Roger Boquié

par Francis Vernhes

    Enseignant, Roger Boquié a d’abord été délégué des Francs et Franches Camarades (Francas) en Normandie. Déjà dans l’action en direction des enfants il s’intéressait aux activités telles que le livre, le cinéma, le spectacle, la presse, la radio.

    C’est avec l’idée « d’avoir un film à nous, qui parlerait des Francas de leur raison d’être » qu’il décide, en 1954, de réaliser le premier document audio visuel qui présentait les Francs et Franches Camarades. On peut visionner ici, sur le site des Archives départementales du Val-de-Marne. ce film où l’on retrouve Roger Boquié et Monique Bermond

    Roger Boquié est ensuite venu à la Fédération nationale des Francas où il avait en charge la formation et où il animait la commission nationale chants, puis chants et danses pour devenir activités musicales. Dès 1960 des commissions nationales d’activités (jeu et activités physiques, chants et activités musicales, activités manuelles) ont permis à la fois de mutualiser les pratiques de terrain, de les faire évoluer, de les enrichir et de diffuser un répertoire commun vers l’ensemble des régions. Écoutons-le :

    « Nous nous sommes appuyés sur des méthodes pédagogiques nouvelles permettant de pratiquer l’animation musicale à tous les degrés et d’utiliser tout le matériel réalisé ou rassemblé : disques, instruments de musique (percussion et autres), d’exploiter les différentes expériences menées autour de la percussion, de l’évolution, de l’audition motivée… On ne parlait plus technique « chants et danses » mais activités musicales. Nous recherchions toutes les formes d’activités pouvant être proposées à partir de la musique. C’est ainsi que naquit l’évolution, c’est-à-dire une recherche de la visualisation de la musique qui soit suffisamment simple et permette à des guides (animateurs) non techniciens mais aimant la musique de mener à bien des réalisations intéressantes. Puis la musique fut également utilisée comme décor sonore, ce qui permit de lancer l’idée d’auditions musicales motivées prenant la « relève » des anciennes auditions musicales passives. »

    À ce propos Roger Boquié rappelait que les Francas avaient été les premiers à éditer et à commercialiser les disques avec accompagnement musical, à la demande des formateurs et des directeurs de centres qui souhaitaient disposer de ce type d’accompagnement pour les spectacles musicaux mis en place dans les stages, les fêtes de centres de loisuirs et d’écoles….

    Ainsi, avec Jean Naty Boyer, dans leurs créations, dans la mise en place d’outils pédagogiques, dans la production de disques ils ont non seulement révolutionné nos façons de faire mais ils ont permis un développement de ces activités sur l’ensemble des régions et des départements. Il n’y avait pas un patro ou un centre aéré se réclamant des Francas qui ignorait nos « tubes » de cette époque. Et, de Marchons dans le vent, à Feu de bois en passant par Le joli jeu de Jacques à dit, les airs composés par Roger Boquié ont été chantés dans beaucoup de groupes d’enfants.

Pour l’anecdote rappelons la performance réussie au cours du vingtième anniversaire des Francas en 1964, où Roger Boquié a dirigé un chœur de 300 choristes ayant appris les chants par petits groupes de 10 à 20, dans des départements différents, et qui, sans répétition, avec le soutien d’un accompagnement orchestral, ont donné un spectacle remarquable.

    Roger Boquié est devenu ensuite conseiller technique et pédagogique à l’INEP (aujourd’hui INJEP) à Marly-le-Roi où il a su déployer la même activité créatrice et novatrice au service de la littérature de jeunesse.

    Qu’il s’agisse des stages L’enfant, le livre et l’expression, des animations qui ont fait les belles heures du Festival du livre à Nice ou qui ont sillonné la France comme La forêt aux histoires, on retrouve une recherche de qualité permanente et une rigueur pédagogique remarquable. Roger produit des idées, initie de nouvelles pratiques et assure la promotion de la littérature de jeunesse vers les parents, les enseignants, les animateurs mais aussi vers les institutions et les médias. Il a pour cela donné une autre dimension aux actions de formation et fait sortir l’animation de sa routine parfois appauvrissante.

    Après avoir animé, à l’ex ORTF, avec Monique Bermond, l’émission Partons à la découverte, ils ont produit ensemble sur France Culture l’émission Le livre, ouverture sur la vie. Cette perspective d’ouverture sur la vie s’est concrétisée dans de nombreuses actions initiées par Roger Boquié. Il a permis à des acteurs très divers – bibliothécaires, libraires, éditeurs, conseillers techniques, enseignants, animateurs – de se côtoyer, de se connaître, de se comprendre, de s’enrichir mutuellement, de co-construire des actions communes. De nombreux auteurs ou illustrateurs, des éditeurs parfois, ont bénéficié de conseils toujours précieux auprès de Monique Bermond et de Roger Boquié, de leur connaissance de la production et de leurs pratiques pédagogiques originales et novatrices.

    Roger Boquié était un militant du CRILJ. En s’appuyant sur l’expérience de Monique Bermond qui a été pendant plusieurs années critique littéraire à la revue de L’école des parents, dans le cadre du CRILJ des Yvelines, ils ont prolongé leur action en impulsant la base de données Livrjeun, initiative qui, avec l’aide des Francas de Loire Atlantique se poursuit encore aujourd’hui. Le lien est ici.

    La Ville de Nantes a créé dans le cadre de la médiathèque Jacques Demy un centre Bermond/Boquié très actif qui rappelle ce qu’a été l’action des ses deux militants de l’enfance et de la littérature de jeunesse. On peut visiter ici.

    Militant de l’éducation populaire, pédagogue averti, créateur sans relâche, telles sont les caractéristiques de l’action de Roger Boquié.

    L’intervention qu’il a faite dans l’une des tables rondes mises en place à l’occasion du cinquantième anniversaire des Francas en 1995 confirme cette volonté permanente d’une recherche d’activités ou d’actions sans cesse renouvelées et adaptées aux évolutions de notre société. Il disait : « Je pense que les mouvements de jeunesse doivent innover parce que c’est en innovant que l’on avance, que l’on progresse, que l’on apporte son originalité et c’est en prenant des risques que l’on s’enrichit par l’expérimentation. »

    Qu’il s’agisse des activités musicales, de la littérature de jeunesse et, pourrait-on ajouter, qu’il s’agisse de produire une émission de radio, de créer un spectacle de marionnettes, Roger Boquié a toujours su nous étonner et nous surprendre.

    Merci à lui de nous avoir fait chanter, de nous avoir fait rêver, de nous avoir fait grandir et d’avoir su nous faire aimer et partager ses passions.

(avril 2013)

 

Enseignant désormais retraité, Francis Vernhes est mis à disposition de la Fédération nationale des Francas de 1965 à 1995 et en devient, en 1996, vice-président. Nombreuses opérations d’animation, d’information et de formation dans le domaine du livre et de la lecture. Directeur des éditions Jeunes Années de 1985 à 1996, Secrétaire général puis président du Syndicat de la presse des jeunes jusqu’en 1997 et chargé de mission de ce syndicat jusqu’en 2009, Francis Vernhes fut, pendant 15 ans, membre de la Commission de surveillance des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence. Il est coordinateur de l’ouvrage collectif Lire à loisir, loisir de lire (INJEP, 1987) et du fichier d’activités Jeux de lecture et d’écriture (Francas). Merci à lui pour nous avoir confié ce texte.

Michèle Piquard

par Viviane Ezratty

    Nous avons appris avec tristesse la disparition cet été de Michèle Piquard. Nous avions eu la chance de partager certains de ses questionnements en tant que chercheuse et d’apprécier ses qualités humaines. A quel moment Michèle Piquard est-elle devenue une habituée de l’Heure Joyeuse ? Il me semble me souvenir qu’elle avait pris rendez-vous avec Françoise Lévèque, responsable du Fonds historique, pour travailler sur la collection des Enfants de la terre, et que Françoise lui avait proposé de la mettre en relation avec François Faucher, pour travailler sur les archives du Père Castor. Elle en avait été ravie et cela a pu se faire facilement. Les liens étaient noués.

    Ils se sont renforcés, alors que Françoise et moi rencontrions régulièrement François Ruy-Vidal, ce dernier nous parlait toujours d’une personne formidable doublée d’une chercheuse rigoureuse qu’il serait bien que nous rencontrions. Il s’agissait de Michèle Piquard et nous nous sommes retrouvés tous les quatre à déjeuner un certain nombre de fois. Ces déjeuners discussions, nous plongeaient dans l’histoire foisonnante et passionnante du travail d’éditeur de François Ruy-Vidal, dont elle avait une grande connaissance. Je garderai toujours en mémoire ces moments d’exception, joyeux par moments, plus graves à d’autres, alors que Michèle Piquard faisait part de ses doutes en tant que chercheuse. Et puis la maladie était là, elle en parlait librement, disant qu’elle mettait toute son énergie à se battre contre elle pour son fils.

    Lorsque François Ruy-Vidal a fait don de ses archives à l’Heure Joyeuse, cela nous est apparu comme une évidence à tous, que c’était elle qui devait les explorer et également mener des interviews de François Ruy-Vidal sur son travail. Elle est venue un certain nombre de fois à l’Heure Joyeuse pour cela, mais ce printemps 2012, elle nous a dit qu’elle ne pouvait plus assumer ce travail, à cause de la fatigue que cela représentait. Et puis il y a eu une dernière opération et le choc d’apprendre son décès, parce que jusqu’au bout nous ne pouvions imaginer que ce ne soit pas sa volonté qui gagne.

    Au-delà de l’émotion qui perdure, il restera le fruit de son travail de chercheuse et en particulier son ouvrage sur l’Edition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980 qui, sans jargon inutile, démontre sa maîtrise du sujet. Un traité qui est encore la référence sur la question du livre pour la jeunesse et permet d’en objectiver l’approche. Je garderai aussi la vision d’une chercheuse en action, exigeante, allant jusqu’au bout de ses questionnements, intéressée par l’enfance, l’éducation nouvelle et la création artistique.

(octobre 2012)

Conservatrice des bibliothèques de la Ville de Paris depuis 1979, Viviane Ezratty est, depuis 1986, directrice de la bibliothèque L’Heure Joyeuse. Elle a collaboré à L’Histoire des bibliothèques françaises (Promodis-Cercle de la librairie, 1992), L’Heure Joyeuse, 1924-1994 : 70 ans de jeunesse (Agence culturelle de Paris, 1994), Désherber en bibliothèque (Cercle de la librairie, 1999). Elle est signataire régulière d’articles dans le Bulletin des Bibliothèques de France et dans La Revue des livres pour enfants où elle assure la veille des revues spécialisées “littérature pour la jeunesse” de langue anglaise. Membre du comité permanent des bibliothèques jeunesse à l’IFLA (International Federation of Library Associations), elle apporte également son concours au conseil d’administration du CRILJ.

 

Chargée de recherche au CNRS, Michèle Piquard fut spécialiste de l’histoire du livre et de la lecture. Elle a consacré ses recherches à une analyse historique et sociologique du processus de « patrimonialisation » de la littérature pour la jeunesse au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, dans le cadre de l’histoire économique, juridique et institutionnelle de l’édition pour la jeunesse.

 BIBLIOGRAPHIE

. Ouvrages :

2004, L’Edition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980, Presses de l’ENSSIB, réédition. 2005

. Articles :

2011. Paul Faucher, concepteur des albums du Père Castor, sergent recruteur de la Nouvelle Education dans l’entre deux guerres (Recherches & éducations n°4)

2008. Robert Delpire, précurseur dans l’édition pour la jeunesse des années 1950-1970, (in « Robert Delpire éditeur », mis en ligne le 14 juin 2010 : http://strenae.revues.org/75)

2007. La Bibliothèque Rouge & Or à l’heure de la concentration des entreprises d’édition, 1961-2006, (in Les Cahiers Robinson n°21, Université d’Artois)

2007. La Littérature de jeunesse a-t-elle atteint l’âge adulte ? (in Dazibao, n°15, Agence régionale du livre PACA)

2007. L’Emergence d’un nouveau concept d’édition dans l’album pour la jeunesse des années soixante-dix (in « La Littérature jeunesse, une littérature de son temps ? », Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis)

2005, Les Stratégies des éditeurs pour la jeunesse depuis 1965 : réponse aux demandes et élaboration de l’offre, analyse d’exemples, (in « Regards sur le livre et la lecture des jeunes : la joie par les livres a 40 ans », actes du colloque 29 et 30 septembre 2005, Bibliothèque Nationale de France)

2005. New Editing Strategies of French Catholic Publishing Houses since 1945, (in « Religion children’s literature and modernity inEurope 1750-2000 », sous la direction de Jan de Maeyer, Hans-Heino Ewers, Rita Ghesquière, Michel Manson, Leuven University Press)

2004. Les Presses enfantines chrétiennes aujourd’hui en France : la montée en puissance du groupe Bayard, (in « Les Presses enfantines chrétiennes », actes du colloque des 14 et 15 décembre 2004, Presses de l’Université d’Artois)

2004, Le Roman de Renart : patrimoine littéraire pour la jeunesse, entre culture scolaire et culture de masse, (in « Children’s publishing between heritage and mass culture, L’Edition pour la jeunesse entre héritage et culture de masse », Institut international Charles-Perrault, GREC (Paris XIII), CEEI (Paris VII) et Afreloce)

2004. Renart et les anguilles dans l’édition pour la jeunesse depuis 1945 : Renart de male escole, (in Les Cahiers Robinson, n° 16, Université d’Artois)

2003. La Loi du 16 juillet 1949 et la production de livres et albums pour la jeunesse, (in « L’Image pour enfants : pratiques, normes, discours : France et pays francophones, XVI-XXe siècles », La Licorne, n°65, Poitiers : Maison des Sciences de l’Homme et de la Société)

2002. François Ruy-Vidal et Harlin Quist, nouveaux concepteurs dans l’édition pour la jeunesse des années 1970. Etude de cas : Les Contes de Ionesco, (in « Communication et histoire : Ecritures et espaces-temps pluriels », journées d’étude organisées les 9 et 10 mars)

François Ruy-Vidal, éditeur, a souhaité compléter ce témoignage par un extrait de la lettre qu’il a adressée au fils de Michèle :

« Michèle m’a toujours accompagné. sans faille, sans hésitation en me permettant même, sur la fin de ma vie, par son courage, son engagement, sa générosité et son soutien moral et amical, alors qu’elle était déjà affaiblie par les assauts de ce qui la rongeait, de ne pas désespérer, de regarder mon passé sans trop le discréditer comme j’étais porté à le faire, en m’obligeant à voir les livres que j’ai publiés avec le regard indulgent et tonique avec lequel elle les considérait elle-même.

Je souhaite qu’elle vive en vous comme elle vivra en moi tant que je vivrai. Avec sa profonde honnêteté, sa rigueur, sa simplicité et cette intuition exceptionnelle qui lui permettait, sans rien demander, de nous obliger à nous élever à sa hauteur. Ce fut pour moi un grand bonheur de la connaître et un honneur de savoir qu’elle me comptait parmi ses amis. Je lui dois beaucoup car elle m’a toujours accompagné et aidé. »

(septembre 2012)

Pierre Probst

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par Janine Despinette

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Pierre Probst est mort le jeudi 12 avril 2007. Le dimanche 25 mars, eu Salon du livre de Paris, il signait encore ses albums à de nouveaux fans. Il avait 93 ans. Et l’on a pu découvrir dans chaque écho journalistique une nostalgie de sa propre enfance.

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     Je ne sais si on enseigne dans les académies des Beaux Arts combien la connotation sociologique et topologique marque le style d’un illustrateur. Je ne sais si beaucoup de lecteurs prennent en compte cette co-notation graphique lorsque l’œuvre est traduite d’un pays à un autre ou rééditée après un long temps, mais, du point de vue de la critique, il apparait évident que si, à la création, une œuvre icono-textuelle a trouvé place par l’osmose de connivence implicite avec l’entourage et dans un contexte linguistique précis, c’est lorsqu’elle entrera en affinité visuelle avec le regard des lecteurs d’ailleurs qu’elle pourra échapper à la limite de sa temporalité.

    Alors, j’ai longtemps considéré Caroline, créée par Pierre Probst pour Hachette, et Martine, créée par Gilbert Delahaye et Marcel Marlier pour Casterman, comme de l’imagerie distractive dont la présentation me semblait parfois à la limite du kitch, même si je reconnaissait à Pierre Probst et ou à Marcel Marlier un vrai talent de création et que j’admirais leur capacité à en renouveler les attraits au fil du temps.

    Or, lors d’un voyage en plein cœur de l’Anatolie turque, visitant la Bibliothèque municipale d’Urgup, en découvrant les deux séries complètes sur les rayons, j’ai eu la singulière surprise d’apprendre que Caroline et Martine représentaient pour les petites filles et les jeunes femmes de là-bas leur exotisme français et qu’au-delà des péripéties des histoires, nos jeunes amis turques s’exerçaient à copier le charme désinvolte de Caroline ou lé préciosité sucrée de Martine. Et notre conversation, ensemble, portait bien sur l »esthétisme, mais féminine : chaque détail des attitudes, de la coiffure, des vêtements portés, reconnu comme made in France, était discuté, apprécié ou non. Détour inattendu de la lecture.

    Les albums Caroline et Martine, outre en Turquie, sont en vente en Grèce, en Italie, en Espagne, dans les pays de langue arabe et de langur hébraïque, dans les pays franciscains, mais aussi dans les pays scandinaves et dans les pays du Commonweath comme au Japon. Bref, partout. Ces deux petites fille sont notre image de marque, le reflet de la féminité française et de la vie à la française, telles qu’en elles-mêmes les autres choisissent de nous voir.

( article paru dans le n°90 – juillet 2007 – du bulletin du CRILJ )

 Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle fut très longtemps administratrice du CRILJ.

Jacques Asklund

par Guy Jiménez

    Jacques Asklund vient de mourir, à l’âge de 65 ans, emporté en quelques mois par une maladie qui ne lui aura laissé aucune chance. Nos pensées vont à ses proches, à leur souffrance, à celle de Jacques dont ils auront été les témoins.

    Au milieu des années 80, Jacques était conseiller municipal à Beaugency (Loiret) au moment où se créait l’un des premiers salons du livre de jeunesse. Il conçut alors l’idée d’un Prix du « livre le plus drôle » doté par la Ville. Je travaillais à la bibliothèque municipale où les livres proposés par les maisons d’édition arrivaient. Cette gestion au quotidien nous a rapprochés. Nous échangions sur les livres reçus, que nous lisions avec autant de passion que les enfants. Ce Prix avait pour caractéristique d’être décerné par les écoliers. Le moment des délibérations dans la belle salle du Conseil avec les délégués de chaque classe était réellement émouvant. Si ma mémoire ne me trahit pas, les premiers ouvrages récompensés ont été l’hilarant Ça coince de Benoît Déchelle, bestiaire où les animaux peinaient à tenir dans le cadre de la page, puis le subtil et sensible Victor Hugo s’est égaré de Philippe Dumas. Cela commençait fort. Vingt-cinq ans plus tard, le Prix créé par Jacques existe toujours, a récompensé bien des auteurs et contribué au rayonnement du Salon du livre et à celui de la Ville Beaugency à laquelle il était très attaché.

    C’est sans doute cette immersion dans la littérature de jeunesse qui a donné à Jacques l’envie de se lancer dans cette forme d’écriture. Il avait jusque-là produit des contributions spécialisées, en tant qu’historien, dans le cadre de la Société archéologique et historique balgentienne, en particulier une délicieuse monographie : Histoire des rues de Beaugency. Très vite, il voit ses premiers romans publiés par Rageot et Flammarion (Le Secret du général X, Un trésor dans l’ordinateur, L’homme qui rajeunit). Suivirent tout au long de ces années une quinzaine d’autres titres qu’il écrivait chaque année au moment de ses congés d’été.

    Ses thématiques pouvaient être historiques (comme le très beau Dernier des Maures) ou tout à fait contemporaines pour des enquêtes policières où le fantastique affleure (Crime d’auteur, Plongée fatale, Le fantôme mène l’enquête). Son écriture fluide, efficace, ses intrigues bien charpentées lui auront acquis de nombreux et fidèles lecteurs et valu des récompenses parmi lesquelles le Prix Tatoulu en 2006 pour Crime d’auteur ou le Lionceau d’or au salon du polar de Neuilly-Plaisance en 2008.

    Jacques est aussi l’auteur d’ouvrages pédagogiques spécialisés, en lien avec son métier d’enseignant d’histoire dont il était retraité depuis trois ans. Il a aussi composé un vibrant hommage à la Loire pour un beau livre de photographies qui connut un réel succès populaire, aux éditions CPE où le directeur lui proposa alors de créer un secteur jeunesse. Jacques se lança avec courage, en 2007, dans cette aventure éditoriale qui, malheureusement tourna un peu court pour des questions de diffusion. J’ai été dirigé par lui le temps d’un roman dans l’une de ses collections, et j’ai pu apprécier son intégrité et son respect de la chose écrite.

    Il nous est arrivé bien des fois de signer l’un à côté de l’autre sur un stand de libraire. Nous ne manquions jamais d’évoquer parmi d’autre le souvenir lointain, mais toujours vivace, d’un auteur qui nous avait menacé en maître chanteur de ne pas honorer son contrat de rencontres scolaires si le Prix du livre le plus drôle ne lui était pas attribué ! Nous rigolions bien.

    Voilà, je voulais évoquer, trop rapidement sans doute, la mémoire de Jacques, avec la tristesse de sa disparition, mais avec la joie, aussi, des bons moments que nous avons partagés.

 

Né à Oran en 1954, Guy Jimenez passe sa petite enfance en Algérie à Rio-Salado, aujourd’hui El-Malah, jusqu’en juillet 1963. Scolarité en région Centre. Bibliothécaire à Beaugency (Loiret) puis à Saint-Jean de Braye (Loiret toujours) où il réside. « Mon statut est, depuis 2001, celui d’auteur indépendant. » Isabelle Jan publie son premier roman, Le Grand réparateur (Nathan,1981) et Jacqueline Cohen ses premiers contes pour le magazine J’aime lire. Ouvrages édités chez Syros, L’école des loisirs, Rageot, Nathan, Oskar jeunesse. Prix du Roman pour la jeunesse du Ministère de la Jeunesse et des Sports en 1992, sur manuscrit, décerné par le jury des adultes, pour La Protestation, publié chez Syros grâce à Germaine Finifter « J’ai aussi écrit ou co-écrit des pièces de théâtre, des adaptations de romans et de contes, des récits documentaires pour la presse et quelques nouvelles noires. » Merci à Guy Jimenez pour nous avoir confié ce texte.

Claude Duneton

par Jacques Cassabois

 

Cher grand Claude en allé…

Enfin libre.

Enfin souple et léger, ingambe comme tu ne l’as jamais rêvé.

Tu as retrouvé ta voix d’écorce,

tes yeux d’eau salée, dissimulés dans tes sourires de malice,

et le torrent de tes mots, si longtemps obstrué, peut à nouveau jaillir et irriguer de ta paix

nos terres orphelines.

La maladie, depuis treize mois, t’emprisonnait dans ses carcans.

Tu viens de lui fausser compagnie.

Tu es sorti par le haut.

 

L’air se défroisse, sous la percée de l’herbe nouvelle,

discrètement perlée de primevères et de violettes.

Tu as choisi ce temps pour nous quitter.

La nuit est transparente,

des angélus tintent dans le cristal du ciel,

et, sur le rivage, l’océan a couché pour ton pas, une jonchée d’écume.

 

Tu as pris place dans ta barque.

Un bagage t’y attend, léger :

l’amour de tous ceux que tu as aidés, encouragés, accompagnés, préfacés…

J’y dépose le mien à mon tour.

Par-dessus tout ce que tu m’as donné, je conserve ce trésor ultime : ta main gauche de Lille ;

ta main de nos complicités dernières, qui scandait chacune de tes émotions

et qui serrait, serrait…

 

Au large, le continent d’Hyperborée dissipe ses buées,

l’île d’Avallon se découvre et ses vergers d’azur constellés de pommiers.

Des voix amies s’élèvent et te hèlent.

Elles te chantent par les mille noms oubliés de tes incarnations passées.

La lueur de leurs couplets fait danser l’obscurité.

Elles te convient au grand mélange et tu les laisses venir à toi, confiant.

Sous leur souffle, ta voile prend du gonflant.

Tu te détaches peu à peu,

tu t’en vas,

et te voici déjà hors d’atteinte, approchant les confins.

 

O mon bon frère en partance,

il m’est joie de savoir que tu accosteras bientôt.

( mars 2012 )

  

 Né en 1947, Jacques Cassabois interrompt sa scolarité pour devenir comédien. « L’année de mes 18 ans, mon bac en poche, je suis entré à l’école du Théâtre National de Strasbourg. Mon père ne l’a jamais su. Il était mort entre l’écrit et l’oral. » Il devient instituteur, entre à la Fédération des Œuvres Laïques de Seine-et-Marne et découvre la littérature pour la jeunesse. Il participe au comité de rédaction de Trousse-Livres, aujourd’hui Griffon. Participe, un samedi de 1984, avec une vingtaine de ses collègues, à la création de La Charte des auteurs et des illustrateurs dont il est président pendant trois ans. Parmi ses ouvrages : L’homme de pierre (Léon Faure 1981), Le premier chant (Ipomée 1983, Monsieur Pasteur (La Farandole 1985), Les deux maisons ( Hachette 1990) Lauréat du grand prix de la Société des Gens de Lettres et du Ministère de la Jeunesse et des Sports. S’intéressant aux textes fondateurs et aux héros mythiques, tels Sindbad ou Gilgamesh, son dernier ouvrage est consacré à Jeanne d’Arc (Hachette 2011). Merci a Jacques Cassabois pour nous avoir confié cet hommage.

Raoul Dubois

par Bernard Epin

Les chemins croisés du militantisme

     Raoul Dubois, homme d’écrit et de parole. Mais, pour moi, d’abord, homme de parole. Parole donnée à des engagements jamais démentis, par-delà les chocs de l’histoire. Parole distribuée à tous les âges d’interlocuteurs, pour défendre pied à pied des convictions, des certitudes, pour partager savoir et expérience avec des enfants, des jeunes, paroles d’ironie coupante quand se pointaient élitisme plus ou moins déguisé, obscurantisme jamais mort, mépris distingué pour l’enfance et le populaire. Tout cela incarné dans une voix au timbre si singulier, si tonique, dont le souvenir suffira à faire ressurgir tant et tant de facettes d’un homme que seule la maladie pouvait entraver dans sa volonté de se collecter, par le dire et par le faire, avec les espoirs et les tragédies qui ont marqué le XXe siècle.

    La minutie avec laquelle il évoque son enfance et ses premiers rapports au monde social dans son beau livre Au soleil de 36, publié par La Farandole en 1986, fournit bien des clés pour appréhender ce qui fonde l’unité cohérente de l’homme engagé avec la même intensité dans l’action politique, le syndicalisme, la solidarité, l’éducation progressiste, la passion de l’hisroire, la lecture…

    Ayant eu la chance de croiser plusieurs de ces cheminements simultanés, je mesure encore plus aujourd’hui à quel point il serait erroné d’en isoler tel ou tel. Même si, ici, au CRILJ, c’est bien sûr aux dizaines d’années consacrées aux livres et à la presse des jeunes que l’attention se porte en priorité. Travail mené en commun de manière continue avec la chère Jacqueline qui a fait de leur double signature une référence durable.

    A travers les multiples initiatives et débats menés en commun – sans oublier la confiance chaleureuse qu’il m’accorda, lorsque je dus, au pied-levé, assurer la suite du travail critique de Natha Caputo dans L’Ecole et la Nation – je voudrais insister sur le fait que, pour moi, Raoul est à la fois et sans hiérarchisation des genres, celui qui sut aider et encourager tant de jeunes auteurs (Faut-il citer Christian Grenier, Bertrand Solet, Yves Pinguilly, Pef…) et le bagarreur du progrès et de la laïcité, de la justice sociale, le jardinier des idéaux de 1793 et de la Commune, le vendeur de L’Huma au matin d’un dimanche… Bref un militant que la confrontation constante avec le réel sur le terrain a conduit plus d’une fois à chahuter les dogmatismes, ici et là.

    Pas de passions sans excès. Les siens, inséparables d’une générosité à pleins bords, contribuèrent à l’authenticité des souvenirs qu’il nous laisse.

( texte paru dans le n° 82 – février 2005 – du bulletin du CRILJ )

 

Né à Paris en 1936, Bernard Epin fut instituteur puis directeur d’école de 1955 à 1991, à Paris et à Saint Ouen, ville dont il sera élu municipal de 1965 à 2001. Il fit ses débuts de critique de livres pour la jeunesse en 1968 dans L’École et la Nation en remplacement de Natha Caputo, décédée : « Je lis désormais des livres pour les enfants, quelque huit cents titres chaque année. » Auteur d’ouvrages documentaires (Histoires d’école en 1981 à La Farandole, Le grand livre du jeune citoyen en 1998 chez Rue du Monde) et de plusieurs études sur les livres pour l’enfance et jeunesse dont l’anthologie Découvrir la littérature d’aujourd’hui pour les jeunes parue chez Seghers en 1976. Participation à divers ouvrages collectifs dont plusieurs guides édités par le Cercle de la librairie.