le tiroir ». Que l’on rapproche cette expression de la dénomination du four « Mickey Oven », et ce four « devient » le ventre de la mère, le lieu de la genèse de Mickey. Quelques pages plus loin, le narrateur nous dit : « Then Mickey in dough [pâte à pain] was just on his way » (p. 16). Un geste sur la page suivante est à lire comme l’indice d’un jeu de mots dont le second terme n’est pas verbalisé : on voit Mickey faire le salut militaire (p. 17). En américain, a doughboy est un soldat. Mickey serait donc un enfant qui joue à être un soldat en mission. Il affirme un peu plus loin qu’il est « Mickey the pilot » (p. 19). Le narrateur le dira plus modestement « Mickey the milkman » lorsqu’il plonge dans la bouteille de lait (p. 25). De ces trois métiers, seul le dernier figurera dans la version allemande.

Une lecture aveuglée

     La forte résistance de In the Night Kitchen à tout transfert culturel ne suffit pas à expliquer ma déception devant l’édition française de l’album, d’autant que la traduction allemande se révèle tout à fait satisfaisante.

    Tout se passe comme si le traducteur français avait été proprement aveuglé parl’écriture assonancée de Maurice Sendak, et qu’il lui avait semblé fondamental de recréer dans le texte français les effets formels du texte américain. Traduire, c’est toujours effectuer des choix. La question est ici la suivante : les choix de Jean-Henri Potier sont-ils pertinents ? Le rendement des jeux rimés est-il essentiel dans In the Night Kitchen (15) ? Je pars d’un exemple. Sendak écrit : « Where the bakers who bake till the dawn so we can have cake in the morn mixed Mickey in batter, chanting » (p. 7). Jean-Henri Potier traduit « Dans le pétrin de la cuisine trois pâtissiers de bonne mine mêlent les oeufs et la farine, et chantent. » Pourquoi ajouter cette qualification aux pâtissiers ? Pour obtenir en fait trois octosyllabes qui riment :

Dans le pétrin de la cuisine

trois pâtissiers de bonne mine

mêlent les oeufs et la farine

    Pour privilégier l’imitation d’une forme, le traducteur a été amené à sacrifier deux informations : l’activité nocturne pour le bien commun, à laquelle fait écho la dernière phrase du texte : « And that’s why, thanks to Mickey, we have cake every morning » (p. 35), et surtout la présence de Mickey dans la pâte, premier terme – nous l’avons vu – de la paronymie qui permet aux boulangers de confondre Mickey et le lait. N’ayant pas noué dès le départ le lien entre Mickey et le lait, le traducteur va se retrouver sans clairvoyance dans les passages stratégiques de l’album. Lorsque Mickey jaillit du four et se libère de la pâte, il déclare aux boulangers : « I’m not the milk and the milk’s not me ! I’m Mickey ! » (p. 12). Dans la traduction française, Mickey dénonce une confusion qui n’a pas été posée ou, plus précisément, il suggère trois confusions possibles : « Je ne suis pas du sucre, ni du lait, ni du beurre. Je suis Mickey. N’ayez pas peur ! » Une traduction littérale du passage ne présentait aucune difficulté. Le traducteur français disperce le sens de la protestation de Mickey. On voit ici les ravages qu’a pu entraîné le souci obsédant de la rime. Même remarque et même conclusion pour la chanson libératrice de Mickey dans la bouteille de lait. Sendak écrit « I’m in the Milk and the Milk’s in Me / God bless Milk and God bless Me ! » (p. 26). De ce Dieu, qui me semble être celui de la Genèse, celui qui nomme les être et les choses et qui garantit à Mickey son identité, il ne reste en français que cette pauvre rime : « Que c’est bon et doux le lait ! / Vive le lait quand il est frais ! »

    L’honnêteté veut de dire que le traducteur français, aurait-il su lire le voyage de Mickey aux sources de son identité, se trouvait de toute manière devant une situation linguistique bien difficile. Le français lui rendait quasiment impossible la re-création des jeux de mots qui donnent à l’album son sens. Le jeu de mot initial sur le prénom du héros est fondateur : sans lui, l’album s’effondre. L’allemand offre à Hans Manz une équivalence simple et pleinement satisfaisante : « Milch / Micky ». Aucune solution – une fois que l’on a exclu Pascalet (16) – ne se présente en français : aucun prénom masculin ne commençe ou se termine par [le]. On ne trouve guère mieux pour les trois autres jeux de mots. Et quelle malchance que l’adjectif correspondant au substantif français en soit phonétiquement si loin « lait / lacté » (17) ! Aucun des deux traducteurs ne rend le jeu de mots de la page 19 (« Mickey way »), mais Hans Manz profite cependant de ce que « Milky way » se dise « Milchstrasse » en allemand. Jean-Henri Potier essaie de compenser la perte en rapprochant – quant au sens – les deux termes à la page 22 : « plus haut que la voie lactée où le lait coule à volonté », mais le jeu de mots est perdu ainsi que le lien qu’il crée entre le lait et Mickey (17). Enfin les deux traducteurs ne trouvent aucune solution pour le « cakefree » final. Le seul réel cadeau qu’apporte la langue française est la polysémie du mot « cuisine » qui peut signifier tout à la fois kitchen et cooking. Qu’est-ce qui se cuisine de cette Cuisine de nuit ?

Finalement, pour un lecteur français, que raconte Cuisine de nuit ? L’essentiel a disparu : la menace qui pèse sur Mickey d’être confondu avec de la matière, l’angoisse de l’identité perdue, la fonction salvatrice de Dieu. Il est remarquable qu’à la page 26 non seulement toute référence à Dieu, mais également toute référence à Mickey ait disparu. Tout se passe comme si le héros n’était pas intimement impliqué dans cette dramatique aventure. Que reste-t-il ? L’histoire d’un petit garçon qui, de passif, devient actif et échappe à un trio d’adultes en leur fournissant un des ingrédients dont ils ont besoin pour faire « le pain du matin ».

Le traducteur allemand n’est pas arrêté comme le traducteur français par le rendement de l’écriture assonancée de Maurice Sendak. La proximité de ces deux langues accentuées que sont l’anglais et l’allemand va lui permette de créer sans contorsions excessives un texte lui aussi fait « pour l’oreille ». Du même coup, son attention reste disponible pour déchiffrer d’autres niveaux du texte.

    Là où Jean-Henri Potier peine à faire rimer adjectifs et substantifs, Hans Manz joue en virtuose de tous les temps et de toutes les formes verbales, les fait rimer entre elles ou les associe ici à un substantif, là à un adverbe, comme à loisir. Voici ce qu’il propose pour la page 7, dont le traducteur français avait tant sacrifié le sens dans son désir de rimer : « Hier standen die Bäcker an Tischen, um Micky in Kuchenteig zu mischen, sie schwangen den Teig und sangen. » Il fait aussi bien (mieux ?) que Sendak décrivant Mickey qui fabrique son avion : « dehnte und bog ihn, formte und zog ihn », quand Sendak avait écrit « He kneaded and punched it and pounded and pulled » (p. 14). Nous avons vu qu’une large parenté des lexiques anglais et allemand offre à Hanz Manz le jeu de mots dont il a besoin « Milch/ Micky ». On peut ajouter d’autres proximités lexicales, qui n’ont pas la même importance stratégique, mais qui participent au rythme et à la « couleur » du texte : « bakers/Bäcker », « Milkman/ Milchmann », « God/Gott », « bed/Bett » et, bien sûr, « In the Night Kitchen/In der Nachtküche ». Hans Manz recrée avec brio les effets d’écriture de Maurice Sendak, sans être condamné à s’écarter des unités de sens du texte original. Il a, de ce fait, toutes chances de ne pas passer à côté de l’essentiel. Micky dénonce la confusion qui le nie : « Ich bin nicht Milch und Milch ist nicht ich, Ich bin Micky ! » (p. 12), et il se met lui aussi sous la protection de Dieu « Gott behüte die Milch und behüte mich ! » (p. 26). Peut-on être certain pour autant que le traducteur n’a pas simplement suivi un texte anglais qu’il lui était assez facile de transposer, et qu’il a réellement lu l’album de Sendak et construit une interprétation proche de la mienne ? Deux indices m’invitent à le penser. Dans la double page 9-10, Hans Manz conserve scrupuleusement la confusion de Mickey, en remontant simplement du gâteau à la pâte (« Der Micky-Teig » pour « a delicious Mickey-cake ») et il introduit dans son texte – cas unique dans tout l’album – la traduction du « Mickey Oven » de l’image : « Der Micky-Teig wurde gehoben und in den Micky-offen geschoben ». Le traducteur estime qu’il lui faut donner au moins cette clé au lecteur.

La lecture des images

    Nous savons que toute traduction a tendance à l’explicitation. Sans doute est-ce là le prolongement spontané du travail d’élucidation qui s’effectue dans l’acte de lecture. Les traducteurs connaissent le piège et s’en méfient. Dans le cas précis des traductions d’albums, peut-on entrevoir dans le texte traduit des explicitations de l’illustration originale, qui se trouve, quant à elle, conservée dans l’édition étrangère ? En d’autres termes, arrive-t-il au traducteur de verbaliser une information qui n’est donnée que par l’image ? Dans la traduction allemande, il me semble avoir rencontré par trois fois ce mécanisme, mais toujours dans un souci de rythme ou de rime. Pour rendre « Past the moon & his mama & papa sleeping tight » (p. 4), Hans Manz utilise une information que seule l’image lui a donnée « Am Vollmond vorbeizog und an Papa und Mama ». Lorsque Mickey remonte du fond de la bouteille pour verser du lait aux boulangers, le traducteur exploite un détail de l’image pour avoir sa rime « Er schwamm nach oben, goss Milch vom Rand hinunter, wo der Kuchenteig stand » (p.27). De même, la dernière illustration donne au traducteur sa clausule et sa rime : « [Micky] glitt hinunter sehr tief / sprang in sein Bett / war trocken, schlief » (p. 34). Dans le texte français, les explicitations sont plus abondantes. La clausule du traducteur français est proche de celle du traducteur allemand, mais en choisissant « Et, bien au chaud, il se rendort », elle souligne la structure globale de l’album (19). À deux reprises, la présence des illustrations introduit par analogie l’univers du jeu enfantin, lors de la fabrication de l’avion (« Comme de la pâte à modeler, il la pétrit et la travaille » p.14) et lors la glissade le long de la bouteille (« Puis il descend en toboggan » p. 32). L’explicitation des images peut entraîner des inflexions de sens. Jean-Henri Potier inverse les regards en traduisant : « Madame la lune le voit, mais ni maman, ni papa. » (p. 4), alors que c’est Mickey (qui exclame « OOH ») et nous-mêmes qui voyons la lune – même s’il est vrai que la lune veille tout au long sur Mickey. Il interprète les expressions des boulangers (qui sont pour lui des pâtissiers) comme des expressions de peur (« Je suis Mickey. N’ayez pas peur ! » p. 12), puis d’affolement (« Les trois pâtissiers affolés » p. 17), là où on pourrait ne lire qu’une réaction de surprise, puis de colère (on a « howling » dans le texte original). Dans le premier exemple, Jean-Henri Potier déplace la peur de l’enfant sur le trio des adultes et anticipe l’inversion des rapports de force. Dans le second, l’affolement n’est pas si mal venu parce qu’il suggère une vulnérabilité des pâtissiers et nous prépare à ce ton de grande personne que prend Mickey à la page suivante en s’exclamant : « Vous voulez du lait, mes garçons » (p. 19) [« What’s all the fuss ? » dit le texte de Sendak].

    Quant à lire les images, le traducteur français aurait-il pu trouver dans celles de Maurice Sendak quelques détails qui l’auraient guidé dans le déchiffrement du texte et dans l’interprétation de l’album ? Il y a deux couples d’indices dans ce que Sendak dessine mais ne verbalise pas. Les premiers sont de nature religieuse et renvoient à la culture juive. Lorsque Mickey termine sa chute dans la pâte à pain, on voit apparaître sur la page de droite trois boulangers : le premier porte un sac de farine, le second une boîte de sel, le troisième une boîte – dont le contenu est difficilement lisible – est sans doute « baking soda » (20). La boîte de sel ornée d’une étoile de David (p. 6). On retrouve la boîte et son étoile dans le coin gauche de la page 9, quand l’un des boulangers s’avance avec une certaine solennité pour enfourner le « Mickey-cake ». Lorsque Mickey jaillit du four, la pâte lui fait comme un habit et le fragment qu’il porte sur la tête fait office de petite kippa juive (21).

    Ces deux signes auraient dû conduire le traducteur français à prendre très au sérieux la prière que Mickey adresse à Dieu, de même que le second couple d’indices – une bouteille et un four – qui nous « parlent » de mort et de résurrection. La boîte de « baking soda » de la page 6 est remplacée sur la page suivante par une bouteille jaune, posée par terre près de trois coquilles d’oeuf, sur laquelle on peut lire « Phoenix baking soda ». On est passé de la chimie au mythe. Cette bouteille apparaît par trois fois et elle accompagne Mickey dans son épreuve. Dans cette page 7, seule la tête de Mickey émerge de la pâte ; sur la page en vis-à-vis, il ne reste plus que sa main qui s’agite (un appel au secours ?). Mais la bouteille est là, comme une promesse. Dans la double page suivante, sont alignées de gauche à droite la boîte de sel avec son étoile, la bouteille toujours accompagnée d’une coquille d’oeuf et la porte du four ouverte, prête à « recevoir » le « Mickey-cake ». Dans une troisième et dernière étape, Mickey jaillit du four et de la pâte : la vapeur masque tous les espaces d’écriture, et seules demeurent, encadrant Mickey, « [P]oenix [b]aking soda » et « Mickey oven ». Ce four qui porte le nom de Mickey autorise deux lectures, qui ne sont pas incompatibles. La première est individuelle : le four est une des étapes de cette re-création et résurrection de Mickey, à laquelle nous pouvons associer la discrète référence à la propre résurrection de Maurice Sendak à l’hôpital anglais de Gateshead (voir note 7). La seconde est collective : Maurice Sendak sait qu’il y eut des fours qui ne furent pas des fours de fiction, des rêves dont les petits héros peuvent ressortir pour faire triompher leurs forces de vie. Ce qui n’est ici qu’un four « pour de faux » affleurera – mais sans jamais ne se dire – vingt ans plus tard dans Dear Mili (1988), puis dans We are all in the dump with Jack and Guy (1993), avec la silhouette du mirador d’un camp de concentration.

    Lire ces quatre indices dans l’image imposait de reconnaître à Mickey des préoccupations profondes, excluait de réduire sa prière à un simple éloge du lait frais et invitait le traducteur à explorer d’autres voies, à tenter d’autres choix.

    Les résistances à la traduction de In the Night Kitchen sont infiniment supérieures à celles que l’on rencontre d’ordinaire dans les albums pour enfants. Les éditions françaises et allemandes de l’album de Maurice Sendak me semblent mettre en lumière quatre problèmes.

    J’ai longtemps pensé que le médiocre rendement français des albums pour enfants anglais, allemands, suédois dont le texte original était fortement rythmé et rimé, voire écrit en vers, résultait pour l’essentiel de l’absence d’une tradition similaire dans la culture française. Mais ce travail sur Sendak me conduit à nuancer ma position et à estimer qu’il faut tout autant prendre en compte les spécificités de la langue française. Sans doute la culture enfantine française a-t-elle rompu dès son émergence au xviiie siècle avec le substrat populaire de nos comptines et formulettes. Mais ces petits vers régis par le mètre et la rime n’ont jamais eu la richesse rythmique et musicale des nursery rhymes anglaises par exemple. Ajoutons que la littérature pour la jeunesse du xixe siècle n’a rien produit en France qui ressemble à la littérature anglaise de nonsense, elle-même nourrie de la tradition des nursery rhymes. Est-ce à dire qu’il est impossible de rendre en français des pans entiers de la littérature enfantine étrangère ? Non, mais il y faut beaucoup d’art. On ne peut que saluer la réussite de Marie Farré à traduire Algernoon and other Cautionary Tales de Hilaire Belloc et celle de Christian Poslaniec à adapter The big brag du Dr Seuss (22).

    Lorsque les albums sont traduits dans une langue étrangère, nous avons pour habitude de considérer que les images, échappant à la malédiction de Babel, ne posent de problème dans la culture d’arrivée qu’en fonction de leur dimension référentielle. In the Night Kitchen nous rappelle que les images peuvent être nées d’expressions – parfois prises au pied de la lettre. Si l’expression est présente dans le texte original, le travail du traducteur relève alors de la résolution d’un jeu de mots, pour laquelle on ne pourra jouer que sur l’un des deux termes. Si l’expression est absente et qu’il est exclu de toucher à l’image, la déperdition semble inéluctable (23).

    À ce problème relativement classique (les traducteurs de Through the looking-glass l’ont rencontré avec « les insectes du miroir » représentés par John Tenniel), l’album contemporain ajoute une difficulté supplémentaire, celle des textes insérés dans l’image. Sendak se situe encore dans une apparente analogie au monde réel : écritures sur les boîtes d’aliments, publicités sur les facades des immeubles. Mais d’autres artistes, plus proches de nous, vont systématiquement jouer de la confusion du lisible et du visible dans des images sans profondeur, pratiquant le collage avec des fragments de journaux, conviant dans une même page – comme le fait Béatrice Poncelet – Le Petit Poucet illustré par Gustave Doré, Maria des mers illustré par Ivan Bilibine, Max und Moritz de Wilhelm Busch, Le dirigeable cage-à-mouches numéro un de O’Galop, dont l’un des deux héros est remplacé … par le Mickey de In the Night Kitchen (24). Il y a dans ces collages et ces montages un nouveau type de résistance à la traduction.

    Le dernier problème est à mes yeux le plus fondamental. Obsédé par un problème de traduction, Jean-Henri Potier n’a pas pris le temps de lire In the Night Kitchen. Ceci pose une question essentielle : qu’est-ce que lire un album ? Lire un album, ce n’est pas lire un texte, c’est lire un livre ; c’est lire ces entrelacs de sens que construisent le texte et les images. Il restera ensuite au traducteur à rendre la richesse de sa lecture par la force de sa seule traduction du texte.

(1) Where the wild things are est paru aux États-Unis en 1963 et il a été publié en 1967 chez Delpire sous le titre Max et les maximonstres, avant d’être repris à L’école des loisirs.

(2) Cité par Selma G. Lanes, 1980, The Art of Maurice Sendak,New York, Harry N. Abrams, page 174.

(3) Le nom du traducteur figure en bonne place dans la page titre intérieure où il a été inséré selon le même lettrage, alors que celui du traducteur français ne figure qu’en petits caractères dans les informations éditoriales obligatoires.

(4) L’album n’est pas paginé. Je numérote les pages à partir du début du texte de Sendak, la page impaire se trouve donc du même coup être celle de gauche. Les barres inclinées marquent le passage du texte d’une bulle ou d’une page à la suivante.

(5) Iona and Peter Opie, 1975, The Oxford Dictionary of Nursery Rhymes,Oxford, O.U.P., p. 312.

(6) L’inévitable déperdition se retrouve dans un autre album de Sendak, Higglety Pigglety Pop ! (1967) traduit en français en 1980 sous le titre Turlututu Chapeau Pointu ! La combinaison narrative de deux nursery rhymes fonde deux autres albums de Maurice Sendak, Hector Protector (1965) et We are all in the dumps with Jack and Guy (1993). Aucune culture enfantine « sous-entendue » ne fonctionne alors pour un lecteur français.

(7) « Kneitel’s Fandango » (p. 5) = Kenny Kneitel, collectionneur de Mickey Mouse ; le nom de la chienne de Sendak, Jennie et sa date de naissance, 1953 (sac du boulanger de gauche, p. 7) et sur un sac à terre – presque illisible – « Killingworth, Connecticut », son lieu de naissance ; entre les doigts du boulanger de droite, un portrait de la mère de Sendak. Au centre de la double page 9-10, deux adresses d’enfance de Sendak à New-York, qui nous donne également sa date de naissance à la page 15. Dans la grande double page 23-24, « Schickel » est un hommage à Richard Schickel, auteur d’une biographie de Walt Disney. Enfin page 32, l’inscription sur un bâtiment « Q.E. Gateshead » renvoie à l’hôpital anglais où Maurice Sendak fut soigné durant l’été 1967 d’une attaque cardiaque. Toutes ces éclaircissements sont donnés par Selma G. Lanes (op. cit.) dans le chapitre qu’elle consacre à In the Night Kitchen.

(8) Né en 1928, Maurice Sendak a 42 ans lors de la publication de l’album.

(9) Les hasards de la langue font que le traducteur allemand peut conserver telle quelle la bulle « Mama, Papa » de la page de dédicace et de la page 4. La version française ajoute discrètement un « m » pour obtenir « maman ».

(10) Mais il reste surprenant que deux éditeurs aussi sérieux que L’école des loisirs et Diogenes Verlag ne respectent pas le lettrage rouge choisi par Sendak et lui substituent un noir opaque en allemand et un lettrage noir évidé en français.

(11) Maurice Sendak dit que cette invention des trois boulangers renvoie à un souvenir d’enfance, à une publicité pour les « Sunshire Bakers » représentant trois gros boulangers et accompagnée du slogan « We Bake While You Sleep ». C’est la diffusion de la télévision d’un film de Laurel et Hardy – Nothing but trouble – qui lui donna l’idée de leur donner le physique de Hardy. ( Selma G. Lanes, op. cit. p. 174 et 179).

(12) Maurice Sendak dit avoir découvert l’oeuvre de Winsor McCay, dont il ignorait tout jusqu’alors, à l’occasion d’un exposition au Metropolitan Museum of Art en 1965, qui présentait des planches de Little Nemo in Slumberland. « I now sent me scooting back, with new eyes, to the popular art of my own childhood » ( Selma G. Lanes, op. cit. p. 175).

(13) J’ignore ce qu’il en est d’éventuelles éditions allemandes.

(14) On peut se demander si l’idée soudaine de Maurice Sendak de prêter aux boulangers la silhouette et le visage de Hardy ne trouve pas son fondement dans une réminiscence inconsciente du profil et de la silhouette – massive et blanche – du boulanger de Wilhelm Busch. L’appropriation personnelle des deux héros de Bush par ‘Moritz’ Sendak se manifeste en 1963 lorsqu’il donne au héros de Where the Wild Things Are le prénom de Max.

(15) Ce qu’il est par exemple dans les traductions des albums du Dr Seuss.

(16) Héros de l’écrivain Henri Bosco.

(17) On en regrette d’autant plus que le traducteur ait négligé de traduire « Mickey the milkman » (p. 25). La profession de « laitier » gardait cette fois toute la lisibilité de son radical.

(18) Dans un long article intituké « La cuisine de Maurice Sendak », Pierre-Pascal Furth suggère que cette dernière traduction fait écho au passage d’Exode (III,8) qui évoque « une contrée où ruissellent lait et miel (Europe, novembre-décembre 1979, Paris, n°607-608, p. 82).

(19) Tout ce récit de rêve est rendu au présent par le traducteur. Le prétérit est une source de difficultés en français, et le présent du texte rejoint ici le « présent » des images : le rêve de Mickey comme si vous y étiez.

(20) C’est-à-dire du bicarbonate de soude ; on en met une pincée pour fabriquer de nombreux pains.

(21) Maurice Sendak appartient à une famille juive d’origine polonaise.

(22) Philibert (illustrations de Quentin Blake), 1991, Paris, Gallimard ; Le plus vantard, 1986, Paris, L’école des loisirs.

(23) Edmond Cary est, à ma connaissance, le premier spécialiste des problèmes de traduction à avoir évoqué les problèmes posés par la traduction des livres pour enfants. Dans un cours radiodiffusé en 1958, il évoque la tyrannie des illustrations : « Le texte anglais parle de « traffic jam » (embouteillage) et joue sur le mot « jam », qui signifie aussi confiture. Le traducteur aurait la partie belle avec les doubles sens du mot embouteillage, avec les voitures en carafe, que sais-je encore. Mais l’image montre, d’une part des autos et, de l’autre, un magnifique pot de marmelade  » (Edmond Cary, 1985, Comment faut-il traduire ? Lille, Presses Universitaires de Lille, p. 54).

(24) Chez eux, chez elle ou chez elle, 1997, Paris, Éditions du Seuil. Précisons que toutes ces citations iconotextuelles sont retravaillées par l’artiste.

(article paru dans Traduction pour les enfants, Meta, volume 48, numéro 1, Presses de l’Université de Montréal, mai 2003)

Etudiante à la Sorbonne, enseignante, pendant deux années, en lycée, puis à l’Université de Haute-Bretagne-Rennes II comme professeur émérite de Littérature générale et comparée, Isabelle Nières-Chevrel consacre ses recherches à l’histoire de la littérature d’enfance et de jeunesse, tant sur l’album que sur le roman, étudiant les rapports entre texte et images tout comme les questions de traduction, d’adaptation et de réception. Elle est également spécialiste de Lewis Carroll et de la Comtesse de Ségur. Contribution aux Cahiers du CRILJ n°2 (novembre 2010) avec un texte à propos de Babar, le petit éléphant. Parmi ses nombreux travaux, une Introduction à la littérature de jeunesse parue chez Didier jeunesse en 2009. « La littérature de jeunesse est faite pour permettre au jeune lecteur d’acquérir une compétence, en limitant justement ses zones d’incompétence. C’est elle aussi qui a pris par la main les naïfs lecteurs que nous étions et qui, pas à pas (page à page), a construit en nous les fondements d’une expertise. Elle nous a fait lecteurs et elle a fait écrivains quelques-uns d’entre nous. » Merci à Isabelle Nières-Chevrel (et à la revue Méta) de nous avoir permis, par la publication de cette étude, de rendre ici hommage à Maurice Sendak.

Des enfants et des livres

 

 

Texte adopté par le bureau du CRILJ le 3 mars 1987.

     1. La vitalité et la diversité de la littérature pour la jeunesse dans notre pays tiennent en grande partie à la liberté de l’édition qui est de droit en France.

    Le CRILJ qui est un lieu de rencontres de personnes d’opinions différentes défend cette liberté de l’édition, particulièrement dans tous les domaines de la littérature de jeu- nesse : liberté d’expression des écrivains et des illustrateurs, liberté de publication des éditeurs, liberté de jugement des critiques, liberté de choix des bibliothécaires, liberté pédagogique des enseignants, etc.

    2. La littérature de jeunesse a des exigences particulières : du jeune enfant au jeune adulte, elle s’adresse à des personnes en formation qu’il importe d’aider à devenir responsables et libres en concourant au meilleur développement possible de leur intelligence et de leur sensibilité encore fragile.

    Il est souhaitable que tous ceux qui contribuent à la littérature de jeunesse, de la création à la lecture, aient toujours conscience de ces responsabiltés.

    Le CRILJ a été créé pour promouvoir une littérature de qualité dans le plus grand respect dû à l’enfant et à l’adolescent.

    Ce respect exige aussi qu’on n’arrête pas le développement de l’enfant à un stade infantile.

    3. Le CRILJ entend bien concilier les exigences de la liberté de création et les exi-gences du respect de l’enfant.

    Le CRILJ constate que cette conciliation se pratique normalement par la médiation d’adultes responsables (parents, éducateurs, bibliothécaires, enseignants, etc) afin que « le bon livre parvienne à l’enfant au bon moment » et qu’ainsi l’enfant puisse exercer son choix.

    Pour faciliter cette médiation nécessaire, il importe que chacun des responsables joue pleinement son rôle, qu’il ait une bonne connaissance des enfants qui lui sont confiés, des publications, de leur contenu, de leur valeur.

    Depuis ses origines, le CRILJ souhaite une formation toujours meilleure des personnels spécialisés et une information plus vaste et plus précise par les divers mouvements, associations, institutions et par la presse, la radio, la télévision.

    Ni la lecture ni l’éducation ne sont des choses simples. Le livre n’est jamais un produit neutre. Refusant toute « chasse aux sorcières », récusant les amalgames, les dénonciation et les anathèmes, le CRILJ estime légitime la diversité des courants, des options, des opinions, dans le respect des grandes valeurs humaines.

    4. Le CRILJ invite ses adhérents à poursuivre leurs efforts en faveur d’une littérature de qualité, avec le même discernement et la même opiniatreté.

    C’est une tâche difficile et complexe, rendu nécessaire par la richesse de la littérature de jeunesse qu’on ne peut pas simplement réduire, de façon manichéenne, à les listes de « bons livres » recommandés par tous ou de « mauvais livres » défendus pour tous.

    On ne peut donner à lire n’importe quoi à n’importe quel enfant. On ne peut pas non plus transformer les jeunes lecteurs en bébés-bulle vivant dans un univers aseptisé sans rapport avec la réalité qui l’environne. A ce titre, toutes les grandes œuvres de notre patrimoine risqueraient une condamnation, alors que ce sont des livres d’initiation : un grand livre est toujours vivant, toujours à l’œuvre dans l’esprit de celui qui l’a lu. Il conduit plus loin. Il participe à la vie et à ses changements.

    Le CRILJ incite ses adhérents à se garder aussi bien du laisser-aller que du terrorisme intellectuel qui prétend légiférer tout le monde, aussi bien de l’abandon aux puissances de l’argent que du retour à l’obscurantisme pervers, aussi bien du laxisme à la mode que du puritanisme de la peur.

    Le CRILJ invite ses adhérents à assumer pleinement leur rôle de créateur ou d’inter-médiaire entres les enfants et les livres, chacun unique, tous différents, irremplaçables.

( article paru dans le n° 30 – mars 1987 – du bulletin du CRILJ )

 

 

 

 

 

 

 

 

Claude Duneton

par Jacques Cassabois

 

Cher grand Claude en allé…

Enfin libre.

Enfin souple et léger, ingambe comme tu ne l’as jamais rêvé.

Tu as retrouvé ta voix d’écorce,

tes yeux d’eau salée, dissimulés dans tes sourires de malice,

et le torrent de tes mots, si longtemps obstrué, peut à nouveau jaillir et irriguer de ta paix

nos terres orphelines.

La maladie, depuis treize mois, t’emprisonnait dans ses carcans.

Tu viens de lui fausser compagnie.

Tu es sorti par le haut.

 

L’air se défroisse, sous la percée de l’herbe nouvelle,

discrètement perlée de primevères et de violettes.

Tu as choisi ce temps pour nous quitter.

La nuit est transparente,

des angélus tintent dans le cristal du ciel,

et, sur le rivage, l’océan a couché pour ton pas, une jonchée d’écume.

 

Tu as pris place dans ta barque.

Un bagage t’y attend, léger :

l’amour de tous ceux que tu as aidés, encouragés, accompagnés, préfacés…

J’y dépose le mien à mon tour.

Par-dessus tout ce que tu m’as donné, je conserve ce trésor ultime : ta main gauche de Lille ;

ta main de nos complicités dernières, qui scandait chacune de tes émotions

et qui serrait, serrait…

 

Au large, le continent d’Hyperborée dissipe ses buées,

l’île d’Avallon se découvre et ses vergers d’azur constellés de pommiers.

Des voix amies s’élèvent et te hèlent.

Elles te chantent par les mille noms oubliés de tes incarnations passées.

La lueur de leurs couplets fait danser l’obscurité.

Elles te convient au grand mélange et tu les laisses venir à toi, confiant.

Sous leur souffle, ta voile prend du gonflant.

Tu te détaches peu à peu,

tu t’en vas,

et te voici déjà hors d’atteinte, approchant les confins.

 

O mon bon frère en partance,

il m’est joie de savoir que tu accosteras bientôt.

( mars 2012 )

  

 Né en 1947, Jacques Cassabois interrompt sa scolarité pour devenir comédien. « L’année de mes 18 ans, mon bac en poche, je suis entré à l’école du Théâtre National de Strasbourg. Mon père ne l’a jamais su. Il était mort entre l’écrit et l’oral. » Il devient instituteur, entre à la Fédération des Œuvres Laïques de Seine-et-Marne et découvre la littérature pour la jeunesse. Il participe au comité de rédaction de Trousse-Livres, aujourd’hui Griffon. Participe, un samedi de 1984, avec une vingtaine de ses collègues, à la création de La Charte des auteurs et des illustrateurs dont il est président pendant trois ans. Parmi ses ouvrages : L’homme de pierre (Léon Faure 1981), Le premier chant (Ipomée 1983, Monsieur Pasteur (La Farandole 1985), Les deux maisons ( Hachette 1990) Lauréat du grand prix de la Société des Gens de Lettres et du Ministère de la Jeunesse et des Sports. S’intéressant aux textes fondateurs et aux héros mythiques, tels Sindbad ou Gilgamesh, son dernier ouvrage est consacré à Jeanne d’Arc (Hachette 2011). Merci a Jacques Cassabois pour nous avoir confié cet hommage.

Une bibliothèque à Saint-Tropez

par Laurence Warot

    J’ai suivi en 1971 une formation d’animatrice socio-culturelle à Peuple et Culture, mouvement d’Education populaire créée par Benigno Cacérés et Joffre Dumazedier.

    Au cours de cette formation de deux ans j’ai visité la bibliothèque pilote de Clamart. Celà a été pour moi un coup de foudre sociétal. J’ai depuis mon enfance été passionnée par la lecture et cette bibliothèque entièrement conçue pour les enfants m’a ouvert des horizons inconnus à moi jusqu’alors.

    En 1979, j’habitais en Seine-et-Marne. Je tombe sur une annonce dans le journal Le Monde qui propose un poste de bibliothécaire-animatrice à Saint-Tropez, par concours. Je n’avais pas fait d’école de bibliothécaire et n’avais donc pas le diplôme. Je postule néanmoins et, à ma grande surprise, peu de temps après, je reçois un courrier m’indiquant que j’étais présélectionnée et que je devais me rendre à Saint-Tropez pour y passer le concours.

    Ce concours était à l’initiative de Madame de Raïssac, adjointe à la culture à la mairie de Saint-Tropez qui avait demandé à Monique Bermond et à Roger Boquié de sélectionner la personne chargée d’organiser et d’animer cette nouvelle bibliothèque.

    Et Monique Bermond et Roger Boquié me choisissent, moi qui n’avais que ma passion pour la littérature jeunesse ! Tollé. D’abord la directrice de l’Ecole de bibliothécaires de Massy-Palaiseau qui, compte tenu que plus de cent bibliothécaires diplômés d’état s’étaient présentés à ce concours, n’a pas admis qu’une personne ne faisant pas partie de son école soit sélectionnée. Le maire de Saint-Tropez Monsieur Blua souhaitait, lui, ne pas tenir compte de ce concours et embaucher la femme d’un journaliste de Nice-Matin habitant à Saint-Tropez.

    Monique Bermond et Roger Boquié sont alors « entrés en résistance » en prévenant qu’ils dévoileraient l’affaire sur les ondes de France-Culture si on les avait fait se déplacer pour au final ne pas tenir compte de leur avis.

    J’ai donc été embauchée comme bibliothécaire-animatrice à Saint-Tropez en 1980.

    J’ai appris la bibliothéconomie en une semaine en suivant un stage à la fédération Léo Lagrange qui comprenait, selon les orientations   de Peuple et Culture, également l’organisation d’une politique culturelle dans une commune.

    Six mois avant l’ouverture de cette bibliothèque, j’ai rendu visite à toutes les classes de la petite section de maternelle à la troisème, chargée de livres que je présentais aux instituteurs, aux professeurs et, bien entendu, aux élèves.

    Madame de Raïssac avait demandé à un architecte tropézien de concevoir l’ameublement de la bibliothèque selon le schéma de celle de Clamart qui m’avait tant séduite. J’ai, quant à moi, été chargée de la décorer.

    Avant même l’ouverture officielle de la bibliothèque, environ cent cinquante enfants étaient venus s’inscrire. Au départ j’ai eu trois milles livres à classer par titre, auteur et matière. J’ai donc rédigé à la main neuf milles fiches. Mais ce n’était pas un travail pour moi. Juste le plaisir de lire et d’analyser ce que je lisais.

    Dès l’ouverture, la bibliothèque qui était ouverte du mardi au samedi, a été fréquentée assidûment par les jeunes, tant pour le prêt de livre que pour les animations que j’y faisais. Bien sûr j’ai organisé de nombreuses animations autour du « Livre Vivant », fait venir des illustrateurs et des écrivains qui partageaient leur goût de la lecture avec les jeunes Tropéziens.

    Les livres mènent à tout pourvu qu’on ait le sens du partage et la passion de rendre le livre vivant.

( décembre 2011 )

 

Bac en poche et après une solide formation d’animatrice socioculturelle Peuple et Culture assurée par Joffre Dumazedier, Laurence Warot crée en 1973, à Ibos (Hautes-Pyrénées), sa première bibliothèque. Elle en créera également une à Saint Tropez (Var), en 1980, et à Essomes sur Marne (Aisne) en 1991. Responsable plusieurs années d’une bibliothèque de comité d »entreprise de la SNCF à Lille (Nord), elle fut également directrice de MJC, journaliste, directrice d’agence immobilière. Nombreuses activités bénévoles, notamment au Secours Populare.

Une intervention à la Commission de surveillance

par Raoul Dubois

    Voici le texte de mon intervention à la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à la jeunesse à propos de Après la guerre des chocolats de Robert Cormier. La bataille a été rude mais j’ai vu avec plaisir que d’autres commissaires se sont joints à nos efforts. Un représentant du Syndicat de l’édition a aussi fait de très bonnes interventions. Malheureusement, nous ne sommes pas à l’abri de divers incidents, surtout tant que divers ministres règleront leurs querelles sur le dos de l’édition.

     « Il est tout à fait exceptionnel que notre commission se trouve dans la situation d’examiner des livres qui sont édités pour la jeunesse. Il est non moins exceptionnel que depuis les premières séances de cette Commission je sois amené à m’excuser par avance auprès de vous de la longueur de mon intervention.

    On me permettra j’espère de faire un peu d’histoire puisque, depuis le départ de Monsieur Pottier, je me trouve le plus ancien – dans le grade le moins élevé, qu’on se rassure – membre de notre assemblée.

    Je rappellerai donc que, dès sa création, la Commission a été confrontée aux conséquences pratiques du texte de la loi du 16 juillet 1949.

    Ce texte est clair, la loi s’applique sans aucune ambigüité aux publications périodiques ou non, se présentant comme principalement destinées à la jeunesse, le terme étant, très explicitement dans la loi, relatif à l’enfance et à l’adolescence. La nécessité du dépôt en 5 exemplaires des ouvrages de toute nature ne saurait faire de doute.

    Bien que la production à l’époque n’atteigne pas les sommets actuels, le secrétariat, déjà submergé par la presse pour la jeunesse et par les publications relevant de l’article 14, saisit avec empressement la proposition que nous avons faite alors de surseoir à l’examen systématique des ouvrages édités dans les collections pour la jeunesse, en accord d’ailleurs avec le Syndicat National de l’Edition.

    En effet, il ne pouvait être question d’un examen non exhaustif des ouvrages en jeu et c’était déjà à l’époque plus de 2000 titres chaque année. Il fallait alors ou multiplier le nombre des rapporteurs, ou siéger de façon hebdomadaire, ou créer des sous-commissions. Ni le législateur, ni les divers Gardes des Sceaux qui se sont succédés n’ont eu l’intention d’aller dans cette voie.

    Depuis, la production d’ouvrages pour la jeunesse a connu un progrès quantitatif considérable puisqu’on peut tabler chaque année sur 4500 à 5000 titres de nouveautés et de réimpressions qui seraient pour nous des nouveautés, n’ayant jamais fait l’objet d’un examen.

    C’est dire que la tâche dépasse nos possibilités.

    Sagement, la commission a donc dans le passé décidé que, avec des inégalités de valeur, dans la pluralité des intentions, dans la diversité des idéologies, la création et l’édition de la littérature de jeunesse relevaient du champ de la critique sur l’opportunité de revenir sur cette sage position devant les injonctions qui nous sont faites d’intervenir.

    En effet, de quelles armes disposons-nous dans l’application de la loi quand elle prend en compte des livres pour la jeunesse ?

    L’étude du texte ne permet pas d’en douter, nous ne pouvons disposer que d’une demande de poursuite pour infraction à la loi du 16 juillet 49, demande que la commission adresse à Monsieur le Garde des Sceaux. Cette poursuite n’entraîne pas le retrait de l’ouvrage.

    Rappelons que seules les publications pour adultes sont susceptibles de l’application des dispositions prévues à l’article 14 de la loi.

    Par ailleurs, les procédures périodiques à destination de la jeunesse si elles sont efficaces dans le cas d’un périodique ne peuvent en aucun cas être appliquées à un livre dont la parution est achevée au moment où il sort des presses et dont la réimpression éventuelle ne peut qu’avoir lieu qu’à l’identique sauf avis contraire de l’auteur. Dans le cas contraire, on entre dans un processus de censure, contraire à nos traditions nationales et à nos textes fondamentaux.

Pour rester dans le côté plaisant, cela nous rappellerait fâcheusement ces livres où de pieuses mains rayaient quelques vocables à l’encre de Chine pour en préserver de chastes consciences. Mais vous savez bien qu’en ces domaines le plaisant risque vite de s’effondrer devant les atteintes à la liberté et à leurs conséquences. Il y a donc lieu d’examiner la situation. Est-elle devenue si grave qu’elle demande des mesures dont je crois avoir montré combien elles comportaient de risques de dérapage grave. En ce domaine aussi les « bavures » sont possibles et il convient de les éviter.

    Très franchement il ne me semble pas que la situation de la littérature de jeunesse en notre pays puisse se prêter à de telles mesures extrêmes.

    Ce qui me permet de parler ainsi, c’est une fréquentation constante depuis de longues années de ce qui de ce qui se publie en France et en langue française à destination de nos enfants et de nos adolescents.

    Ce qui me permet de parler ainsi, ce sont les quelques vingt cinq mille fiches accumulées depuis de longues années et que je veux bien mettre en consultation pour les commissaires qui voudraient en prendre connaissance.

    Est-ce dire que tout est parfait ?

    Non, bien sûr, ce qui est en cause, c’est une littérature justiciable de la critique plurielle la plus libre, mais devant être protégée de toute mesure administrative, pas une littérature réclamant des mesures répressives.

    Il est clair que nous pouvons les uns et les autres diverger de façon sérieuse dans les analyses que nous conduisons sur notre société, son évolution, le projet éducatif ou civique que nous formons pour l’enfant. Bien mieux, à l’intérieur des mêmes groupes idéologiques nous constatons des nuances si importantes que les clivages semblent parfois faire fi des idéologies. De plus, il ne suffit pas de répéter que notre société connaît des mutations technologiques profondes et de refuser leurs conséquences même affaiblies, parfois très contradictoires sur les mœurs et sur l’approche des divers problèmes par la jeune génération.

    Pour revenir au plaisant, j’emprunterai à un texte dû à l’un de nos plus délicats poètes qui a beaucoup fait pour la rencontre de la poésie et des jeunes, quelques remarques :

    « Dans quel ouvrage « une jeune fille de 15 ans dont on décrit la peau douce et la voix enchanteresse, est en réalité un monstre. Elle se drogue, elle essaie de séduire un jeune homme de très bonne famille, elle s’envole etc. Un tissu d’absurdités. » (La petite sirène)

    Ou encore :

    « Un livre qui conduit sournoisement à la zoophilie. » (Le livre de la jungle)

    Je ne rappellerai pas non plus les jugements que J.J Rousseau porte sur les livres qu’il interdirait volontiers aux enfants, à part Robinson Crusoé, dont d’autres ont pu dire qu’il évoquait « des rapports troubles entre un blanc et un noir ». Souvenez-vous aussi de la psychanalyse des la Comtesse de Ségur et de celle des contes de fées.

    C’est là action critique et les familles comme les éducateurs ont sans doute à tenir compte de ces avis car ils reflètent également une réalité de la littérature de jeunesse dans la mesure où cette littérature est la vie.

    Dans un texte récent, le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la jeunesse (CRILJ) dit, voulant raison garder :

    « On ne peut pas donner à lire n’importe quoi à n’importe quel enfant ; on ne peut par non plus transformer les jeunes lecteurs en « bébés-bulles », vivant dans un univers aseptisé sans rapport avec la réalité qui l’environne. A ce titre, toutes les grandes œuvres de notre patrimoine risqueraient une condamnation, alors que ce sont des livres d’initiation. Un grand livre est toujours vivant, toujours à l’œuvre dans l’esprit de celui qui l’a lu. Il le conduit plus loin, il participe à la vie et à ses changements. »

    C’est pourquoi je continue à penser que la commission a été sage en essayant de ne pas dépasser les objectifs de son action et de le laisser à la littérature de jeunesse l’espace de liberté dont elle a besoin.

    J’ai déjà dit par ailleurs, lors des débats de 1982 et de 1983, ce que je pensais de l’article 14 de la Loi, mais de grâce qu’on ne se livre à aucun amalgame, les problèmes posés ne sont pas de même nature.

    Il reste que j’étais chargé du rapport sur le livre de Cormier Après la guerre des chocolats et que sur ce cas concret, je ne me déroberai pas.

    Commençons par la fiche que j’avais établie en juillet 1986 :

    Après la guerre des chocolats – Cormier Robert

    Ed. Ecole des loisirs 271 p., 1986

    1ère édition U.S.A. 1985

    Trad. de l’américain : Michèle Poslaniec.

    « La guerre des chocolats s’était soldée par un beau gâchis humain. Jerry Renault avait dû partir loin de la ville pour rétablir une santé physique compromise, David ne supportait par d’avoir trahi, Ray se sentait coupable. Mais les « vigiles » continuaient. « Frère Léon » étant directeur et Archie toujours le chef des vigiles, ils se partagent le pouvoir dans le collège.

    Cette nouvelle année va être encore une progression dans l’horrible. Brimades, suicide de David, retour de Jerry plus ou moins sombrant dans le mysticisme, tentative de meurtre sur la personne d’Archie par l’un de ses lieutenants après l’échec du viol collectif sur sa petite amie. Tout cela dans une atmosphère d’école catholique bien pensante.

    Si l’ouvrage pose avec force la question du « pouvoir » et de l’abus de pouvoir, il n’est à notre avis accessible à ce niveau qu’aux éducateurs. Pour les jeunes lecteurs il serait le plus souvent pris au premier degré et aboutirait en fait à banaliser les pratiques de racket et de brimades. A l’horizon se profile un 3ème volume qui débouchera sur la drogue et la violence plus systématique et mettra en scène de jeunes adultes.

    Il ne nous semble pas qu’un tel ouvrage doive trouver place dans les collections lues au niveau de la 4ème, et surtout pas avant. »

   Si ma fiche s’arrête là et ne parle ni des qualités d’écrivain de Cormier, ni de la véritable performance de la traductrice, c’est que j’ai eu à l’occasion de les signaler dans les ouvrages précédents du même auteur.

    Pour votre information, j’ajouterai que nous possédons en France quatre ouvrages de Cormier :

     La guerre des chocolats, première partie de cette histoire dans laquelle apparaît une bande rackettant un collège de la Nouvelle Angleterre, avec une tolérance pour le moins passive de certains responsables. Ce livre nous était apparu à réserver à de jeunes adultes, ou à des jeunes déjà lancés dans des actions d’éducation.

     Après ma première mort, qui tourne autour d’une prise d’otage et du conflit entre un enfant et son père, ce dernier utilisant son fils pour régler le problème posé. Une œuvre difficile convenant surtout aux jeunes adultes.

     Je suis le fromage, un ouvrage d’une grande complexité mettant en scène un enfant dans une atmosphère de services secrets, de manipulations, de lavage de cerveau, sur fond de police et de psychiatrie, également peu accessible aux jeunes lecteurs.

    C’est dire que le personnage de l’auteur est complexe et difficile à cerner dans la production littéraire aux U.S.A. où il est considéré comme l’un des meilleurs auteurs actuels pour la jeunesse, même s’il prend quand à lui des distances par rapport à cette affirmation.

    Des différentes interviews de Cormier publiées, dont certaines en langue française, nous pouvons conclure que l’action de Cormier écrivain n’est pas fortuite, Cormier tient à un certain nombre de valeurs, il insiste sur notre rôle en disant : « Des événements terribles se produisent parce que nous leur laissons la possibilité de se produire ».

    Quand il fait référence à La guerre des Chocolats pour la comparer à l’Allemagne nazie, il tente d’expliquer le terrorisme et l’incompréhension devant ce mode de pensée.

    Pour Après ma mort : « Ces actes ne peuvent s’accomplir que dans une innocence totale, une innocence monstrueuse personnifiée par Miro. »

    Et il dit aussi : « Je suis effrayé par le monde d’aujourd’hui. Il me terrifie et je suppose que cela transparaît dans mes livres. C’est la taille des choses qui m’angoisse. Certaines écoles comptent jusqu’à 3000 élèves et même la taille de ces écoles me fait peur et j’ai peur aussi de ces immenses systèmes de défense nationale. »

    Tous ceux qui ne discutent pas avec les jeunes dans des rapports de soumission ou d’intérêt ont en fait reconnu là des thèmes majeurs. Ils expliquent le succès de Cormier aux U.S.A., son succès moindre en France et pour des classes d’âge plus élevées.

    La critique dans son ensemble ne s’y est pas trompée. Citons le très intéressant article d’Edwige Talibon Lapomme dans l’Ecole des Parents, celui de la revue des Bibliothèques pour tous, plus réservé, celui d’Hélène Bardou dans Griffon et bien entendu les attaques de Marie-Claude Monchaux dans son pamphlet Ecrit pour nuire, qui nous vaut de discuter ce livre aujourd’hui.

    L’éditeur a-t-il voulu adresser ce livre à des jeunes lecteurs ? Il suffit d’en regarder la présentation. Dans ses catalogues, l’accent est mis sur le fait de s’adresser à des lecteurs plus âgés, plus mûrs, plus proches de l’âge adulte.

    C’est dire qu’un tel ouvrage pose bien la responsabilité réelle de l’adulte. Mis entre les mains des jeunes non susceptibles de le recevoir avec fruit, ce livre n’atteint pas son but et peut encourager des déviations, arrivant au bon moment il peut au contraire faire poser les interrogations les plus essentielles.

    Mais en quoi sommes-nous dans le domaine de la loi de 1949 ? Où y a-t-il démoralisation de la jeunesse ? Où y a-t-il des comportements présentés sous un jour favorable ?

    A quels enfants pensent les adversaires de ce livre ? Même pas à ceux d’autrefois placés au travail très tôt dans la promiscuité des adultes. Qui a oublié les scènes de collège du Petit Chose ou celles de Poil de carotte ? Qui n’a pas relu les œuvres de Musil ou de Rudyard Kipling dans Starky et Cie ?

    Une chose est de critiquer ce texte, de ne pas en faire un livre pour les jeunes lecteurs, une autre est de sanctionner sans véritable motif pour avoir donné une image d’un monde dangereux dont nous sommes tous, et parfois malgré nous, responsables.

    Vous l’avez compris, même si nous avions, ce qui n’est pas le cas, les moyens d’intervenir je m’opposerais de toutes mes forces à une intervention sous peine de voir la Commission s’écarter dangereusement de son rôle et de sa mission.

( texte paru dans le n° 82 – février 2005 – du bulletin du CRILJ )

 

Né en 1922, Raoul Dubois est à seize ans plus jeune instituteur de France. Résistant pendant la seconde guerre mondiale, il cache des enfants juifs, les faisant passer pour musulmans. Il s’engage au Parti Communiste. Après guerre, il consacre son énergie à l’école publique, d’abord dans le primaire puis en collège. Fondateur à la Libération des « Francs et Franches Camarades », il y fut à l’origine des revues Jeunes Années et Gullivore. Raoul Dubois est l’auteur d’ouvrages historiques pour la jeunesse tels que Au soleil de 36 (1986), À l’assaut du ciel (1990), Les Aventuriers de l’an 2000 (1990) Julien de Belleville (1996). Co-fondateur du CRILJ, il lui restera, organisateur et débatteur de talent, avec Jacqueline son épouse, fidèle sa vie durant. « Raoul Dubois a été un éminent lecteur de littérature de jeunesse, un critique exemplaire, toujours exigeant et ne confondant jamais littérature et pédagogie. Il savait lire, il aimait lire et il faisait vite la différence entre la cohorte des textes toujours à la mode, toujours au goût du jour, et les textes écrits. » (Yves Pinguilly)

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Du côté d’Oskar

par André Delobel

Entretien avec Bertil Hessel, directeur des éditions Oskar.

André Delobel : Bertil Hessel, racontez-nous quand et comment vous avez été amené à créer la maison d’édition pour la jeunesse Oskar ?

Bertil Hessel : Oskar Jeunesse, cela commence il y a cinq ans, à Paris, J’étais enseignant et j’ai décidé de continuer ma mission d’éducation en devenant éditeur, c’est-à-dire en poursuivant des objectifs qui me semblaient aujourd’hui essentiels : faire des livres que les enfants apprécient, trouver des histoires qui permettent aux enfants et adolescents de parler avec leurs parents, leurs copains sur des sujets pas forcément faciles, éditer des histoires qui permettent de faire réfléchir à des choses importantes : lutter contre les préjugés, aborder des thèmes qui engagent, etc. Je pense que les trois quarts de la production de notre maison donne à penser, à réfléchir et fait aimer la lecture. C’est le cas pour les auteurs ici présents : Véronique Delamarre dont les livres ont beaucoup de succès et qui a reçu de nombreux prix, Florence Koenig qui a illustré chez nous beaucoup de textes et de contes sur l’Afrique, des livres dans lesquels on découvre l’Afrique et qui contiennent aussi une réflexion sur ce vaste continent.

Comment se fait la rencontre entre éditeur et auteut ? Comment se noue le premier contact ?

Il est bien difficile de convaincre les gens de vous suivre quand on crée une maison d’édition. Une maison d’édition fonctionne beaucoup sur les relations personnelles. Mais, dès le début, j’ai eu la chance de rencontrer des auteurs formidables. Ensuite, comment faire découvrir ces auteurs aux enfants ? Et bien, c’est grâce aux salons comme celui-ci organisés avec ténacité par des équipe bénévole dans de nombreuses villes de province, c’est grâce aux bibliothécaires, grace aux enseignants, aux parents et aux enfants que l’on y rencontre. Ces salons du livre permettent d’apporter les livres jusqu’àux enfants. Le salon de Montreuil, pour moi, ce n’est pas une priorité. Je préfère beaucoup venir dans les salons comme celui-ci où Oskar est invité. L’important, c’est le travail sur les territoires.

Comment se passe le choix des textes que vous éditez ? Sont-ce des commandes ou des textes repérés ?

Cela se passe surtout autour d’un café. Certains auteurs ont des textes déjà écrits, mais, chez nous, beaucoup de textes naissent à partir de discussion. On parle droits civiques, droit à la différence, etc. On se dit qu’il faudrait faire un texte sur ce sujet ou sur celui-ci, en fonction parfois de l’actualité, et quelqu’un s’en charge. Il y a, dans ce cas, une vraie connivence entre auteur et éditeur. C’est ainsi, par exemple, qu’a été écrite par Éric Simard la biographie de Rosa Parks, la femme noire qui refuse de se soumettre.

Est-ce que – je prends aussi un exemple – Je suis un homme : Martin Luther King est un titre qui représente les valeurs auxquelles Oskar est prioritairement attaché ?

En quelque sorte oui, mais je suis aussi fier d’être le premier éditeur jeunesse à avoir publié un livre sur Aimé Césaire, Le nègre indélébile, un livre qui, lui aussi, je pense, donne à réfléchir. Depuis l’an dernier, nous prenons mieux garde à privilégier l’autonomie des enfants dans leur réflexion. Il faut qu’ils se fassent leur propre opinion. Ce n’est pas parce qu’un proverbe est connu de tous que ce qu’il énonce est une vérité ! Nous voulons permettre aux enfants, au travers de leurs lectures, de se forger leurs propres opinions.

Et les romans d’aventure ? Les romans policiers ?

Nous avons aussi, pour ces livres-là, des exigences. Comment dire ? Nous refusons beaucoup de romans qui feraient que les enfants ne soient pas, les ayant lu, plus intelligents.

Qu’espérez-vous pour Oskar pour les prochains mois ou pour les prochaines années ?

Que ce type de salon continue ! Mais nous craignons qu’ici ou là le découragement gagne les bénévoles des associations de promotion du livre qui ont de plus en plus de mal à survivre. Il n’y aurait, alors, plus de relais. Si les gens se mettaient à considèrer les livres comme des cacahuètes et se mettaient à les vendre ou à les acheter comme tel, nous aurions des soucis à nous faire. Mais nous espérons bien exister encore dans dix ans…

Quelques mots de Véronique Delamarre ?

Véronique Delamarre : J’apprécie d’être éditée chez Oskar chez qui j’ai de nombreux titres. J’aime les rencontres avec les lecteurs dans les classes et aussi ce moment où les enfants reviennent me voir sur le salon. Cela me (re)donne de l’énergie pour écrire.

Et vous, Florence Koenig ?

Florence Koenig : Je suis très attachée à Oskar. J’y ai illustré de nombreuses couvertures ainsi que des illustrations intérieures. J’aime voyager en dessinant et je prends beaucoup de plaisir aux rencontres quand je vois les enfants dessiner avec mes propres techniques. Comme Véronique, c’est un grand plaisir quand les rencontres se poursuivent, le lendemain, sur le salon.

( propos recueillis par André Delobel le dimanche 3 avril 2011 lors du Salon du livre pour la jeunesse de Beaugency )

Maître-formateur retraité, André Delobel est, depuis trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de La République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Réflexions sur la vie, le devenir hypothétique ou la disparition des associations culturelles, sans nostalgie mais pour mémoire

par Monique Hennequin

Ecrit en 2009 par celle qui fut pendant plusieurs dizaines d’années secrétaire générale du CRILJ, à un moment où peu nombreux étaient ceux qui croyaient aux chances de survie de l’association, ce texte en forme de bilan apprendra beaucoup à ceux qui aujourd’hui découvre le CRILJ ou qui en ont oublié l’histoire. A lire (ou à relire) et à garder dans un coin de sa mémoire … dans l’attente du jubilé de 2015.

     Le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, carrefour de toutes les activités concernant la littérature pour la jeunesse était ouvert à toutes les initiatives éducatives et culturelles, dans le cadre associatif et institutionnel. Conscient de la nécessité d’une promotion de la littérature pour la jeunesse, le CRILJ a proposé pendant une trentaine d’années une plate-forme d’informations, de rencontres et de réflexions.

    Le CRILJ [tel qu’il fonctionnera à compter de 1974] est né à l’issue de journées d’études organisées au Centre International d’Etudes Pédagogiques, à Sèvres, par son directeur Jean Auba, inspecteur général de l’éducation nationale et du travail de la Section française de l’Union Internationale des Livres pour la Jeunesse (IBBY) lors d’une rencontre organisée par cette dernière à Marly le Roi, en octobre 1973.

    Sous la présidence de Jean Auba, il a repris le nom d’une association créée en 1965 autour de Natha Caputo, critique et journaliste au Progrès de Lyon, Isabelle Jan, productrice à la radio, Mathilde Leriche, bibliothécaire à l’Heure joyeuse, Marc Soriano, professeur d’université, Jacqueline Dubois, institutrice, et Raoul Dubois, son époux, instituteur et critique, Raymonde Dalimier, bibliothécaire au Lycée La Fontaine.

     Le CRILJ par ses statuts association loi 1901 sans but lucratif a été agréé par le Ministère de la Jeunesse et des Sports en 1979, et reconnue d’utilité publique en 1983. Il a toujours observé une rigoureuse indépendance et une totale neutralité par rapport à tout mouvement politique ou confessionnel. Il est ouvert autant aux utilisateurs du livre qu’aux professionnels du livre.

    Le CRILJ a surtout été composé de membres individuels, venant de toutes les régions de France et regroupant les illustrateurs, écrivains, éditeurs, libraires, critiques, journalistes, documentalistes, bibliothécaires des secteurs public et privé, enseignants de la maternelle à l’université, personnels du secteur médical ou paramédical, animateurs culturels et scientifiques, parents et toute personne s’intéressant à la littérature de jeunesse et au développement de l’enfant. Une grande majorité des adhérents font des actions de terrain et se retrouvent dans les sections régionales du CRILJ.

AUTOUR DES LIVRES POUR LA JEUNESSE ET DU MOUVEMENT DES IDEES

    Dès sa création le CRILJ a lancé la mise en œuvre d’une série d’études et de confrontation dans un grand nombre de domaines et il s’est aussi penché sur les grands problèmes de notre société, vus à travers la littérature de jeunesse.

    En 1975, au Festival du Livre à Nice, le CRILJ tenait un colloque sur La place et le rôle du livre dans la vie des jeunes et la place de la lecture dans l’éducation de la jeunesse.

    En 1977, une rencontre était proposée, au CIEP Sèvres, réunissant des pédagogues, libraires, chercheurs, graphistes ayant une expérience de formation dans le domaine de la littérature de jeunesse.

    En 1978, un « cycle d’études » dans le cadre du Laboratoire de Psychologie en milieu scolaire, réunissant un samedi après-midi par mois, une trentaine de personnes (dont la moitié de province) était organisé par Hélène Gratiot-Alphandéry, vice-prési-dente du CRILJ et directeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Les intervenants étaient Mme Chombard de Lauwe, le professeur Widlocher, Georges Jean, Jacques Wittwer, Jacqueline Danset, Marc Soriano, Denise Escarpit, Michèle Kahn.

    Après avoir constaté que la presque totalité des documentaires sur les sciences et les techniques étaient des traductions et pour sensibiliser les scientifiques français, en 1980, un colloque ayant pour thème Où se situe la demande des enfants en matière de livre scientifiques et techniques a eu lieu, sous la présidence de Jean-Claude Pecker, professeur au Collège de France, au Centre Georges Pompidou, réunissant 150 personnes et une quarantaine de jeunes venus de toute la France.

    Le résultat de ce colloque a été la création de deux collections avec des ouvrages écrits par des scientifiques français, chez Hachette sous la direction de Patrick Baradeau et chez Nathan avec Daniel Sassier.

    En 1982, A Saint Etienne, se sont réunis plus de 300 personnes sur le thème : Littérature pour la jeunesse : la création en France. Il s’agissait de faire le point sur la situation des années fin 70, début 80 et d’essayer de stimuler la création par des propositions concrètes des groupes concernés : écrivains, illustrateurs, techniciens du livre et de la presse, mais aussi de faire prendre conscience aux médias de l’importance de leur rôle.

    La création a vraiment été au centre des débats de ce Colloque. On pourrait citer quelques réflexions des participants : « La création, c’est le retour aux sources de l’élémentaire » (Georges Jean) – « La création est une vraie littérature de l’imaginaire, les livres ne délivrent pas de message monolithique étroit, ils constituent des graines que l’on sème en aveugle » (Jacqueline Held) – « Le livre est le plus enrichissant des jeux, le livre c’est la complicité entre l’auteur et le lecteur » (Huguette Perol)

    Le cri de Jean Claverie « Apprenez à connaître les gens de l’image » fut entendu puisque dès 1983, les illustrateurs regroupés firent appel au CRILJ, pour présenter sous son égide une exposition de dessins originaux, accompagnés des livres correspondants – 82 illustrateurs et 250 dessins originaux étaient au rendez-vous au Salon du Livre, à Paris, au Grand Palais – Une présentation des différents courants de l’illustration par Janine Despinette avait fait l’objet de l’éditorial du catalogue du Salon.

    Préalablement, ce colloque en leur donnant l’occasion d’une première rencontre entre eux aura permis une reconnaissance des illustrateurs en tant qu’artistes à part entière, ce qui n’existait pas jusqu’alors. Il aura été le début de la présence des illustrateurs dans les classes et aussi d’expositions dans les bibliothèques et autres lieux.

    En 1986, aété organisé en collaboration avec la BPI, sous la présidence de Jacques Charpentreau, un colloque consacré à la poésie L’Enfant et la Poésie. Une importante collecte d’expériences réalisées avec des enfants a été présentée avec l’aide efficace de Christiane Abbadie-Clerc, alors responsable de la Bibliothèque des enfants du Centre Georges Pompidou.

    Premier colloque sur ce thème qui avait réuni 150 personnes et qui a permis de confronter les points de vue sur le rôle et la situation de la poésie, notamment contemporaine, à l’école et vis à vis du public.

    Après avoir travaillé sur une bibliographie avec le Groupe de Recherche en Education Nutritionnelle (GREEN) et le Professeur Deschamps du Centre de Médecine Préventive CMP) de Vandoeuvre les Nancy, le CRILJ a organisé en 1987, en partenariat avec les institutions précitées, un colloque La santé, le livre et l’enfant qui avait pour but d’informer les non-spécialistes de littérature de jeunesse médecins, orthophonistes, infirmières, professions para-médicales) de ce qui existait sur les différents thèmes liés à la santé, sur leur approche, du documentaire, de la symbolique à la fiction.

    Nous rappellerons les paroles du Dr Schwartz : « Le message de la santé n’est pas neutre, d’où nécessité de faire équipe : éducateurs, professionnels de la santé et du livre pour que s’épanouisse la vie ».

    En 1988, le CRILJ avait réuni, au Collège de France, sous la présidence de Jean-Claude Pecker, une cinquantaine de personnes, sur le thème L’enfant sous influence : culture et conquête de son autonomie, avec Jacques Perriault, Suzanne Mollo, Isabelle Jan et une remarquable introduction d’Hélène Gratiot-Alphandéry.

    Avant l’acte unique européen, il a semblé au CRILJ, important de se poser la question sur les enjeux de 1992 concernant la littérature pour la jeunesse dans l’Europe de demain, d’où un colloque, en 1989, co-organisé par le CRILJ et la Bibliothèque d’Information du Centre Georges Pompidou, sous la présidence d’Emile Noël, directeur général de la Communauté européenne à Bruxelles et président de l’Institut universitaire européen de Florence.

    En 1991, Le CRILJ organisait pour Jean Perrot, membre de l’IRSCL du 10ème Congrès de l’IRSCL à l’Ecole Polytechnique, qui avait pour thème L’application des théories contemporaines de la Culture et de la Littérature de Jeunesse.

    1997 : La tolérance, la littérature de jeunesse peut-elle participer à la formation des jeunes lecteurs ?

    Pour toucher des publics différents, un thème non littéraire au sens propre du terme a été proposé pour un colloque, sous la présidence de Roger Bambuck, Le sport, c’est aussi dans les livres, à l’INJEP, en 1997.

    En 1999, au Palais de la Découverte, nous avons souhaité organiser des rencontres destinées aux animateurs de clubs scientifiques et de centres de loisirs pour une utilisation de livres pour la jeunesse dans leurs pratiques avec les jeunes, ce qui a donné lieu au colloque Lire la science, s’ouvrir au monde, sous la présidence de Jean-Claude Pecker.

    L’image des adultes se détériorant dans les romans, un colloque a été organisé, en 2000, à l’INRP, sur le thème L’image des adultes dans la littérature pour la jeunesse, où il a été essayé de répondre à quelques questions sur l’évolution de l’image de l’adulte, présent ou absent, modèle ou caricature ? Quel lien a-t-il avec la société ? Des inter- venants d’autres pays sont venus nous dire sous quelle forme l’adulte était présenté dans la littérature de leur pays : Penny Cotton, de l’université de Roehampton, Carla Poesio, du Comité scientifique de la revue LIBER de Florence, Jean-François Bouttin, de l’université Laval à Québec

    En 2001, un échange de réflexion intéressant se tenait, à la Société des Gens de Lettres, sur Le livre, un produit comme les autres ? « Il est un temps pour la rapidité, celui de l’économie de marché, un temps que l’on espère préserver par la lenteur, celui de l’auteur, de l’illustrateur et du libraire, un temps pour l’écoute, celui de tous les passeurs de livres ». où avaient pris la parole François Rouet, économiste et attaché au Ministère de la Culture, Ahmed Silem, professeur d’université, des éditeurs ont témoigné : François Geze pour La Découverte- Syros et Dominique Korach pour Flammarion.

    Beaucoup d’adultes s’interrogent sur la prévention face au mal de vivre de l’adolescence. Aussi le CRILJ a-t-il proposé aux psychologues de l’hôpital Necker à Paris de réfléchir comment et avec quel contenu la littérature de jeunesse abordait la Prévention. A partir de cette interrogation est née l’idée de proposer en 2002 un colloque Les maux dans les mots aux animateurs et professionnels de la santé. Une enquête auprès des collégiens lancée avec la collaboration d’Inter-CDI, eut un retour de 500 réponses.

    En 2005, La précarité dans les livres pour enfants, était-ce un phénomène de mode ou une réflexion sur ce qu’elle est et comment la faire percevoir aux jeunes à travers les ‘’passeurs de livres’’ ?

    Reprenons les mots laissés par Raoul Dubois qui avait soutenu ce projet : ‘’Et si la précarité n’était en fait que le nouveau moyen de conjurer ce mot, ce mot qu’on avait cru banni et renvoyé aux images du passé, celles de la pauvreté ».

    Seynadou Dia et Lydiane Chabin, militantes du Secours Populaire Français ont apporté l’éclairage de leur expérience au contact quotidien de ces réalités vécues. Le sociologue Jean-Charles Lagrée et le psychanalyste Claude Allard ont abordé la question en combinant les approches économique et sociologique, Anne Rabany, inspectrice d’Académie a présenté une « géographie de l’école » au regard de la précarité. Pour Alain Serres « mêler sa plume au mouvement du monde, est son projet, mais pas à n’importe quel prix. »

    Quant aux jeunes ayant rempli le questionnaire : le mot « précarité » n’est pas de leur langage.

   Internet envahissant l’espace, on se devait au CRILJ de s’interroger sur la place du livre et de la lecture à l’ère numérique. Il nous a semblé important de réfléchir sur les problèmes qui désormais se posent et comment inciter les médiateurs à un nouveau regard sur leur rôle pour une approche différente de la lecture, une incitation au désir de lire, à la circulation de textes de qualité, à la promotion de la littérature pour la jeunesse. C’est ainsi qu’est née en 2006 l’idée d’un colloque qui a eu lieu en juin 2007 à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord, co-organisé avec Ghislaine Azémar, Henri Hudrisier de l’université Paris 8. Existe-t-il un projet d’une bibliothèque jeunesse numérique au service des langues et des cultures, pour une culture humaniste ?

    Au-delà de la numérisation, Internet, avec les moteurs de recherche, inaugure une nouvelle forme d’accès au savoir. Les chercheurs s’interrogent sur les compétences de lecture que les jeunes désormais doivent acquérir pour maîtriser à la fois l’outil, les codes et le contenu. La formation à la recherche et au traitement de l’information est une préoccupation des éducateurs, qui vise non plus une formation info documentaire mais une véritable culture de l’information.

    Les jeunes ne sont plus seulement les enfants de l’image. Ils naviguent sur la toile et bénéficient d’un réseau de communication numérisé permettant le passage d’un média à un autre. Consommateurs avides de jeux vidéo, ils sont des lecteurs à leur manière

    Les communications étaient remarquables et même très savantes.

LE CRILJ ET SES PARTENARIATS AU FIL DES ANNEES

    Dès 1977, avec Travail et Culture et Georges Jean, pour une exposition dans les comités d’entreprise, le CRILJ a assuré le choix des livres, la réalisation des panneaux de présentation et le concours des animateurs pour une opération Les livres pour les jeunes et le monde d’aujourd’hui.

    A la demande de la Délégation à l’Information scientifique et technique (DBMIST) du Ministère de la Recherche, présentation pendant plusieurs années de livres scientifiques et techniques pour les jeunes, dans le cadre du Salon de l’Enfance, de manifestations au Palais de la Découverte ou lors de la Fête de la science dans les jardins de l’ancienne Ecole Polytechnique, rue de la Montagne Ste Geneviève, à Paris

    En 1978, dans le cadre de l’année internationale de l’enfant, l’UNICEF et la Commission française de l’Unesco ont organisé un colloque Le livre dans la vie quotidienne de l’enfant auquel le CRILJ a été largement associé dans la préparation.

    En 1984 et 1985, le CRILJ a collaboré à toutes les actions du Ministère de la Jeunesse et des Sports concernant le livre et la lecture dans le cadre de la Semaine Le livre et les jeunes. Sensibilisation de 500 libraires pour une vitrine – Participation au train Paris-Pékin – Mise en place des « Point Rencontre Information Littérature de jeunesse » en province avec les Francas, les CRIJ et les sections régionales du CRILJ.

    De 1984 à 2007, Avec le Ministère de la Jeunesse et des Sports, organisation du Prix Roman jeunesse, puis du Prix Premier Roman pour les trois dernières années

    Après une exposition des livres scientifiques et techniques à Toulouse, lors d’Assises de la Culture scientifique et techniques, le CRILJ fait partie du Collectif d’associations pour la culture scientifique, le CIRASTI, avec outre les réunions une participation régulière aux Exposciences départementales, nationales (Brest, Grenoble, La Réunion) et internationales (Prague – Québec).

    Opération avec les Pionniers de France sur la Culture scientifique et technique.

    Toujours tourné vers la culture scientifique, le CRILJ a été l’un des membres fondateurs de l’Observatoire du Livre Scientifique, Technique et Industriel pour la Jeunesse, présidé par le professeur Albert Jacquard

    En 1995, co-organisateur et gestionnaire de l’université d’été organisée par le Centre Internationale d’Etudes en Littérature pour la Jeunesse (CIELJ) à Charleville-Mézières, La littérature de jeunesse, les nouvelles technologies et la communication ?

    Avec le CIEP (Sèvres) et pendant plusieurs années, participation aux séminaires annuels d’été des professeurs de français, langue étrangère, à Caen. Des lycées français à l’étranger

    Collaboration avec la Fondation Nationale de la Gérontologie pour la création du Prix Chronos, sur le thème « Grandir, c’est vieillir ».

    2001 – Pour le Ministère de la Défense : des recherches bibliographiques sur les albums, les romans, les documentaires traitant des conflits du XXème siècle.

    2003 – Implication dans le programme national d’initiation à la lecture et à l’écriture dans le cadre de prévention et de lutte contre l’illettrisme mis en place par le Ministère de l’Education Nationale

( les partenariats ont été repris par date au début de la coopération, un certain nombre se poursuivent )

    Depuis 2000, grâce à l’implication personnelle et l’action internationale de Monique Hennequin, participation active dans deux projets Comenius.

    BARFIE (Books ans reading for Intercultural Education) projet soutenu par les institutions européennes qui travaillent dans le domaine de la littérature de jeunesse et de l’éducation. L’objectif était de promouvoir une éducation interculturelle à travers la littérature de jeunesse d’un certain nombre de pays en touchant un maximum de professeurs et d’élèves mais aussi d’animateurs, de procurer une plateforme créatrice pour échanger des informations, des expériences sur les meilleures pratiques en terme d’utilisation novatrice de la littérature au sein d’une éducation interculturelle et de renforcer la dimension européenne dans le processus d’éducation. C’est ainsi qu’a été constituée une collection de livres européens destinée à circuler.

    Cette recherche a fait l’objet de l’édition d’un catalogue dans les langues de chaque pays partenaire (10 partenaires) présentant chaque livre avec son résumé

    EDM Reporter (Electronic Digital Media Reporter), projet également soutenu par les institutions européennes qui travaillent dans le domaine de la littérature de jeunesse et de l’éducation. L’objectif était de mettre en place des outils pour les enseignants, bibliothécaires, animateurs et jeunes pour utiliser le WEB dans toutes activités liées à la lecture, à la littérature de jeunesse dans toute son interculturalité et sa multiculturalité.

LE CRILJ, C’ETAIT AUSSI UN CENTRE DE RESSOURCES

    Pendant 35 ans, grâce à son secrétariat permanent, dans son centre national et parisien, le CRILJ engrangera toute information quelle qu’elle soit sur la littérature et la presse de jeunesse, assurera au quotidien toute recherche de documentation, diffusera l’information aidant à une meilleure connaissance de ce domaine.

    Il a été un lieu d’accueil et de travail fréquenté par les documentalistes de collège, les enseignants, les bibliothécaires, les libraires, les animateurs mais aussi les professeurs et étudiants français et étrangers en diverses disciplines s’engageant dans des mémoires ou des thèses liés à l’enfance, la jeunesse, l’édition, la littérature de jeunesse.

( texte paru dans le n° 93-94 – septembre 2008 – du bulletin du CRILJ )

 

Quittant les éditions Stock quand Hachette rachète la maison, Monique Hennequin entre à l’Association nationale pour le livre français à l’étranger (Ministère des Affaires étrangères) où elle est l’adjointe de Lise Lebel. Elle publie chez Seghers en 1969 un Dictionnaire des écrivains pour la jeunesse de langue francaise, non signé, pour la section francaise de l’Union internationale des livres pour la jeunesse (IBBY). Travaillant ensuite à mi-temps au Comité permanent du livre français à l’étranger (Ministère de la Culture), elle assure à compter de 1980 le secrétariat général du CRILJ. Déclarant volontiers ne pas être une militante, Monique Hennequin fut, pendant trente années, l’indispensable cheville ouvrière de l’association.

Rencontre avec Géraldine Alibeu

 

 

    Le 21 octobre 2010, à Muret, dans le cadre de la manifestation régionale Chemin Faisantet dans la salle Agora Peyramont prêtée par la municipalité, le CRILJ Midi Pyrénées a reçu Géraldine Alibeu.

    Après un historique rapide de l’association, de sa création en 1963 à Paris à son déménagement en 2009 à Orléans, après une présentation de ses objectifs tant au plan national que régionale, la soirée se poursuit par la projection d’un petit film d’animation, auto-interview réalisée par Géraldine Alibeu en septembre 2009.

    C’est Martine Tatger, libraire à Cazères, qui anime la rencontre.

Votre entrée en littérature, en plaisir de lire, s’est-elle faite par le texte ou par l’image ?

    Vraiment par le dessin. J’étais mauvaise lectrice. J’ai décidé de faire l’Ecole des Arts Décoratifs à Strasbourg. On y expérimente beaucoup les deux premières années. Et je me suis rendu compte que ce que j’aimais, correspondait à l’illustration. La peinture à l’huile et le dessin, c’est ma technique principale. A cause de Suzanne Janssen. Je l’ai copiée ! Le livre et les choses concrètes du métier me restaient peu connus Le côté narratif m’intéressait. A l’école, je me suis mise à lire, à m’intéresser aux livres. Mon premier livre est La Mariguita. Etre illustratrice est très confortable. On réagit à quelque chose qui existe déjà. On peut aussi lire mes albums sans le texte.

Vous avez écrit trois albums. Mais comment faites-vous le choix d’illustrer le texte d’un auteur ?

    Pour Quelle est ma couleur ? c’est un illustrateur qui m’a proposée car il n’avait pas envie lui de l’illustrer. Il y avait peu de contraintes, juste un petit garçon et tout le reste était dans l’imaginaire. Ça met en valeur notre travail quand on nous fait confiance pour raconter quelque chose. On peut aussi feuilleter un album sans le lire.

Comment avez-vous reçu le texte de On n’aime pas les chats ? Il est très fort ! C’est comme un engagement ?

    Quand j’accepte un texte, c’est d’abord parce qu’il est bien écrit. Surtout que, dans ce cas, c’est un sujet un peu casse-gueule. L’éditrice m’avait laissé du temps, ce qui me convenait bien. Le sujet homme-animal me plaisait. C’est typiquement un travail d’illustrateur de trouver une forme pour les personnages. Cela s’apprend à l’école. Le dessin est parfois comme une forme d’hypnose, on dessine, on dessine et, peu à peu, quelque chose apparaît. On n’aime pas les chats est un livre où il fallait créer de l’action. L’image de tous dans l’avion a été faite avant la mode des charters.

Vous avez choisi de greffer votre histoire dans l’histoire ?

    Chacun peut y voir des choses bizarres, mais on ne peut pas dire les nationalités ni les âges. J’ai mis des petits clins d’œil…

Cet album là, vous l’avez pris avec ce titre ?

    Oui. J’ai décidé pour les oiseaux, mais pas pour les chats.

Le chat est un personnage qui vous touche, que vous placez souvent dans vos histoires… Quand vous illustrez un album, vous vous adressez à un public jeunesse ?

    Au début, je n’y connaissais rien. Je côtoie peu les enfants. Maintenant davantage car je vais dans les classes. Les héros de mes histoires sont rarement des enfants. Quand je dessine ou quand j’écris, je pense à quelqu’un en particulier, un peu comme quand on écrit une lettre. J’ai mis ma technique en place sur La Mariguita. L’idée est née d’un livre que j’étais en train de lire, de Richard Brautigan, La vengeance de la pelouse. Je vous en en lit un passage… J’ai commencé à dessiner puis m’est venue l’idée de ces deux personnages. Il y a, avec ce livre, des choses qui m’interpellent. Construire, coudre, les histoires d’amour, j’aime bien.

Tout à l’heure, vous avez dit : J’ai mis au point ma technique avec La Mariguita…

    Oui, je travaille en papiers découpés et je peins à l’huile. Je copie Susan Janssen ! Je pose les papiers coupés et quand ça va, j’appelle ma secrétaire pour coller ! Non, ce n’est pas vrai ! En fait, je mets beaucoup de temps pour le premier dessin et les autres viennent en fonction.

Comment mettez-vous en place ?

    Il y a une ou deux étapes de crayonnage, mais c’est juste pour savoir. Jz vous montre, en projection, des crayonnés de Jardins suspendus. Le premirt dessin est important, et quand je trouve que l’expression est bonne, j’arrête là.

Etes-vous en contact avec les auteurs des albums ?

    Je ne cherche pas trop à parler avec les auteurs, cela pourrait faire naître des idées faisant interférence avec les miennes. Sauf pour Les trois fileuses car l’éditrice a souhaité qu’on parle ensemble, l’auteur et moi. On a explicité le sens de certains termes. J’aime beaucoup cet auteur, Corinne Bille, qui a écrit La balade en traîneau, mais je ne l’ai jamais rencontrée. Les saisonniers est une livre qui existait déjà aux USA, écrit par une vieille dame, Eve Bunting.

Dans Le Petit Chaperon Rouge a des soucis, les arbres sont rouges. Pourquoi ?

    L’illustration est en sérigraphie. Avec le guide des couleurs, j’ai trouvé que ça allait bien avec l’hiver.

Comment vous est venue l’idée de L’un d’entre eux ?

    Ça faisait un moment que ce livre était dans ma tête. J’avais envie d’un livre avec des personnages sans relations particulières, envie de dessiner certaines scènes. Par exemple, à la piscine, il y a plein de gens, on ne sait pas qui connaît qui, on s’aborde parfois… J’ai alors l’idée d’un livre sur la piscine. Je commence à écrire plein de phrases qui concernent ces personnages, sans beaucoup de contraintes. Il y a une espèce de manif, des personnages un peu monomaniaques comme la dame qui a une épine dans le pied. Je cherche à faire des dessins qui donnent raison à l’histoire.

J’ai l’impression que vous avez dessiné avec une caméra…

    C’est plus facile de dessiner des personnages en maillot de bain, leur corps, leurs expressions. Aujiourd’hui, j’ai envie de dessiner mes livres avec des images qui parlent de moi. Quand je fais un livre toute seule, je prends beaucoup de temps. C’est un luxe, et j’adore ! Je suis bien dedans. La plage, je l’ai dessinée en hiver. Y a un truc physique du dessin, ça évoque les vacances ! Et je n’en prends pas souvent.

Et les chevaliers dans les dunes ?

    En fait, vous avez l’explication dans la scène du café. Cela vient d’une expérience précise. J’ai fait une résidence d’auteur en Auvergne et dans les villages alentour avaient lieu des fêtes médiévales. En fin de journée, les acteurs, à demi déguisés, déambulaient. Et graphiquement, le chevalier est un personnage qui me plaît bien.

Avez-vous d’autres projets ?

    J’ai envie de reprendre ces personnages de chevaliers, d’élaborer une histoire entre un chevalier et une femme esquimaude. J’ai un projet de livre en couture. On m’a offert une machine à coudre et ça me plaît bien. Une galerie m’a proposé de faire une exposition.

     Les questions étant épuisées, Géraldine nous lit des poèmes de Richard Brautigan en nous montrant les illustrations qu’ils lui ont inspirées. Elle a, dot-elle, un ou deux livres en projet avec ces personnages-là. La soirée se termine, entre bavardages et dédicaces, jusqu’à épuisement de l’illustratrice.

( compte rendu de Martine Cortès – jeudi 21 octobre 2010 )

 

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Raoul Dubois

par Bernard Epin

Les chemins croisés du militantisme

     Raoul Dubois, homme d’écrit et de parole. Mais, pour moi, d’abord, homme de parole. Parole donnée à des engagements jamais démentis, par-delà les chocs de l’histoire. Parole distribuée à tous les âges d’interlocuteurs, pour défendre pied à pied des convictions, des certitudes, pour partager savoir et expérience avec des enfants, des jeunes, paroles d’ironie coupante quand se pointaient élitisme plus ou moins déguisé, obscurantisme jamais mort, mépris distingué pour l’enfance et le populaire. Tout cela incarné dans une voix au timbre si singulier, si tonique, dont le souvenir suffira à faire ressurgir tant et tant de facettes d’un homme que seule la maladie pouvait entraver dans sa volonté de se collecter, par le dire et par le faire, avec les espoirs et les tragédies qui ont marqué le XXe siècle.

    La minutie avec laquelle il évoque son enfance et ses premiers rapports au monde social dans son beau livre Au soleil de 36, publié par La Farandole en 1986, fournit bien des clés pour appréhender ce qui fonde l’unité cohérente de l’homme engagé avec la même intensité dans l’action politique, le syndicalisme, la solidarité, l’éducation progressiste, la passion de l’hisroire, la lecture…

    Ayant eu la chance de croiser plusieurs de ces cheminements simultanés, je mesure encore plus aujourd’hui à quel point il serait erroné d’en isoler tel ou tel. Même si, ici, au CRILJ, c’est bien sûr aux dizaines d’années consacrées aux livres et à la presse des jeunes que l’attention se porte en priorité. Travail mené en commun de manière continue avec la chère Jacqueline qui a fait de leur double signature une référence durable.

    A travers les multiples initiatives et débats menés en commun – sans oublier la confiance chaleureuse qu’il m’accorda, lorsque je dus, au pied-levé, assurer la suite du travail critique de Natha Caputo dans L’Ecole et la Nation – je voudrais insister sur le fait que, pour moi, Raoul est à la fois et sans hiérarchisation des genres, celui qui sut aider et encourager tant de jeunes auteurs (Faut-il citer Christian Grenier, Bertrand Solet, Yves Pinguilly, Pef…) et le bagarreur du progrès et de la laïcité, de la justice sociale, le jardinier des idéaux de 1793 et de la Commune, le vendeur de L’Huma au matin d’un dimanche… Bref un militant que la confrontation constante avec le réel sur le terrain a conduit plus d’une fois à chahuter les dogmatismes, ici et là.

    Pas de passions sans excès. Les siens, inséparables d’une générosité à pleins bords, contribuèrent à l’authenticité des souvenirs qu’il nous laisse.

( texte paru dans le n° 82 – février 2005 – du bulletin du CRILJ )

 

Né à Paris en 1936, Bernard Epin fut instituteur puis directeur d’école de 1955 à 1991, à Paris et à Saint Ouen, ville dont il sera élu municipal de 1965 à 2001. Il fit ses débuts de critique de livres pour la jeunesse en 1968 dans L’École et la Nation en remplacement de Natha Caputo, décédée : « Je lis désormais des livres pour les enfants, quelque huit cents titres chaque année. » Auteur d’ouvrages documentaires (Histoires d’école en 1981 à La Farandole, Le grand livre du jeune citoyen en 1998 chez Rue du Monde) et de plusieurs études sur les livres pour l’enfance et jeunesse dont l’anthologie Découvrir la littérature d’aujourd’hui pour les jeunes parue chez Seghers en 1976. Participation à divers ouvrages collectifs dont plusieurs guides édités par le Cercle de la librairie.