Gisèle Teil

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    Nous apprenons avec tristesse le décès de Gisàle Tiel qui, pendant trente-cinq ans, s’est dévoué à la littérature de jeunesse. La bibliothèque Loisirs Jeunes, crée en 1960 et dont elle fut parmi les fondateurs et resta la principale animatrice jusqu’en 1995, offrait un choix devenu de plus en plus important de livres pour enfants et adolescents. Un large public d’enfants, de parents et d’enseignants du Mans et de nombreuses écoles du département de la Sarthe est venu puiser dans ce fonds unique de plus de 25000 ouvrages qu’elle avait su constituer avec patience. Son action contre l’illettrisme la mena à soutenir la création de l’association Lire et Vivre, des 24 heures du livre du Mans et bien d’autres actions bénévoles, qui lui valurent de recevoir la médaille de la Jeunesse et des Sports et le grade de chevalier des Palmes académiques.

( texte paru dans le n° 79 – janvier 2004 – du bulletin du CRILJ )

 

Vieux souvenirs, vieilles amitiés

Hommage à Claire Huchet et à Marguerite Gruny

    Il faut remonter bien loin dans le passé pour évoquer mes premiers souvenirs de Claire Huchet et Marguerite Gruny.

    Je les ai connues en 1924 lorsqu’elles travaillaient au choix des livres que l’Heure Joyeuse – Fondation américaine du Book committee on Children’s Librairies, Présidente Mrs J.L. Griffiths – offrait aux enfants français après la guerre de 1914/1918.

    Nous avions eu, Claire Huchet et moi, un même professeur que nous aimions beaucoup. Notre première rencontre eut lieu rue François Ier, dans une salle pleine de livres.

    Pour être engagée, après un entretien avec Mrs Griffiths, il fallait être acceptée par Claire Huchet et Marguerite Gruny. J’étais plutôt intimidée. Claire, devant sa machine à écrire, me posait des questions ; Marguerite m’observait d’un œil critique… Je fus engagée !

    Marguerite l’avait été, avant moi, par Claire. Eugène Morel, son oncle, bibliothécaire à la Bibliothèque Nationale, pionner souvent incompris de la lecture publique, l’avait proposée à Mrs Griffiths.

    L’Heure Joyeuse fut inaugurée le 12 novembre 1924, dans un ancien préau d’une école désaffectée, 3 rue Boutebrie. La rue Boutebrie était alors une rue misérable aux immeubles vétustes. Dans cette rue peu fréquentée, débouchant sur le boulevard Saint Germain, les enfants du quartier jouaient sans danger sur la chaussée, faisaient des rondes, sautaient à la corde.

    L’inauguration officielle terminée, il y eu dans la journée beaucoup de curieux, des enfants venus « pour voir ».

   Après tant d’années, tant d’événements tragiques ou non et l’évolution des générations il est bien difficile d’évoquer les premières, les premières années de l’Heure Joyeuse.

    Nous étions sur bien des points différentes des bibliothécaires pour la jeunesse d’aujourd’hui. Ne serait-ce que dans la formation, avec les diplômes exigés maintenant. Et que dire de nos manières réservées ! Il fallut attendre plusieurs mois avant de nous appeler par nos prénoms.

    La salle de lecture était pimpante et gaie, mais les bibliothécaires ne disposaient – sauf un petit vestiaire avec un lavabo pour se laver les mains et un affreux petit réchaud à gaz – d’aucune pièce pour travailler : une vraie installation de « pionnières’ ! mais notre enthousiasme suppléait à tout.

    Claire et Marguerite avaient déjà travaillé dans une bibliothèque pour la jeunesse. Claire en Angleterre à Croydon, Marguerite avait fait un stage à l’Heure Joyeuse de Bruxelles. Que serait la bibliothèque française ? Qu’apporterait-elle de nouveau ?

    Certaines activités existent toujours dans les bibliothèques d’aujourd’hui. D’autres prirent naissance à l’Heure Joyeuse : les assemblées générales des lecteurs où, les enfants élisaient chaque mois – un garçon et une fille – chargés de différentes tâches, assemblées complétées par un Conseil mensuel des anciens chefs ; fabrication de « jeux de lecture » pour les petits, les albums du Père Castor n’existaient pas encore, de fêtes, des rondes dans la cour, et l’on chantait de vieilles chansons, etc…

    Mais surtout l’Heure Joyeuse a été la première expérience d’éducation mixte qui choqua les esprits timides ou conservateurs, mais qui donna naissance à une franche camaraderie et à des amitiés pleines de charme.

    C’est dans cette ambiance nouvelle que nous apprîmes à nous connaître et que naquît une profonde amitié. Nous étions heureuses.

    Claire Huchet, douée d’une grande intelligence, ouverte à la compréhension de son prochain, possédait les qualités indispensables pour diriger l’Heure Joyeuse durant les premières années difficiles de son existence. Sans elle, l’Heure Joyeuse n’aurait pu s’imposer, se développer.

    Son autorité, jamais pesante l’amenait à consulter ses collaboratrices, à tenir compte de leurs suggestions ou de leurs critiques.

    Après son mariage avec un pianiste américain, en décembre 1929, Claire partit au Etats-Unis où elle travailla dans une bibliothèque pour la jeunesse, fit des conférences, écrivit des livres pour enfants.

    Mais elle consacra toute sa vie, avec passion, au rapprochement judéo-chrétien.

    Marguerite Gruny, plus jeune de quelques années, la remplaça. Déjà au début de l’Heure Joyeuse, elle aspirait au temps où elle dirigerait « sa » bibliothèque !

    L’Heure Joyeuse continua à se développer avec les mêmes activités, sauf les assemblées générales qui s’arrêtèrent d’elles-mêmes.

    Des générations de lecteurs fidèles se succédèrent, confiants et heureux. Ce que nous aimions beaucoup, c’était la préparation de fêtes en collaboration avec les enfants, grands et petits, sur un sujet précis. Les choix des « acteurs », la confection des costumes, les répétitions, les essayages, les décors, tout cela faisait bourdonner la bibliothèque d’une agitation joyeuse.

    En 1940, la bibliothèque en plein essor fut fermée, à cause de la guerre, pendant de longs mois. Quand l’Heure Joyeuse rouvrit ses portes, Marguerite Gruny, douée d’une grande puissance de travail, y prit une place toujours grandissante et déploya une activité sans borne.

    D’abord vint un public nouveau pour nous : celui des enfants accompagnés par leurs enseignants, public attachant qui découvrait les livres choisis librement, écoutant des histoires. Ce public nous apporta un heureux enrichissement.

    Ce qui passionna Marguerite, c’était la formation des stagiaires venus de France et des pays étrangers. Cette activité nouvelle, créée par elle, suppléait à l’absence d’un enseignement officiel. Elle avait mis au point un programme qui offrait en trois mois un enseignement professionnel sérieux.

    Puis vint l’âge de la retraite. Mais comment Marguerite Gruny pouvait-elle abandonner ce qu’elle considérait comme une mission ? Alors elle continua à travailler et offrit aux nouvelles générations de bibliothécaires pour la jeunesse le fruit de son expérience.

    Claire Huchet et Marguerite Gruny ont été chacune, suivant leur tempérament, des « pionnières ». Grâce à elles, mes bibliothèques pour la jeunesse sont nées et se développent.

    Dans la vieille rue Boutebrie, les enfants ne dansent plus, ne chantent plus, au milieu de la chaussée… mais à quelques pas, à l’ombre de la vieille église Saint Séverin, une nouvelle « Heure Joyeuse » les attend.

( texte paru dans le n° 48-49 – avril 1973 – du bulletin du CRILJ )

 

Proche des mouvements d’éducation nouvelle, Mathilde Leriche sera, dès 1924, avec Marguerite Gruny, l’assistante de Claire Huchet, première directrice de la bibliothèque de L’Heure Joyeuse. Elle participera en 1937 à la création de l’Association pour le Développement de la Lecture Publique et sera, en 1967, la première présidente du CRILJ ancienne manière. Elle écrira pendant de longues années des critiques de livres pour enfants pour la revue des CEMEA Vers l’éducation nouvelle. Auteur, une fois retraite prise, de quelques albums pour enfants, elle avait publié, en 1937, avec Marguerite Gruny, le guide de lecture Beaux livres, belles histoires. Elle fut une conteuse remarquable.

Un ourson et un cochon

 

 

   Connaissez-vous Misiones ? Bejaia ? L’une est la région frontalière qui unit ou sépare l’Argentine du Paraguay. Bejaia est l’ancienne Bougie, à la limite de la Kabylie. J’aurai pu citer d’autres lieux, évoquer d’autres gens ; je me contenterai de ces deux-là.

    Depuis deux ans, j’anime un atelier consacré à l’exploitation de l’album jeunesse en classe de français. Pour ce faire, je bénéficie de l’aide du CRILJ qui me prête, pour une quinzaine de jours, les albums de l’année écoulée. Cet atelier se déroule depuis près de trente ans, dans le cadre du stage BELC de Caen, destiné à des professeurs de français étrangers ou enseignant à l’étranger.

    Il y a deux ans, j’ai donc animé pour la première fois cet atelier, avec toute la confiance et l’ignorance que pouvait me donner une expérience personnelle. Depuis dix ans, je lis des albums jeunesse à mes trois enfants. Je le fais sans souci du contenu, me fiant aux références éditoriales : l’Ecole des loisirs, Gallimard jeunesse, le Rouergue… quelques noms prestigieux, garants de qualité, et surtout, de fantaisie, puisque c’est d’abord ce que je recherche : faire rire est le meilleur moyen de faire réfléchir les enfants. Je lis à la façon d’un Français qui ne connaît plus la censure, prêt à expliquer ce qu’autrefois on préférait cacher ou éviter.

    J’avais donc choisi de lire avec les stagiaires de Caen Les doigts dans le nez d’Alain Mets, désormais re-titré Crottes de nez. Le premier titre avait le mérite de l’image, mais des questions de droit…

    J’ai posé l’album sur la table : quelques personnes m’ont alors dit leur trouble. L’une était une institutrice syrienne, deux autres venaient d’Algérie. Dans un pays musulman, on ne peut faire entrer ce livre, m’ont-elles appris. Le personnage principal est un cochon et le cochon qu’il soit en chair et en os ou en images et en mots n’entre pas en terre d’Islam. Elles aimaient cet album très drôle, acceptaient de l’étudier, d’envisager les exploitations pédagogiques possibles, mais elles savaient qu’elles ne pourraient pas l’étudier en classe.

    Je pensais avoir pris ma première et unique leçon d' »interculturalité » ; je ne savais pas qu’un album de tonalité dramatique provoquerait presque un incident diplomatique dans l’atelier.

    Otto, de Tomi Ungerer, raconte l’histoire d’un ourson en peluche que ses parents offrent au jeune David. On est dans l’Allemagne pré-hitlérienne et l’objet bientôt affublé d’une étoile jaune passe des mains de David à celle d’Oskar, son voisin non juif et compagnon de jeu. La guerre éclate, les bombardements mettent la ville en ruine et un G.I. noir américain ramasse Otto parmi les décombres. Il le pose contre sa poitrine au moment où une balle l’atteint. Sauvé par l’ourson, Charlie survit et rapporte à sa fille Jasmine le précieux jouet. Elle le dorlote, le promène, mais une bande de voyous s’empare d’Otto et l’abîme avant de le jeter dans une poubelle. Il est récupéré par une clocharde, vendu à un brocanteur qui le rafistole et le met en vitrine. Oskar le reconnaît à une tache d’encre, et l’achète. Il retrouve David et les deux vieillards se racontent ce qu’ils ont subi, tandis qu’Otto les écoute et clôt par ce récit son autobiographie.

    Otto est l’un des plus beaux albums de Tomi Ungerer, ou plus exactement l’un des plus riches. Le groupe de stagiaires voyait là de très nombreuses pistes, qu’il s’agisse de l’arrière-plan historique, de la relation entre les divers propriétaires de l’ours en peluche ou du thème du racisme et de l’antisémitisme. Seules deux personnes restaient réservées. L’une, institutrice à Damas, nous dit qu’elle ne pouvait faire entrer dans son pays un album montrant l’étoile de David. Ses collègues algériennes lui expliquèrent que cette étoile-là n’était pas celle qui flotte sur le drapeau israélien, mais le symbole de l’exclusion et de la persécution des Juifs d’Europe. Notre collègue institutrice comprit la différence mais elle n’y pouvait rien : les lois de son pays ne connaissait pas les nuances entre le jaune et le bleu.

    Un autre professeur se montrait plus réservée encore. Elle venait d’Argentine. Elle ne voulait pas entendre parler de la guerre. Il n’y avait jamais eu de guerre en Argentine. Ce passé ne la concernait pas. J’eus le malheur de faire de l’ironie. Sans parler des Malouines, j’évoquai les conflits entre le Chili et l’Argentine. Il n’y avait jamais eu de conflit entre ces deux voisins.

    Quant à parler de l’antisémitisme, fût-il nazi… Non, elle n’était pas venue à Caen pour « faire de la politique ». Toute explication fut vaine et elle était sur le point de quitter cet atelier. Personne ne pouvait la convaincre qu’Otto était un album prônant des valeurs universelles, un humanisme que l’on devrait partager sous les deux hémisphères et sur les cinq continents ; elle n’en démordait pas, n’était nullement disposée à étudier un tel album avec sa classe.

    La quinzaine s’est écoulée. Nous avons lu d’autres albums, étudié divers auteurs. Nous ne sommes pas revenus sur Otto, avons évité ce qui fâche. Le dernier jour, notre collège argentine nous a parlé de sa région, de sa classe. Elle enseignait à la frontière tracée par le Parana. De l’autre côté de la rive se trouvait le Paraguay où vit une importante colonie allemande, dont une large part est arrivée vers 1945. Son établissement était un lycée militaire. Les élèves formeraient l’encadrement de l’armée argentine. Ils s’ennuyaient dans ce lycée de province, loin de toute ville. Ils partageaient deux passions : le football et l’autre sexe, celui qu’ils ne rencontraient que lors de leurs permissions. Notre collègue aurait pu fonder tous ses cours sur ces deux passions. Ils auraient appris un français très singulier, fait de termes de sport et d’un lexique consacré au sexe féminin. Il va de soi que certains sujets étaient tabou, parce qu’ils remettaient en cause la vision que l’armée argentine a d’elle-même. On sait qu’elle n’aime pas trop se pencher sur son passé. Le professeur avait parfaitement intégré le modèle. Aucun album jeunesse envisagé pendant ces quinze jours n’était vraiment conforme, ni ne le serait avant longtemps.

    J’ai ainsi appris que les ouvrages les plus innocents peuvent devenir très subversifs. Pierre Benoît était un auteur à succès dans l’ex Union Soviétique. Il dérangeait moins que Sartre ou Ionesco. Tomi Ungerer gêne certains en Amérique latine. Ailleurs aussi sans doute. Raison de plus pour le lire et le faire connaître.

( texte paru dans le n° 75 – novembre 2002 – du bulletin du CRILJ )

 

Ce texte de Norbert Czarny, né en 1954, professeur de Lettres Modernes, écrivain et poète, collaborateur de La Quinzaine littéraire, témoigne des stages du Centre international d’études pédagogiques (CIEP) de Sèvres et du Bureau d’Études pour les Langues et les Cultures (BELC) de Caen du début des années 2000.

Qu’est-ce que le CRILJ/Loire ?

 

 La section régionale du CRILJ/Loire est, avec celle de l’Orléanais, la plus ancienne. Sur son site, on peut lire la présentation suivante qui, à l’heure où de nombreuses structures de promotion du livre pour la jeunesse peinent à survivre ou à trouver leur second souffle, affirme sans langue de bois ses raisons d’être et ses objectifs.

Le CRILJ-Loire se donne pour objectif fondamental d’œuvrer à la promotion d’une littérature de jeunesse diversifiée, porteuse :

– d’un patrimoine de valeurs humanistes fondé sur l’accès de tous à la culture, le respect des différences rendant la vie collective possible, le développement de l’esprit critique et de l’esprit de libre arbitre.

– d’une esthétique suscitant plaisir, émotion et questionnement.

( article 2 des statuts )

Le CRILJ est une association militante en faveur de la littérature de jeunesse et qui œuvre au développement de la lecture des jeunes.

Le CRILJ est une association communautaire de personnes partageant leur passion, leur savoir-faire.

Le CRILJ est une association de service délivrant formation et information aux adhérents pour une meilleure connaissance de la littérature de jeunesse et du conte.

Le CRILJ est une association d’intervention auprès des jeunes et des adultes pour donner le plaisir de lire, le plaisir de conter, et peut-être l’envie d’écrire.

( site du CRILJ-Loire : http://www.crilj-loire.org )

 

Madeleine Gilard

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    Madeleine Gilard n’est plus. Elle nous a quittés discrètement comme elle a vécu. Seuls ceux qui ont eu la chance de la rencontrer savent à quel point elle a marqué la littérature de jeunesse, ce qui lui valut, en 1983, un Grand Prix de la Littérature de Jeunesse pour l’ensemble de son œuvre.

    Née en Espagne en 1906, elle a aidé à la connaissance de nombreuses œuvres littéraires par ses traductions de l’espagnol, de l’anglais et de l’allemand, contribuant par ses choix à un véritable enrichissement de ce secteur.

    Animatrice littéraire des éditions La Farandole, elle a contribué à donner à l’édition pour la jeunesse ses lettres de noblesse. Sa participation aux nombreux débats des années 60 à 80 nous a permis d’échanger avec elle de nombreux moments d’intérêt et de passion. Jamais nous ne l’avons vu se départir de sa courtoisie. Tout au plus un petit sourire ironique nous montrait-il qu’elle n’était pas dupe de certaines outrances de langage.

    Une grande dame de la littérature n’est plus qui sut passer par tous les genres avec un profond sens de l’humain et du quotidien. Espérons qu’il se trouvera des éditeurs pour rééditer des ouvrages qui devraient trouver un nouveau public.

( texte publié dans le numéro 79 – janvier 2004 – du bulletin du CRILJ )

 

Née en Espagne d’une famille d’origine protestante, passant ses étés en France, Madeleine Gilard apprend à lire avec son grand-père paternel pasteur dans le Sud-Ouest. Ayant fait toutes ses études à la maison, ne possédant aucun diplôme, elle maitrisera parfaitement, outre le français et l’espagnol, l’anglais, l’allemand et le russe. Vie de bureau pendant près de cinquante ans puis aux éditions La Farandole comme secrétaire littéraire. Paulette Michel, secrétaire administrative, la pousse à écrire et, en 1956, est publié un premier album, Le bouton rouge, illustré par Bernadette Desprès. Près de trente ouvrages suivront, pour tous les âges, dans une veine réaliste proche de Colette Vivier. Notons Anne et le mini-club (1968), La jeune fille au manchon (1972), Camille (1984). Madeleine Gilard a reçu en 1983 le Grand Prix de Littérature Enfantine de la Ville de Paris pour l’ensemble de son œuvre.

Un Japon excessif : l'Empire du fantasme

    Tout est excessif dans l’image mythique que l’Occidental se construit aujourd’hui du Japon frappée encore par la culpabilité qu’ont laissée les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, inquiétée par l’essor d’un Etat en plein expansion, notre imagination s’emporte et veut découvrir dans cette culture lointaine une étrangeté à la mesure de l’horreur que nous avons perpétrée. Réalité ? Pure fiction ou représentation correcte d’un désir de revanche de l’Orient mystérieux sur un Occident jusqu’ici rassuré par sa technique et son économie ? Il est difficile de répondre et il faut laisser la place aux témoignages.

    En livrant ces derniers, les récits japonais, eux-mêmes – qu’il s’agisse de films, comme l’Empire des sens, comme le récent et splendide Rêves d’Akira Kurosawa obtenant la palme d’Or à Cannes, ou des romans comme Narayama de Shichiro Fukazawa (Folio Gallimard) – qui sont bien de nature à accentuer l’idée d’une violence et d’une frénésie exceptionnelles qui, par leur qualité fantasmatique, dépassant de loin un projet purement réaliste. Que dire ainsi des minutieux constats et des implacables machines que représentent Le marin rejeté par la mer et Le Pavillon d’Or de Yukio Mishima ? De manière symétrique dans ces deux histoires, la mise à mort du marin programmé par un groupe d’adolescents et l’incendie du Temple provoqué par un jeune héros qui se détruit par ce geste sacrilège, relèvent d’une étude de la pathologie sociale. Comme le précise la préface du Pavillon d’Or, c’est bien comme l’acte d’un « psychopathe de type schizoïde » qu’est jugé le crime de l’incendiaire. Et l’envahissement de l’imaginaire du malade par l’image du feu dévastateur n’a d’égal que la lente montée de la neige salvatrice qui recouvre les vieillards attendant la mort dans la montagne de Narayama.

    Le scénario de l’élimination est planté chaque fois dans un décor fortement chargé des archétypes de « l’imagination matérielle », et ces deux obsessions d’un énigmatique « empire des signes » – selon la formule de Roland Barthes – sont rassemblées aussi d’une manière significative dans deux « rêves » d’Akira Kurosawa. Il semble donc que la description des relations sociales commandées par les rites et la tradition – et la présentation des conflits qui en résultent – conduisent à l’édification et à la diffusion d’une vision d’un pays légendaire dans lequel les forces naturelles se conjuguent avec les contraintes humaines pour offrir à la vie quotidienne une dimension particulièrement tragique. Huguette Pérol, lors d’un séjour qui a précédé l’écriture de La loi du plus fort, n’a pu qu’être sensible aux tensions de ce Japon mythique subissant les contrecoups d’une rapide mutation industrielle.

    Son témoignage prend alors la forme d’un récit, récemment publié dans la collection Les Maîtres de l’Aventure des Editions Rageot en 1989, qui laisse libre cours à tous les fantasmes que suscite la Différence. Ce texte fait suite à d’autres œuvres (ainsi, le Pays des femmes oiseaux, situé au Koweit) de la romancière, grande voyageuse qui a vécu en Afrique du Nord, au Moyen Orient et au Japon. C’est donc ses impressions que nous recueillons pour juger d’une civilisation qui nous intrigue et qui nous intéresse autant à titre documentaire que par comparaison avec l’évolution de notre propre société. Dans la réflexion qu’elle conduit sur le statut de l’enfant moderne, Huguette Pérol, par ses œuvres antérieures dans le domaine de l’édition pour la jeunesse, nous parait, d’autre part, fournir des gages quant à la validité de l’enquête et de l’aventure qui nous sont proposées. Le fait que l’exploration de la société japonaise soit absorbée par le moyen d’un jeu est aussi de nature à redoubler notre attention. Le jeu et les pratiques ludiques, comme le suggérait Roger Caillois, ne sont-ils pas des éléments précieux dans la démarche d’une sociologie critique ? Il y a là enfin un exotisme qui rejoint celui du film japonais L’empire des sens dans lequel, très curieusement, se manifeste aussi une violence impitoyable dans le ludisme amoureux.

    Et, de fait, c’est l’affirmation immédiate de cette violence qui semble avoir frappé Huguette Pérol dans son reportage sur la vie japonaise :

    « Tokyo, capitale orgueilleuse d’un des pays les plus riches du monde, Tokyo, deux fois ravagée par le séisme et par la guerre et deux fois reconstruite, mais condamnée à travailler d’un bout à l’autre de l’année, comme le requin qui doit nager sans relâche s’il ne veut pas mourir » (p.7).

    L’image du « requin » est d’une force extrême au début du récit : par ses connotations négatives, elle est de nature à commander d’emblée la vigilance critique du lecteur. Elle rejoint celle de « l’hydre à mille faces multiples respirant d’un même souffle et me dévisageant d’un même regard » (p.5), image déclenchée dans le style de la narratrice par la vision d’un groupe de collégiens. De toute évidence, c’est un malaise très fort qu’Huguette Pérol souhaite exprimer avec ces archétypes, malaise que le spectateur de Rêves ressentira, de même, devant le cauchemar que représente « Le mont Fuji au rouge » montrant la foule terrifiée par une éruption volcanique dans le film de Kurosawa. Ce malaise est celui d’une société toute entière tournée fondée sur la puissance, sur la lutte pour l’existence et la domination et dont le jeu de « l’Ijimé » est la projection révélatrice. Ce jeu qu’elle nous explique dans son prologue, « tient de la corrida et de la chasse à courre ». Le mot « Ijimé » signifie « maltraité un être en état de moindre défense » : ainsi, à l’école, par exemple, un groupe d’enfants choisit un camarade et ‘la victime désignée est enserrée de toutes parts, isolée, harcelée, elle se débat, s’épuise et finit par se rendre » (p.6).

    Le jeu résume donc et révèle l’essence même d’une culture surgie dans un milieu naturel très hostile qui dramatise l’existence et légalise des conduites dont Huguette Pérol souhaite affiner l’analyse : « pour ces enfants nés sur une île fouettée par les typhons et secouée par les tremblements de terre, grandis dans un espace exigu où le béton dispute son espace à la forêt vierge, la force indispensable à la survie a pour conséquence l’élimination de ceux qui sont incapables de se défendre » (p.6).

    Comme La violence et le sacré de René Girard montrant la cohérence qu’une société retrouve dans le sacrifice d’un bouc émissaire, La loi du plus fort est donc le démontage d’un mécanisme subtil qui atteint l’individu dans son enfance même. La fragilité de cet âge va expliquer que le jeu tourne mal et transforme le fantasme en réalité. Perspective qui pourrait paraître fantaisiste et « romanesque », mais que l’excès japonais rend plausible. Perspective qui est justifiée par un fait divers relaté par les journaux – tout comme l’a été celui du Pavillon d’Or de Moshima inspiré par le quotidien Yomiyuri – et qui sera encore plus brutalement confirmée par l’implacable remarque finale de l’épilogue :

    « J’ai lu dans le Yomiyuri d’hier soir qu’une jeune fille de quatorze ans s’était jetée du quinzième étage pour mettre fin aux persécutions de ses camarades » (p. 153).

    C’est donc à la mise en scène d’un assassinat que nous allons assister : au meurtre d’un enfant perpétré par des camarades qui se voient autorisés par le monde adulte à mener jusqu’au bout une élimination rituelle. Le fantasme classique « on tue un enfant » investit ici un contenu social concret et, comme dans la transe chamanique, est facteur d’équilibre pour des individus dont la solidarité repose sur l’exorcisme de la faiblesse, comme élément décisif du mauvais fonctionnement social qui les met eux-mêmes en danger.

    La difficulté de l’entreprise romanesque résidait pour Huguette Pérol dans le choix d’une stratégie narrative qui rende vraisemblable un tel compte rendu et la romancière a choisi ici le parti qui exigeait la pénétration la plus déliée : celle de l’identification à l’autre. Ce n’est pas le moindre paradoxe de son récit que d’être constitué d’une constellation de points de vue représentant l’éclatement du point de vue subjectif que pouvait avoir le narrateur du Pavillon d’Or, et éclairant le déroulement de l’action par la vision partielle que chaque participant en possède. Comme dans un roman policier, chaque témoignage, dans toute l’innocence et dans l’aveuglement de sa subjectivité, est ainsi le facteur décisif de l’intérêt d’un lecteur appelé à décrypter les ambigüités de la personne. En resserrant l’intrigue autour du point de vue central du jeune Youkio Kimura qui est éliminé au dénouement, Huguette Pérol enfin réalise, en matière d’écriture, une version d’écriture, une version originale du type de récit policier créé par les romanciers Boileau et Narcejac et appelé « roman de la victime » : la mort de Youkio est le couronnement d’un procesus complexe dont elle représente l’éclaircissement.

    La double implication : la victime et le moi divisé

    La dénonciation d’une idéologie de la force s’annonce d’emblée dans le roman par l’intermédiaire du récit de Takéo, le chef de classe qui va décider « l’élimination » (p. 16) de Youkio Kimura, « la brebis galeuse ». Cette élimination est présentée comme une sorte de purification :

« A quoi servent l’intelligence et la beauté quand on manque de caractère et de force », pense Takéo (p.16) en réfléchissant au cas de son camarade. Car une des contradictions de Youkio est de vouloir s’intégrer au système qui va le détruire.

    Le modèle est ici celui du rapport du samouraï et se son Shogun (p. 10), une relation que Youkio essaie d’instaurer avec celui qui le méprise. En réalité, comme tous les membres de la société japonaise, cet enfant représentatif est entraîné dans la frénétique course pour la réussite qui fonde le prestige sur le succès financier et intellectuel :

« C’était un élève travailleur. Trop peut-être ! Je me disais : s’il obtient les meilleures notes, c’est qu’il s’en donne la peine… Il se rongeait les ongles, pensant aux efforts qu’il aurait à faire pour entrer à Todaï, l’université de Tokyo, la plus cotée, celle qui ouvre les portes de la fortune et de la considération, le rêve des parents, le cauchemar des enfants » (p.8).

    Huguette Pérol a mis ici en avant un enfant semblable à ces « jeunes garçons, de petite taille, délicats, bons élèves à l’école » qui peuplent le récit Le marin rejeté par la mer de Mishima (p. 55). Ce héros apparaît comme le double littéraire de Noboru dont le beau-père est immolé par la bande dans ce dernier roman. Mais Youkio, qui, en réalité, porte – significativement peut-être – le même prénom que Mishima, tout en recevant, lui aussi, les compliments de ses professeurs, à la différence de ce qui se passe dans Le marin rejeté par la mer se trouve dissocié d’un groupe qui n’est pas exclusivement constitué de « garçons de bonne famille ». Son exclusion retourne contre lui la « nécessité du sang » de la victime humaine qui soude le groupe dans le récit de l’écrivain japonais ; en bref, Huguette Pérol insiste plus clairement sur les réalités économiques structurant les rapports des enfants : en ce sens, le morcellement des points de vue permet à la romancière d’éviter l’enfermement d’une narration subjective unique, semblable à celle qui place le lecteur de Mishima dans la dépendance d’une complicité exclusive. La distance critique ainsi introduite lui donne alors les moyens de dénoncer l’idéologie de la virilité et de la force à laquelle Mishima, on le sait, adhérait dans la vie et l’écriture féminine se présente alors comme une « lecture » ironique du culte de ce pouvoir masculin dont l’écrivain japonais s’est fait le champion.

    L’erreur de Youkio consiste donc à entrer dans un jeu qui aliène sa liberté en l’obligeant à embrasser des intérêts contraire à sa nature. Dès le début, cette idée d’un « faux Moi » de l’enfant – au sens où Winnicott emploie le mot – est suggérée par les rapports que le garçon essaie d’instaurer avec un de ses camarades, Masato, un « bon gros qui n’ira pas très loin dans ses études, qui s’intéresse aux jeux de hasard, aux images érotiques, à tout ce qui est étranger à Youkio » (p. 8.). De même, son désir de fréquenter le « chef » qu’il suit « comme un chien à la sortie de l’école » (p. 9), son imitation de celui-ci (« c’était moi version singe » pense Takéo) et enfin l’orgueil de participer au défilé annuel à Asakusa et de porter une lourde « pagode » (p. 11) provoquent rapidement la révélation d’une fêlure significative : incapable de supporter les coups que ses camarades lui infligent indirectement pendant l’épreuve, Youkio se met à gémir et à pleurnicher et abandonne lamentablement ses prétentions. Comme ses camarades le font remarquer, il a « une vraie peau de fille » (p. 15) : cette remarque est inspirée par les intolérances de l’adolescence et par des ambigüités sexuelles qui pourraient rappeler les perversités du Désarroi de l’élève Törless de Robert Musil ; elle prend tout son sens dans le point de vue du père de l’enfant qui considère la période de cette adolescence comme une faiblesse. Car le drame réside là : dans les ambitions et l’indifférence du père de Youkio, lui-même engagé dans la course pour le pouvoir qui l’éloigne de sa famille (il sera nommé directeur), tout en lui conférant dignité et honneur, et dans la tendresse refoulée d’une mère, elle-même, victime consentante de son mari et d’un système qui la transforme en esclave soumise.

    Deux voies d’offrent donc à Youkio : soit celle de l’artifice et des contorsions dans le mimétisme général de l’état hiérarchisé (et l’on songe ici aux héros de Dostoïevski entraînés dans « l’abstraction » et la fausseté que dicte le seul respect de « l’idée » aliénante) ; soit dans le sens d’une recherche de la vraie nature qui l’habite et dont il a une première révélation avec sa cousine Tetsouko. De nouveau, l’image d’un personnage dostoïevskien – la Sonia de Crime et Châtiment, par exemple – s’impose comme la suggestion équivalente d’une authenticité des rapports que Youkio pourrait trouver dans le respect de son entourage social. Le recours à l’amour dans le repliement narcissique que représente l’union fusionnelle ave sa cousine à la campagne près d’une grand-mère compréhensive, signifierait pour Youkio le salut et la vie simple dans le décor de l’enracinement traditionnel.

    Cette impression est corroborée et exprimée par Tetsouko qui a recueilli une partie des confidences de son cousin (« Je ne suis pas un héros » (p.27), lui a-t-il dit), pendant les vacances dans le lieu idyllique de Chuzenji ; là, au cours d’une promenade dans les bois, un orage a éclaté sur les bords du lac romantique et Youkio a laissé paraître un aspect de lui-même qui contredisait les affirmations de son propre père. Alors que ce dernier n’hésitait pas à affirmer que son fils « était un timoré », le jeune homme s’est révélé courageux.

    « Youkio qui haïssait la violence, accueillait sans révolte les déchaînements de la nature… Je m’étais rapprochée de lui, tremblante comme une feuille… Youkio a ôté son blouson, l’a mis sur mes épaules… Le déluge lavait son angoisse, faisait de lui un être neuf », note Tetsouko (p.30).

    L’image chevaleresque qui s’impose dans cette révélation n’échappe pas non plus au romantisme non moins échevelé de Tetsouko :

« Sa bouche s’est entrouverte comme pour mordre et il m’a repoussée, effrayé par cette force qui montait en lui et qu’il ne parvenait pas à maîtriser » (p.31) remarque l’adolescente qui interprète ensuite ses conseils comme un « ordre » auquel elle obéît volontiers.

    Mais Youkio, en réalité, est un être qui est placé dans une dépendance absolue à l’égard de sa mère par l’absence virtuelle du père au foyer. Cette mère Emiko, l’a « servi comme un petit seigneur » (p.47) et dans une double implication tout aussi aliénante que celle qui lie Youkio à son père, l’enfant a servi de compensation aux manques affectifs de celle-ci, lui « rendant douce » sa petite enfance.

    Ainsi est disposée la machine infernale : ressemblant de plus en plus à sa mère physiquement, (comme le père de l’enfant le remarque), enfermé dans les causes et les douceurs d’une affection maternelle envahissante qui lui fait haïr la violence sociale dont les relations parentales sont l’exacte projection (Youkio, transformé un instant seulement en « voyeur », comme le Noboru obsessionnel du Marin rejeté par la mer, surprend cette intimité à travers les cloisons légères de la maison, p.82), le héros-victime ne peut qu’imiter son père et refouler ses sentiments : en sauvegardant sa réputation de bon élève et en participant « à l’affrontement pour la première place » (p.54), il s’identifie à celui-ci, mais en même temps, il ruine ses ambitions, comme le remarque Nakaï par « sa prétention dissimulée sous une modestie hypocrite » (p. 39). Cette machine plantée dans un décor de rêve va enfin s’emballer quand « l’instinct de chasseur » du groupe a été éveillé rappelant les excès des enfants retournés à la vie sauvage de William Golding dans Sa Majesté des Mouches et quand :

    « Bientôt, les cerisiers tourneraient au rouge cendré, les érables rependraient des tons de cuivre (p. 31). L’image des cerisiers, – arbres de guerriers, dans l’iconographie traditionnelle – dépasse ici l’évidence du code social pour retrouver le merveilleux onirique qui n’est pas sans rapport avec celui de « l’enfant aux pêchers » d’Akira Kurosawa.

La mise en scène ou la mise à mort : la grande vague d’Hokusai

    La référence aux masques du théâtre Kabuki est donnée à plusieurs reprises dans le roman d’Huguette Pérol et la grande réussite de ce récit est bien de transporter jusqu’au délire les visions hiératiques qui vont entraîner l’anéantissement du héros dans un jeu pervers de mimes. Ainsi Youkio, rencontrant l’image obsessionnelle de sa mort, ne pourra qu’accepter le rôle qui lui est suggéré.

    Il n’est pas surprenant que la première image reçue par l’enfant soit celle d’une mort féminine, celle d’une « cousine » venue faire du ski à Chuzenji et qui s’est perdue dans la neige : « on l’avait découverte au matin, appuyée au pied d’un arbre, elle avait l’air de dormir » (p.23). Le récit jalonné de signes funestes transpose dans le domaine oriental la nécessité tragique qui conduit l’enfant à s’identifier à une morte : c’est bien de froid que périra Youkio séduit par une Reine des neiges qui partage la douceur de celle d’Akira Kurosawa dans le rêve de « la tempête de neige ». Mais les camarades de l’enfant ont aussi cruellement mimé ses funérailles dans une cérémonie parodique qui a eu l’aval du professeur en classe. Cette mise en scène redoublant le meurtre du lézard, animal favori de Youkio (lointain écho du meurtre initiatique du chaton dans Le Marin rejeté par la mer ?) a provoqué sa fin tout en la préfigurant. Le lecteur se trouve donc confronté à un rituel mortuaire où la poésie traditionnelle est condensée en des phrases et un scénario que n’aurait pas reniés Mishima, chantre de « l’unique » et de son désespoir :

    « Les morts ne parlent pas, ils ont d’autres moyens de s’adresser à nous, de faire sentir leur présence… Les couleurs des fleurs sont brouillées sous la neige, tellement qu’on ne peut les voir, mais leur parfum qu’on respire révèle leur présence… » (p.106).

    L’opposition de deux cultures confère alors à La loi du plus fort la portée d’un plaidoyer passionné en faveur d’un humanisme centré sur la notion de personne. La destruction de l’enfant dans l’engrenage des relations sociales qui impliquent l’acquiescement masochiste de la victime – alternative de la provocation « orgueilleuse » dont Tokyo est donnée comme modèle – alimente ici la critique générale des sociétés hiérarchisées régies par le principe de compétition paroxystique. Roger Caillois employait, à ce propos, le terme « d’agon » qui a des résonnances sinistres évoquant non seulement la lutte, mais l’agonie. Aussi, il faut lire le récit d’Huguette Pérol comme un conte d’avertissement relayant les remarques de Winnicott sur le faux Moi et sur le fantasme d’effondrement, sur la pulsion de mort qui commande les sociétés du Moi divisé. Le « roman familial », dans son emphase devient représentatif et incarne le tragique un peu grimaçant de notre époque même, d’une époque où les vieillards improductifs (la grand-mère de Youkio) sont sacrifiés, comme l’héroïne symbolique de Narayama. Et Youkio mourra dans une solitude semblable à celle du personnage de Fukazawa. En ce sens l’œuvre d’Huguette Pérol illustre parfaitement avec le jeu de l’Ijimé le principe central de l’ethnopsychiatrie complémentariste de Georges Devereux, selon lequel tout rite, comportement ou jeu dans une société donnée s’inscrit comme la réalisation de conduites n’ayant qu’un statut fantasmatique dans une autre.

    Si l’enfant dans sa lutte éphémère rêve de cataclysme et de lézard, comme le héros de La Gravida, récit de Jensen analysé par Freud, ce n’est pas pour une résolution heureuse de son aventure : pas de Zoé qui l’arrache à « l’orgueil’ de l’abstraction sociale dans son cas, pas de jeune fille qui puisse le sauver. Tetsouko, vrai « papillon » narcissique, n’a pas la force d’une Gerda capable d’arracher ce Kay oriental à l’emprise de la Reine des Neiges et de proposer la fin heureuse d’Andersen. Il semble ici que le conte de ce dernier soit mentionné (p.51) dans l’histoire autant pour fournir un contre-point dramatique que pour exprimer l’amour porté à un pays cruel par la romancière et ses personnages. Car le Japon, en définitive, est le lieu d’une emphase baroque dont la neige traduit le brutal et progressif soulèvement. La montée de celle-ci est signe de pureté et principe de mutation et rejoint la rhétorique de la temporalité et de la fragilité existentielles. Comme le dit Youkio :

« Je suis un oiseau qui passe, une cascade qui vit et meurt dans l’instant (p.57) »

ou comme l’affirme son père :

« La vie est une lame de fond qui s’élève, s’enroule sur elle-même et s’anéantit sans laisser de trace (p.80) ».

    La vague gigantesque d’Hokusai semble surgir du fonds culturel japonais pour convulser la conscience des héros, avec l’acquiescement final, lorsque « la neige » ou les « papillons blancs qui se détachent des cerisiers en fleurs » paraissent garantir le sentiment de l’immortalité de l’homme. Splendide élévation dans la perspective tragique de l’Occident, mais qui rendent plus aiguë aussi la destruction d’un unique enfant… De la rencontre contradictoire de ces visions s’impose en creux le désir d’une invincible fureur de vivre. En définitive, l’enfant assassiné, envers et complément de l’enfant-roi triomphant – beau « jouet neuf » transformé en pitoyable « mécanique », et, à l’image de son père, mort vivant parmi les vivants – n’aurait pu être sauvé que par le souffle d’un humanisme qui se veut adhésion totale au mouvement du monde. Comme le suggère la romancière dans ce qui nous paraît la plus belle phrase de son roman l’important alors est de s’abandonner à « une sensation qui se passe ailleurs que dans le corps », à « une mouvance comparable au vent, à la brume, à l’esprit mystérieux qui ébranle parfois la terre sous nos pieds (p. 134) ». Ce souffle est celui du Personnalisme qui conduit à l’unité inaliénable du Sujet triomphant de l’indistinction des foules.

( texte paru dans le n° 39 – juin 1990 – du bulletin du CRILJ )

Professeur de littérature comparée et spécialiste de littérature de jeunesse, fondateur, en 1994, en relation avec les universités et les professionnels des métiers du livre, de l’institut Charles Perrault à Eaubonne (Val-d’Oise), très actif au plan international, Jean Perrot a dirigé de multiples travaux sur le conte et la littérature pour la jeunesse, organisé colloques et formations, publié de nombreux ouvrages parmi lesquels L’humour dans la littérature de jeunesse (In Press. 2000) Du jeu des enfants et des livres (Cercle de la librairie, 2001), Mondialisation et littérature de jeunesse (Cercle de la librairie, 2008). Il est le coordinateur, avec Isabelle Nière-Chevrel, du Dictionnaire du livre et de la littérature de jeunesse en France, à paraître en 2012 au Cercle de la librairie.

Sylvain et Sylvette ont trois maisons (d’édition)

 

Alors que cette série avoisine le trois centième album, il est bon de se rappeler que Sylvain et Sylvette vit sa première parution en 1940 dans le numéro 38 d’Âmes vaillantes (journal de l’Action catholique des enfants) et non le 31 août 1941 dans Cœur vaillant- Âmes vaillantes édition rurale comme le signalent presque tous les documents à leur sujet. En vertu de quoi les éditions P’tit Louis communiquent allègrement qu’ils vont livrer huit albums en 2011 et 2012 avec Pesch pour le soixante-dixième anniversaire de la série.  La création de Sylvain et Sylvette est due au champenois Maurice Cuvillier (né à Dormans dans la Marne en 1897) qui les dessine jusqu’à son décès en 1956. Sous le crayon de ce dernier, les ennemis de Sylvain et Sylvette sont au départ le Renard, le Loup et le Sanglier ; ces trois personnages historiques sont rejoints par l’Ours Martin dans le cinquième album. Les caractères se sont fixés peu à peu et ainsi le sanglier donne maintenant un regard ironique sur les échecs de ses trois autres compères ; des personnages devenus presque récurrents se sont imposés comme monsieur Tartalo (au physique bienveillant de grand-père) un bricoleur d’objets techniques présenté comme un inventeur ou un savant génial, il introduit ainsi mieux le couple d’enfants dans la modernité. Sylvain et Sylvette sont des petits fermiers vivant à la lisière de la forêt qui possèdent au départ comme animaux : l’âne Gris-Gris, l’oiseau Cui-Cui, le chat Moustachu, le lapin Panpan, la chèvre Barbichette, l’agneau Mignonnet, le rat Raton et la poule Poulette. Dans Sylvain et Sylvette aux prises avec les bêtes sauvages le dixième  album de Maurice Cuvillier, les jeunes héros étaient partis en vain à la recherche de leur mère en Afrique ; ce fut l’occasion de sympathiser avec des animaux exotiques. Après le décès de Maurice Cuvillier durant une trentaine d’années par l’Angevin Pesch et le Lorrain Dubois (il y a également une demi-douzaine d’albums signés Pierre Chéry) alternent dans la création de Sylvain et Sylvette. Pesch fait entrer en scène d’autres personnages récurrents comme le canard Coincoin, Hulerbulu le hibou, Tiffany le basset, Basile le neveu de l’ours et deux animaux ayant des troubles du langage bien connus des jeunes (Cloé la tortue qui zozote et Croa le corbeau qui bégaye) et se refuse à intégrer un cochon à cet univers. Pesch a aussi introduit quelques pages de jeux en fin d’album. L’éditeur Dargaud, tout en continuant à diffuser de très nombreux titres de Pesch  écrits dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, avait confié en 2001 à Bérik (Frédéric Bergèse, le fils Francis Bergèse) et Bélom (Jean-Loïc Belhomme) le soin de continuer les aventures des deux jeunes héros, aussi on leur doit huit albums dont le dernier sorti en mars 2011 s’intitule La Mare aux gags. Ce titre fait partie de l’ensemble des quelques albums que Bélom a scénarisé (reconnaissables au fait qu’ils ont dans leur titre le mot « gags ») où chaque page porte une mini-aventure propre avec une chute comique langagière ou visuelle. Réapparaissent ici ponctuellement certains détournements d’objets. Pour La Mare aux gags le scénariste a tenu à mettre en scène tous les animaux de l’univers familier des héros (les animaux rencontrés lors des quelques aventures exotiques sont absents). L’album a certains gags qui conviennent plus à un jeune lecteur et d’autres à un adulte nostalgique de la série, ayant des références culturelles en rapport. Ainsi écrire Adam et Ève sur un arbre sans dessiner les personnages en question rend l’histoire totalement hermétique aux plus jeunes et le titre savoureux « Roulez Genèze » ne fait que renforcer l’hypothèse que parfois l’humour ne peut être goûté que par une personne sortie du monde de l’enfance.

    Pesch jusqu’en 2009 continuait à produire ponctuellement un album de Sylvain et Sylvette chez Dargaud ; il vient de trouver un nouvel éditeur P’tit Louis et en 2011 puis 2012 doivent paraître plusieurs petits albums écrits en collaboration pour le scénario avec tantôt le même Jean-Loïc Belhomme ou Bruno Bertin, quand il ne s’en est pas occupé lui-même. Il est à noter que ces productions chez P’tit Louis ne sont pas de la bande dessinée, le texte est au-dessus de l’unique image présente sur une page (il s’agit d’album du type de ceux du Père Castor) et comme la pagination s’arrête à 24, les histoires sont donc extrêmement courtes et s’adressent par leur intrigue à des enfants d’âge de la maternelle (à condition d’adapter certains mots de vocabulaire, on voit mal les très jeunes enfants auxquels s’adresse ce livre comprendre par exemple « importuner »). Sur les huit albums annoncés et présentés tous comme des nouveautés, plus de la moitié sont en fait des rééditions déjà parus chez des éditeurs différents il y a moins d’une génération, avec à l’origine parfois un enregistrement sonore non présent chez P’tit Louis.

    Claude Dubois et Pesch ont vieilli les héros en augmentant leur taille, réduit en proportion le volume de leur tête et affinant leurs traits du visage. Dans les albums de Maurice Cuvillier, les Compères apparaissent sous un angle assez cruel, on croit bien plus à leur détermination d’éliminer Sylvain et Sylvette ; Pesch et ses scénaristes atténuent considérablement  leur dangerosité. Maurice Cuvillier le créateur de la série les faisait vivre dans un monde de gags visuels où par exemple un tabouret accroché au mur servait comme cible pour lancer des anneaux autour de ses pieds, cet aspect de détournement d’un objet à d’autres fins était fidèle à l’esprit de la presse française enfantine d’avant-guerre à laquelle il avait collaboré (travaillant en particulier pour de nombreux titres de la presse Offenstadt et des éditions Montsouris) ; ces gags avaient l’avantage de relancer l’intérêt. Cette série Sylvain et Sylvette  en BD plaît beaucoup aux enfants jusqu’à neuf ans ; ils y voient des jeunes déjouer leur propre crainte d’être mangé quoi que cet imaginaire soit réduit par Pesch qui parle beaucoup pour les compères de l’objectif de s’emparer des provisions de Sylvain et Sylvette (et à la rigueur de dévorer les animaux mais pas le couple d’enfants), des caractères dans la fratrie rassurants par leur conformisme (Sylvain impulsif et téméraire alors que Sylvette est plus réfléchie mais moins courageuse), un univers animalier très dense et last but not least pouvoir être un méchant élaborant des plans diaboliques à travers le personnage du renard. Heureusement depuis 1997 les éditions du Triomphe rééditent les aventures dessinées par Maurice Cuvillier qui sont parues dans Fripounet et Marisette dans les années cinquante et n’avaient pas connues d’édition en album jusqu’ici (c’est le cas pour huit titres) ainsi que plusieurs albums qui étaient parus chez Fleurus en albums souples (vingt-cinq à ce jour) ; le format à l’italienne choisi est bien plus adapté au jeune lecteur (page ayant un nombre de vignettes moindre et d’une grandeur plus importante). Il est évident que c’est vers ces rééditions qu’il faut se tourner si on veut un titre de BD qui change un peu du énième album de Pesch dont une dizaine de titres de Sylvain et Sylvette sous son crayon, sont présents dans toutes les bibliothèques de France et de Navarre. La Mare aux gags propose elle une succession de strips humoristiques qui élargissent l’univers fictionnel de Sylvain et Sylvette.

 

Professeur des écoles, Alain Chiron s’intéresse à l’œuvre d’Ernest Pérochon pour les jeunes, aux romans scolaires, aux journaux pour enfants de la période 1914-1918. Il s’intéresse aussi à la littérature de jeunesse francophone, à la bande dessinée, à l’histoire des sections jeunesse des bibliothèques municipales, à l’histoire des musées, à l’histoire de l’enseignement, aux instituteurs pacifistes à la Belle Epoque et aux pionniers de la pédagogie Freinet. Parmi ses publications, plusieurs contributions aux Cahiers Robinson et cinq articles (Fillette, L’Épatant, Le Bon Point amusant, Pérochon, Jauffret) dans Le Dictionnaire du livre et de la littérature de jeunesse en France (à paraître en 2011). Merci à lui pour nous avoir confié cet aricle.

Quelques remarques sur une nouvelle collection

 

     Depuis sa création, le CRILJ a voulu prendre des distances avec la critique des œuvres pour mieux centrer son action sur la littérature de jeunesse et l’édition dans son ensemble.

    Nous avons dit au départ de l’association que la création et l’édition étant libre, nous postulions que la liberté de critique était totale, mais que le CRILJ ne serait pas un lieu de critique.

   Ces remarques préliminaires ont pour but de bien cerner mon propos quand je veux essayer d’analyser une nouvelle collection « Les romans de la mémoire » éditée chez Nathan et dont quatre romans ont paru au moment où nous écrivons ce texte.

     Reprenons l’avertissement de l’éditeur :

   « En replaçant le lecteur au coeur de ces périodes difficiles de notre histoire, ‘Les romans de la mémoire’ fondés sur une information historique rigoureuse, proposée par la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives du Ministère de la défense, en partenariat avec les éditions Nathan, se veulent une contribution à une approche de la citoyenneté. »

    Il y a là une volonté d’information à laquelle nous ne pouvons que souscrire. Trop souvent nous avons regretté que les informations sur l’histoire contemporaine soient, de fait, censurées par l’édition. Que de périodes historiques trop peu consensuelles ont été sacrifiées à la volonté de ne choquer personne ? Bien des études ont montré l’importance du roman pour éveiller la curiosité historique et apprendre au lecteur les chemins complexes de l’histoire.

    Cet intérêt posé, il est évident que la liberté de création de l’auteur reste entière. Il compose un roman obéissant aux lois propres de la création littéraire et dispose donc d’une liberté absolue, y compris par rapport à la vérité historique, dont on sait qu’elle est parfois bien subjective.

     Il n’y a donc aucune contre indication à la création d’une collection basée sur des « Romans de l’histoire ».

    Chaque œuvre sera reçue en fonction de ses qualités particulières. Le lecteur pourra juger et sa dimension historique pourra être appréciée suivant la culture historique du lecteur.

    Dans le cas qui nous occupe les ouvrages sont accompagnés de deux annexes complémentaires. L’une donne les sources auxquelles se réfère l’auteur et qui lui ont permis de mener à bien son travail. Elles peuvent devenir pour le lecteur des pistes de recherches intéressantes et fructueuses.

   La seconde annexe ne comporte aucune signature et se veut une documentation historique. Cela nous ramène à l’avertissement nous indiquant que « Les romans de la Mémoire sont proposés par la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives du Ministère de la défense. Est-ce à dire que ces notes historiques ont été rédigées par ces services ?

    Peut-on alors considérer ces notes comme une « histoire officielle » ?

    Si oui, des débats récents sur des sujets traités dans ces quatre ouvrages montrent que cette « histoire officielle » n’est pas aussi consensuelle qu’on veut bien le dire. Qu’on parle de ce qui va amener les mutineries de 17, du rôle de la police, de l’armée et de l’administration dans l’arrestation et la déportation des juifs, de la place de la population de Paris et à plus forte raison de la Guerre d’Agérie ici et « là bas », rien ne doit être laissé au hasard. Qui écrit signe, il n’y a pas d »histoire officielle anonyme et consenselle et les omissions ne sont jamais innocentes.

    Dans l’ensemble, les auteurs l’ont compris et racontent à une époque donnée, sous un éclairage particulier : il ne faut pas risquer de les entrainer dans une confusion dont on ne peut être certain qu’ils ne la souhaitent pas.

   Souvenons-nous comment tout le monde fustige les régimes politiques qui enseignait – ou enseigne – une histoire officielle…

    Place au critique, aux remarques, et pas de petit doigt sur la couture du pantalon.

Dernière minute

   Cet article écrit, nous prenons connaissance d’un nouveau titre, Un tirailleur en enfer, qui, sous la plume d’Yves Pinguilly, a pour cadre la participation des soldats africains à la bataille de Verdun. La qualité de ce livre, le regard sans concession que l’auteur porte sur une page souvent gauchie par le conformisme historique, montre que nous pouvons faire confiance aux auteur si on leur accorde la liberté d’expression.

( texte paru dans le n° 77 – juin 2003 – du bulletin du CRILJ )

Né en 1922, Raoul Dubois est à seize ans plus jeune instituteur de France. Résistant pendant la seconde guerre mondiale, il cache des enfants juifs, les faisant passer pour musulmans. Il s’engage au Parti Communiste. Après guerre, il consacre son énergie à l’école publique, d’abord dans le primaire puis en collège. Fondateur à la Libération des « Francs et Franches Camarades », il y fut à l’origine des revues Jeunes Années et Gullivore. Raoul Dubois est l’auteur d’ouvrages historiques pour la jeunesse tels que Au soleil de 36 (1986), À l’assaut du ciel (1990), Les Aventuriers de l’an 2000 (1990) Julien de Belleville (1996). Co-fondateur du CRILJ, il lui restera, organisateur et débatteur de talent, avec Jacqueline son épouse, fidèle sa vie durant. « Raoul Dubois a été un éminent lecteur de littérature de jeunesse, un critique exemplaire, toujours exigeant et ne confondant jamais littérature et pédagogie. Il savait lire, il aimait lire et il faisait vite la différence entre la cohorte des textes toujours à la mode, toujours au goût du jour, et les textes écrits. » (Yves Pinguilly)

Les Francas et la lecture

Dès 1944, les premiers textes fondateurs du Grand Mouvement (première appellation du Mouvement des Francs et Franches Camarades puis des Francas) prévoyaient de publier un hebdomadaire à gros tirage s’adressant aux jeunes de huit à 14 ans. Les aléas du démarrage repousseront ce projet de quelques années puisque c’est en 1953 que paraît Jeunes Années, sous-titré « L’almanach de l’écolier et de l’écolière », magazine dont Alain Fourment dans son ouvrage Histoire de la presse des jeunes et des journaux pour enfants dit qu’il a contribué à faire naître une nouvelle conception du journal pour enfants.

Sous différentes formes, seuls ou en partenariat, nous avons donc agi à la fois dans le domaine de l’édition et dans celui de l’information. Cela a été le cas avec la brochure Une année de lecture produite par Jacqueline et Raoul Dubois qui faisait une présentation critique de la production annuelle des livres pour la jeunesse ou encore avec un accompagnement à la mise en place de la base de données Livrjeun créée par le CRILJ des Yvelines (Roger Boquié et Monique Bermond) avec le soutien de l’Association Française pour la Lecture. Le relais a été pris aujourd’hui par l’association Nantes Livres Jeunes.

Nous continuons aujourd’hui à proposer différentes opérations d’animation au niveau de notre Fédération mais surtout dans les départements et au plan local : mise en place de malles lecture, de station-livres, rencontres inter-centres, etc. Cela se complète par la mise en place des séquences de formation dans ce domaine dans le cadre du BAFA ou de formations destinées à des professionnels.

« L’éducation doit être harmonieuse, c’est-à-dire faire appel à toutes les techniques, tous les arts, toutes les formes d’expression qui permettent à chacun l’accomplissement de la personnalité et l’insertion volontaire dans une collectivité humaine » écrivions-nous dès 1969.

Ainsi, quelle que soit la forme d’intervention retenue nous agissons avec cette volonté, maintes fois réaffirmée, de valoriser l’importance de l’écrit et de considérer presse et littérature de jeunesse comme des composantes essentielles de l’activité éducative et culturelle en direction des enfants et des jeunes.

Enfin nous agissons en prenant en compte deux orientations complémentaires et indissociables : avoir une action pédagogique en direction des individus, avoir une action à la fois pédagogique et politique sur notre environnement.

Le premier type d’action doit permettre à chacun d’acquérir puis d’entretenir des compétences de lecteur et donner à l’enfant l’envie et le besoin d’avoir en permanence recours à l’écrit pour créer et entretenir des projets de lecture ou d’écriture.

L’action sur l’environnement doit être pédagogique au sens où elle doit permettre que tous ceux qui accompagnent l’enfant dans l’apprentissage de la lecture, dans le développement du goût de lire, puissent partager les enjeux de l’action pédagogique en direction des enfants. Cela suppose une certaine complémentarité mais cela exige surtout une cohérence, s’informer et s’expliquer sur le rôle des uns et des autres.

Si l’on considère que la lecture est l’affaire de tous (la famille, l’école, le temps libre), cette action est aussi politique au sens où elle doit, sur un territoire donné, concerner l’ensemble des temps de vie de l’enfant et les différentes personnes ou institutions qui participent à son accueil. Ainsi, il ne suffit pas de parler, de manière générale, d’une politique de la lecture. Il faut, à l’échelle d’un quartier, d’une ville, d’une communauté de communes, pouvoir observer les besoins des publics puis recenser et mettre en synergie les moyens disponibles pour développer la relation à l’écrit. Cela suppose complémentarité et cohérence des actions pédagogiques mais aussi développement de accessibilité à l’écrit : accessibilité économique certes, mais aussi physique (comment répondre aux besoins au plus près des publics), informative (faire connaître les différentes possibilités d’accès à l’écrit sur un territoire donné) et socioculturelle (faire comprendre que l’écrit est à la portée de tous).

L’ECRIT DANS LES ACTIVITES DE LOISIRS

1) Quels écrits ?

D’abord il nous semble important de mettre en avant la place de l’écrit – et donc à la fois de la lecture et de l’écriture – pour ne pas réduire l’action dans ce domaine à la seule promotion de la littérature de jeunesse, plus particulièrement du livre, même s’il s’agit d’une action indispensable. La presse en particulier, la bande dessinée, Internet aujourd’hui, ont aussi toute leur place dans les activités à proposer dans les temps de loisirs.

Au-delà de l’utilisation de cette production, particulièrement riche et diversifiée, il est essentiel aussi de s’appuyer sur ce qu’on peut appeler les « écrits du quotidien » qu’il s’agisse de ceux que l’on rencontre dans la structure d’accueil (le programme d’activités, le règlement du centre, les menus, la lettre des correspondants) ou dans son environnement proche : qu’est-ce qu’on peut lire dans la rue, à la devanture des magasins, etc.

2) Découvrir l’écrit, pourquoi ?

Proposer aux enfants et aux adolescents d’aller à la découverte de l’écrit c’est à la fois :

– agir dans le domaine de la médiation pour donner envie de découvrir et d’utiliser cette composante de leur environnement ;

– s’appuyer sur les apprentissages scolaires et les conforter : développer les capacités de lecture, les comportements de lecteur ;

– donner les outils permettant à chacun d’exercer son sens critique et d’être en capacité de choisir ou les outils permettant de s’informer, de communiquer et de produire soit même de nouveaux écrits.

3) S’appuyer sur les spécificités des temps de loisirs

Une action dans les temps de loisirs, péri ou extrascolaires permet aux enfants de s’approprier des savoirs en les investissant volontairement dans un autre contexte que celui de l’apprentissage, à leur propre rythme, dans des situations diverses.

Elle constitue un espace où ils peuvent découvrir des situations, réaliser des expériences hors du cadre familial ou scolaire, avec des adultes qui n’ont ni l’autorité parentale, ni l’autorité professorale. C’est un espace de choix, de réalisation collective de projets avec ses pairs, d’échanges de savoirs.

Les activités de loisirs ont l’intérêt de n’être pas contraintes par des programmes ou par des exigences de résultats autres que celles que le groupe se donne. Elles développent qualitativement les savoir-faire, les savoir être, et concourent à l’enrichissement des connaissances.

Ainsi ces activités, dans leur diversité, favorisent les apprentissages scolaires, les complètent, les valorisent, parfois les suscitent. En complément des activités du temps scolaire, elles constituent une source d’enrichissement personnel, de formation individuelle sociale et culturelle. Elles offrent également aux enfants et aux adolescents des espaces de participation, dans lesquels une large place est laissée à l’initiative et à la spontanéité. Elles tiennent un rôle majeur dans l’acquisition des compétences sociales.

Enfin, compte tenu des conséquences de l’évolution des temps sociaux sur le temps de vie des parents, compte tenu aussi de l’augmentation des situations de pauvreté et de précarité cette action contribue à la réduction des inégalités d’accès à l’offre éducative.

4) Une approche pédagogique

Quatre niveaux d’intervention peuvent être retenus, même s’il ne s’agit pas de passer par quatre étapes successives mais de penser, dans le déroulement des activités, à faire acquérir les repères qui permettront de construire et d’enrichir différents projets.

. Sensibiliser à la diversité des écrits

Il s’agit de « mettre en appétit », de développer la curiosité. En référence à la production actuelle on peut faire découvrir, de manière ludique chaque fois que c’est possible, différents types de supports (album, roman, documentaire, BD ou encore presse jeunesse, presse d’information, presse spécialisée, et aussi dictionnaire ou fiches d’activités. Le lecteur peut observer les différentes formes utilisées (histoires, documents, jeux, illustrations) et ce qui les distingue : présentation, format, pagination, prix, place de l’illustration, périodicité, qualité du papier, place de la publicité. De la même façon, en référence aux écrits du quotidien, on peut s’appuyer sur la vie du groupe, de la structure pour découvrir différents types d’écrits et la forme utilisée : affiches, courrier, panneaux de signalisation, publicités.

. Découvrir les caractéristiques des différents supports ou des différents écrits

Pour percevoir ces caractéristiques et, éventuellement, faire évoluer l’idée ou la représentation que chacun peut se faire du livre, de la presse, il s’agit de comprendre :

– « de quoi ça parle » : de l’actualité, du passé, de l’histoire des hommes, de la situation des enfants, des techniques,

– « à quoi ça sert » : pour la lecture plaisir, pour s’informer ou se documenter, pour réaliser une activité, pour jouer, pour échanger,

– « comment ça fonctionne » : le sommaire, la table des matières, la une, les rubriques.

. Apprendre à les utiliser

Il s’agit de mettre en valeur les différentes façons d’utiliser les écrits en s’appuyant, c’est essentiel, sur la construction de projets de lecture ou d’écriture individuels ou collectifs. Il s’agit de montrer que certaines réponses peuvent se trouver dans l’écrit. Comment utiliser des livres, des journaux ou magazines, Internet, le dictionnaire, le programme TV, un guide touristique, dans différents projets : rédiger un exposé, rechercher une documentation, préparer une sortie, etc.

Ces projets peuvent en effet naître d’une sollicitation de l’environnement (la journée des droits de l’enfant, la semaine du goût, un événement sportif, des élections, une catastrophe climatique), de la vie du groupe (préparer un dossier pour les correspondants, rechercher des recettes pour un goûter d’anniversaire).

. Mettre en situation de produire des écrits

On peut s’appuyer soit :

– sur les contenus découverts : inventer une autre fin de l’histoire, monter un spectacle de marionnettes, réaliser une revue de presse,

– sur les caractéristiques de tel ou tel support : inventer un conte, créer une bande dessinée, un roman-photo, produire un journal d’information.

5) Des conditions à réunir

. Au plan général

Il convient à la fois de bien connaître :

– le public auquel on s’adresse qui souvent se caractérise par son hétérogénéité. Qui est-il ? Quelles sont ses pratiques de lecture ? Quels sont ses besoins, ses attentes ? Pour cela on peut mettre en place un questionnement dans la structure d’accueil et/ou s’appuyer sur d’autres partenaires (la bibliothèque ou la médiathèque, les établissements scolaires),

– les potentialités de l’environnement dans le domaine concerné (journal local ou régional, radio, centres de documentation des établissements) ou au plan de la politique enfance/jeunesse. Existe-t-il un projet éducatif local donc des orientations éducatives, un diagnostic, des directions d’action ? Y a-t-il des possibilités de partenariat avec des services municipaux, des établissements scolaires, des associations de parents.

. Au plan pédagogique

… Développer des activités adaptées au public visé :

Les activités proposées doivent :

– privilégier le jeu. En effet, compte tenu des conditions d’apprentissage, certains enfants ne considèrent l’écriture ou la lecture que comme des activités scolaires. Il est alors intéressant de les « réconcilier » avec ces activités en utilisant des situations de jeu,

– s’appuyer sur les motivations des enfants et des jeunes en sachant utiliser les écrits du quotidien, ceux qui sont en rapport direct avec les préoccupations de la vie et leurs projets d’action,

– les mettre « en appétit de lecture » (donner l’envie de mettre en œuvre des projets de découverte et d’utilisation de l’écrit pour que, progressivement les utilisateurs acquièrent une autonomie dans ce domaine),

– leur permettre de maîtriser les techniques d’utilisation des différents écrits ou supports.

Il faut aussi penser à valoriser les activités réalisées vis-à-vis des adultes (les parents, les enseignants, la municipalité) et des autres enfants ou jeunes.

… Agir dans le domaine de la formation :

Une formation théorique des animateurs doit permettre de sensibiliser à la production, d’apprendre à l’utiliser, d’apprendre à utiliser l’écrit dans la vie du groupe (et donc dans le cadre d’un stage).

Mais elle doit se compléter par une formation sur le terrain pour apprendre à situer son action dans un cadre plus global, à travailler avec d’autres partenaires (collège, médiathèque, journal local), à utiliser les préoccupations motivations des jeunes (ils s’intéressent à la coupe du monde de foot : on peut écrire des reportages, faire un album souvenir, organiser une journée portes ouvertes à la médiathèque pour découvrir des documents).

. Au plan matériel

Il faut pouvoir en permanence mettre à la disposition des enfants et des jeunes différents supports, différents écrits. Cela doit permettre de les découvrir, d’apprendre à les utiliser et d’y avoir recours dans un certain nombre d’activités.

L’idéal est d’installer un « coin-lecture » dont l’aménagement devra être conçu en fonction :

– des activités que l’on veut pratiquer dans cet espace : lire, écrire, rechercher des documents, produire, échanger,

– des comportements que l’on veut induire : favoriser l’appropriation des supports, responsabiliser, faire participer au choix, permettre de s’isoler, donner envie de,

– de l’atmosphère que l’on veut créer : calme, chaleureuse, studieuse.

L’animation de l’espace doit à la fois permettre :

– d’apprendre à respecter le matériel mis à disposition et à responsabiliser les utilisateurs,

– de s’approprier les règles de fonctionnement de l’espace (prêt ou consultation sur place), le repérage des différents supports (classement, codification), les règles de fonctionnement des différentes propositions (CD, vidéo, Internet),

– de prévoir différents types d’utilisation, individuelle ou collective,

– de faire participer les enfants ou les jeunes à cette animation : présenter de nouveaux supports, rédiger la fiche d’identité d’un nouveau magazine, prendre en charge le prêt,

– de mettre en valeur les supports présentés,

– de mettre en valeur les réalisations produites.

LA PRESSE POUR LA JEUNESSE

Née véritablement au 19e siècle, la presse des jeunes a su, à chaque époque, innover et accompagner avec un succès grandissant le public des enfants et des adolescents.

L’actualisation permanente des différentes formules de presse et la créativité des équipes de rédaction ont permis de constituer dans notre pays une presse sans équivalent au monde, qu’il s’agisse du nombre de titres ou de nouveautés présentés chaque année.

Trois caractéristiques essentielles peuvent être mises en avant lorsqu’on observe la production actuelle :

– sa diversité : plus de 100 titres destinés aux 9 mois/20 ans avec une diffusion annuelle de 150 millions d’exemplaires (plus de deux enfants sur trois lisent régulièrement un titre de la presse jeunesse). Presse distractive et éducative, presse d’activités, presse féminine, presse d’actualité, presse lecture, presse de jeux, toutes ces formes de presse constituent une alternative aux jeux vidéo et à la télévision.

– sa force créative : elle produit chaque année plus de 50 000 pages de création inédites, texte et images.

– La renommée des écoles françaises d’illustrateurs a fait le tour du monde et la presse jeunesse constitue souvent un tremplin pour les nouveaux talents, comme elle a su accueillir, depuis de nombreuses années, des créateurs de tous les pays.

– sa proximité avec les lecteurs : forte d’une communication en profondeur auprès d’eux et d’une relation sur la durée, la presse jeunesse est le seul média pouvant revendiquer d’être « le copain de papier ».

– Le magazine, de plain-pied avec l’univers de tous les jours, est pour les enfants un espace de choix et de liberté, situé du côté des préoccupations et des centres d’intérêt de ses lecteurs. Il leur apprend à sélectionner, à choisir, pour accéder à l’information dont ils ont besoin.

Quelle utilisation dans les loisirs des jeunes ?

On peut s’interroger sur l’intérêt qu’il peut y avoir à utiliser la presse et en particulier la presse des jeunes dans des activités de loisir avec des enfants et des adolescents. Est-ce que cela les intéresse toujours ? Est-ce qu’ils ne préfèrent pas aujourd’hui d’autres médias ? Est-ce que cela n’apparaît pas comme une nouvelle activité scolaire ? Autrement dit : à quoi ça sert ? Est-ce que c’est un support éducatif ? Est-ce qu’ils ont besoin d’adultes pour la découvrir ?

Des éléments de réponse

La presse, dans sa diversité (journaux enfants et jeunes, mais aussi presse quotidienne régionale, journaux sportifs, magazines de mode, programmes télé) font partie de l’environnement quotidien de l’enfant et du jeune.

Si l’on considère que les activités que nous proposons doivent permettre à chaque enfant de découvrir et de comprendre cet environnement, alors il faut donner des occasions de découvrir la presse, de l’utiliser et sans doute aussi d’en produire.

Pourquoi utiliser la presse ?

La presse répond au besoin et à la nécessité d’information, en référence à la Convention internationale des droits de l’enfant (droit de recevoir, de rechercher, de produire des informations), à l’importance de la fonction information dans le fonctionnement démocratique des collectifs enfants/jeunes. Elle prépare ainsi les lecteurs et les citoyens de demain.

Elle est un outil de découverte, de connaissance. Elle permet de mettre « en appétit de lecture » grâce aux différentes entrées qu’elle propose et elle développe ainsi la capacité de l’enfant à construire des projets de découverte par la lecture.

Enseignant désormais retraité, Francis Vernhes est mis à disposition de la Fédération nationale des Francas de 1965 à 1995 et en devient, en 1996, vice-président. Nombreuses opérations d’animation, d’information et de formation dans le domaine du livre et de la lecture. Directeur des éditions Jeunes Années de 1985 à 1996, Secrétaire général puis président du Syndicat de la presse des jeunes jusqu’en 1997 et chargé de mission de ce syndicat jusqu’en 2009, Francis Vernhes fut, pendant 15 ans, membre de la Commission de surveillance des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence. Il est coordinateur de l’ouvrage collectif Lire à loisir, loisir de lire (INJEP, 1987) et du fichier d’activités Jeux de lecture et d’écriture (Francas). Merci à lui pour nous avoir confié ce texte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jany Saint-Marcoux

par Nic Diament

    Jany Saint-Marcoux est née le 15 novembre 1920 à Paris, dans le quatorzienne arrondissement. Sa famille est originaire du Limousin. Elle passe sa petite enfance en normandie, face au Mont Saint-Michel, puis dans le Bourbonnais, à Vichy, jusqu’à l’age de quatorze. De retour à Paris, elle temine ses études secondaires puis entre à lEcole des hautes études sociales, section Journalisme, et mêne parallèlement desétudes de droit. Mariée le 14 février 1958 à l’écrivain Paul Berna, elle a deux fils et est grand-mère.

    Elle entreprend d’abord une carrière de journaliste comme reporter s’actualités pour un grand quotidien de province. Au bout de dix ans, par je, elle écrit un premier roman pour la jeunesse, La duchesse en pantoufles (1952), dnt l’immédiat succès l’encourage à poursuivre cette secopnde carrière, qu’elle mènera pendant vingt ans, principalement aux éditions GP dont elle devient la locomotive. En 1972, séduite par la perspective d’une activité différente, elle aborde la direction littéraire. Chez Hachette d’abord, elle devient responsable de collection puis chez Tallandier en 1976 pour l’ensemble des collections romanesques.

    Saint-Marcoux, dont le public est essentiellement féminin, situe les intrigues de ses romans dans des lieux variés (Mont Saint-Michel, Mexique, Baux de Provence). Elle y aborde des thèmes souvent dramatiques : la rééducation des grands handicapés (Le voleur de lumière, 1955), la création des premiers villages d’enfants (L’oubliée de Venise, 1954), l’alcoolisme (Aniella, 1962), la détention d’un père (Cet été-là, 1961). L’actualité y est présente : les progrès de l’aviation (La Caravelle, 1959), l’urbanisme des grands ensembles (Mon village au bord du ciel, 1965), les dons d’organnes (Pour qu’un cœur batte encore, 1969) ou encore la recherchee sous-marine (Le jardin sous la mer, 1963). Enfin, dans certains ouvrages, elle a démystifié des milieux séduisants et prestigieux comme la danse et le spectacle (Les chaussons verts, 1956 ; Un si joli théâtre, 1970 ; Criss ou j’étais une idole, 1964 ; les deux Corinne, 1970 et 1971).

    Les ouvrages de Jany Saint-Marcoux aux intrigues solidement charpentées, très romanesques, voire sentimentales, ont rencontré une énorme audience auprès des adolescentes des années 1950 et 1960 : un million cinq cent mille exemplaires ont été vendus. Elle est un des artisans du succès incontestable de la collection « Rouge et Or Souveraine », aux éditions GP. Cependant, malgré des personnages attachants et vraisemblables et une écriture soignée, ces romans ont mal vieilli. Leur ancrage dans la réalité des années 1960, qui a été une des raisons de leur succès, les dates inexorablement, et leur sentimentalité parfois appuyée ne plaît plus aux lecteurs actuels. Ses livres ont été traduits en anglais, allemand, portugais, espagnol, italien, néerlandais, danois, russe et plusieurs d’entre eux ont fait l’objet d’adaptations radiophoniques.

( texte paru dans le n° 78 – octobre 2003 – du bulletin du CRILJ )

Chartiste, Nic Diament a exercé son métier de la bibliothèque de Massy à la Bibliothèque Publique d’information du centre Pompidou. Spécialisée dans le domaine des livres pour l’enfance et la jeunesse, elle est directrice du Centre national du livre pour enfants – La Joie par les Livres de 2001 à 2007. Formatrice, elle est aussi l’auteur du Dictionnaire des écrivains français pour la jeunesse : 1914-1991 paru à l’École des loisirs en 1993, ouvrage réputé introuvable mais que l’on peut, en ce début d’été 2011, acheter « en état correct » sur Price Minister. Publication de Histoire des livres pour les enfants du Petit Chaperon rouge à Harry Potter en 2008 chez Bayard.