Jany Saint-Marcoux : la France des Trente Glorieuses racontée aux jeunes filles

par Monique Oyallon

  Le 26 novembre 2002 s’éteignait Jeanne Sabran (Jany Saint-Marcoux). Cette disparition m’est particulièrement douloureuse, puisque quelques mois auparavant j’avais eu la joie de la rencontrer, et de donner enfin un visage et une présence à la voix qui avait enchanté les lectures de mon enfance.

Pourquoi Saint-Marcoux ?

    Depuis quelques années aux Etats-Unis le renouvellement souhaité des enseignements touchant aux pratiques culturelles de la France contemporaine (identité et traditions) amène les chercheurs à identifier des documents et sources d’information autres, avec une nouvelle importance donnée à des textes diversifiés, tant par leurs auteurs que par leur genre. Le nom de Saint-Marcoux s’est imposé, et comme ses livres étaient encore à ma disposition, je me suis replongée dans l’univers de mon enfance, avec l’ambition de révéler la vision de la société française présentée dans cette œuvre, fort commodément étendue sur les fameuses trente années (en fait une vingtaine) au centre de mes préoccupations de recherche. Ce retour aux textes, bien des années après une première lecture naïve, m’a tout d’abord convaincue de la nécessité de replacer Saint-Marcoux dans le contexte élargi d’un corpus d’écrits procédant d’un projet éducatif et quelque peu militant. Il a également fait renaître le désir de rencontrer l’auteur de ces livres qui ont accompagné mes années formatives. Après quelques recherches j’ai pu établir un contact avec Jany Saint-Marcoux, qui a fort gentiment accepté de me recevoir en janvier 2002 lors d’un de mes passages à Paris. Cette rencontre d’une grande dame fatiguée mais encore rayonnante de vie et de lucidité autour d’un thé dans son appartement de Neuilly se teinte aujourd’hui de mélancolie mais confirme le portrait en filigrane qui transparaît dans tous ses ouvrages.

    Entre 1950 et 1973, Jany Saint-Marcoux a publié vingt-sept livres pour jeunes filles (en dépit de l’inscription sur la jaquette « G.F à partir de 12 ans », le lecteur visé était clairement une lectrice), dont l’action se situe dans des villes et régions emblématiques d’une France en pleine transformation économique et culturelle. Un rapide survol de sa bibliographie illustre la répartition géographique des histoires racontées : le Mont Saint Michel de La Duchesse en pantoufles (1952) ; l’Alsace des Sept filles de roi Xavier (1953) ; Montmartre dans Fanchette (1955) ; le Pays Basque du Voleur de lumière (1955) ; la Provence d’Aélys ou la cabre d’or (1956) ; l’île Saint Louis des Chaussons verts (1956) ; l’île de Sein du Château d’Algues (1957) ; la place des Vosges du Diable doux (1958) ; Toulouse de La Caravelle (1959) ; l’île de Ré de Cet été là (1961) ; Paris de Espoir en 33 tours (1961) ; Paris – la Provence d’Un si joli petit théâtre (1961) ; l’île de Porquerolles du Jardin sous la mer (1963) ; Paris et la banlieue de Mon village au bord du ciel (1965) ; Paris pour Corinne qui voulait danser et Corinne et son prince (1970-71).

    Journaliste de formation, Saint-Marcoux combine une approche documentaire sur des faits de société : handicaps physiques, villages d’enfants, alcoolisme, emprisonnement – des événements culturels : théâtre, cinéma, chanson – les traditions et la géographie de régions françaises phares : Alsace, Bretagne, Provence, Pays basque, Paris, avec la relation d’une expérience et d’une morale très personnelles mais socialement situées dans les couches aisées et cultivées. Elle aborde souvent le thème de l’attraction des carrières (ou des pratiques) artistiques : musique, théâtre, danse, cinéma, en mettant souvent en garde contre l’illusion des ambitions de succès. Beaucoup de ses héroïnes renoncent à leur art volontairement après un succès d’estime. Saint-Marcoux présente également dans plusieurs de ces livres une thématique de la modernité, en décrivant des questions d’urbanisme (les grands ensembles, la transformation des vieux quartiers), des avancées scientifiques (biologie et médecine, recherche sous-marine) et industriels (l’aéronautique).

    Ses ouvrages constituent un témoignage vivant, illustré par des figures féminines attachantes créées avec justesse, et ont attiré au moment de leur publication une très large audience (un million et demi de lectrices). Ils sont actuellement tous épuisés, et à ma connaissance, il n’y a pas de projet de réédition. Dans le Dictionnaire des écrivains français pour la jeunesse (1993), Nic Diament écrit : « ces romans ont mal vieilli. Leur ancrage dans la réalité des années 60, qui a été une des raisons de leur succès, les date inexorablement ». En réalité, les premiers ouvrages des années 50 renvoient à une réalité sensiblement différente, et à ce titre, pourraient revendiquer un statut de classiques de la littérature pour la jeunesse, aux côtés de ceux de la comtesse de Ségur, et figurer dans une rétrospective de portraits de jeunes filles à travers les âges.

    Pour les lecteurs (relecteurs) adultes, l’intérêt des ouvrages de Saint-Marcoux se place sans doute ailleurs, dans le retour nostalgique à des textes de l’enfance et dans la constitution d’un lieu de mémoire (selon la formule de Pierre Nora) de la France des Trente glorieuses. Le « goût de la documentation » que Saint-Marcoux souligne elle-même, citée par Nic Diament (et par elle-même, dans la jaquette de La Caravelle, au cours de l’entretien de janvier 2002) contribue à l’intérêt de ces pages comme témoignage d’une réalité quotidienne. « A travers une fiction romanesque, j’ai donc toujours essayé de cerner l’essentiel d’une réalité qui m’enthousiasmait et que je souhaitais faire partager. » Cette phrase résume les techniques d’écriture de Saint-Marcoux et révèle une dimension essentielle de sa personnalité et une motivation profonde de son travail d’écrivain : un amour de la vie, de la nouveauté, de la création, l’intention de communiquer aux jeunes filles la satisfaction éprouvée à participer pleinement au mouvement de la vie.

    Cet article a donc deux ambitions : d’une part retrouver la personnalité de Jany Saint-Marcoux à travers quelques livres clé, d’autre part évoquer la France telle qu’elle apparaît dans son œuvre.

    L’intrigue de sa première œuvre, largement inspiré de son expérience personnelle, La Duchesse en Pantoufles, se déroule dans le cadre de la baie du Mont Saint-Michel, à Genêts (petit village de la Manche) et nous présente une famille heureuse, mais tourmentée par des difficultés financières (un thème récurrent), les Bellegarde, au cours de vacances estivales annuelles (de juin à septembre) dans la maison familiale, La Nef. Le père (un industriel) travaillant à Paris, la figure parentale dominante est maternelle, Mamy, Madame Bellegarde (dernière héritière de la demeure conçue par l’amiral Le Harpeur) « si jeune dans sa robe fleurie », « apportant (…) le rayonnement de sa douceur blonde et de sa robe claire », « son regard clair », « sa sérénité ». Avec son autorité tendre, respectueuse des personnalités des enfants, sa grande dignité face aux difficultés financières qui affectent la famille, sa maîtrise de la conduite automobile et des contraintes du monde moderne, Madame Bellegarde est le prototype de beaucoup de personnages maternels rencontrés au fil des livres (Espéria de L’Oubliée de Venise, « Sœur Anne » de La Caravelle, Madame Marly du Village au bord du ciel, et beaucoup d’autres), très évocatrice de la personnalité de Saint-Marcoux elle-même, perçue dans les interactions directes avec elle et dans les photos publiées dans les années 50 à 70. Murièle, l’héroïne atypique (entre deux générations) des Sept filles du roi Xavier est aussi une personnalité rayonnante, énergique, pleine de vie, d’entrain et d’ambition, dépositaire du « secret de la joie », « épanouie dans sa robe couleur du ciel », « répandant sa lumière ». Elle fait preuve de l’énergie et de la compétence requises pour prendre en main une famille privée de mère, et soulager une « douce aïeule », mais dans le respect des traditions familiales et des personnalités individuelles, en témoignant d’une compréhension pleine de chaleur et d’humour. Elle met en place tout un programme éducatif : éduquer sans ennuyer, surprendre et séduire les jeunes « sauvageonnes » par une approche neuve de contenus classiques (histoire, géographie). Saint-Marcoux, à travers l’exemple de Murièle nous apprend que « la joie de vivre… le bonheur… se fabrique chaque jour, car on le porte en soi. (…) Il frappe à la fenêtre dès la minute où on sait donner et recevoir. (…), qu’il faut savoir apprécier la valeur des « choses de rien », qui une à une emplissent une existence. » Dans le Village, un des personnages déclare à la famille Marly « grâce à vous, j’ai compris que dans la cellule la plus étonnante, la plus luxueuse, la plus confortable du monde, chacun finit par se retrouver en face de ce qu’il y apporte d’essentiel : ses propres facultés au bonheur, d’adaptation, d’échanges ». « Mirentchou (du Voleur de Lumière), ayant perdu la vue, a retrouvé en elle une autre lumière, indestructible, celle-là.

La tradition catholique

     Cadre moral et complément de cette joie de vivre, le système de valeurs d’un catholicisme ouvert, sous-jacent dès la rédaction de La Duchesse, s’avère être un révélateur important de la personnalité de Saint-Marcoux :

« Bellegarde, se garde !

– Se garde de quoi ? avait un jour demandé Maïlys.

– De la colère, de la paresse, de l’égoïsme, avait dit sa Maman.

– Se garde, comment ? avait insisté la fillette.

– Se garde courageux, bon et loyal, avait répondu Papa.

– C’était là un programme que chacun s’efforçait de suivre, à la Nef. »

    Ces préceptes tirés des enseignements de la religion catholique servent de rappel de sa forte présence dans les paysages, les pratiques familiales, les rythmes de vie de la France des années 1950. S’il est vrai que les références directes au culte et aux symboles religieux se font plus rares dans les livres publiés à la fin des années 60, il n’est pas difficile d’en trouver de nombreux exemples dans les plus anciens. Une des pratiques les plus couramment citée, outre les prières quotidiennes et la fréquentation de la messe, est l’ex-voto, ou requêtes adressées à la Vierge pour le salut d’un être aimé. Dans La Duchesse, les enfants Bellegarde offrent leur nouveau cerf-volant, objet de leur fierté et garant de leur succès dans un concours local, en ex-voto pour demander la vie sauve de leur ami Edmond égaré en mer sur un bateau de pêcheur un jour de brume. Dans Les sept filles, Claude fait une offrande à la Vierge (Notre Dame des Jolis Soupirs) pour aider les amours contrariées de sa sœur Nelly. Mirentchou offre ses yeux d’aveugle, « la seule chose qui lui appartienne en propre », (tout le reste lui a été donné) comme terrain de pratique pour son futur mari, chirurgien des yeux. L’image du sacrifice est omniprésente. Presque tous les personnages de Saint-Marcoux se sacrifient ou sacrifient leurs possessions les plus chères pour le bien des autres.

    Dans ses derniers ouvrages, datant des années 60, la présence de la religion se fait plus discrète, plus symbolique, moins ancrée dans les faits et gestes quotidiens. Dans Mon village, elle apparaît autour de la construction d’une chapelle au cœur d’un grand ensemble situé au sud-ouest de Paris, au-delà de la fameuse « ligne de Sceaux », avec une réflexion œcuménique sur la prière vue comme un recueillement dans un lieu de sérénité ouvert à toutes les religions. La forme choisie pour la chapelle qui sera finalement réalisée est celle d’un œuf, blanche et pure, comme inspirée par un projet de Le Corbusier, Dans Criss ou j’étais une idole et Corinne qui voulait danser, le débat moral individuel du choix à faire entre une carrière artistique dévorante et la vie familiale (l’enfance) surpasse les préoccupations ou l’observation du rituel religieux traditionnel. Les valeurs morales d’entraide et de charité restent dominantes dans les derniers ouvrages, avec un crescendo dramatique dans le cas de Pour qu’un cœur batte encore, où Saint-Marcoux présente pour la première fois le choc de la mort d’un enfant, avec ce sacrifice ultime qui permet à une autre vie de continuer.

La découverte des régions de la France

     Dans la tradition du Tour de France de deux enfants, Saint-Marcoux reprend (sur l’ensemble de son œuvre) le thème du voyage de découverte des richesses multiples de la France, de la variété de ses cultures, langues, paysages, climats, traditions professionnelles, mais aussi de la cohésion nationale exprimée à travers les liens entre les régions, qu’ils soient de type personnel ou administratif.

    Dans La Caravelle, le lien Nord-Sud (Paris-province) est représenté par l’intégration de Jean-Luc Nordier (le « Viking parisien » à la troupe « sarrasine » des jeunes Soutiers toulousains, et par le placement du projet Caravelle dans le schéma de développement industriel national, la concentration des industries locales en une industrie nationale (à terme européenne – en effet la Caravelle est un précurseur de Concorde, puis d’Airbus).

    Le Parisien dédaigneux, ou déboussolé « c’est pas drôle, drôle, Toulouse, en hiver, quand on y débarque » va se voir présenter les charmes de Toulouse par les bons services de Marie-Cat Berlhiac (la demoiselle de la Soute). La présentation de la ville quoique succincte, couvre cependant les points essentiels du passé glorieux de la Ville des Troubadours, riche en hôtels somptueux et en venelles tortueuses, (les restes imposants du « rêve bleu pastel de la Ville Rose ») ce pays de cocagne qui fait encore soupirer parfois les héritiers dépossédés, à l’évocation des nouveaux quartiers et réalisations récentes (Allées, Grand-Rond, le Parc des Sports datant du Front Populaire). Une ville riche aussi de sa tradition littéraire et poétique : les Jeux floraux (« institués en 1323 par les sept Troubadours de Toulouse, qui désiraient ainsi maintenir les traditions de lyrisme courtois (l’art, talent de bien dire, d’émouvoir, de persuader) compromises après la croisade contre les Albigeois ») récompensent les poètes avec des fleurs d’or et d’argent (un lys d’or à Hugo, une Eglantine à Fabre), l’université, l’architecture romane, et la charmante histoire de Clémence Isaure, muse inspiratrice ou impôt ? Une ville où l’histoire et la géographie se rencontrent (comme dans l’enseignement pratiqué par Murièle, des Sept filles) avec la Garonne et le Canal du Midi (une autre réalisation du génie français au 17ème siècle), le vent d’antan et les printemps mouillés ornés de glycine et d’acacia, et « la neige des lointains sommets, ceux que l’on aperçoit du pont Neuf, par temps clair ». Une ville idéalisée, certes, mais dont le charme subtil est décrit avec justesse.

     Le Château d’Algues vient compléter le tour de France des régions commencé par Les Sept filles du roi Xavier, Le Voleur de lumière, Aélys et la cabre d’or, ouvrages où elle présente des traditions culturelles régionales et familiales, en situant des récits captivants et bien construits et des héroïnes mémorables dans quatre anciennes provinces saluées alors et maintenant pour leur particularisme : l’Alsace, le pays Basque, la Provence et la Bretagne.

     Le Château d’algues souligne le mélange de superstition et de pratiques religieuses fortes caractéristique de la Bretagne de l’Ile de Sein, avec l’importance de saints locaux (Corentin), le rôle du recteur (curé) dans la vie de la paroisse, la fonction sociale de la gouvernante du curé. Là encore, il faut noter la justesse de l’observation de Saint-Marcoux. Il est possible de vérifier les informations précises qu’elle donne, en choisissant presque au hasard, qu’il s’agisse du nom du bateau qui assure le passage Audierne-Sein (l’Enez Sun), de la Chapelle Saint Corentin, des noms attribués aux habitants de l’île (Guilcher-Thymeur, Merzin le fou, entre fol-en-Christ et Merlin l’enchanteur, un personnage du récit et Marzin un des patronymes courants sur l’île), de la récolte des laminaires, des souvenirs de la guerre (Sein est la première commune de France à avoir donné la totalité de ses civils au Général de Gaulle en 1940).

    L’inscription dans l’atmosphère de la vie culturelle du moment est assurée par une citation lancinante du poème de Prévert Démons et merveilles (par le fou Merzin), associé au film Les Visiteurs du soir et à la légende de la ville d’Ys, telle qu’elle est rapportée par le folklore celtique :

« As-tu vu, pêcheur, la fille de la mer,

Peignant ses cheveux blonds dorés

Au grand Soleil sur le bord de l’eau ?

J’ai vu la blanche fille de la mer,

Je l’ai même entendu chanter,

Plaintifs étaient l’air et la chanson. »

Saint-Marcoux reconstitue dans chaque microcosme régional un cadre vivant où se mêle avec bonheur la vie quotidienne « moderne » et nationale et les traditions locales inscrites dans les paysages, les rythmes de vie, le physique des hommes et des femmes, le langage quotidien, les joies et les peines de la vie de tous les jours.

Le chantre de la modernité

     On retrouve dans tous ces livres l’exploration de thèmes portant sur l’organisation sociale : la pauvreté, l’isolement et le dénuement, les différences, voire les barrières, qui séparent les catégories sociales, les citadins et les ruraux, Paris (ou la grande ville) et les régions éloignées. Chacun d’entre eux développe des problématiques plus individualisées : le choix que les jeunes femmes doivent faire entre le métier et la vie de famille (Les sept filles), l’ambiguïté des divisions nationales et régionales vue à travers la question de la contrebande frontalière (pré-Marché commun) dans Le Voleur, les dilemmes provoqués par les situations d’adoption dans Le Château. Saint-Marcoux s’efforce également de présenter la diffusion de la modernité dans des environnements traditionnels, à travers une attention aux détails de la vie quotidienne (hygiène, salle de bains et brosses à dents), en insistant sur la présence (vite indispensable) de produits de consommation nouveaux (magnétophone et transistor), en observant l’assouplissement des relations entre les générations. Dans chaque livre figure un thème de découverte scientifique ou de développement économique, soit au centre de l’intrigue (ou nécessaire à sa résolution) comme la chirurgie oculaire dans Le Voleur, l’exploitation commerciale des algues de l’île de Sein (le Château), des techniques agricoles et d’élevage (apiculture et poussins en couveuse dans Les Sept filles).

     La Caravelle, livre dédié à son fils Bernard, se situe à l’intersection de questions de politique économique (développement industriel et recherche aéronautique) et d’identité régionale (Toulouse). D’un point de vue économique, la Caravelle soutient « un enjeu qui entraîne la victoire ou la défaite d’une industrie entière », la chance de survie d’une industrie (d’une région), qui englobe la revanche sur toutes les défaites passés : celles du Sud et les Cathares, la fin du pays de Cocagne et le pastel ; celle de la France : l’écroulement de 1940, les difficultés économiques. Ce « miracle » de l’industrie aéronautique française est aussi présenté comme le résultat d’une tradition et d’une culture locale. Toulouse, siège de Sud-Aviation, héritière de l’Aéropostale (qui disparaît début 1930, racheté par Air France), se réclame de la mémoire de Mermoz et Saint-Exupéry (les pionniers), mais aussi de ses traditions culturelles remontant au Moyen âge et du savoir faire d’un artisanat ancien.

    Dans un avertissement aux lecteurs, Saint-Marcoux précise :

    « Cette histoire ne ressemble pas aux précédentes. C’est le roman de la naissance d’un avion. Epopée moderne, authentique et merveilleuse, qui a permis, grâce au génie d’une équipe et à l’effort patient de milliers d’hommes, la réalisation de cet enfant prodige de l’aéronautique française : la Caravelle. Je vous souhaite à tous d’emprunter un jour la Caravelle, afin qu’elle vous emporte, rapide et sûre, vers ces horizons neufs dont vous rêvez peut-être, et qui vous rapprocheront de la jeunesse du monde entier. Mais, en attendant ce jour-là, que chacun de vous, quand il verra s’élancer dans le ciel de France les ailes de mouette au dessin si pur de la prestigieuse Caravelle, se sente heureux et fier c’est une victoire qui passe ».

    Dans cet ouvrage particulier, Saint-Marcoux a mené une enquête directe et semble avoir reproduit scrupuleusement les informations techniques données par les ingénieurs de la compagnie qui était à l’époque Sud-Aviation (depuis le 1er janvier 1970, la Société nationale industrielle aérospatiale), en partie parce qu’elle se sentait redevable aux dirigeants et ingénieurs de leur disponibilité.

    Mais au-delà de cette exactitude technique qui fait honneur à son sens de la documentation, Saint-Marcoux veut communiquer aux jeunes lecteurs, « garçons et filles à partir de 12 ans », l’émotion (bonheur et fierté) devant une réalisation de génie (national), d’un miracle (technologique et commercial) qu’elle présente comme une victoire de l’espoir, une épopée, un mythe (« l’enfant prodige » Caravelle, pur-sang, mouette, phénix, reine et déesse), une image du progrès (voix de tonnerre, long fuselage, voilure étirée) et aussi « un avion français » (un avion formidable, un bel avion, un appareil fabuleux). Elle est présentée aux jeunes lecteurs comme un symbole du progrès (un tableau moderne, un étonnant schéma de l’allure du siècle, la beauté d’une aile et l’idéal d’un symbole).

    Saint-Marcoux rapproche cette expression du « génie français » au vingtième siècle de la construction des cathédrales, suivant en cela Barthes, qui écrivait en 1957 dans Mythologie  » je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques. Je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie avec elle un objet parfaitement magique. »

    « Car chacun des ouvriers de la Caravelle, du plus petit mécanicien au plus important ingénieur, chacun pouvait éprouver la fierté de collaborer à quelque chose de grand : à l’instar des artisans de jadis, les tailleurs de pierre, qui à côté des architectes bâtissaient les cathédrales. (…) « Vous êtes tous les bâtisseurs de la cathédrales » avait dit le président Héreil aux 22 000 ouvriers employés à la construction de la Caravelle » (La Caravelle).

    On retrouve cette admiration pour la beauté de l’innovation dans Mon village au bord du ciel, où la famille Marly, transplantée brusquement du centre de Paris dans un « habitat futuriste » de la grande banlieue (les grands ensembles qui se multiplient au cours des années 60), la « maison du fada », finit par ne plus pouvoir se passer des volumes élargis et de la lumière de leur 27ème étage. Le motif récurrent de la cathédrale revient en écho avec la construction d’une chapelle censée donner une âme à ce nouvel ensemble. On retrouve le même plaidoyer pour la beauté des bâtiments modernes « oiseaux prêts à l’envol », « voiles déployées », qui feraient « crier au miracle nos bâtisseurs de cathédrales ».

L’horizon du possible

     Beaucoup des héroïnes des Saint-Marcoux, et presque toujours leurs mères, doivent choisir entre famille et activité professionnelle. Les mères sont souvent décédées ou « au foyer » (une réflexion des réalités démographiques et sociales des années 50) ou aident leur mari dans la tenue d’un commerce de quartier. Aucune n’a une activité remarquable ou prestigieuse. Les filles deviennent secrétaires (Cathy de La Caravelle, Mirentchou du Voleur de lumière), se fiancent sans plus d’attention apportée à leur avenir professionnel (Corinne-Tann Foll du Château d’algues, Nelly des Sept filles du Roi Xavier), attendent que l’élu se déclare (Colombe du Village). Les vocations artistiques semblent avoir plus de succès, Corinne (Corinne qui voulait danser) s’engage dans une carrière de danseuse, Marie Bé (Un si joli petit théâtre) fait des débuts prometteurs, Chriss-Cristelle (Criss ou j’étais une idole) découvre sa voie vers une pratique plus professionnelle de la chanson. Les études des jeunes héroïnes sont rarement mentionnées, et presque jamais soulignées, elles semblent accidentelles.

    Les milieux décrits par Saint-Marcoux sont en majorité des classes moyennes, artisans et artistes, petits commerçants, parfois des familles plus bourgeoises ou d’origine aristocratique qui ont connu des jours meilleurs, quelques exemples de foyers très modestes, mais jamais d’ouvriers. Cette facture sociale explique probablement les attentes envers les filles, bien élevées et respectées, mais rarement destinées à des carrières prestigieuses. Dans La Caravelle, les Soutiers appartiennent à un milieu classes moyennes (professions libérales, cadres moyens), promis à un avenir professionnel (les aînés préparent les concours d’entrée aux Grandes Ecoles). La seule fille du groupe, l’héroïne du roman, est présentée comme « égale mais différente ». Comme Bourdieu l’a analysé dans ses ouvrages sur l’éducation, « l’horizon du possible » borne ses ambitions professionnelles. Mais le message est modulé : il n’y a pas d’interdit social, le blocage est présenté comme psychologique, dû à la mort précoce d’un père, pilote d’essai tué en vol, qui interdit à sa fille, pour ne pas renouveler le chagrin de sa mère, de risquer une carrière aussi dangereuse.

Cette approche est caractéristique de Saint-Marcoux : elle est porteuse d’un message de changement (social, culturel, scientifique), mais elle ne croit pas dans une révolution culturelle. Elle pense fermement que tous les frémissements du progrès doivent être soulignés, encouragés, mais que la progression se doit de rester cela : une progression. Un jour bien sûr les femmes seront pilotes d’essai, il n’y a pas d’obstacle congénital, mais des blocages personnels et temporaires.

    L’idéologie de l’ensemble, pour revenir au modèle possible du Tour de France, illustre bien le chemin parcouru depuis la fin du 19ème siècle ou le début du 20ème. La France ne peut plus être représentée dans un catéchisme patriotique et moral uniformisé. La France séculaire et immobile du Tour de France a vécu. Si les ouvrages des années 50 retiennent encore un parfum un peu nostalgique de cette France traditionnelle, ceux des années 60 et 70 reflètent déjà une autre réalité, moins attachante peut-être. Pour faire passer un message au fond similaire : la beauté et la richesse des régions françaises, la valeur de l’effort et du courage, la dignité et la charité, les traditions artisanales du terroir français, le sens patriotique, il faut à Saint-Marcoux des personnages plus complexes, plus développés, différenciés, des récits, des familles et des amis, un tissu social au moins ébauché. Elle rend compte du souffle de la modernité en respectant les traditions, elle souligne le développement des destins individuels, réalisés ou potentiels, sans négliger le respect des autres. Des valeurs inspirées par un catholicisme tolérant et ouvert, compatibles avec celles de la République, tel qu’il a pu s’inscrire dans le consensus républicain.

( article paru dans le n°79 – janvier 2004 – du bulletin du CRILJ )

 

Après des études de didactique des langues et des cultures à l’université de Paris III Sorbonne Nouvelle, économiques, de russe et de linguistique à l’univestité de Toulouse Le Mirail, Monique Oyallon entame une riche carrière internationale : univesité de Mansfileld en Pennsylvania (USA), Volgograd State University à Volgograd (Russie), université de Silésie à Katowice (Pologne), université de Riga (Lettonie).

Rencontre avec Anne Brouillard et Anne Herbauts

 

La rencontre avec Anne Brouillard et Anne Herbauls qui s’est tenue le 6 novembre 2010 dans le cadre de Vivons livres au Centre de Congrès Pierre Baudis de Toulouse était animée par Nicole Folch.

Nicole FolchAnne Brouillard, il y a deux thématiques très fortes dans vos albums : la nature et le temps. On est touché par la chaleur et la convivialité de vos maisons. On aimerait y être invité …

Anne BrouillardSi je les dessine, c’est parce que j’aimerais y habiter.

Nicole FolchElles donnent une impression de sérénité, de douceur.

Anne BrouillardL’orage est le livre que je préfère pour expliquer le cheminement pour la maison. Dès la première page, on voit l’extérieur dans un miroir et l’intérieur par une fenêtre. L’histoire de l’orage se passe autour et dans la maison. C’est autant l’histoire de la maison que de l’orage. Pour une maison, je fais un plan, je construis une maquette.

Nicole FolchC’est construit, en effet, comme si on se déplaçait avec une caméra dans la maison.

Anne BrouillardDès le départ, il y a des points de repère pour la suite de l’histoire. Mais elles ne sont pas toutes si rassurantes. Par exemple? la maison dans Le rêve du poisson. Mes maisons sont inspirées de maisons existantes que je ré-invente.

Nicole FolchOn y voit une foule de détails, cafetière, réveil, petits pots, etc. Elles sont très habitées !

Anne BrouillardLes objets ont une importance, comme le décor d’un théâtre et révèlent quelque chose des personnes qui y habitent. Même si on ne voit pas les personnes, on a des indications sur elles par les objets.

Anne Herbaults C’est le lieu où s’inscrivent des émotions qui sont reflétées à taille humaine dans les fenêtres. La maison est comme un corps-âme qui serait un reflet de ce qui se passe. Ces maisons sont des sortes de réceptacles.

Anne BrouillardElles sont aussi liées au passé des gens. Je m’inspire de la maison de mes grands-parents. Les maisons abandonnées aussi me fascinent. Les gens sont partis mais ont laissé des choses derrière eux et on a l’impression d’un temps arrêté.

Nicole FolchVos albums sont traités comme des nouvelles, ce décor aide à connaître les personnages. Il y a à la fois la fixité du regard du narrateur et quelque chose qui se déplace tout le temps. Ce désir d’aller ailleurs, cette curiosité toujours bienveillante, sont des points d’ancrage nécessaires à votre narration ?

Anne BrouillardOn vit, on se déplace, on voyage, quantité de chemins apparaissent mais on ne peut les prendre tous. A côté, ces maisons, immobiles, voient passer les gens, durant des générations peut-être. Les arbres aussi sont restés là. Nous on passe.

Anne Herbauts Chez toi, les trains sont au rythme de la marche, ils ont un rythme humain qui permet la contemplation. C’est vraiment la respiration de tes livres, tu regardes les choses dans l’optique du marcheur.

Nicole FolchVous avez, Anne Herbauts, beaucoup de choses en commun avec Anne Brouillard. Vous parlez souvent du goût des mots et quand je lis un album de vous, j’ai l’impression qu’il est construit par associations d’idées. Au début, il y a toute une logique, puis à la relecture tout un réseau apparaît.

Anne Herbauts Depuis toujours, le texte et les images sont liés. Je travaille le livre comme un objet en volume, en trois dimensionS. Le livre est comme une sculpture, mais n’existe que quand il est ouvert. Il doit être ouvert et parcouru pour atteindre à la quatrième dimension, le temps. On travaille de la matière temps dans un objet physique. C’est une écriture à part entière : texte, images, volume, papier, temps. Il y a des choses indicibles que j’essaye de rendre tout autour de l’album, quelque chose qu’il faut malaxer dans la tête pour le mettre en forme dans la pâte à papier du livre. Comment vais-je utiliser ce support d’écriture pour arriver à ce que je veux dire, pour faire parler l’objet livre ? Je tape dedans pour lui faire sortir ce qu’il a dans les tripes ! J’installe tout, puis à un moment, le livre commence à fonctionner seul, quelque chose sourd du livre, des choses qu’on n’a pas prévues ! Un livre, c’est rien, c’est du bête papier et en même temps, quand tout fonctionne, c’est infini !

Nicole FolchVous exprimez parfois votre goût des mots. Vous jouez avec la syntaxe, les expressions. Est-ce que vous partez de là pour certains livres ou pas ?

Anne Herbauts C’est un danger aussi d’être juste gourmande des mots. Si j’écris juste pour la griserie ça n’a plus de sens. J’intellectualise peu mais je fais attention à ce que tout ait un sens. J’utilise beaucoup les répétitions par sonorités afin d’obtenir une sorte de musicalité avec, de temps en temps, une espèce de dissonance. Un mot qu’on répète plusieurs fois va aller chercher son histoire cachée. J’aime bloquer le lecteur en répétant, pour qu’il se dise « Ai-je bien compris ? », qu’il soit attentif à toutes les géologies de notre langue et puis chacun a son histoire de lecteur… J’aime quand ça sonne sourd.

Nicole FolchAnne Brouillard, pouvez-vous nous lire la premoère page de La terre tourne car j’ai l’impression qu’il y a là en germe tous vos thèmes

Anne BrouillardC’est l’histoire des chemins … (Anne Brouillard lit)

Nicole FolchDans la plupart de vos albums, l’homme comprend sa juste place, il est rassuré là où il est, c’est une contemplation paisible.

Anne BrouillardOn ne peut pas s’échapper de soi où qu’on aille. On naît, on vit, on meurt.

Nicole FolchIl y a une relation familière avec l’animal, dans La vieille dame et les souris, je vois une harmonie dans tout ça. Il n’y a pas d’hostilité dans votre monde.

Anne BrouillardC’est ma façon de ressentir la vie. Le monde des animaux et celui des humains sont sur le même pied. Tout dans ce monde cohabite, les hommes, les souris, les araignées …

.Nicole FolchAnne Herbauts, pouvez-vous nous parler de l’entre-deux ?

Anne Herbauts Moin dans l’entre-deux, j’aime bien le mot lisière. Faire des livres, c’est un entêtement, c’est une obstination. On a des thèmes qui sont là. On ne dit pas « Je vais faire un livre sur le carnaval » mais les livres en découlent. Quand on fait des livres, on est toujours sur les bords, on se râpe, on se blesse, on se prend des échardes et c’est ça qu’on met dans les livres. L’idée, c’est de picoter le lecteur avec des mots. La lisière ? Il ne faut jamais dire ce qu’on veut dire directement, on entoure ce qu’on veut dire par des mots, des images et c’est le trou qui signifie.

Nicole FolchVous pourriez dire, par rapport à L’idiot, ce qu’est pour vous le mot juste ?

Anne Herbauts On est plus juste quand on bégaie que quand on construit une phrase parfaite. De même quand on dessine trop de la main droite, il faut changer pour provoquer la surprise, pour qu’on soit sous tension. Quand on connaît le chemin, on ne regarde plus les choses de la même façon. Le mot jardin n’a pas de limite, je dois tout dire, mais pour décrire le jardin, il faut enlever, enlever.

Nicole FolchComment savez-vous que le livre est terminé ?

Anne BrouillardJamais

Anne Herbaults Pour moi, la fin du livre, c’est le prochain. Toi, tu peux parler du livre comme un sentier. Pour moi, c’est un noyau. C’est tellement construit. L’image tape sur les bords car c’est trop construit. Toi, tu construis ta maison, tu construis un univers.

Anne BrouillardLe sujet des bouquins est souvent lié simplement à des choses vues. Mon intention n’est pas d’observer mais je vois ! Le pêcheur et les oies c’est ça, un jour où je me promenais. C’est un échange en continu. Ce que je vois, j’ai envie de le dessiner, sans arrêt.

Anne Herbauts Je crois qu’on a un côté un peu espiègle, comme ça. Est-ce que ça vient de notre pays ? C’est un fonctionnement à nous. Depuis toute petite, j’ai l’impression que je transforme tout en images. En ce moment, j’ai cinq livres dans la tête ! J’aime bien ce que tu disais, que les livres tu ne les finissais jamais car il y a plein de choses. Bon, mais il arrive quand même un moment où il faut élaguer !

Après cette touche d’humour, les présents assistent à la projection du film Le verger qu’Anne Herbauts a réalisé en parallèle à son album L’idiot. « L’idiot se construit en rêve un verger, il plante ses arbres, il leur parle. Le film est une suite d’images, dessins accompagnés de sons et de textes lus. »

  

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Cultures plurielles et littérature de jeunesse

Communication donnée lors des journées organisées par le CRILJ et le Laboratoire Jeux et Jouets de l’Université Paris-Nord les 19 et 20 septembre 1991.

     Avant d’aborder le thème du « multiculturalisme » dans l’édition pour la jeunesse, laissez-moi vous dire toute mon inquiétude sur le « multiculturalisme » en général (et d’ailleurs sur le « culturel » tout court).

    Les mots « multiculturel » ou « pluriculturel » sonnent bien et donnent souvent lieu à de très beaux discours. Quand à savoir ce qu’ils recouvrent concrètement, dans la réalité de tous les jours, c’est une autre affaire…

    Si est « multiculturel » tout ce qui favorise un dialogue vrai avec l’autre, avec l’étranger, celui qui parle une autre langue, qui a peut-être une autre écriture, une autre religion, d’autres références que les nôtres, alors je dirai que nous sommes mal partis, que notre époque pressée et superficielle n’est pas multiculturelle, et que de plus elle est menacée par deux dangers mortels et contradictoires, en Europe aujourd’hui qui sont flagrants :

    D’un côté nous assistons, navrés, au réveil des nationalismes et des intégrismes les plus étriqués tandis que dans le même temps, nous voyons s’avancer de façon insidieuse et rampante une uniformisation réductrice, sous l’hégémonie d’une culture et d’une langue dominantes dans lesquelles risquent de s’estomper peu à peu l’irremplaçable diversité des langues et des cultures. Entre l’homme éclaté, barricadé dans ses particularismes, et l’homme « unidimensionnel » la voie est étroite.

    Et malheureusement, nous sommes en Occident, paradoxalement, particulièrement désarmés devant cette double menace du fait de notre ignorance du monde qui nous entoure. Parce que nous voyageons librement, que nous avons des médias que nous pensons libres et pluralistes, un haut niveau de scolarisation, des universitaires persuadés d’avoir les outils d’analyse nécessaires pour comprendre et décortiquer les autres cultures, nous sommes persuadés de « savoir ». En réalité, gavés d’informations comme nous sommes gavés de nourriture, nous n’avons plus de réelle curiosité, ni d’appétit, nous ne cherchons pas vraiment la connaissance, mais seulement la spectaculaire, qui n’est que l’écume de choses.

    Il n’est pas grave d’être ignorant, on ne peut pas tout savoir, il est dramatique d’être inconscient de ses ignorances. Donc, avant de parler de « multiculturel », prenons la mesure de ces ignorances et l’unité de mesure, l’étalon infaillible, c’est tout simplement, notre désir, notre capacité ou notre incapacité à parler les langues étrangères, car la connaissance réelle d’un peuple et de sa culture passe, obligatoirement, par la connaissance de sa langue qui seule peut traduire la forme et la subtilité de sa pensée. Dialoguer par l’intermédiaire d’une langue tierce si c’est infiniment mieux que de ne pas dialoguer du tout, ne créera jamais la même richesse de relation et d’échanges.

    Permettez-moi de citer ici Maurice Allais, prix Nobel d’économie. Il écrivait en 1989 :  » La langue d’un peuple représente une partie de son âme, et un stricte bilinguisme risque de « compromettre l’épanouissement de la Communauté européenne. En réalité, ce dont nous avons tous besoin, nous européens, c’est d’un « plurilinguisme, au minimum d’un trilinguisme… Si l’on veut réaliser une véritable communauté économique et la communauté politique qui la conditionne, si l’on veut réaliser un véritable humanisme européen fondé, non pas sur la domination d’une seule langue et d’une seule culture, mais sur un juste équilibre entre les différentes langues et les différentes cultures, nous nous devons de réformer fondamentalement l’enseignement dans chacun de nos pays ».

    En effet, la volonté d’un pays de véritablement jouer un rôle dans le monde contemporain, sa volonté de préparer ses enfants à avoir une place dans un avenir qui ne peut être que de plus en plus international, se mesure à la priorité qu’il donne ou ne donne pas à l’enseignement des langues dans ses programmes scolaires et à la précocité, c’est-à-dire dès la maternelle, de la sensibilisation linguistique des enfants.

    Or, jusqu’ici, pour faire face à cette internationalisation nous voyons nos pays industriels consacrer beaucoup de milliards, de temps et d’efforts à développer leurs « moyens de communication » : autoroutes, trains à grande vitesse, avions supersoniques, télécommunications, etc. Mais, faut-il rappeler qu’en français, le mot « communication » a deux sens ? Il y a « les communications – transports », avec les « moyens de communication » dont nous venons de parler, et puis il y a « la communication-dialogue ». Car « communiquer » c’est aussi parler, échanger des idées, des rêves, des projets, des expériences, et il est fondamental de pouvoir le faire aussi avec l’autre, avec l’étranger, grâce à ces « outils de communication » que sont les langues. Là, malheureusement, nous ne voyons ni milliards, ni efforts particuliers consacrés dans nos écoles, ni peut-être dans nos éditions pour la jeunesse, à la sensibilisation, puis à la maîtrise des langues étrangères, à la connaissance sérieuse et approfondie des autres cultures, comme si, aux défis de notre temps nous n’avions plus que des réponses techniques, comme si nous faisions de moins en moins appel aux capacités humaines. Certes, le monde a besoin d’un outil collectif de communication, et l’anglais joue aujourd’hui parfaitement ce rôle, mais le monde a aussi un ardent besoin de préserver ses diversités culturelles, condition absolue de sa richesse et de son dynamisme.

    Après cette trop longue introduction que je vous demande de me pardonner, venons-en enfin aux tendances de l’édition dans cette situation internationale et les bouleversements que nous voyons se précipiter aujourd’hui.

    Concernant l’ouverture vers les autres pays et les autres cultures, il y a trois types de livres :

– les ouvrages documentaires, dont je ne dirai rien, dont l’intérêt est évident, il y en a pour tous les âges et de très bien faits, ils ont parfois du mal cependant à suivre la rapidité des évolutions et dans certains secteurs, ils sont facilement dépassés par les événements. Dans ce type d’ouvrages, il faut se garder aussi du regard extérieur porté sur l’autre à la lumière de nos références culturelles, de notre propre échelle des valeurs. Et il faut bien reconnaître que cela est en partie inévitable quelle que soit notre vigilance et notre honnêteté en la matière.

– en second lieu, nous avons les traductions de contes et de romans étrangers. Et là, nous avons en France une proportion de rachats de droits démesurée. Cette invasion de traductions témoigne-t-elle de cette ouverture au monde extérieur que nous appelons de nos vœux ? Malheureusement, ce n’est pas vraiment le cas, du fait, d’une part de l’énorme déséquilibre qu’il y a entre le nombre de traductions venant de l’anglais par rapport aux autres langues en général, même aux autres langues européennes. Nous avons peu d’ouvrages d’origine allemande, encore moins d’Italie, d’Espagne, de Grèce, des pays nordiques ou des pays de l’est et nous retrouvons là nos inquiétudes précédentes. D’autre part, les textes choisis sont trop souvent « passe-partout » et peu révélateur d’un pays donné. De plus, la traduction demandée va plus ou moins gommer ce qu’il pouvait y avoir d’insolite dans le style ou dans les situations. Alors, l’enfant n’a pas conscience, devant ce live écrit en français comme les autres, d’avoir en main un ouvrage qui vient d’ailleurs et rien, la plupart du temps, ne viendra le faire réfléchir à ce qui pourrait être une approche de l’autre.

– démesurée, jusqu’à 80% dans certains secteurs, cette proportion de rachats de droits réduit à la portion congrue nos propres créateurs, qui, n’étant pas publiés dans leur pays, ne se retrouvent pas évidement sur le marché international.

– enfin, je ne voudrai pas quitter le terrain des traductions et des échanges sans évoquer la situation actuelle des pays de l’est nouvellement rendus à la liberté. Ces pays ont aujourd’hui un formidable appétit de confrontation et d’échanges avec l’ouest, dans tous les secteurs de la culture et donc aussi dans celui du livre pour enfants, mais ils sont pour l’heure dans l’impossibilité financière de racheter des droits et des films. Il faudrait que les éditeurs que nous sommes, inventent de nouvelles formes de transaction, des échanges de films par exemple, pour favoriser le dialogue, au niveau du livre pour la jeunesse avec ces pays trop longtemps muselés, et pour commencer à rétablir un meilleur équilibre dans l’origine de nos traductions.

    Je voudrais aborder pour terminer, toujours dans la perspective de cultures plurielles, un troisième type de livres qui me tient particulièrement à cœur, les livres bilingues. Très marginaux, encore trop rares dans le monde de l’édition pour enfants, le nombre de livres bilingues progresse, lentement mais régulièrement ces dernières années. Je ne parle pas seulement des livres anglais-français qui ont connu une véritable explosion ces cinq dernières années, mais d’autres langues aussi commencent à arriver sur le marché, alors que le public n’y est encore pas prêt, n’a pas encore compris l’intérêt et l’usage que l’on peut faire de ce genre d’ouvrages.

    Pourquoi en effet un livre bilingue, pourquoi ces deux langues différentes face à face ? D’abord, parce que, contrairement aux traductions dont il était question, le livre bilingue ne permet pas à l’enfant d’ignorer qu’il est en face de l’autre. L’autre est là, à chaque page dans cette langue, dans cette écriture parfois, différente. Bien au-delà de toute fonction linguistique, le livre bilingue a un rôle de sensibilisation, d’éveil de la curiosité, de familiarisation et d’acceptation de la différence.

    Livre-rencontre, livre-dialogue, il y a la même différence entre un livre bilingue et une simple traduction qu’entre un film en version originale sous-titré et un film doublé : l’authenticité et la présence de l’autre sont toujours plus fortes dans la version originale.

    Il est inutile d’insister sur l’importance du livre bilingue pour ceux que l’on appelle les enfants de l’immigration. Même s’ils ne parlent plus leur langue d’origine, c’est une valorisation nécessaire de la langue de leurs parents. C’est l’occasion d’un dialogue entre ces enfants, leurs parents, leurs maîtres, leurs camarades.

    Pour les enfants étrangers provisoirement loin de leurs pays, et nous retrouvons là les problèmes de l’Europe, de ce grand brassage de population qu’elle suppose, dans ce contexte, le livre bilingue permet aux enfants contraints à la suite de leurs parents de passer d’un pays dans un autre, d’une langue à une autre, d’un système scolaire à un autre, de garder des liens nécessaires avec leur culture et leur langue maternelle.

    Mais plus encore qu’à ces enfants de l’immigration ou à ces enfants étrangers, c’est à nos propres enfants, à notre propre société, à notre opinion publique que ces livres s’adressent, en cela qu’ils nous préparent l’acceptation de sociétés véritablement multiculturelles. Moyen dérisoire pour un si vaste objectif ? Certes mais au-delà des beaux discours, ils représentent une action concrète de sensibilisation à l’existence et au respect de l’autre, ce qui n’est déjà pas si mal.

    Aujourd’hui, face à l’ouverture de l’Europe, ouverture élargie aux pays de l’est, peu de choses sont faîtes pour préparer l’opinion, pour adapter l’école, à l’arrivée d’étrangers sur notre terrain. De même que par imprévoyance nous n’avions préparé ni l’opinion, ni l’école à l’arrivée massive de travailleurs venus des pays du sud, laissant ainsi se déclencher des réactions de rejet, d’intolérance, de xénophobie, que nous payons cher aujourd’hui, de même face à l’Europe la même imprévoyance, le même aveuglement, la même ignorance, font le lit des tensions, des refus, des souffrances de l’Europe de demain.

    Le livre bilingue est une toute petite réponse aux inquiétudes que nous avons manifestées tout au long de cette intervention, je vous laisserai découvrir en sortant le sens du travail mené en collaboration par les éditions Syros et l’Association des Amis de l’Arbre à livres, dans le domaine de l’édition pour enfants, depuis la collection pour tout-petits les contes du poulailler, bilingue en douze langues, jusqu’aux triptyques de l’arbre aux accents où trois livres bilingues ouvrent les portes d’un pays : un livre de cuisine, un livre de contes, un livre de nouvelles contemporaines.

( article paru dans le n°43 – novembre 1991 – du bulletin du CRILJ )

 

 Longtemps libraire à L’arbre à livre, Suzanne Bukiet fut également, avec Françoise Mateu, directrice des éditions Syros. Auteur notamment de Écritures (Syros, 1984), Les cahiers de la République : promenade dans les cahiers d’école primaire, 1870-2000, à la découverte des exercices d’écriture et de la morale civique, avec Henri Mérou (éditons Alternatives, 2000) et de Paroles de liberté en terres d’Islam (Editions de l’Atelier 2002).

Sous d’étranges étoiles

 

   En 1937, en Roumanie, vit cette petite fille quelque peu impertinente. Elle est juive – mais ne le sait pas – et entend à la radio Hitler qui aboie ses ordres. Curieuse, elle se pose quelques graves questions : un pays peut-il mourir comme une personne ? Mais les adultes effrayés par ses interrogations n’osent lui répondre. Enfant généreuse, elle ne supporte pas les inégalités et partage ses goûters trop copieux avec les enfants pauvres et tondus. Un jour, elle voit sa mère pleurer : Paris est tombé ! Puis, sa région, la Bucovine, devient russe. La famille n’a plus de domestique et l’institutrice apprend des chansons soviétiques à ses élèves afin qu’ils connaissent des bribes de la langue russe. Puis les nazis envahissent l’Union Soviétique. Alors, dans sa ville, la Wehrmacht défile et les lois anti-juives entrent en vigueur. On instaure un ghetto. Étoile jaune, interdiction d’école pour les enfants juifs, arrestations et départs en wagons à bestiaux. Les adultes veulent mettre les enfants à l’abri,mais la jeune Béatrice espionne et devine tout. Heureusement ses parents et elle réussissent à fuir. Après un dur et éprouvant voyage, ils arrivent en Palestine.

    Là, Béatrice devient Brakha. Séparée de ses parents, à l’école de Ben Shemen, elle passe deux années merveilleuses qui la forment et lui ouvrent de nombreuses possibilités artistiques. Ce village de jeunesse a été pensé et est dirigé par le docteur Siegfried Lehman. Une création où l’on pratique le partage des tâches. Mais il y a aussi une bibliothèque, un petit musée, un ensemble musical, un théâtre… Les professeurs sont des intellectuels qui inventent les savoirs à transmettre. Par exemple les cours de botanique se pratiquent dans la forêt, et une artiste, Noémi Smilansky, encourage Béatrice à dessiner… Mais le père veut aller vers un monde neuf. Tous les trois partent en direction du Brésil, où Béatrice passera sa jeunesse.)

Sous d’étranges étoiles

    Je me souviens, il y a longtemps, mon fils est rentré de l’école me disant avec fierté :

– J’ai un excellent copain, il est merveilleux et plus vieux que moi, il s’appelle Josué Tanaka.

– Moi je connais sa mère, Béatrice Tanaka. Comme moi, elle fait des livres pour les enfants.

    Et quelques mois plus tard toutes les deux nous réalisions pour les Éditions La farandole : Contes d’étoiles et de la lune. J’écrivais les textes, Béatrice les illustrait. Puis nous inventions un album de poésies et de recettes vietnamiennes ; tous les droits allant à ce pays qui se battait avec courage.

    Au fil des années, nos enfants se perdirent de vue, grandirent et toutes deux nous nous retrouvâmes grand-mère. Un jour, dans une galerie, je revis mon amie Béatrice. Ce qui me frappa et que je n’avais nullement oublié, ce fut son rire. Chapelet de rires perlés, printaniers et joyeux. le rire, malice, de Béatrice. J’avais néanmoins suivi les albums dans lesquels elle contait le Brésil et illustrait de manière poétique ces histoires magiques.

    Mais, à propos de livres, je me suis penchée longuement sur son beau livre de souvenirs qu’elle vient de publier aux éditions Kanjil, intitulé Sous d’étrages étoiles. J’ai apprécié cette lecture dans laquelle de nombreux jeunes devraient se plonger.

Là je rejoins l’amie connue mais je la découvre aussi à travers son errance avec ses parents de Roumanie jusqu’au Brésil. J’ai eu grand plaisir à lire cette vie qui commence avant la guerre et va son chemin dans la même époque que moi.

    En 1937, en Roumanie vit cette petite fille quelque peu impertinente. Elle est juive – mais ne le sait pas – et entend à la radio Hitler qui aboie ses ordres. Curieuse, elle se pose quelques graves questions : un pays peut-il mourir comme une personne ? Mais les adultes effrayés par ses interrogations n’osent lui répondre. Enfant généreuse, elle ne supporte pas les inégalités et partage ses goûters trop copieux avec les enfants pauvres et tondus.

    Un jour, elle voit sa mère pleurer : Paris est tombé ! Puis, sa région, la Bucovine, devient russe. La famille n’a plus de domestique et l’institutrice apprend des chansons soviétiques à ses élèves afin qu’ils connaissent des bribes de la langue russe. Puis les nazis envahissent l’Union Soviétique. Alors, dans sa ville, la Wehrmacht défile et les lois anti-juives entrent en vigueur. On instaure un ghetto. Étoile jeune et interdiction d’école pour les enfants juifs. Suivent des arrestations et des départs en wagon à bestiaux. Les adultes veulent mettre les enfants à l’abri mais la jeune Béatrice espionne et devine tout. Heureusement ses parents et elle réussissent à fuir. Après un dur et éprouvant voyage, ils arrivent en Palestine.

    Là, Béatrice devient Brakna. Séparée de ses parents, à l’école de Ben Sheven, elle passe deux années merveilleuses qui la forment et lui ouvrent de nombreuses possibilités artistiques. Ce village de jeunesse a été pensé et est dirigé par le docteur Siegfrid Lehman. Une création où l’on pratique le partage des taches. Mais il y a aussi une bibliothèque, un petit musée, un ensemble musical, un théâtre. Les professeurs sont des intellectuels qui inventent les savoirs à transmettre. Par exemple les cours de botanique se pratiquent dans la forêt… Une artiste, Noémie apprend le dessin à Béatrice.

    Mais le père veut aller vers un monde neuf. Tous les trois partent en direction du Brésil où Béatrice passera sa jeunesse. Dans ce récit, elle décrit ses personnages aimés, ses tantes, son grand-père Opa. Pourquoi prendre les mésaventures avec gravité lorsqu’on peut encore en rire ? L’humour, souvent présent, ne contrarie en rien l’émotion intense de certaines scènes douloureuses.

    Sous d’étranges étoiles (Kanjil 2010), un livre rare, à l’écriture subtile, parfois cocasse. Un parcours de vie comme un voyage dans le temps et dans l’espace. Un enseignement aussi sur pays et événements que l’héroïne a vécus.

    Et générosité, espièglerie, force et finesse révèlent l’amie Béatrice au rire communicatif.

(texte initialement paru dans le numéro 226, février 2011, de Griffon)

 

Rolande Causse travaille dans l’édition depuis 1964. Elle anime, à partir de 1975, de nombreux ateliers de lecture et d’écriture et met en place, à Montreuil, en 1984, le premier Festival Enfants-Jeunes. Une très belle exposition Bébé bouquine, les autres aussi en 1985. Emissions de télévision, conférences et débats, formation permanente jalonnent également son parcours. Parmi ses ouvrages pour l’enfance et la jeunesse : Mère absente, fille tourmente (1983) Les enfants d’Izieu (1989), Le petit Marcel Proust (2005). Nombeux autres titres à propos de langue française et, pour les prescripteurs, plusieurs essais dont Le guide des meilleurs livres pour enfants (1994) et Qui lit petit lit toute sa vie (2005). Rolande Causse est au conseil d’administration du CRILJ.

Le héros enfantin, témoin de l’évolution du statut social de l’enfant

    Dans le cadre des manifestations de Lire en Fête de septembre-octobre 2001 lancé par le Ministère de la Culture, diverses expositions et colloques consacrés aux Images et représentations de l’enfance dans le Patrimoine écrit, textes administratifs, manuels scolaires et livres pour la jeunesse sont devenus témoins de l’évolution su statut social de l’enfant.

    Depuis 1972, l’UNESCO lançant son projet d’une Année Internationale du Livre et de la Lecture, a déclenché un vaste réseau de coopération culturelle et de lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme dans le monde, y compris dans les pays européens. L’évolution de ce Patrimoine écrit est suivie avec attention dans tous les milieux professionnels ou associatifs de promotion de la lecture.

    Aujourd’hui à travers les études socio-historiques et d’anthropologie culturelle qui se multiplient en France et ailleurs, il est clair que le système scolaire aura permis à l’institution littéraire de gagner un public relativement large par le fait même de sa mission d’alphabétisation.

    Marie-José Chombart de Lauwe dans Un monde autre, l’enfance (Payot 1971), Philippe Ariès dans L’enfant et la famille sous l’ancien régime (Le Seuil 1973), Marc Soriano dans Guide de littérature pour la jeunesse (Flammarion 1975) ont appris aux professionnels de l’éducation de ma génération que les relations enfants-adulte, le type d’autorité auquel les enfants doivent se soumettre et la place que la société civile et politique leur accorde, sont des facteurs se modifiant sans cesse…

    Si l’on excepte les enfances des Maternités des légendes dorées chrétiennes de l’imagerie populaire, et les bois gravés représentant Le petit chaperon rouge ou Le petit poucet, l’enfance et un thème introduit relativement tard dans la littérature française. Il faut attendre le 18ème siècle et le déclic de l’Emile de Jean-Jacques Rousseau pour que l’enfant personnage romanesque apparaisse : chaque étape de la vie a une « sorte de maturité qui lui est propre. Nous avons souvent ouï parler d’un homme fait. Considérons un enfant fait, le spectacle sera nouveau pour nous… ».

    Mais sur l’essence de la nature enfantine, la querelle était grande depuis toujours. C’est la pensée d’Augustin qui, au Vème siècle avait enseigné que l’enfant était l’image de l’anti-perfection, que Jean-Jacques Rousseau remettait en cause. Et l’on retrouvera des partisans des deux thèses de génération en génération d’éducateurs.

    Introduits ainsi par les propos de Rousseau dans la vie sociale et culturelle de la société bourgeoise française, les enfants vont devenir effectivement « personnages de romans » dans un courant littéraire d’éducation moralisatrice.

    L’enfant innocent et son altération par la société est la base des interrogations des uns, alors que les autres craignent l’ébranlement de cette société par la présence de l’enfant vu comme un perturbateur quelque peu insaisissable parce que biologiquement évoluant. Berquin dans L’ami des enfants lancé par lui en 1872, fut, en France, le premier qui, en sortant de la féérie des contes pour parler de la vie réelle, montra l’enfance aux enfants. Mais il suffit de regarder les tableaux de Greuze, de Fragonard ou de madame Vigée-Lebrun pour comprendre comment le monde des adultes concevait l’enfance et façonnait, alors le naturel et la spontanéité des enfants.

    Les relations enfants-adultes en famille, la place que la société accorde aux enfants, le type d’autorité auquel ceux-ci doivent se soumettre, tous ces facteurs se modifient sans cesse. Le tournant historique dans l’évolution du statut de l’enfant en France a lieu au 19ème siècle. Pris en compte par la société avec l’institution de la scolarité obligatoire et la réglementation de l’âge d’entrée dans la vie professionnelle, l’enfant de « mini-adulte » est devenu parfois infantilisé par l’exploitation commerciale qui a pu être faite de son nouveau statut social, y compris dans l’édition et la Presse. En littérature, on le voit passer peu à peu des rôles secondaires à celui de héros principal d’une histoire et pas seulement dans l’édition pour la jeunesse.

    Il serait intéressant d’étudier longuement l’impact symbolique de la présence du jeune garçon qui, en brandissant fièrement son pistolet dans le sillage de La liberté guidant le peuple peinte par Delacroix au lendemain des Journées de juillet 1830, va inspirer à Victor Hugo, trente ans plus tard (alors qu’il est exilé à Guernesey) la création de Gavroche, un des personnages clés des Misérables. Le qualificatif attribué par Victor Hugo au gamin : Gavroche est devenu aujourd’hui, dans le dictionnaire et dans les esprits, tout simplement synonyme d’enfant de la rue.

    Les Misérables de Victor Hugo sont un des grands classiques de la littérature mondiale, en réédition constante avec illustrations très diverses. L’écrivain qui était lui-même, on le sait, un bon dessinateur, nous a laissé des croquis intéressants évoquant son personnage. Mais pour le public français, l’image référence reste celle du tableau de Delacroix. Victor Hugo n’a-t-il exprimé à propos de ce gamin de Paris « épris de liberté, mais cœur d’or, malicieux, effronté et incapable de tenir sa langue pour le simple plaisir de jouer avec les mots et les idées » qu’une partie du non-dit du peintre Delacroix pour que, 150 ans après, nous les gardions ainsi liés en mémoire, complémentairement ?

    Gavroche conduit à bien d’autres interrogations… Un portrait d’enfant tracé par un écrivain, par un peintre pour réaliste qu’il soit, n’est cependant qu’artefact : sous le détail descriptif et objectif, le référent symbolique est à décoder. Les auteurs écrivant sur l’enfance ne sont pas des sociologues, mais ils observent souvent l’enfance dans un contexte historique. Et naturalistes ou fabulateurs, leur œuvre est évidemment le résultat d’une réflexion personnelle prenant en considération, la constance de l’état d’enfance et l’originalité de la situation d’un enfant précis.

    L’enfant et les Sortilèges de Colette, mis en musique par Ravel en 1920 et qui vient de suggérer à une quarantaine d’artiste plasticiens l’une des expositions les plus ludiques qui soit à l’Orangerie du Luxembourg en est un autre exemple significatif.

    Il est indéniable que dans l’évolution de notre littérature pour la jeunesse, l’enfant est aux yeux de l’adulte « créateur », celui qui relie au mystère du temps qui passe. Il est l’occasion d’exprimer, soit une nostalgie d’un passé, paradis perdu, soit un point d’interrogation sur un destin à venir. La caractéristique du héros enfantin qui va s’imposer par son illustration est aussi d’avoir un nom qui appelle une image avec son halo de signification teinté ou non d’affectivité.

    L’enfant éternel, gage de pureté et d’innocence, c’est pour nous : Tistou les pouces verts de Maurice Druon et Jacqueline Duhême, mais surtout Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Nous constatons que là encore tout tient à la présence physique d’image de l’enfant. Vous est-il possible de dissocier du titre du livre la silhouette fragile de cet enfant blond, mains dans les poches et l’air grave, debout sur une boule grise, qui nous apparaît comme une planète, puisque l’environnement est constitué d’étoiles ? Les vêtements de cet enfant n’ont ni pittoresque, ni mode, ils ne datent pas, ils ne sont pas datables. Mais depuis plusieurs générations, chacun de ses lecteurs l’atteste : on se retrouve marqué par cette image, qui plus encore que me texte fait entrer Le Petit Prince dans notre mémoire collective. Le dessin est constamment le support du récit avec l’originalité d’être un dessin d’aviateur qui regarde la terre sous un autre angle de perspective et de la coloration des choses. Et peut-être aussi un dessin d’un écrivain qui considère ces croquis comme une expression normale complémentaire des mots dans le jeu même de l’écriture de son texte, et par conséquent, indissociable.

    Cependant, le signe de l’aspect social de notre époque est sans doute moins l’enfant-roi que l’enfance-reine.

    Aujourd’hui, innombrables sont les enfants qui, effectivement sont personnages témoins de l’état d’enfance vécu au quotidien : Emile (Domitille de Pressensé), Mimi Cracra (Agnès Rosentiehl), Valentine (Michel Gay), Caroline (Pierre Probst), Ernesto (Marguerite Duras/Bernard Bonhomme), Le Petit Nicolas (Goscinny/Sempé), Grabote (Nicole Claveloux), Pierre l’ébouriffé (Hoffman/Claude Lapointe), La petite géante (Philippe Dumas)…

    On rencontre parfois ces enfants en héros d’une seule histoire, mais souvent aussi dans des récits à rebondissements comme dans les feuilletons de télévision. Ces personnages très vivants, remuants, très présents pour la plupart, sont créés par des illustrateurs « professionnels » et père, mère ou grand-pères… donc des adultes contemporains voyant vivre des enfants et qui font d’eux des croquis sur le vif.

    Sans faire abstraction de la déréalisation que provoque désormais l’ambiance des médias visuels, ces auteurs-illustrateurs ont la préoccupation de faire prendre conscience à leurs jeunes lecteurs, de la nécessaire sociabilité de notre vie quotidienne. Ils évoquent dans leurs livres illustrés les heurs et malheurs, les moments de tension et les moments heureux des rapports réciproques adultes-enfants… à la maison, à l’école, dans les transports, dans les loisirs.

    La communication et l’incommunicabilité entre les générations dans nos sociétés contemporaines sont traitées le plus souvent par la caricature… ou plutôt avec une certaine fantaisie qui peut aller jusqu’au surréalisme ou à l’hyperréalisme selon le tempérament de l’artiste. Le glissement de sens dans le jeu des mots, conduisant à oser des improvisations visuelles dont la logique sera poussée jusqu’à un absurde provoquant un rire de distanciation, est peut être ce qui peut unir et faire communiquer encore aujourd’hui les enfants et les adultes.

    C’est peut-être l’un des aspects paradoxaux de notre époque de communication que peu de sociologues prendront en compte mais qui est un fait tangible : les artistes qui disposent des commandes de l’imaginaire contemporain s’intéressent avec éclat aux problèmes de l’Enfance et des enfants et n’hésitent pas à bouleverser l’univers culturel adulte relativement clos sur lui-même, en réintroduisant avec les livres « pour enfants » un plaisir de lecture partagée.

Post-scriptum

    Chaque médiateur adulte entre le livre d’images et le jeune enfant perçoit vite la réalité du dialogue qu’instaure l’illustrateur-auteur avec son lecteur. Les enfants sont pour le conteur-imagier des interlocuteurs directs.

    Pour l’écrivain, les enfants sont plus souvent le point de départ d’une réflexion « littéraire » sur des faits de société dans lesquels les enfants sont impliqués. L’un des exemples le plus récent est le conte philosophique de Sophie Ducharme qui vient de paraître chez Syros sous le titre Les enfants perdus : quelque part sur la Terre, dans un pays sans non, une adolescente refuse la facilité (le diktat du maître) qui devrait la conduire à être esclave comme sa mère et ses aïeules avant elle. Par sa révolte personnelle elle arrivera à entraîner tous les enfants perdus de sa cité à sortir de l’emprise de la fatalité du malheur.

    Parce qu’elle travaille ses phrases en poète, Sophie Ducharme attire ses lecteurs en vraie conteuse et on comprend qu’elle ait reçu le Prix du roman jeunesse 2000 du Ministère de la Jeunesse et des Sports.

( article paru dans le n°71 – novembre 2001 – du bulletin du CRILJ )

 

Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle est – depuis fort longtemps et aujourd’hui encore – administratrice du CRILJ.

Tout a changé, tout change, y compris le voyage

 

    La maison de famille où cousins, cousines se retrouvaient pendant un long temps de vacances, est transformée en lots. L’indivision, au bout de trois générations, n’est plus supportable et fait des ravages dans les résidences devenues secondaires.

    Les voyages, réservés à l’élite au 19e siècle, se sont démocratisés grâce aux congés payés en 1936 et aux charters en 1970. Puis les documentaires, puis les reportages photos, puis la télévision, puis internet, non seulement démystifient totalement les voyages et leurs destinations mais encore les dépeignent comme des paradis et, ce faisant, gomment la peur de partir.

    Alors est apparu le tourisme de masse : une industrie qui tue son propre objet. Prenez une plage idyllique, n’importe où, dans l’archipel du Kiribati par exemple, mettez y un complexe hôtelier, un aéroport de taille, pour remplir les hôtels, transformez les indigènes en larbins et le tour est joué : c’est l’enfer. Tout le monde ou presque, je parle d’avant la crise, peut « faire » un pays, jusqu’au vieilles veuves qui se lancent sur les routes, et des retraités qui alimentent confortablement les voyages organisés

    Mais la grande nouveauté, la belle nouveauté et malgré tout il y en a une, c’est que maintenant, la peur de partir gommée par les médias, les enfants, du berceau jusqu’à l’âge du chômage, partent loin avec leurs parents et/ou leur grands parents. Avec les grands parents ce sont des voyages de découverte qui peuvent être lointains mais qui sont courts. Avec les parents cela va jusqu’au changement de vie pendant une ou plusieurs années sabbatiques le plus souvent en camping car ou en bateau.

    Les enfants n’ont pas de préjugés.Ils n’ont pas encore appris les différences de classe, le racisme et ils aiment les autres enfants comme une autre image d’eux même. Il n’y a pas de meilleur alibi que les enfants pour communiquer ce qui est le but même du vrai voyage. Il n’y a pas de meilleur outil que le voyage pour la communication familiale, car on s’observe à la loupe. les parents s’aperçoivent de leur propre fragilité les enfants se responsabilisent très vite.

    A voyager en famille les enfants apprennent par eux même à distinguer l’essentiel de l’accessoire et à s’adapter à tout. Le conformisme, l’engrenage des « marques » disparaissent. Ils désapprennent la télévision et goûtent la lecture dans les temps morts de la pérégrination.

    Les guides « voyager avec vos enfants » sont apparus ainsi que les guides destinés aux enfants ce qui prouve que la tendance est là.

    Voyager avec sa famille c’est être à l’école de la vie, en travaux pratiques permanentsn et point n’est besoin d’aller au bout de la terre, on peut découvrir la France par région, à pied ou à dos d’âne, donc le voyage n’est pas mort df vive le voyage !

    Enfants, poussez vos parents à l’aventure !

(novembre 2011)

 

Au terme de dix années de voyages sur tous les continents, Catherine Domain, petite-fille d’un grand-père navigateur au long cours et d’un autre libraire en Périgord, ouvre en 1971 la première librairie au monde spécialisée dans les voyages. Désormais installée au 26 rue Saint Louis en l’Île à Paris, la Librairie Ulysse – dont la marraine est Ella Maillard et le parrain Hugo Pratt – propose plus de 20 000 livres neufs et anciens, des revues et des cartes sur tous les pays et pour tous les voyages. Catherine Domain est membre du Club des explorateurs et du Club international des grands voyageurs. Elle a fondé le Cargo Club pour les passionnés de mer ainsi que le Club Ulysse des petites îles du monde. En 2007, elle fonde le Prix Pierre Loti qui récompense un récit de voyage paru dans l’année, Attention : pour rencontrer Catherine Domain entre juin et septembre, il faudra aller jusqu’à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) où, dans un ancien casino de style mauresque, elle tient librairie d’été. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte, en écho à Littérature du grand large : aventures et voyages, numéro 3 juste paru des Cahiers du CRILJ.

Le rôle de la fiction dans le développement de l’enfant

L’enfant, la fiction et l’école

Pour l’enfant comme pour l’adulte, la fréquentation du monde des fictions est primordiale, tant pour son équilibre psychique que pour la construction de son identité culturelle. Et les éducateurs que nous sommes sont en droit de se demander si la place que l’école réserve aux histoires et le statut qu’elle leur reconnaît sont à la mesure des enjeux.

Les histoires racontées – ou lues – les contes, les légendes sont présentes dans nos classes, chacun le sait, notamment à l’école maternelle ; mais on n’a pas l’impression que cette présence de la fiction reflète un intérêt profond pour l’imaginaire ; d’ailleurs les enseignants qui organisent des activités de création verbale et de construction de récits sont encore rares.

Tout se passe comme si l’attrait que la fiction exerce sur l’enfant servait uniquement de motivation à la pratique d’autres activités : activités manuelles, graphiques, motrices, ludiques… organisées à l’école maternelle à partir d’un conte ; apprentissage et entraînement à la lecture à l’école primaire dans des pages de romans.

On pourrait multiplier les exemples qui montreraient que notre système éducatif, fidèle en cela à la tradition philosophique occidentale, a eu depuis un siècle une attitude de méfiance, voire d’hostilité à l’égard de l’imaginaire et de la fiction.

Tout le monde s’accorde pour considérer que l’objectif essentiel de l’éducation est l’émergence et la construction de la pensée rationnelle. Mais faut-il pour autant, au nom de la connaissance scientifique et raisonnée, nier l’existence d’une autre connaissance subjective et imagée ?

Sur ce point capital, l’apport de Gaston Bachelard est particulièrement éclairant. Pour lui en effet, les concepts rationnels et les créations imaginaires se développent sur deux axes divergents de notre pensée, mais sont complémentaires et constituent en définitive « l’unité de notre vie psychique ».

Et si « l’esprit scientifique doit sans cesse lutter contre les images, contre les analogies, contre les métaphores » (Bachelard, Formation de l’esprit scientifique), de même l’homme de sciences « doit oublier son savoir, rompre avec toutes ses habitudes de recherches philosophiques, s’il veut étudier les problèmes posés par l’imagination poétique » (Bachelard – Poétique de l’espace).

Mais c’est bien le même homme qui rêve et qui pense alternativement, qui parcourt tour à tour, mais sans jamais les confondre, les deux axes de la vie spirituelle ; rationalité en animus, rêverie en anima, Bachelard reprend et développe l’analyse que fait Jung de la dualité profonde – masculin et féminin – de notre psychisme et en montre la richesse :

« Il faut connaître la bonne conscience du travail alterné des images et des concepts, deux bonnes consciences qui seraient celle du plein jour et celle qui accepte le côté nocturne de l’âme ». (Bachelard – Poétique de la rêverie).

Retenons de la pensée du philosophe que l’imaginaire et le rationnel sont aussi nécessaires l’un que l’autre à notre équilibre psychique.

L’action éducative peut donc – sans craindre de sacrifier à l’infantile – avoir un projet ambitieux dans le domaine de l’imaginaire, notamment par la fréquentation du monde de la fiction (aussi bien par la découverte des œuvres existantes que par la pratique des activités de création).

Ce projet ambitieux de l’école est d’autant plus nécessaire que l’importance de la fiction dans notre vie quotidienne a diminué au cours de ce siècle en particulier, de même que son statut social s’est considérablement dévalorisé ; et cette double évolution qui est particulièrement nette au niveau de l’enfance, se manifeste notamment par la perte d’influence de la pensée mythique, la désacralisation de notre société et le dépérissement de la tradition orale.

Il ne s’agit pas de le regretter ou de s’en féliciter, mais de constater que les moments où nos enfants peuvent rencontrer et apprendre à aimer les héros mythiques sont devenus rares ; et que plus rares encore sont les occasions où ces fictions sont présentées comme des choses sérieuses…

Parallèlement à cette évolution – comme un espace de communication ne reste jamais vide – l’environnement des enfants se voit envahi par une inflation de sous-produits médiatiques qui se caractérisent par une écriture infantilisante, une structure stéréotypée à l’extrême et un simplisme manichéen consternant.

On peut affirmer que sur ce plan notre société a considérablement régressé, et que l’héritage mythologique qu’elle transmet à ses enfants est d’une grande pauvreté par rapport à ce que peut connaître un petit africain, ou ce qu’a pu vivre un petit provençal du début du siècle.

Bettelheim souligne ce danger à propos des versions filmées des contes de fées :

« De nos jours les enfants sont gravement lésés (…). La plupart d’entre eux, en effet, n’abordent les contes que sous une forme embellie et simplifiée qui affaiblit leur signification et les prive de leur portée profonde. Je veux parler des versions présentées par les films et les spectacles télévisés qui font des contes de fées des spectacles dénués de sens ».

Dans ces conditions il est évident que le rôle de l’école pour l’initiation des enfants au monde des récits et des mythes est capital ; car, si l’école n’ouvre pas largement les portes de la fiction, si elle ne favorise pas cette fréquentation, si elle n’aborde pas avec le sérieux et la gravité nécessaires ces histoires, nul ne le fera à sa place, et les « Petit Poucet » qui passent par nos classes ne vivront « qu’une moitié de vie », selon le mot de B. Duborgel.

Fréquenter le monde de la fiction

Fréquenter le monde de la fiction c’est donc un objectif essentiel de l’éducation, dès le plus jeune âge et tout au long de la scolarité (au-delà aussi, bien entendu).

Quelles en sont les voies et les moyens ? On en relèvera trois, qui ne sont pas originales, mais qui prendront dans ce contexte toute leur cohérence.

– La découverte de la fiction par le récit oral d’abord, puis progressivement (et de plus en plus) par la lecture.

– La création d’histoires par l’improvisation orale d’abord puis par la conquête progressive de l’écriture (au sens plein du terme).

– L’immersion dans le monde de l’imaginaire où l’enfant vit pleinement la fiction par la rêverie et le jeu ; de la rêverie secrète et fugitive au jeu libre, puis au jeu organisé et collectif, pour aborder enfin la mise en scène et le jeu dramatique.

Il s’agit de trois manières de pénétrer le monde de la fiction qui trouvent dans le psychisme de l’enfant cohérence et complémentarité ; et qui se nourrissent l’une de l’autre comme elles se nourrissent de l’expérience du monde réel.

Découvrir une fiction, c’est prendre connaissance d’une situation vécue, par la lecture, l’écoute ou le spectacle ; c’est un voyage hors de l’instant présent et une puissante incitation à la rêverie pendant et après le récit.

Et cette rêverie qu’un inconnu nous a transmise, il nous arrive de nous y reconnaître, de la croire nôtre, et parfois de la prolonger :

« Si nous recevons vraiment les images des poètes, elles nous apparaissent comme des documents de rêverie naturelle. A peine reçues, voilà que nous imaginons que nous aurions pu les rêver… Nous lisions et voilà que nous rêvons » (Bachelard – Poétique de la rêverie).

Car vivre une histoire, c’est aussi découvrir le besoin d’inventer, de créer à son tour, de bâtir soi-même un monde. Bachelard, encore, en porte témoignage :

« Personne ne sait qu’en lisant nous revivons nos tentations d’être poète. Tout lecteur un peu passionné de lecture, nourrit et refoule, par la lecture, un désir d’être écrivain. Quand la page lue est trop belle, la modestie refoule ce désir. Mais le désir renaît » (Poétique de l’espace).

Cette interaction entre l’imaginaire d’un autre dont nous savourons la substance, et nos rêveries secrètes qui prennent forme lentement nous entraîne dans des voyages exaltants où se mêlent au plus profond nos élans intimes et la résurgence des personnages fictifs qui sont nos compagnons de rêve.

Empruntons au Sartre des Mots une des plus belles illustrations de cette puissance créatrice et assimilatrice de l’imaginaire. Se retournant vers son passé, l’écrivain montre dans ces pages consacrées à ses rêveries d’enfant, comment l’imagination se développe sur un fond complexe où interfèrent trois facteurs :

– d’abord les préoccupations, les désirs ou les angoisses de l’enfant,

– ensuite le monde des personnages de fiction qui lui sont familiers (et le monde du cinéma muet),

– enfin l’environnement immédiat qui façonne son état d’esprit : ainsi les sentiments de crainte, de morosité ou de gaieté se succèdent au rythme du jeu des sonorités et des lumières.

Sous cette triple influence, l’enfant lance sa rêverie, et avance dans le récit qui se noue, se dénoue, rebondit…

Sartre réussit dans ces pages à nous faire sentir le lien ambigu et mystérieux entre la perception du réel et la création imaginaire ; entre les élans de l’enfant et les échos que lui renvoient ses héros familiers ; entre la volonté qui mène le jeu et l’affectivité qui se laisse entraîner par l’atmosphère…

Tous les enfants vivent cela, et bien des adultes aussi ; tous les enfants connaissent le bonheur de la vie rêvée !

Le rôle de l’école n’est-il pas dans ce domaine de s’efforcer de donner à chaque enfant les aliments de ses rêveries et les occasions de les vivre ?

( texte paru dans le n° 70 – juin 2001 – du bulletin du CRILJ )

 

Inspectrice d’académie et inspectrice pédagogique régionale vie scolaire honoraire, Anne Rabany s’intéresse à la littérature pour la jeunesse depuis son entrée dans l’enseignement. Elle a participé à différentes actions de promotion de la lecture : Plans lecture de la Ville de Paris et de l’académie de Créteil, développement des BCD, formation d’animateurs, tournées culturelles pour les centres de vacances de la CCAS/EDF. Publications dans de nombreux périodiques (Textes et documents pour la classe, Ecole des parents, Monde de l’éducation…). Contributions à plusieurs ouvrages collectifs dont une étude sur “Les enfants terribles dans les albums” dans L’Humour dans la littérature de jeunesse parue chez In Press en 2000. Anne Rabany intervient au niveau des masters 1 et 2 d’édition à Montauban (université Toulouse-II – Le Mirail) ainsi qu’au Pôle Métiers du Livre de Saint-Cloud (université Paris-X). Elle participe, au plan national, à l’activité du CRILJ et a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.

La littérature n'est pas un luxe

   Essayons d’y voir clair. On nous dit depuis plus d’un an que « Faire accéder tous les élèves à la maîtrise de la langue française est le premier objectif que le socle commun fixe à la scolarité obligatoire » (1) et que pour ce faire, il importe de développer un plan de prévention (précoce) de l’illetrisme. « Le premier rôle de l’école est d »apprendre à bien lire à tous les enfants. Elle doit leur permettre d’exercer cette compétence avc facilité et plaisir. C »est pourquoi dès l’école maternelle, les programmes donnenr la priorité à la maîtrise de la langue française » (2). On nous dit encore qu’un « illetré, c’est un adulte qui a été scolasisé mais qui a désappris faute d’apprentissages solides et de pratique suffisante. » (discours de Luc Châtel le 29 mars 2010 au Salon du livre. (3) Et que constate-t-on dans de très nombreuses classes ? Une réelle désaffection pour le livre … et la littérature.

    Les programmes 2002 avaient développé l’axe de la culture littéraire à tel point qu’un réel élan s’était fait sentir dans les pratiques des enseignants qui ont tenté dans les années qui ont suivi de tenir compte des injonctions. Exemple pour le cycle 3 : « Chaque année, deux ‘classiques’ doivent être lus et au moins huit ouvrages appartenant à la bibliographie de littérature de jeunesse contemporaine. » Cette bibliographie présentait six genres (album, roman, conte, théâtre, bande dessinée, poésie) et les enseignants se disaient que oui, peut-être, ils ne variaient pas suffisamment les lectures (le roman était le genre essentiellement lu) et ils se sont mis à emprunter ou acheter de nombreux livres authentiques pour leur classe et à se former. Les pratiques ont été diverses, certes, mais les pratiques étaient réelles. L’objectif annoncé (« faire de chaque enfant un lecteur assidu » – Bulletin Officiel HS n°1 du 14 février 2002) semblait partagé par bon nombre d’enseignants.

    Cet élan a été brisé : les emprunts ont fortement baissé, les pratiques en littérature sont restreintes, et même à l’école maternelle, certains inspecteurs de l’Éducation nationale constatent que les livres ne font plus partie du « paysage » de la classe ou de l’école. Comment est-ce possible ? Je rappelle, en répétant volontairement les premières lignes de ce texte, qu’un « illettré, c’est un adulte qui a été scolarisé mais qui a désappris faute d’apprentissages solides et de pratique suffisante.«  Où se cache actuellement la « pratique suffisante » ? Luc Châtel déclare qu’il a fallu réaliser « un recentrage salutaire sur les apprentissages fondamentaux. » Quand on compare les programmes pour le cycle 3, on constate que les injonctions en littérature étaient en 2002 développées en 10 374 caractères (sans espaces), plus trois documents d’accompagnement des programmes – Lire et écrire au cycle 3 et Littérature, cycle 3, CDNP, 2002 et 2004, coll. « Documents d’application des programmes » soient 12, 64 et 128 pages –, et le sont en 894 caractères sans espaces en 2008 plus un document d’accompagnement de 10 pages peu diffusé (Une culture littéraire à l’école, littérature à l’école, ressources pour le cycle 3, mars 2008). La littérature détournait-elle les enseignants et donc les élèves de la maîtrise de la langue française ? Non, me dira-t-on, la preuve en est que sa pratique est toujours prescrite : « Chaque année, les élèves lisent intégralement des ouvrages relevant de divers genres et appartenant aux classiques de l’enfance et à la bibliographie de littérature de jeunesse que le ministère de l’Éducation nationale publie régulièrement. » (B.O. HS n°3 du 19 juin 2008). La place réduite de cette annonce, la disparition du critère chiffré et le discours ambiant ont sans doute fait que les enseignants ne l’ont pas lue ou pas retenue. Ils ont retenu un amoindrissement et ils le répercutent ! Même à l’école maternelle où les demandes portent davantage sur la phonologie et le vocabulaire que sur de bons textes à faire découvrir. Au cycle des fameux « apprentissages fondamentaux », dont l’apprentissage de la lecture,  » [l]’appui sur un manuel de qualité est un gage de succès pour cet enseignement délicat.  » Et là aussi, certains discours des personnels d’encadrement donnent à cette phrase une importance prédominante alors qu’elle est immédiatement suivie de celle-ci : « La lecture de textes du patrimoine et d’oeuvres destinées aux jeunes enfants, dont la poésie, permet d’accéder à une première culture littéraire.«  (B.O. HS n°3 du 19 juin 2008). Et comment serait-il possible de viser certains objectifs en s’en tenant au manuel ? Par exemple, cet objectif extrait du programme pour le cycle 2 (Français, 2 – Lecture, écriture) : « les élèves apprennent aussi à prendre appui sur l’organisation de la phrase ou du textequ’ils lisent. Ils acquièrent le vocabulaire et les connaissances nécessaires pour comprendre les textes qu’ils sont amenés à lire. » Mais le manuel a le vent en poupe, il est aux yeux de certains le  » représentant  » du livre ! « À l’école primaire, l’usage de manuelsscolaires conformes aux programmes, dans l’esprit et dans la lettre, permet aux professeurs de disposer d’outils pédagogiques de référence et aux élèves de consolider leurs apprentissages. (…) car l’on n’enseigne pas sans livre, pas plus que l’on n’apprend sans livre, la photocopie nepouvant en tenir lieu. » (B.O. n°18 du 5 mai 2011). On aimerait lire de telles injonctions pour d’autres types de livres, contenant un écrit digne de ce nom.

En outre, j’ai l’impression d’avoir mal lu l’extrait du B.O. pour le cycle 2 : « La lecture de textes du patrimoine et d’oeuvres destinéesaux jeunes enfants, dont la poésie, permet d’accéder à une première culture littéraire. » ? Première culture littéraire ? N’a-t-elle pas débuté avant, à l’école maternelle ? Le même B.O., dans le programme pour l’école maternelle : « Les enfants se familiarisent peu à peu avec le français écrit à travers les textes lus quotidiennement par l’enseignant. Afin qu’ils perçoivent la spécificité de l’écrit, ces textes sont choisis pour la qualité de leur langue (correction syntaxique, vocabulaire précis, varié, et employé à bon escient) et la manière remarquable dont ilsillustrent les genres littéraires auxquels ils appartiennent (contes, légendes, fables, poèmes, récits de littérature enfantine). Ainsi, tout au long de l’école maternelle, les enfants sont mis en situation de rencontrer des oeuvres du patrimoine littéraire et de s’en imprégner. »

    Les convictions ne semblent pas partagées par tous les rédacteurs des programmes, c’est donc bien dès l’école maternelle que la littérature a toute sa place ! Mais pas seulement dans les discours (« lire aux élèves de façon précoce des textes de qualité, lesgrands textes de notre littérature, suscite le plaisir du texte et aide à la concentration de l’attention. » – Discours de Luc Chatel le 29 mars 2010), dans les classes ! Avec le soutien et l’encouragement des inspecteurs de l’Éducation nationale ! Et pas seulement pendant les vacances ! Enfin… une injonction d’un seul livre pour deux mois… (« Je crois encore qu’il est de ma responsabilité de ministre de l’Éducation nationale que la lecture ne s’arrête pas aux portes de l’École. » – Opération « Un livre pour l’été »).

    Il faut dire, et redire, pour terminer, que la faiblesse des injonctions vers « les livres » se mesure également par l’amoindrissement des injonctions à fréquenter les lieux de lecture. En 2002, on lit dans le texte des programmes : « Là encore, il convient de ne pas être pusillanime et de pousser chacun à emprunter fréquemment des livres dans les bibliothèques accessibles (BCD, bibliothèque publique du quartier, bibliobus, etc.). Un livre par mois au moins devrait être considéré comme une base même si l’onsait que, pour certains élèves, les lectures personnelles du cycle 3 passent encore beaucoup par la lecture à haute voix des adultes. » Plus rien à ce sujet dans les programmes 2008 (L’exhortation existe toujours à la dernière page du document d’accompagnement, qui l’a lue ?) (4) Si bien que ce sont très majoritairement les enfants de familles déjà acquises à cette culture si essentielle pour l’écrit qui en bénéficient et pas ceux qui risquent d’être les futurs illettrés par manque de pratique ET familiale ET scolaire.

    La littérature n’est pas un luxe, c’est sa fréquentation qui contribue à rendre les « apprentissages solides », c’est un bien social à partager dès la naissance. Les communes qui continuent à offrir des livres aux bébés, les collectivités qui s’engagent pour ouvrir des médiathèques l’ont compris. L’Éducation nationale l’oublierait-elle au quotidien ?

(1) http://eduscol.education.fr/cid50655/prevention-illettrisme.html

(2) idem

(3) http://www.education.gouv.fr/cid50954/prevention-de-l- illettrisme.html

(4) http://eduscol.education.fr/file/ecole/46/9/culture-litteraire-ecole_121469.html

 

Professeur des écoles, maître formateur, responsable de la médiathèque du Centre Départemental de Documentation Pédagogique des Ardennes, Annie Janicot est vice-présidente de l’Association Française pour la Lecture (www.lecture.org). Merci à elle pour nous avoir confié ce texte initialement paru en éditorial du numéro 115 de septembre 2011 des Actes de Lecture.

Les contes traditionnels comme introduction à la littérature pour enfants d’aujourd’hui

(Texte prononcé à l’occasion du colloque Le conte mémoire des peuples, paroles et littératures des 26 et 27 novembre 1991)

    Ma parole n’est pas « parole d’oiseaux ». Et je parle en dernier ! D’une part, je n’ai plus grand-chose à dire ! D’autre part, je crains au terme de ces deux journées si riches et si pleines de « peser aux écoutants » comme disait Montaigne.

    Ceci dit, je fais confiance à la parole de Marthe Robert écrivant que ‘les histoires à dormir debout sont celles qui tiennent le mieux éveillé ».

    Le colloque qui se termine, il faut le proclamer avant tout, a montré que dans le monde qui est le nôtre, les contes sont plus que jamais nécessaires :

– D’abord parce qu’ils véhiculent l’universalité des valeurs culturelles populaires et savantes, dans leurs diversités. Parce qu’ils affirment nos différences et leur richesse à une époque où la « bête immonde » comme disait Brecht, de l’intolérance et du racisme nous montre à nouveau et de très près son visage de haine.

– Parce qu’ils sont les garants de survie des langues et des langues populaires, vernaculaires, régionales, miroirs de l’imaginaire infini des peuples, dans la variété savoureuse de leurs cultures, au sens anthropologique de ce terme.

– Parce que les mythes fondateurs de l’humanité nous parviennent par la « parole conteuse ». On nous a dit par exemple ici, que les aborigènes d’Australie étaient porteurs de tout ce qui survit en l’homme de l’homme. Et les contes nous révèlent les vérités de nos racines dans cet univers médiatisé où tout devient leurre, où comme le dit Umberto Eco, « l’image du faux » se répand dans tous les domaines.

– Parce que comme ici, au cours de ces deux journées, les contes rassemblent dans une égale ferveur et dans la même lucidité ceux qui content et ceux qui parlent des contes. Des uns et des autres me frappe l’authenticité de leurs dires.

    Je me propose, quant à moi, de montrer rapidement que la parole conteuse et les contes « traditionnels », sont (avec la poésie) une des voies ouvertes à l’imaginaire des enfants d’aujourd’hui, voie qui les conduit du dire au lire, du conte au livre, et naturellement à l’écriture.

    Les contes, dans leur variété infinie, tant sur le plan de la typologie, que des structures narratives, sont par définition des récits relevant le l’oralité. Une oralité qui n’est ni « parole flottante », ni improvisation (même si le conteur « joue » l’improvisation). Une oralité présentant un discours qui se referme sur lui-même avec un commencement et une fin, l’un et l’autre annoncés. Une oralité maîtrisée qui donne l’impression de la liberté la plus dénouée. Cette liberté de parole qui ne dit pas n’importe quoi (même si c’est pour « dormir debout ») et qui précisément se trouve toujours à l’œuvre dans toute littérature digne de ce nom.

    Or tout, dans les contes « traditionnels » ou merveilleux (ceci pour restreindre mon propos), tout en eux, leur archaïsme, les espaces qu’ils évoquent, châteaux, forêts, landes, chaumières, etc., les rôles et personnages qui les peuplent : rois, prince charmant, princesse, fées, enchanteurs, pauvres paysans, ogres et gnomes, etc., les stratifications sociales qu’ils montrent, le Temps hors du Temps qui les soutient, tout en eux paraît les situer dans un tout autre univers que celui qui investit ou qu’investit l’imaginaire des enfants, des adolescents (et bien sûr des adultes) d’aujourd’hui.

Il faut souligner cependant, que les contes, à quelques exceptions près, ne parviennent aux enfants et surtout aux médiateurs, enseignants, bibliothécaires, parents, etc. que par l’intermédiaire de textes écrits.

Nous allons ainsi dans ce salon proche rencontrer des milliers de contes imprimés dans des livres. Et nous avons à nous interroger (il en a été question au cours de ce colloque) sur les « adaptations réductrices » qui détruisent en même temps que la saveur de la « parole conteuse » la spécificité inscrite de l’écriture et de la littérature.

    Il me semble que le conte traditionnel ou le conte moderne qi ne conduisent qu’à eux-mêmes et qui sauvent l’oralité ne sont une voix ouverte à la littérature au sens propre du terme que s’ils gardent entière leur spécificité de conte et d’oralité et de langage parlé.

    On ne saurait par ailleurs négliger l’importance pour mon propos, des contes qui n’ont jamais eu de forme oraculaire, (à la différence des Contes de ma Mère l’Oye, et surtout des contes recueillis par les frères Grimm). Doit-on parler de contes littéraires pour les distinguer des contes transcrits, réécrits (Pourrat). Sans doute et on ne saurait se priver du plaisir de lire cette fois, Hoffman, Nodier, Marcel Aymé, etc.

    Pour revenir aux contes « traditionnels » et à leurs vertus pédagogiques dans l’initiation de l’enfant à ce qu’il faut bien appeler la littérature, les contes ont le mérite :

1) de constituer des discours qui racontent, or raconter, narrer, c’est le propre de toute littérature fonctionnelle.

2) de mettre en situations « actantielles », c’est-à-dire d’actions, des rôles, des personnages dans lesquels les petits enfants se projettent, avec lesquels ils s’identifient ou qu’ils rejettent. Et, il n’a peut-être pas encore été question dans ce colloque, de ce processus de projection de l’individu dans l’imaginaire des êtres qui peuplent les contes et qui deviendront la projection que chacun d’entre nous fait dans les personnages de nos lectures, il est évident que lire c’est réinventer l’écrit, c’est presque faire un conte à partir de l’écrit dans lequel nous nous incarnons dans un personnage, fut-il Julien Sorel ou le dernier personnage de James Joyce.

3) habituer l’enfant à l’intérieur de ces concepts, à ce que l’on appelle quelque part les « allures diégétiques » des contes, c’est-à-dire, les épisodes multiples et variés : les épreuves, les attentes, les suspenses, les allure qui impliquent des variantes sur tous les plans se réinvestissent dans l’acte de lecture. Et il faudrait plus de temps pour montrer comment se perçoivent ces allures dans l’écoute et dans la lecture. Car elles ont un certain nombre de critères communs, et d’autres qui divergent. Ce qui implique pour les « médiateurs » des formations qui leur permettent de bien distinguer ces deux activités liées et différentes que sont « conter » et « lire ».

4) Les contes donnent également à l’enfant, non pas le sens du temps mais des notions essentielles de « temporalité ». Par exemple, les notions de l’avant, et de l’après, de la chronologie, parfois de « retours en arrière » (beaucoup plus fréquents dans les fictions écrites). A ces notions s’associent des concepts plus complexes de causalité (l’enfant prenant conscience des causes, des motivations, des conséquences de tel ou tel comportement). Ce qui est au demeurant un moyen de développer la mémoire à « court terme » dont on sait aujourd’hui qu’elle est déterminante dans la lecture et ses apprentissages.

    Remarquons au passage que les contes traditionnels, à quelques exceptions près racontent beaucoup et décrivent peu. Un des problèmes posés par l’apprentissage de la lecture des fictions, et des « documentaires » et de certains livres et manuels scolaires, est de savoir lire les descriptions sans « les sauter », ce que les lecteurs adultes font souvent lorsqu’ils sont aux prises avec Balzac, Flaubert, le Hugo des Misérables, de nombreux romans modernes dits du « regard ». Et tous les enseignants savent bien ou devraient mieux savoir que rien n’est plus délicat que d’écrire les descriptions. On devrait également réfléchir (mais j’y reviendrai) sur le rôle des images dans ce domaine « descriptif », ce qui entraînerait une information au moins élémentaire sur la sémiologie graphique et iconique.

    Sans insister sur les comportements très souvent analysés des personnages, par Propp, Brémond, Denise Paulme pour les contes africains, etc, je voudrais attirer l’attention sur la fonction très particulière, dans les contes traditionnels, mais également dans les Mille et une nuits du merveilleux et des personnages doués de pouvoirs magiques : fées, enchanteurs, etc.

    Le merveilleux est ce qui relève de l’inexplicable, de l’inexplicable rationnellement. Or, le merveilleux ne pose aucun problème aux enfants d’aujourd’hui pas plus que le merveilleux scientifique et technologique moderne n’étonne. Et les enfants disent souvent que le merveilleux des contes est plus merveilleux et les enchante davantage, car ils savent que le merveilleux scientifique peut, lui, s’expliquer. Il y aurait à ce propos un intéressant parallèle à faire entre les récits de Jules Verne et certains textes ou BD de Science Fiction plus proches des contes que de la science. Alors que chez Jules Verne tout finit par s’expliquer.

    Il y aurait par ailleurs toute une dialectique à étudier entre le merveilleux des contes et le fantastique qui relève plus de la fiction écrite (ou du cinéma). Car le fantastique pourrait-on dire paradoxalement dérange le réel, le subvertit, a besoin de l’écriture (ou de l’image) pour se développer, alors que le merveilleux s’inscrit tout naturellement, rapidement, dans une histoire qu’il fait progresser sans que cela inquiète trop.

    Les contes traditionnels enfin se « parlent » dans une langue en général sobre du point de vue syntaxique, usant de modes et de temps verbaux courants : imparfait, passé simple, présent. Plus complexe est le lexique marqué par des archaïsmes, des expressions populaires, parfois des drues. Ils comportent peu de figures rhétoriques (métaphores, métonymies, etc) ce qui est par contre fréquent dans la langue littéraire écrite.

    Mais la langue parlée des contes, souvent langue régionale, dialecte, etc., reste une langue soutenue et conduit me semble-t-il à tenir la langue écrite, et disons-le sans craindre le ridicule à la respecter.

    Ceci dit (trop rapidement) il s’agit bien dans mon propos d’enfants de 1991. On aurait là encore à nuancer en tenant compte de la diversité des milieux socio-économiques et socio-culturels, familiaux, scolaires, où vivent ces enfants. Sans compter les « différences » individuelles sur tous les plans (sexe, âge, état physique, intellectuel, handicaps moteurs ou mentaux, etc.). En généralisant très grossièrement on peut dire :

– Que tout enfant d’où qu’il vienne est porteur d’une culture (toujours au sens anthropologique de ce terme). Il n’y a pas d’enfants totalement incultes (des enfants démunis certes, des enfants déracinés de leur culture d’origine, des enfants sans enfances, confrontés trop tôt à cet univers impitoyable, etc.).

– Que tout enfant est fortement imprégné de ce qui se passe existentiellement dans ses lieux de vie : famille, quartier, rue, ville, village, école, espaces marginaux, etc.

– Que tout enfant est dès son plus jeune âge saturé d’images : affiches, BD, télévision, cinéma, vidéo, qu’on ne lui apprend jamais à « lire », à regarder, à critiquer. L’exemple de la télévision maintes fois étudié est révélateur. Entre la niaiserie bêtifiante de la majorité des émissions dîtes « pour la jeunesse » et la violence, l’érotisme brutal, des émissions courantes (informations, séries policières, etc.), l’enfant baigne dans les images, sans jamais « prendre ses distances », décrypter ce faux réel, percevoir que les images capables de tant nous enrichir, nous trompent, le trompent, le manipulent. Et les contes, à quelques exceptions près, deviennent ces dessins animés (mal animés) japonais où les héros ressemblent un peu trop à ces guerriers virils et bornés capables de ce que l’on sait et de balancer par la fenêtre d’un wagon « l’étranger » venu d’ailleurs.

– Que l’école fait ce qu’elle peut et peut parfois beaucoup. Je ne suis pas du parti de ceux qui condamnent l’école sans savoir. Je suis du parti de ceux qui défendent l’école publique et déplorent que l’institution scolaire se laisse aller aux modes sans les connaître. Aujourd’hui on apprend à « communiquer », tant mieux. Mais quand on ne sait rien on ne communique rien. Et ce qui m’étonne le plus est que cette institution oublie que la « reine des facultés » comme disait Baudelaire parlant de l’imagination, devrait être constamment « à l’ordre du jour ». Mon maître, Gaston Bachelard, historien des sciences, épistémologue parmi les plus grands de ce temps, disait que tant dans le domaine des sciences, que dans celui de cette indispensable « fonction de l’éveil », l’imagination et sa topique l’imaginaire sont d’indispensables armes pour ceux qui scientifiques, techniciens, « littéraires », etc, affrontent notre monde complexe.

    Or les contes éveillent l’imaginaire, les contes aident l’enfant à chercher dans les pages des livres les mêmes métamorphoses, les mêmes aventures, avec de surcroît des personnages, ceux de fiction écrite, qui s’analysent, procèdent à toutes les introspections, « êtres de papier » comme disait Roland Barthes et qui, nous projetant dans l’univers fictionnel nous enseignent en fait la réalité et son ombre.

    Les contes sont portés par la voix du conteur mais également par ses mains, par ses mimiques, par tout son corps. Et cela devrait être un précieux indicateur. On lit avec les yeux et les oreilles et ces oreilles intérieures qui nous font presque toujours entendre notre lecture, mais on lit également avec tout le corps.

    Et là bien souvent l’école échoue dans la mesure où elle oublie d’insister dans les apprentissages des actes de lecture sur leurs aspects corporels, rythmés et où elle ignore ou néglige le moteur essentiel de toute lecture, et qui motivait ceux qui dans les veillés d’autrefois écoutaient conter : le désir.

    Enfin, on constate que les enfants d’aujourd’hui sont des êtres « dispersés » sollicités de partout, de plus en plus (comme les adultes) incapables de concentration et de fixer leur attention, de meubler le silence.

    Une des fonctions majeures des contes pour les petits enfants est de les contraindre sans autorité extérieure, au retour au calme ; car il faut bien suivre le conteur, comme on devra savoir suivre une lecture. « Tu ne suis pas » disait parfois le maître à l’enfant rêveur que j’étais. Mais je le possédais mon vieil et cher « instit » car je suivais trop embarqué dans le livre et autour de lui.

    Les contes « oraux » entraînent à des processus d’identification, de voyages imaginaires, non à des dérives incontrôlées. Sans compter comme Bettelheim, Marthe Robert et quelques autres l’ont montré, tout ce qui est en jeu par leur canal dans l’inconscient. La littérature fixe tout cela, le fixe en le rendant perpétuellement mobile et changeant. Alors que le conte s’envole dans les nuages, le texte écrit s’inscrit et nous inscrit dans ses traces, dans nos traces. Mais l’un ne pas va sans l’autre.

    Les enfants d’aujourd’hui ne sont certes ni des ethnologues ni des anthropologues. Le charme des contes comme vient de si bien le dire M. Salomon à propos de Rodari, est qu’ils peuvent, qu’ils doivent être pour se parcourir de l’intérieur, démontés, remontés, subvertis, actualisés, transformés, investis par l’imaginaire contemporain. Ainsi conduisent-ils encore plus sûrement à la littérature. C’est-à-dire :

– à un univers non plus seulement de l’écoute mais également du regard. Il s’agira alors de faire « émerger du sens » de ces « petits signes nains » comme Sartre le montre si bien dans Les Mots.

– alors les structures se complexifient, mais les contes ont appris et apprennent à saisir quelque chose de l’ordonnancement des récits.

– alors les personnages deviennent plus que des « rôles ».

– alors les mots « donnent à voir » plus lentement, mais on saisit que les récits, comme tous les écrits, sont capables de faire surgir de chaque lecteur (comme de chaque écoutant) l’univers symbolique (et réel) sur lequel l’écrit peut à son tour comme la parole et plus durablement qu’elle, agir pour le transformer.

– alors les livres ne se contentent plus d’exposer des manichéismes complexes et magiques mais déjà, comme dans les contes, posent des problèmes moraux, psychologiques, sociaux, relationnels, etc.

– alors les livres proposent peu à peu les jeux de langues différents, en fonction de l’écriture des auteurs comme l’étaient sur l’autre registre les variations de la « parole conteuse ».

    Les contes investissent et activent l’imaginaire sans lequel ni l’enfant (ni l’adulte) n’est capable d’inventer sa vie, de redécouvrir le réel, de se désengluer de ce réel. Dans cette optique capitale les contes aident à mettre en place des apprentissages de la lecture qui ne soient pas exclusivement mécaniques. D’autant plus que si l’écoute des contes crée des conteurs, la lecture conduit inexorablement l’imaginaire et la réflexion au désir d’écriture, à l’écriture. Mais c’est une autre question qui nécessiterait d’autres colloques.

    Je voudrais ajouter une note personnelle à ceci : les contes ouvrent l’enfant à l’imaginaire narratif propre à la littérature de fiction et aux documentaires. Certains contes comme il a été magnifiquement rappelé ici à propos des Mille et une nuits, incluent dans leurs tissus des poèmes. C’est qu’il est nécessaire de croiser cet imaginaire narratif avec ce que certains appellent l’imaginaire métaphorique de la poésie. Mais de ceci j’ai parlé et écrit ailleurs et bien souvent, de cet « impératif de l’essentiel » qui me fait vivre.

    Dans notre société, les contes, comme la littérature fictionnelle, documentaire, poétique, avec des approches différentes permettent à l’enfant, à l’adolescent, à l’adulte, de savoir que « l’imaginaire comme disait Sartre est le sens implicite du réel ». Abordant le livre l’enfant, tout en se prêtant à toutes les métamorphoses, sait en même temps quand il maîtrise vraiment sa lecture, qu’il n’est pas dupe.

    Michel Butor le dit mieux que moi : « Par les contes, écrit-il dans La Balance des fées , l’enfant doit savoir qu’il est dans le domaine de la fiction… Ce qu’il y a surtout d’abord c’est le plaisir de savoir que tout cela n’est pas vrai, le plaisir de ne pas être dupe de la fiction, le plaisir de se sentir profondément d’accord avec l’adulte sur ce qui est réel et sur ce qui ne l’est pas. Le conte libère de l’immédiat par la possibilité qu’il apporte de s’en éloigner en toute certitude, c’est grâce à lui que la réalité se présente comme une chose sûre et solide, que l’on distingue bien, que l’on maîtrise et que l’on comprend. » (« La Balance des Fées » in Répertoire I, éditions de Minuit, 1978)

    Ce qui implique en fait que par, les contes et les livres, les « fonctions du réel et de l’irréel » s’équilibrent dans l’enfant, dans l’éducateur d’abord, pour que l’un avec l’autre conquièrent avec la maîtrise du langage, lucidité, onirisme, « raison ardente » et liberté.

    Un mot encore, d’un poète cette fois, qui, saisi d’angoisse devant un univers soudain privé d’imaginaire, écrivait : « Tous les pays qui n’ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid… » (Patrice de la Tour des Pin, la quête de Joie).

    La chaleur de cette assemblée me dit que ce n’est pas pour demain.

( texte paru dans le n° 44 – avril 1992 – du bulletin du CRILJ )

 

Né en 1920 à Besançon, Georges Jean a fait des études de Lettres et de Philosophie. Il fut instituteur, puis professeur d’école normale au Mans, à l’Université du Maine et à l’Ecole Nationale Supérieure des Bibliothèques. Il est membre du mouvement d’éducation permanente Peuple et Culture. Sa pratique de la poésie, ses fonctions et ses convictions font de lui un théoricien avisé du langage et de l’imaginaire. Il publia de nombreuses anthologies pour les enfants et les jeunes dont Il était une fois la poésie (La Farandole, 1974), Le premier livre d’or des poètes (Seghers 1975), Poussières d’images (Larousse, 1986). Parmi ses essais : Pour une pédagogie de l’imaginaire (Casteman, 1976) et Le pouvoir des mots (Casterman, 1981) qui recut le Prix de la Fondation de France. A noter aussi, avec Jacques Charpentreau, un Dictionnaire des poètes et de la poésie (Gallimard, 1983).


Théâtrales Jeunesse a 10 ans

 

En septembre 2001, les éditions Théâtrales lançaient la collection « Théâtrales Jeunesse ». La fête des 10 ans court sur toute la saison 2011-2012 et, a cette occasion, les auteurs de la collection sont mis à l’honneur à travers une série d’entretiens filmés, réalisés par Charlotte Cornic, Sophie Goudjil et Alexandra Lazarescou.

Marine Auriol, Hervé Blutsch, Henri Bornstein, Michel Marc Bouchard, Jean Cagnard, Jean-Pierre Cannet, Bruno Castan, Françoise du Chaxel, Stéphane Jaubertie, Suzanne Lebeau, Yves Lebeau, Sylvain Levey, Dominique Paquet, Françoise Pillet, Dominique Richard, Karin Serres et Roland Shön, nous livrent ici quelques tranches de vie et instantanés de leur univers dramaturgique. C’est ici, sur Viméo.

Vous pouvez aussi cliquer directement pour écouter :

Françoise de Chaxel

Marine Auriol

Hervé Blutsch

Dominique Paquet

. Karin Serres

. Sylvain Levey

. Yves Lebeau

. Roland Shön

et neuf autres entretiens à venir …

D’autres initiatives (des lectures, des rencontres, des happenings) sont d’ores et déjà programmées, au Salon du lvre jeunesse de Montreuil, mais pas que. Et ce jusqu’au marathon de lecture « 10 heures pour les 10 ans de la collection Théâtrales Jeunesse » prévu au Théâtre Hébertot, le 14 mai 2012, de 14 heures à minuit.

(merci à Alexandra Lazarescou pour ces informations)