Y’a cadeau et cadeau

 

– Dis, maman, t’avais vu Chantal Goya à l’Olympia, en 1978 ?

– Tu sais, Josette (1), je n’habitais pas Paris.

– Mais, quand même, On m’appelle Cendrillon, tu connaissais ?

– Bien sûr ! Nous avions la télévision.

– Mais, tu l’as vue quand, en vrai, Chantal Goya ?

– Jamais.

– Tu n’as pas réclamé ?

– Non

– Et moi, dis, je pourrais pas la voir, en vrai, Chantal Goya ?  En ce moment, elle chante Sur la route enchantée un peu partout : le 16 novembre à Biarritz, le 17 à Béziers, le 23 à Annecy, le 24 à Clermont-Ferrand, à la Maison de la Culture…

– À la Maison de la Culture ?

– Ben oui, salle Jean Cocteau. Le 30 novembre, elle sera à Metz, aux Arènes. Après, en décembre, elle chantera 50 ans d’amour. C’est écrit que c’est un spectacle familial.

– Nous, ma puce, en décembre, c’est sapin, magasins, cadeaux et réveillon.

– Maman, réponds-moi, s’il te plait : cette année, est-ce que je peux voir Chantal Goya en vrai ?

( La maman se gratte le nez et ne répond pas )

– Je peux, maman ?

– Demande à ton père…

(par André Delobel – novembre 2024)

 (1) Josette : à cause d’Anne Sylvestre.

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Se souvenir de Georges Perec

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    Interrogé par Jacques Bens, producteur à France Culture, qui, pour l’épisode du samedi 14 novembre 1981 de l’émission Mi fugue mi raisin, lui avait demandé d’établir sa liste des cinquante choses qu’il ne faut tout de même pas oublier de faire avant de mourir, Georges Perec avait répondu en vingt-neuvième place : écrire pour de tout petits enfants. « Je veux dire des enfants qui ne savent pas lire. Entre six mois et cinq ou six ans. Des enfants à qui les parents lisent des histoires le soir. Des histoires pour les enfants, pas pour les parents. Ce doit être très difficile. »  En vingt-huitième place, il avait répondu : faire de la peinture. En trentième place : écrire un roman de science-fiction.  Curiosité : l’écrivain (qui décédera quatre mois plus tard) n’évoquera à l’antenne que trente-sept choses au lieu des cinquante annoncées par Jacques Bens.  Le tapuscrit sur lequel Georges Perec s’est appuyé lors de sa prestation radiophonique a été déposé à la bibliothèque de l’Arsenal.

    Voir aussi le numéro 1 de la collection « Perec 53 » (l’Œil ébloui, 2024), « Dire son Perec en 53 livres de 53 pages par 53 artistes ».

    On peut réécouter l’émission ici.

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Je me souviens d’Yvan Pommaux, après et d’après Georges Perec (Le Sorbier, 1997)

Un texte patrimonial

 

Pour la rentrée des classes

      « L’éducateur doit être irréprochable dans sa tenue et dans sa conduite privée. Que l’instituteur donne à ses élèves le courageux spectacle de la dignité de sa vie. Enseigner n’est pas seulement un ‘métier’. C’est un art dans lequel intervient la personnalité du maître, son tempérament, son caractère. Il y a de la part de l’éducateur une sorte de chaleur communicative, un reflet d’âme qui pénètre la classe toute entière. L’instituteur a donc l’obligation de se montrer particulièrement sévère pour lui-même. Placé dans une situation spéciale, sous le regard de tous, il ne peut oublier un seul instant que ses faits et gestes – son langage, ses relations, sa conduite – sont soumis au contrôle public et qu’il est impossible que toute sa vie privée ne soit pas l’illustration de la leçon de morale ou de civisme qu’il donne à l’école.

      « L’institutrice aura à se surveiller. Un écart, qu’elle a pu considérer comme une innocente distraction, sera exploité par les méchantes langues. Bien sûr, la ‘demoiselle’ de l’école ne doit pas vivre esseulée comme une sainte dans sa niche, mais elle ne saurait non plus impunément se mêler à des exubérances de mauvais aloi, ni se prêter à des fréquentations douteuses. A elle d’apprécier les limites du bon goût et de s’y tenir, en se gardant toutefois de mériter le reproche de vanité ou de pédantisme. Le souci de la correction n’exclut pas la joie de vivre en société, conditionnée par la bonne humeur et l’aménité du caractère. »   (…)

     « L’instituteur consciencieux poursuit une seule et même tâche : il s’instruit, il cultive son jardin. S’intéresser à tout ce qui l’entoure est une règle de conduite. C’est cette habitude de travail intellectuel, cet amour de l’étude désintéressée qui fait l’intérêt de sa vie. Cette culture intellectuelle, l’instituteur l’élargira nécessairement par le contact avec la vie populaire. Et d’abord, se mêler aux jeunes, savoir rester jeune pour conquérir les jeunes. La vocation de l’éducateur implique une constante recherche de l’âme enfantine à la lumière de sa propre curiosité intellectuelle. L’éducateur qui aime son métier s’y consacre de toute son âme et sa propre éducation est le premier de ses soucis : elle doit se prolonger toute sa vie ».  (…)

      « L’école est assidûment et joyeusement fréquentée quand le maître ou la maîtresse ont su la faire aimer en donnant à leur enseignement l’animation, la vivante gaieté qui conviennent à la nature des enfants. Ce qui fait la noblesse de l’éducateur, c’est qu’il se donne tout entier à ses élèves ; c’est que, sans peser en des balances trop subtiles ce qu’il leur doit et ce qu’on lui doit, il se dépense pour eux sans compter ; c’est qu’il n’est pas le distributeur automatique de connaissances et de recettes, mais un apôtre du travail, de la vérité, de l’altruisme, de la justice. Il faut que le maître trouve chaque jour dans son cœur, dans sa conscience, les trésors de bonté, d’équité, de patience, d’indulgence même qui, bien loin de nuire à son autorité, la renforceront en l’adoucissant. En acceptant d’être instituteur, vous avez pris l’engagement tacite d’aimer les enfants, tous les enfants qui vous sont confiés, de les aimer assez pour en faire des hommes ; et si la tâche vous paraît plus ingrate à l’égard de quelques-uns, il faut bien, n’est-ce pas, que vous les aimiez davantage. Ce ne sera que la stricte justice ».  (…)

     « Réfléchissez à ceci : l’accomplissement de son devoir est chose relativement facile pour qui a la conscience haut placée. Quant à l’exercice de ses droits, c’est quelquefois plus difficile. Ne pensez pas trop à vos droits ; souvenez-vous que l’exercice inconsidéré d’un droit équivaut à une faute et que l’on a quelque fois tort d’avoir raison ».  (…)

      « Vous entretiendrez dans l’âme de vos élèves  ‘la flamme immortelle’ qu’allume l’amour du bien, de la vérité, la passion de la liberté et de la justice. Vous exalterez l’effort persévérant. Vous donnerez l’exemple de l’action disciplinée qui conditionne l’exercice de la liberté. Vous établirez par les faits, que l’école laïque est l’école de la tolérance et de la fraternité. Vous formerez des ‘caractères’ doués de sens social, mais aussi de sens critique, afin qu’ils ne soient plus jamais les dupes et les victimes des propagandes mensongères, des mystiques absurdes, des folies grégaires. Vous redresserez bien haut, devant vos élèves, le flambeau de l’idéal national. Mais vous veillerez à ce que cet attachement indéfectible à la Patrie ne dégénère jamais en un nationalisme étroit, en un chauvinisme générateur de haines. Aimer sa patrie, c’est avoir la volonté de défendre contre toute agression ; c’est aussi de vouloir qu’elle soit toujours plus fraternelle et plus humaine ».

. Code Soleil : Le Livre des Instituteurs, SUDEL, 1923.

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Le chapitre introductif de l’ouvrage, rédigé par André Ferré, s’intéresse à la morale professionnelle. Il sera maintenu, au fil des années, sans actualisation notoire. Il disparait en 1979.

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Photos du haut et du milieu : Robert Doisneau

Trente-neuf ans de fidélité

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En attendant le quarantième rugissant

    Son nom originel est Salon du livre pour enfants et adolescents de Beaugency. Les deux premières éditions se contentèrent du préau de l’école de Garambault. À la troisième édition, de par la volonté de quelques passionnés, l’événement pris de l’ampleur et migra vers le complexe des Hauts de Lutz, C’est cette année-là que le CRILJ intègrera ce qui s’appelle alors comité d’organisation, aux côtés notamment de Jean-Pierre Ruelle, Nicole Ruelle, Jacques Asklund, Guy Jimenes, ainsi que de la Fédération des œuvres laïques du Loiret à qui est confiée l’indispensable (et pas toujours fluide) administration.

    En 2009, année de sa constitution, l’association Val de lire devient l’unique organisatrice de la manifestation. Le CRILJ, fidèle, continue à apporter son concours, en particulier en nourrissant, chaque année, une journée de formation très suivie.

    Notre association tient toujours stand aux Hauts-de-Lutz, tous les ans, sans exception. Cette année, ce fut les vendredi 5, samedi 6 et dimanche 7 avril et, une nouvelle fois, nous avons eu le loisir de répondre aux curiosités des visiteurs du Salon du Livre Jeunesse Val de Lire – c’est le nom actuel de la manifestation –, installé juste en face de la librairie balgentienne Le chat qui dort, ce qui n’est pas le pire poste d’observation.

   À Beaugency, il y a ceux qui nous connaissent bien et ceux qui ne nous connaissent pas, ceux qui viennent nous dire bonjour chaque année, nous interrogeant sur notre actualité, et ceux à qui nous devons expliquer ce que peut être encore, en 2024, l’éducation populaire, y compris lorsqu’il s’agit d’élargir le cercle des jeunes lecteurs. Le salon est aussi, au fil des trois jours, l’occasion de rencontres singulières avec quelques atypiques : une maman qui vient d’écrire un album que sa meilleure amie à illustré et qui veut être publié, une jeune femme qui plaide pour que l’inscription à la bibliothèque devienne obligatoire, une auto-entrepreneuse dont l’activité est d’organiser des rendez-vous (payants) autour des livres pour la jeunesse, ce petit de huit ans pas plus, un peu timide, qui nous demande où sont rangés les livres de poésie, et cet autre qui aimerait bien faire un troisième atelier.

    Ce que sera le salon de l’an prochain, vous demandez-vous ? La question est prématurée. Une seule certitude, à peine un indice : ce sera le quarantième.

André Delobel – 8 avril 2024

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Histoires voyageuses

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À l’occasion de la Journée internationale du livre pour enfants du 2 avril 2024 (Children’s international book day), l’autrice japonaise Eiko Kadono adresse aux enfants du monde, sous l’égide de l’IBBY (Union internationale pour les livres de jeunesse), en quatre langues, un message dont vous trouverez ici la version française. L’affiche est signée par l’auteir et illustrateur japonais Nani Furiya.

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Surfant sur une paire d’ailes, les histoires voyagent.  Elles sont tout ouïe, à l’écoute de tes émotions.

Je suis une histoire qui voyage. Jusqu’au bout du monde.

Je vogue parfois sur les ailes du vent, d’autres fois sur la crête des vagues. Ou sur les minuscules ailes d’un grain de sable. Il m’arrive aussi de voler sur les ailes d’un oiseau migrateur, bien entendu. Et même sur celles d’un avion !

Ensuite, lovée contre toi, j’ouvre mes pages sans bruit pour te raconter l’histoire que tu as envie d’entendre.

Une histoire étonnante, peut-être ?

Ou plutôt une histoire triste ? Un récit qui fait frissonner ? Qui fait rire aux éclats ?

Si tu n’as pas envie de m’écouter maintenant, ce n’est pas grave. Mais ça finira par arriver.

Ce jour-là, il te suffira de m’appeler :

Histoire voyageuse, toi qui fais le tour du monde, viens me voir !

Je te rejoindrai sans tarder.

Des histoires, il y en a des tas.

Par exemple, celle de l’îlot qui, un jour, en eut assez d’être seul et apprit à nager pour se faire des amis… Ou alors, l’histoire de la drôle de nuit qui vit se lever deux lunes dans le même ciel… Sans oublier la fois où le Père Noël s’est perdu…

Tiens donc, j’entends ton cœur battre plus fort.

Boum, boum, boum, et pif et paf et pouf.

C’est l’histoire voyageuse qui s’est faufilée en toi, qui te fait vibrer.

A ton tour, bientôt, de devenir une histoire qui voyage, d’avoir envie de prendre ton envol.

Voilà comment, de par le vaste monde, naît une nouvelle histoire voyageuse.

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Née à Tokyo en 1935, Eiko Kadono perd sa mère alors qu’elle a cinq ans. Peu de temps après, la guerre du Pacifique a éclaté et elle a dû être évacuée vers le nord du Japon à l’âge de 10 ans. L’expérience de la guerre dans son enfance est à la base du profond engagement de Kadono en faveur de la paix et du bonheur. Elle a étudié la littérature américaine à l’Université Waseda et, après avoir obtenu son diplôme, elle a travaillé chez un éditeur. Après son mariage, elle a accompagné son mari au Brésil et a vécu à San Paulo pendant deux ans. Au cours du long voyage vers et depuis le Brésil, elle a pu élargir ses connaissances sur les différents pays. Ces expériences ont fait naître son attitude curieuse et multiculturelle envers l’activité créatrice. Son premier livre a été publié en 1970, et depuis lors, elle a publié environ 250 livres, traduits en 10 langues. Kadono dit que « commencer à lire un livre, c’est comme ouvrir la porte à un monde différent. Elle ne se ferme pas à la fin de l’histoire, une autre porte y attend toujours d’être ouverte. Les gens commenceront à regarder le monde d’une manière différente après avoir lu une histoire, et c’est en un sens le début. Et je pense que c’est là le vrai plaisir de lire. J’espère que chacun commencera à construire sa propre nouvelle histoire à partir d’ici et maintenant. » Kadono a reçu le prix Hans Christian Andersen en 2018.

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Nana Furiya est née à Tokyo, au Japon. Elle est illustratrice et auteur de plus de soixante-dix livres d’images pour enfants. Après avoir illustré Mekkira Mokkira Dondon, un livre d’images populaire pour enfants écrit par Setsuko Hasegawa et publié pour la première fois par Fukuinkan en 1985, Furiya Nana a déménagé en Slovaquie pour étudier la lithographie à l’Académie des beaux-arts et du design de Bratislava, sous la direction du professeur Dusan Kallay. Elle crée des livres d’images dont elle est également l’auteur du texte. En 2012, elle a été l’organisatrice de l’exposition itinérante De main à main, inaugurée au Lapidarium du Musée médiéval de Bologne. Il a invité les illustrateurs du monde entier à réfléchir sur le rôle de l’art en période de catastrophe comme celle provoquée par le tremblement de terre de Tohoku et l’accident de la centrale nucléaire en 2011. Un projet récent a également impliqué son mari Peter Uchnar, peintre et graveur, dans lequel leurs illustrations de  Pierre et le loup de Prokofiev ont été projetées lors de concerts organisés lors du festival Seiji Ozawa Matsumoto en 2019. En 2020, les illustrations ont été publiées sous forme de livre d’images. de Kaisei-sha, avec un texte écrit par Jun Moriyasu. Nana a remporté la Plume d’Or à la Biennale Internationale d’Illustration de Belgrade en 1999 et a été sélectionnée pour les White Ravens 2021.

Robert Badinter aussi pour les enfants

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Robert Badinter, auteur de livres pour enfants ?

    Cet homme de convictions a su, grâce à sa présence, son verbe, sa ténacité et un travail acharné, imposer et transmettre ses valeurs.

    Il n’a pas négligé les enfants, en préfaçant à leur intention Le livre des droits de l’Homme (Gallimard jeunesse, 2015) et en incitant Jacqueline Duhême à illustrer, avec ses images explicites et séduisantes, ce texte qu’il qualifiait de « message de foi dans l’humanité et d’amour des êtres vivants ». (1)

    Il nous a quittés le 9 février 2024, jour anniversaire d’une triste rafle qui lui a enlevée son père mais il a su faire revivre sa grand-mère maternelle dans un récit de la vie de celle-ci, Idiss, chez Fayard, en 2018. Il adaptera ce texte en bande dessinée, en gardant le même titre, avec Richard Malka pour le scénario et Fred Bernard pour les illustrations, (Rue de Sèvres, 2021). Robert Badinter dit de ce texte :  » J’ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d’amour de son petit-fils. »

    C’est donc aussi comme homme de culture très attentif à l’enfance que Robert Badinter devrait entrer prochainement au Panthéon, comme l’a annoncé le Président de la République lors de l’hommage national qui lui a été rendu le 14 février 2024.

par Françoise Lagarde – février 2024

(1) lire aussi, ici, sur ce site, un ensemble de textes à propos de l’adaptation théâtrale du livre, en 2016, par la compagnie Petit Théâtre Pilat.

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Adhérer en 2024

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– L’année 2024 est déjà sacrément entamée.

– Tu l’as dit.

– Trop tard pour présenter ses vœux, je crois.

– Ma grand-mère disait qu’on avait jusqu’à fin janvier, pas plus.

– Alors, c’est trop tard.

– Pour la cotisation, par contre, ce n’est pas encore trop tard.

– La cotisation ? Quelle cotisation ?

– La cotisation annuelle au CRILJ.

– Tu as raison. Et je pense qu’il ne faut pas trop tarder.

– Le document est en ligne sur ce site et c’est très pratique.

– J’y vais tout de suite sinon je vais oublier.

– Très bonne idée.

– Dis, l’image qui est juste en-dessous, c’est de l’ironie ?

– Un peu quand même, je pense.

– Quoique, finalement, par les temps qui courent …

– En tout cas, cette cotisation 2024, moi, je la règle.

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Le bulletin d’adhésion 2024 est téléchargeable ici .

Pour Jean Perrot.

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Jean Perrot, professeur émérite en littérature comparée à l’Université Paris Nord 13, fondateur en 1994, à Eaubonne (Val d’Oise), de l’Institut international Charles Perrault, est décédé le mardi 19 décembre 2023. Il avait 86 ans. C’était un ami du CRILJ dont il fut, plusieurs années durant, un administrateur attentif. L’une de nos dernières rencontres se fit à Arras où, invité par Francis Marcoin, au Centre Robinson, il vint témoigner, le vendredi 6 avril 2018, de son parcours d’enseignant, de chercheur et d’auteur. Nous reprenons ci-après l’hommage rédigé et diffusé par Anne-Marie Petitjean, au nom de l’équipe de l’Institut.  (A.D.)

    Jean Perrot vient de nous quitter et l’Institut International Charles Perrault est en deuil. Il nous avait encore très récemment fait le plaisir d’une de ses visites à l’Hôtel de Mézières, en se mêlant joyeusement à un public de jeunes étudiantes en littérature de jeunesse. La vitalité d’un Institut qu’il avait fondé en 1994, sur son lieu d’habitation et en le baptisant avec humour du nom de son illustre homonyme (pas tout à fait homographe) le touchait manifestement. Ses interventions érudites et son regard pétillant nous manquent déjà.

     C’est en passeur assidu que Jean Perrot aura sillonné les décennies d’une carrière qui n’est pas uniquement celle d’un brillant universitaire, mais également celle d’un lettré militant et passionné par la littérature de jeunesse. Il entre dans le champ des livres pour enfants à un moment où leur légitimité comme objets d’études n’est pas encore parfaitement reconnue, nonobstant plusieurs pionniers et surtout Marc Soriano dont il suit la voie à partir de 1976 (1). Sa formation est celle d’un comparatiste, spécialiste d’Henry James dont il cherche à renouveler l’étude par un regard plus finement posé sur le texte que certaines des interprétations du « motif dans le tapis » qu’il trouve gauchement ésotériques. Sa thèse est publiée en 1982 chez Aubier, sous le titre Henry James, une écriture énigmatique. Cet attachement au détail du texte et à la clarté des significations se reconnaît aisément dans la suite de son travail sur les textes pour enfants. Et il ne faut pas s’étonner de ce choix d’objets d’études pour un lecteur de Ce que savait Maisie, premier roman à adopter de manière acérée le regard d’une enfant, spectatrice des égoïsmes parentaux.

    C’est en 1987, par Du jeu, des enfants et des livres que Jean Perrot entame une copieuse série de publications, en son nom et en tant que coordinateur et directeur de collection. Cet ouvrage joue habilement de la référence à Paul Hazard, qui avait dépeint en 1932 la lecture enfantine comme exigeante et habile à choisir elle-même les titres qui lui conviennent, dans Les livres, les enfants et les hommes. Parce que Jean Perrot écrit dans une époque baignée par les analyses de Michel Picard (La lecture comme jeu date de 1986), c’est bien le jeu qui va lui servir de boussole pour donner aux études de plus en plus nombreuses sur la littérature de jeunesse une orientation clairement définie et un balisage qui aide substantiellement à son déploiement. Il reprend et poursuit ces analyses dans Jeux et enjeux du livre d’enfance et de jeunesse en 1999. Mais il faudrait également parler de bien d’autres titres qui ont marqué l’histoire de la recherche sur le livre de jeunesse, et que l’on trouvera bien sûr sur les rayonnages de l’Institut Charles Perrault.

    Fervent défenseur du livre, comme organe majeur de la culture, il en analyse les ressorts et la manière dont le jeune lecteur y exerce un jeu que les meilleurs ouvrages savent rendre subtil et adroitement mouvant. Il n’hésite pas à faire appel à différentes méthodes d’analyse, de la sémiotique à la médiologie, en sollicitant des incursions vers la psychanalyse et le structuralisme. Il reste particulièrement vigilant à la dynamique de création des artistes et ne s’en tient pas aux mots, mais analyse précisément les images et leur rapport au texte. Dans Art baroque, art d’enfance, publié en 1991, Jean Perrot reconnaît dans une nouvelle culture de l’enfance, qu’il qualifie parfois de post-moderne, une filiation directe du baroque. Il y traque patiemment dans l’image comme dans le texte les figures de démesure et d’antithèse et use sans frilosité académique de l’épithète et de la métaphore. Ses formulations saisissantes invitent à le reconnaître comme un habile stylisticien qui ne se contente pas de commenter le style des autres, mais en éprouve les exigences dans le mouvement de son écriture.

   Avec Mondialisation et littérature de jeunesse, en 2008, c’est le spécialiste de comparaison internationale qui balise le champ critique. On ne s’étonnera pas de le voir animer la table ronde La littérature de jeunesse : recherches et formations, un éclairage international lors d’un colloque qui s’est tenu à la BnF en 2011. (2) Dans les actes, il entame son intervention personnelle par la référence à Walter Benjamin et la manière dont il s’est intéressé à l’enfance. « Il y a dans cette rencontre une légitimation tacite des recherches concernant [ce] domaine littéraire ». Parce que Jean Perrot est benjaminien dans son attachement à la culture de l’enfance, il ne peut ignorer ce qu’il appelle la « vidéosphère », les CD-roms et la circulation sur internet qu’il a regardée avec à la fois curiosité et frayeur.

    Mentionnons enfin le Dictionnaire du livre de jeunesse, qu’il dirige avec Isabelle Nières-Chevrel, en 2013, au Cercle de la Librairie. C’est une somme qui réunit les contributions de 133 chercheur.es et fait un point décisif, au fil de dix années de travail, sur la recherche en littérature de jeunesse.

    Ses études, les travaux collectifs qu’il a coordonnés, ses cours d’université et les nombreuses formations qu’il a impulsées, ont toujours tenu à analyser de manière équilibrée le texte et l’image, à ne pas négliger la dynamique internationale qui fait circuler les textes en traduction et à faire reconnaître les filiations entre créations contemporaines et racines dans les siècles passés. C’est cette alchimie rayonnante qui caractérisera pour longtemps sa manière propre de nous parler de livres et d’enfance, et d’en faire le terreau d’une médiation culturelle pour tous, animée par des actions militantes au plus près du terrain que l’Institut se réjouit de faire perdurer.

    Les putti baroques dont il reconnaissait les visages joufflus dans maintes illustrations d’ouvrages contemporains viennent de nous enlever Jean Perrot. Pour notre humble part, nous continuerons fidèlement à faire briller son étoile au ciel de l’Institut.

(samedi 23 décembre 2023)

(1) voir l’entretien donné à Mathilde Lévêque en 2018 : https://magasindesenfants.hypotheses.org/6431  et sa contribution à Recherches et formations en littérature de jeunesse, BnF, 2012, p. 153)

(2) Une vidéo en ligne permet de réécouter Jean Perrot parler des ambitions internationales de l’Institut et de l’esprit qui animé sa fondation. C’est ici.

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