Parler sans-abris à Paris

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Une rencontre avec Sophie-Bordet-Pétillon et Xavier Emmanuelli

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Le mardi 4 juin 2019, dans le cadre des animations initiées par le CRILJ, Sophie Bordet-Pétillon et Xavier Emmanuelli ont rencontré, à la Médiathèque Marguerite Duras (Paris), les élèves de trois classes de CM1.

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     Sophie Bordet-Pétillon a d’abord présenté l’ouvrage Le petit livre pour parler des sans-abris, (Bayard jeunesse, 2018). Elle a expliqué comment et pourquoi il était né. Elle a aussi parlé de la façon dont elle avait travaillé avec Xavier Emmanuelli. Puis très vite, les enfants ont été invités à poser des questions. Ayant été sensibilisés au préalable par leurs enseignants, leurs questions furent motivées et pertinentes.

    Xavier Emmanuelli a renvoyé souvent les enfants à la réflexion pour qu’ils trouvent d’abord par eux-mêmes des éléments de réponse. Il y a eu, au cours de cette rencontre, une belle interactivité. Xavier Emmanuelli a également beaucoup insisté pour renverser ou expliquer certains aprioris négatifs qui peuvent exister sur les sans-papiers.

    La rencontre qui a concerné cinquante-cinq enfants a duré une heure trente. Elle fut très riche et il s’est dégagé de ces deux personnalités invités une belle complémentarité et une grande envie de transmettre et de faire réfléchir sur ce sujet sensible. De l’avis des organisateurs, ce fut « une grande leçon de raisonnement, de générosité et d’humanité, qui restera comme une des belles rencontres ayant eu lieu à la Médiathèque Marguerite Duras. »

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.Sophie Bordet-Pétillon est journaliste de formation, elle fut directrice du journal d’actualité pour les 10/14 ans, Mon quotidien, pendant plus de 10 ans. Elle conçoit des livres documentaires, des cahiers d’activité et des livres-jeux avec le souci de donner aux enfants et aux adolescents accès à l’information sur le monde et son fonctionnement.

Xavier Emmanuelli, médecin hospitalier, homme politique, est fondateur du SAMU social de la ville de Paris. Président du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées de 1997 à 2015, il est co-fondateur de Médecins Sans Frontières. Parmi ses nombreux ouvrages : Les Enfants des rues (Odile Jacob, 2016)

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Beau travail, Monsieur Boudet !

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Alain Boudet, professeur de lettres, documentaliste, écrivain et poète, est décédé le 24 août 2021. Il avait 71 ans. Il vécut une enfance heureuse, entre la ville où,  chez ses parents, il inventera ses premières histoires avec des jouets miniatures, et la campagne où, avec cousins et cousines, il passe ses vacances à construire des cabanes et à jouer au chamboule-tout dans la décharge municipale. Il suit de studieuses études de lettres qu’il termine par un mémoire sur le regard dans l’œuvre de Paul Eluard. Quand il n’a pas cours, il se fait quelques sous comme magasinier, débardeur et chauffeur-livreur. Alain Boudet fut, pour l’académie de Nantes, coordonnateur en poésie, lecture et écriture. Poste fort rare, juste un peu moins hier qu’aujourd’hui. En 1984, il fonde, avec Serge Brindeau, l’association Donner à voir qui, très active, regroupe poètes, graphistes, peintres, sculpteurs et amateurs de poèmes. Interventions publiques, expositions itinérantes, édition d’anthologies d’abord, de recueils ensuite. La même année, est créée une autre association, Les Amis des printemps poétiques, qui organisera, à La Suze-sur-Sarthe, un festival très apprécié du public et des éditeurs et poètes invités. Auteur d’une trentaine d’ouvrages et soucieux de rapprocher la poésie de ses publics, Alain Boudet aura, sa vie durant, multiplié, dans sa région et au-delà, rencontres et ateliers d’écriture poétique, en milieu scolaire principalement. « Le poème se tient à l’écart et contient la parole / Qui veut le voir et l’entendre doit scruter les mots, attentif au silence, doit suivre la distance, connaître un long voyage, s’enfuir à l’intérieur / Le poème s’offre à qui tend les bras et sourit à qui sait accueillir l’inouï / À qui sait se donner, le poème se donne. » Travaillant volontiers avec des musiciens, Alain Boudet avait écrit, en 1981, avec le compositeur Étienne Daniel, L’Arbre-Chanson, œuvre pour chœur d’enfants qui fit le tour du monde francophone. « La poésie d’Alain Boudet, différant en cela radicalement de celle des ‘poètes de la modernité’, se veut avant tout une poésie de célébration consacrée à la nature, à l’homme, et à l’harmonie qui règne ou devrait régner entre eux. Elle exprime des sentiments de solidarité, d’humanisme, et semble parfois vouloir tout ignorer du mal. » (Michèle Tillard). Quelques ouvrages pour jeunes lecteurs : La Volière de Marion (Corps puce, 1990), Marie-Madeleine va-t-à la fontaine (Rue du monde, 2013 : illustration : Sandra Poirot Chérif), Cherchez la petite bête (Rue du monde, 2018 ; illustration : Solenn Larnicol). Les recueils Carrés de l’hypothalamus (Donner à Voir, 1999 ; illustrations : Yves Barré) et Le rire des cascades, (møtus, 2001 ; illustrations : Michelle Daufresne) ont été sélectionnés par le Ministère de l’Éducation nationale, pour le cycle 2, Quelques instants d’elles (Océanes, 1998 ; illustrations : Luce Guilbaud), pour le cycle 3. Le site personnel d’Alain Boudet, La toile de l’un, régulièrement mis à jour, toujours consultable, est une mine d’informations et de propositions de lecture et d’écriture. « Alain Boudet était non seulement bon poète, mais un homme de grande qualité, vraiment. Disponible, tendrement souriant, généreux et d’une modestie qui n’était pas feinte. » (François David, pour møtus). Nous avions, de nombreuses fois, accueilli Alain Boudet, à Orléans et à Beaugency, pour des ateliers qui aboutissaient, presque toujours, à la publication, en quelques dizaines d’exemplaires, d’un livre presqu’aussi vrai qu’un vrai.

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« Si je suis convaincu d’une chose, après quelques décennies de partage de la poésie avec des publics très variés en âge, aux cultures diverses et aux ancrages géographiques multiples, à l’école, au collège, au lycée, dans les crèches, les centres de loisirs, les centres sociaux, les bibliothèques et autres lieux du livre, c’est que la poésie peut parler à tous, mais que peu le savent. Trop peu. Et qu’il y a nécessité pour ceux qui le peuvent ouvrent des portes vers les poèmes, proposent des voies, conçoivent des ponts qui permettent à chacune et chacun, quel que soit son âge, de découvrir que la poésie est une parole faite pour elle, pour lui. Pour eux aussi. Et il conviendrait de mettre un “s” à “parole” car il est vrai que le poème est d’abord une voix, propre à celui ou celle qui l’écrit, avant d’être une autre voix, propre à celui ou celle qui le lit. » (Alain Boudet, dans le numéro 9 de 2016 des Cahiers du CRILJ)

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TÉMOIGNAGES

    « Évoquer Alain Boudet, c’est surtout, pour moi, revenir au temps passé des tournées, des interventions et animations auprès des élèves, des spectacles. C’est ainsi qu’Alain m’accueillit en tant que documentaliste dans son collège, qu’aussi il m’invita lors de salons et festivals qu’il proposa, à partir de 1984, à La Suze-sur-Sarthe, dont il fit, à l’instar de tant de villages et petites villes, l’une des capitales discrètes de la poésie en France. J’avoue, pour un peu sourigoler malgré la tristesse du moment, que j’avais été impressionné par un entracte-rillettes fort couru lors d’une soirée où était présenté un de nos spectacles en deuxième partie. Et pour rester dans mes souvenirs les plus marquants de ce temps-là, j’ai vu – oui, j’ai vu ! – proposé par les grands d’une école maternelle, une fourmi de dix-huit mètres. Mais si, ça a existé. » (Claude Vercey, pour la revue Décharge)

    « Je ne pouvais imaginer Alain que dans ses lectures d’éditeur, nous donnant à entendre de nouveaux textes que, souvent, pour ma part, je découvrais au Marché de la poésie à Paris. Ainsi nous avons découvert Simon Martin avec Écrits au pied de la lettre, livre qui me reste cher. Avec les éditions Donner à voir, j’ai eu une belle surprise, au-delà du poème, puisque le livre m’invitait à découper et à coller les illustrations en couleurs dans les cadres réservés. C’était Carrés de l’hypothalamus d’Alain Boudet lui-même. [Nous avons] accueilli Alain Boudet, à plusieurs reprises, lors de la Semaine de la poésie. Un poète humble, un homme délicat. Un passeur de poésie qui comprenait parfaitement comment nous naviguions tant auprès des enseignants et des scolaires que du grand public. Nous étions comme frères. Il nous a quitté, tout discrètement. Et nous avons à cœur de faire savoir cette absence qui va enfler dans les jours et les mois qui viennent. Nous avons à cœur de partager notre tristesse. » (Françoise Lalot, pour l’équipe de la Semaine de la poésie de Clermont Ferrand)

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Didier Lévy à Angers

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Le 24 octobre 2019, dans le cadre des animations initiées par le CRILJ, Didier Lévy a rencontré, à Angers, des enfants fréquentant les accueils de loisirs Le Hutreau et Paul Bert.

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    Depuis de nombreuses années, le service Enfance/Éducation de la ville d’Angers, accompagne des actions Livres et Jeux sur les différents temps de l’enfant : TAP, temps péri et extrascolaire.

    Le 24 octobre 2019, Didier Lévy est venu échanger et travailler avec 24 enfants âgés de 7 à 10 ans accueillis en centre de loisirs. Cette journée s’inscrivait dans un projet ambitieux et longuement mûri monté par le service Enfance/Éducation et avec les animateurs du centre de loisirs et Sylvie Douet, médiatrice culturelle en littérature pour la jeunesse. Le projet, centré sur la pauvreté, selon la proposition du CRILJ, et sur le vivre ensemble, a permis aux enfants de participer à différents ateliers citoyens et culturels pendant cinq jours et de rencontrer Didier Levy. Titre de cette action : Et si on jouait aux… journalistes, artistes, lecteurs, invisibles.

    L’auteur s’est d’abord prêté au jeu des questions avec les enfants pour leur permettre de découvrir son œuvre. Les travaux réalisés par les enfants les jours précédents lui ont ensuite été présentés. L’après-midi, il a animé avec eux un atelier d’écriture et de dessin à partir de son ouvrage Jouer aux fantômes (Sarbacane, 2017).

    Pour garder traces de cette semaine et en valoriser les temps forts, un album collectif a été mis en forme à partir des photographies et traces écrites témoignant des différents ateliers vécus pendant la semaine. Réalisé par les services d’imprimerie de la Ville, cet album a été remis à chacun des enfants lors d’un temps partagé Enfants, Parents  organisé à la bibliothèque de la Roseraie le samedi 16 novembre 2019. L’album, trop lourd pour être mis en ligne sur ce site, peut être demandé à Sylvie Douet. Utiliser cette adresse.

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Didier Lévy est né en 1964. C’est à Paris qu’il exerce son métier d’écrivain pour la jeunesse. Ancien journaliste (pour Biba, Notre Temps, Okapi), il s’est vite tourné vers l’écriture de livres pour enfants, avant de s’y consacrer entièrement. Attentif, avec humour et discrétion, à l’épanouissement de ses jeunes lecteurs, il a publié plus de cent ouvrages dont, chez Sarbacane, Angelman (2003), Le tatouage magique(2015), La véritable histoire du grand méchant Mordicus (2015), L’Arbre lecteur (2016). Chez Albin Michel Jeunesse, il est l’auteur, avec Benjamin Chaud, de Piccolo le pénible (2004) et de la série « La Fée Coquillette ». Didier Lévy aime les livres qui sont des voyages, extérieurs et intérieurs, et il cherche en écrivant à retrouver la spontanéité de sa propre enfance.

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Sylvie Douet, titulaire d’un Diplôme d’État d’infirmière et d’un Master Sciences de l’Éducation et de la Formation, a occupé des fonctions à l’hôpital, en milieu scolaire et dans l’éducation populaire, notamment à la Ligue de l’enseignement. « Dans ces différents contextes, j’ai travaillé avec des professionnels et des bénévoles issus d’horizons variés. De ces rencontres, j’ai beaucoup appris, utilisant dans le cadre de mon activité le livre pour enfants. Aujourd’hui, forte d’une vingtaine d’années de fréquentation de la littérature jeunesse, je suis formatrice indépendante et je conduis de nombreux projets culturels et éducatifs dans les domaines de la formation et de la médiation, toujours en lien avec la littérature de jeunesse. »

Rolande Causse à Paris

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Les mercredi 3 avril, vendredi 12 avril et mercredi 17 avril 2019, Rolande Causse a animé trois ateliers d’écriture au collège Jean de La Fontaine, à Paris, dans le seizième arrondissement.

    L’atelier s’inscrivait dans dans le cadre d’un projet conçu avec la professeure de lettres, Madame Laurence Legrand, pour les élèves d’une classe de 6ème et d’une classe de 3ème.

    La première étape  est consacré à une courte présentation de l’auteure, à une remise en contexte et à la lecture questionnée et commentée d’ouvrages puisés dans les sélections proposées par le CRILJ dans la brochure, La pauvreté dans la littérature pour la jeunesse : fictions et réalités : La petite filles aux allumettes, conte d’Hans-Christian Andersen illustré par Georges Lemoine (Gallimard jeunesse, 1978), Le mendiant de Claude Martingay illustré par Philippe Dumas (La joie de lire, 2003), Les petits bonhommes sur le carreau d’Olivier Douzou et Isabelle Simon (Gallimard jeunesse, 1998), P’tite mère de Dominique Sampiero illustré par Monike Czarnecki (Rue du monde, 2003).

    Dans la seconde étape, les élèves sont invités à « prendre le stylo » pour écrire à partir de l’imaginaire ouvert.par les lectures et les échanges. Le lancement de cette phase d’écriture s’est fait à partir des sensations, des idées, des images suscitées par la proposition d’écrire une lettre à un mendiant ou à un SDF.

    Une cinquantaine d’élèves ont ainsi été accompagnés par les propositions de l’auteure dans une réflexion sur des situations graves ou touchantes Le travail d’écriture engagé en atelier, très encourageant, a été poursuivi par l’enseignante durant le temps de classe.

    Les réponses au questionnaire que des membres du CRILJ ont fait passer à de nombreux enfants ont mis en lumière que, dans les milieux socioculturels les plus favorisés, les élèves tirent rapidement bénéfices des propositions qui leur sont faites car ils sont plus familiers du questionnement et de la mise à distance face à des sujets délicats comme celui de la pauvreté.

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Rolande Causse, écrivaine et formatrice, auteure de poèmes, d’albums et de romans, de livrets d’opéra, a fondé en 1975 La Scribure, association qui se consacre à la pratique des ateliers de lecture-écriture et à la promotion de la littérature pour la jeunesse. Elle est à l’origine du premier Festival Livres–Enfants–Jeunes qui deviendra le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis.

Lire le théâtre en famille

 

Compte-rendu un peu ancien, mais les initiatives de l’association Les Scènes appartagées vont pouvoir reprendre.

   « Le théâtre, ça se lit à voix haute, avec d’autres, et devant tout le monde « , conclut Philippe Dorin au terme d’une manifestation unique en son genre : une lecture en famille. Les Rispail, qui nous reçoivent dans cette coquette maison de brique rouge participent à une opération orchestrée par Les Scènes appartagées. Cette  association propose à des familles de lire du théâtre sous la direction d’un auteur devant amis et connaissances invités chez eux pour l’occasion.

  Trois répétitions ont suffi à Philippe Dorin pour mettre au point une demi-heure de lecture : deux courtes visites, puis une dernière séance juste avant la représentation. Entre temps, les membres de la famille ont travaillé le texte ensemble. L’auteur leur a proposé un montage d’extraits tirés de  Sacré Silence, Ils se marièrent et eurent beaucoup, Dans ma maison de papier  j’ai des poèmes sur le feu. Une quarantaine de personnes de tout âge a assisté à cette rencontre conviviale et a pu apprécier cette poésie rieuse avec une langue riche en jeux de mots et clins d’œil, défendue ici avec justesse par la grand-mère, le père, la mère et les trois enfants dont le plus petit, encore en C.P. Plaisir partagé entre lecteurs et public quand le grand frère et la jeune sœur se donnent la réplique : « L’amour c’est pas compliqué. Soit t’es un garçon, soit t’es une fille. Si t’es un garçon, pas de problème. Si t’es une fille, c’est un peu plus difficile. » (rires)

   On a pu ensuite échanger avec l’auteur et les lecteurs, autour d’un verre, en dégustant des pâtisseries apportées par les invités. On mesure alors que la littérature théâtrale est à la portée de tous et se laisse facilement appréhender, à condition d’y avoir accès. Peu de librairies ou de bibliothèques disposent d’un rayon théâtre, dans les grandes villes comme dans les petits bourgs.

    Apporter la littérature dramatique dans les endroits reculés, tel est le pari des Scènes appartagées qui irrigue l’Hexagone de pièces contemporaines : de Marseille à Paris en passant par Cavaillon ou Saran. Une vingtaine d’auteur(e)s participe à l’opération, à commencer par Luc Tartar, initiateur avec Sandrine Grataloup de ce projet qui, depuis sa création, en 2013, au Festival Petits et Grands de Nantes, a pris de l’ampleur pour essaimer jusqu’en Suisse, à l’Île de la Réunion ou encore en Pologne, Norvège et Guinée-Conacry. Il vient de recevoir le Grand Prix de l’Innovation Lecture.

    L’association s’appuie sur des théâtres partenaires. A eux de solliciter les familles et de faire le lien avec les artistes. Le Centre André Malraux, Scène de territoires d’Hazebrouck s’intéresse aux écritures contemporaines et, avec une programmation tout public, s’inscrit assez naturellement dans ce dispositif.  Pour la seizième édition de son festival  Le P’tit monde, il a sollicité Philippe Dorin et l’Anglais Mike Kenny : chacun est intervenu dans deux familles. L’un comme l’autre avouent avoir pris plaisir à cet exercice inédit : « Un rapport direct s’instaure entre notre écriture et ses lecteurs mais, curieusement, j’ai senti les enfants plus à l’aise que leurs parents », confie Mike Kenny dont Le Jardinier été créé lors de ce festival, mise en scène par Agnès Renaud.

    Philippe Dorin, lui, souligne l’appétit des familles pour ce genre de rencontres et a envie de poursuivre l’expérience.

par Mireille Davidovici  (Théâtre du blog, 2019)

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Mireille Davidovici travaille plusieurs années dans l’édition en qualité de traductrice et de directrice littéraire. Elle collabore à Marie-Claire, Politique Hebdo, L’Express, Théâtre Public, puis elle s’oriente vers la scène comme dramaturge, collaborant avec Gilberte Tsaï, Jean Benguigui et les Fédérés. Parmi ses adaptations, On achève bien les chevaux, d’après Horace Mac Coy. Sa pièce La moitié du Ciel traite de l’intégrisme catholique au IVième siècle. Auteure de poésie et de chansons, Mireille Davidovici a dirigé pendant quinze ans l’ANETH, association se consacrant aux nouvelles écritures théâtrales. Elle a publié, en 2006, chez Emile Lansman, Des auteurs en résidence, à lire et à jouer. Elle écrit régulièrement sur le site Théâtre du blog. C’est ici.

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Merci à Mireille Davidovici pour ce partage.

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BONUS

Le Théâtre de la Tête Noire à Saran a invité un auteur cinéaste à suivre le projet Lire et dire le théâtre en famille(s). Thierry Thibaudeau, réalisateur, s’est emparé de cette proposition, afin de créer un objet unique, sensible et singulier. Cette œuvre cinématographique permet la visibilité de ce projet “intimiste”, de garder une trace de l’éphémère et créer un lien entre les familles participantes en les inscrivant dans une dynamique commune. Le film est ici.

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Une maternelle à Paris

 

En janvier et février 2019, dans le cadre des animations impulsés par le CRILJ, des lectures et des débats à l’école maternelle Constantin Pecqueur à Paris.

    Des contacts ont eu lieu entre la directrice de l’école maternelle Constantin Pecqueur et une administratrice du CRILJ. La brochure La pauvreté dans la littérature pour la jeunesse : fictions et réalités a été distribuée aux enseignantes de l’école et sa lecture a convaincu les trois maîtresses de grande section de se lancer dans un projet sur ce thème.

    Les enseignantes et la directrice ont fait le choix de ne pas solliciter d’auteur ou d’illustrateur mais de mettre en place des ateliers de lecture/débat en puisant dans les sélections du CRILJ. Elles ont retenu La Cabane et Musiciens des rues, albums de Gabrielle Vincent de la série « Ernest et Célestine ». Ces ouvrages ont été fournis aux classes par le CRILJ.

    Proche de la représentation que les enfants peuvent spontanément se faire de la pauvreté, cette situation, après plusieurs lectures de l’ouvrage, a donné lieu à des échanges sur ce qu’est que la pauvreté dans le livre, mais aussi dans la vie, sur ce que des familles, des jeunes, des personnes âgées peuvent avoir à affronter au quotidien. A partir de l’exemple d’Ernest et Célestine quels choix font-ils pour tenter résoudre les problèmes qui se posent ?

    Les élèves ont retrouvé avec plaisir les deux héros dans La cabane. Cédant au désir de Célestine, Ernest accepte de lui construire une cabane au fond du jardin. A peine celle-ci terminée, Célestine découvre qu’un intrus y a pris ses quartiers. Il faudra toute la diplomatie et la gentillesse d’Ernest pour lui expliquer ce qu’est un sans-abri et l’empêcher de le chasser. Les élèves se sont immédiatement identifiés à Célestine et se sont retrouvés dans ses revendications pour récupérer « sa » cabane.

    Les arguments d’Ernest ont été repris et débattus, analysés pour que l’émotion change de camp en prenant en compte la situation d’une personne totalement démunie. Les mots et les images ont donné toute leurs dimensions a la générosité et à l’écoute de l’autre.

    Les élèves des trois classes, venant souvent de milieux défavorisés, ont été séduits par Ernest et Célestine qui, au travers de situations simples et souvent familières, parlent très bien des choses graves de la vie. Ils ont souhaité découvrir les autres histoires d’Ernest et Célestine. Les maîtresses leur ont aussi lu d’autres ouvrages, des contes et des albums, sur le thème de la pauvreté…

Réfléchir à Loos en Gohelle

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A partir de novembre 2018 et sur les mois suivants, dans le cadre des animations impulsés par le CRILJ, le Collège René Cassin de Loos en Gohelle (Pas-de-Calais) a proposé des « lectures-réflexion » dans son CDI..

    Isabelle Valdher, professeure-documentaliste au collège René Cassin de Loos en Gohelle, a organisé, au CDI, avec les élèves de niveaux 4ème et 3ème des « lectures-réflexion » sur le thème de la pauvreté. Le CRILJ a financé l’achat des ouvrages.

    Un débat est organisé avec les élèves du « Club des lecteurs » pour lancer le thème « C’est quoi la pauvreté ? » Les élèves abordent des sujet variés, on peut noter : les familles d’accueil – il y a plusieurs élèves concernés -, les réfugiés et les migrants, les SDF que l’on voit dans dans la rue.

   La professeure-documentaliste présente le CRILJ et le questionnaire qu’il a élaboré. Après un lancement collectif pour faire émerger les représentations et préciser les notions, un temps spécifique est laissé aux élèves pour remplir le questionnaire, individuellement  et anonymement.

    Il est prévu, dans la suite de l’année scolaire, d’étendre cette action pour qu’elle touche l’ensemble des 300 élèves du collège : présentation par les élèves du Club des lecteurs aux autres élèves du collège d’un réseau d’ouvrages de littérature pour la jeunesse sur le thème de la pauvreté : présentations orales  d’ouvrages lus, vitrine, mises en avant de coup de cœur, affiches, etc.

    Au sein du Club des lecteurs, un débat sera organisé sur le thème : « Peut-on parler de tout dans un livre pour la jeunesse ? Y a-t-il des sujets tabous ? »

    Isabelle Valdher a apprécié la thématique qu’elle estime inédite et elle a constaté qu’elle a été à l’origine de débats riches et passionnants qui ont permis une ouverture sur un sujet d’actualité qui pourra être abordée dans d’autres disciplines, enseignement moral et civique par exemple..

    Un regret : les ouvrages offerts par le CRILJ ne sont pas arrivés avant le premier débat et avant la passation des questionnaires. Ils ont toutefois  été utilisés dans la seconde partie de l’action et sont venus, en bonne place, enrichir le fonds du CDI du collège.

Mélusine Thiry à Descartes

 

Le jeudi 19 mars 2019, dans le cadre des animations impulsés par le CRILJ, Mélusine Thiry est intervenu auprès des élèves de grande section de l’école maternelle Côte-des-Granges à Descartes.

     Livre Passerelle a décidé de situer cette action dans un territoire rural et peu favorisé du département. C’est l’école maternelle de la commune de Descartes, dans laquelle une animatrice de l’association intervient chaque semaine, qui a été choisie.

    S’appuyant sur une sélection d’albums réunie pour constituer un fonds spécifique à la thématique de la pauvreté, des lectures individuelles se sont déroulées sur une matinée de classe avec un retour au collectif pour dégager l’idée générale. Les enfants n’ont pas fait émerger le mot « pauvre » mais ils ont été sensibles à différents signes : les maisons abimées, les besoins d’argent pour manger, les vêtements abimés. Certains enfants ont pu dire « qu’ils avaient déjà vu, en ville, près du tramway, des personnes assises par terre et qui demandaient de l’argent ou de la nourriture ».

    L’environnement social de la commune de Descartes comporte des familles en grande difficulté, toutes ont cependant un toit et des recours pour manger (restos du cœur, Croix rouge). Aucun enfant participant à cette ne « s’est senti pauvre » ou directement concerné même si leurs familles sont touchées.

    En accord avec l’institutrice, il est proposé aux enfants de travailler sur La petite fille aux allumettes, en se focalisant sur l’épisode où elle craque des allumettes en rêvant de manger et de se réchauffer.

    La rencontre avec Mélusine Thiry a débuté par une présentation de ses œuvres et l’explication de son univers artistique. Puis, à partir de l’album Allumette de Tomi Ungerer, les enfants, accompagnés par l’équipe éducative et par les animatrices de Livre Passerelle ils travaillent ensemble à la réalisation d’une grande fresque. La consigne est la suivante : « Lorsque la petite fille gratte son allumette, se projette sur les murs toutes les ombres de ce qu’elle aimerait pouvoir manger. »

   Les enfants réalisent d’abord de petites silhouettes en papier. Puis, à l’aide d’un vidéoprojecteur, ils agrandissent leurs silhouettes et les dessinent sur des grandes feuilles de papier kraft noir. Les enfants imaginent ensuite toutes les bonnes choses qu’ils aimeraient manger s’ils étaient à la place de la petite fille du conte, ces différents aliments étant, cette fois-ci, dessinés sur des feuilles de papier kraft de couleur, puis découpés et collés sur les murs de l’école autour des noires silhouettes.

    Quelques jours plus tard, l’enseignante et les enfants ont organisé un vernissage auquel les parents ont été invités. Leurs œuvres ont ainsi été dévoilées et les enfants ont parlé à tous de Mélusine Thiry et de La petite fille aux allumettes..

    Cette animation a rencontré un succès total tant auprès des enfants que des adultes et il a laissé une forte trace dans l’école, sur les murs de la cour de récréation, avec ces silhouettes visibles de tous et dans l’esprit des enfants enrichis par cette aventure,

    Le travail de Mélusine Thiry sur les ombres et les reflets a permis d’introduire une autre vision du réel, les jeux de lumière déformant les objets et donnont à voir une nouvelle représentation du monde. Qu’en est-il de l’image de la pauvreté ? Quelles représentations les enfants en ont-ils ? C’est à partir de telles questions que les albums jeunesse furent utilisés comme média culturel.. Comme Livre Passerelle l’expérimente depuis plus de vingt ans sur le territoire, l’album jeunesse par ses qualités littéraires et par la puissance des illustrations donne à voir le monde, permet de s’ouvrir à sa diversité, et aide à construire une pensée.

     Le projet s’est poursuivi par la projection du film Ernest et Célestine et par des lectures de  contes populaires tels que Le Petit Poucet et La petite fille aux allumettes. Le contact a été maintenu avec Mélusine Thiry.

    L’étape ulitime du protocole était une récolte d’informations à l’aide d’un questionnaire conçu par le CRILJ. Elle  n’a pas été mise en œuvre car pas adaptée à des enfants d’école maternelle

Mélusine Thiry, après avoir suivi des études d’histoire de l’art à Poitiers et d’histoire du cinéma à Paris VIII, Saint- Denis, débute son parcours professionnel comme éclairagiste dans le spectacle vivant où elle développe un travail de vidéaste. Attirée depuis longtemps par l’édition jeunesse, elle reçoit les prix du public et celui des adultes médiateurs au concours Figures Futures du Salon du Livre de Montreuil 2006. Les Éditiond HongFei publie son premier album, Marée d’amour dans la nuit, en 2008. Mélusine Thiry applique à l’illustration une technique de silhouettes découpées utilisée dans le théâtre d’ombres, en l’agrémentant de la couleur et de la texture de papiers disposés sur une table lumineuse puis photographiés. Dernier ouvrage : Un labyrinthe dans mon ventre (HongFei, 2015), selon, celle fois, la technique de la linogravure. Mélusine Thiry a effectué, en 2017, une résidence auprès de l’association Livre Passerelle qui a souhaité l’inviter à nouveau pour cette animation.

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Livre Passerelle est une association qui se fixe pour objectif principal de lutter préventivement contre l’illettrisme et l’échec scolaire en proposant d’introduire le plus tôt possible le livre et la lecture dans les pratiques familiales et d’encourager des pratiques personnelles chez les personnes rencontrées. Elle développe projet collectif et partagé qui implique un travail important de réseau sur chacun des territoires.

Des rencontres, des lectures

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Les actions de médiation « pauvreté »

En 2018 et 2019, le CRILJ s’est intéressé à la question des représentations de la pauvreté dans les livres écrits à destination des enfants et des jeunes et à celle des conséquences des situations de misère et de précarité sur ceux-ci et sur leur famille. En plus de l’édition d’une brochure incitative en 2018, de l’organisation d’un colloque pluri-disciplinaire, de la publication d’une bibliographie spécifique et d’un numéro des Cahiers du CRILJ en 2019, des animations (en classe, en CDI, en bibliothèque ou en centre de loisirs) ont permis à un nombre important d’enfants et aux adultes qui les accompagnaient d’amorcer de riches réflexions. À signaler également un atelier d’écriture en direction de jeunes adultes inscrits dans un parcours d’apprentissage de la langue française. Au-delà de simples lectures offertes, plusieurs des propositions ont pris la forme d’accueil d’auteurs et d’illustrateurs. C’était à Angers, Beaugency, Clamart, Descartes, Paris, Loos en Gohelle et Olivet. Grand merci à Sophie Bordet-Pétillon, Rolande Causse, Roman Dutter, Xavier Emmanuelli, Gwen Le Gac, Didier Lévy et Mélusine Thiry.

    Nous mettons en ligne, en page « Textes amis », selon un rythme et un ordre non contraignants, un ensemble de textes, dix vraisemblablement, rendant compte de ces moments. Rappel des textes publiés dans la colonne de gauche de la page d’accueil et ici en page récapitulative.

( 26 avril 2021 )

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La bibliographie est téléchargeable au format livret et au format liste déroulante. C’est .

La brochure et le numéro 10 des « Cahiers » sont en vente en page boutique. C’est ici.

Des flammes pour Ernesto

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    « Un incendie s’est déclaré dans un bâtiment inhabité de Bou, commune située à l’est de l’agglomération orléanaise, peu après 11 heures, ce jeudi 15 octobre. De nombreux gendarmes et pompiers (douze véhicules et trente soldats du feu venus des casernes de la métropole d’Orléans, de Jargeau et de Châteauneuf-sur-Loire) ont été dépêchés sur les lieux, sentier Clos-Saint-Georges, à proximité de l’église de Bou. […] Le bâtiment en question était utilisé par des intermittents du spectacle qui réalisent des costumes et des décors pour des groupes de théâtre en France. » (République du Centre – jeudi 15 octobre 2020)

    « C’est un spectacle de désolation qu’ont découvert, ce vendredi 16 octobre au petit matin, les membres de l’association Les Mécanos de la Générale basée dans la petite commune de Bou dans le Loiret. La veille, aux alentours de midi, un incendie s’est déclaré dans le bâtiment qui abrite, prés de l’église du village depuis plus d’une dizaine d’années, l’association avec son atelier de scénographie et de construction de décor. 600 m2 ont été détruits par les flammes. A l’intérieur, l’atelier de l’association mais aussi de très nombreux décors de plusieurs compagnies de théâtre et de spectacle sont partis en fumée. Seuls quelques outils et machines de l’atelier de l’association ont semble-t-il résistés aux flammes mais le hangar abritait aussi un certain nombre de décors et de matériels appartenant à diverses compagnies de spectacle ou de théâtre amateur du Loiret. Entreposés à Bou par souci d’entraide. Tous sont partis en fumée. C’est le cas des décors du Théâtre de la Tête Noire de Saran, du Théâtre de l’Imprévu rue de Bourgogne à Orléans, du matériel de l’Astrolabe à Orléans mais aussi du Bar de Loire sur les quais d’Orléans. « C’est un véritable crève cœur, témoigne Stéphane Liger, le régisseur général des Mécanos de la Générale. » (France Bleu Orléans – vendredi 16 octobre 2020)

    Dans ce bâtiment étaient entreposés les décors de plusieurs spectacles du Théâtre de la Tête Noire de Saran (Loiret) dont le cabinet de curiosités dans lequel, depuis 2015, se jouait Ah ! Ernesto, d’après Marguerite Duras et Katy Couprie (Thierry Magnier, 2013), production à laquelle le CRILJ avait apporté son soutien. Ne reste que des cendres et des souvenirs.

(octobre 2020)

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« Ernesto est un enfant rebelle qui ne veut pas aller à l’école parce que, à l’école, on lui apprend des choses qu’il ne sait pas. Il rêve d’une liberté absolue qui fera advenir les savoirs par la force des choses. Le lieu scénique est d’une beauté exceptionnelle : un petit musée circulaire, façon cabinet de curiosités ; les deux comédiens évoluent sur le pourtour, dans une proximité qui prend à témoin et implique les spectateurs assis au centre. Patrice Douchet a construit le spectacle en onze séquences qui déclenchent le rire et l’émerveillement. Sidibe Koroutoumou et Arthur Fouache sont d’une précision stupéfiante dans la rythmique et la tonalité des voix. La parodie des témoignages enfantins et les jeux avec les chewing-gums sont proches de la virtuosité. » (Roger Wallez)

http://www.theatre-tete-noire.com/tinymce/source/Cr%C3%A9ation%20:%20Ah%20Ernesto/Dossier%20Ah!%20Ernesto.pdf

TÉMOIGNAGES

« Quelle triste nouvelle ! Comme si la Tête Noire avait besoin de cela en cette période déjà si difficile pour le théâtre. Avec mon soutien et bien cordialement. » (Annie Quenet, présidente de la FOL 18)

« Les temps sont vraiment durs. Quelle horreur ! La  Région Centre-Val de Loire et leurs théâtres avaient, le 15 octobre, échappé au couvre-feu. Quelle ironie ! » (Françoise Lagarde, présidente du CRILJ)

« Triste information. Cette adaptation de Ah ! Ernesto était un travail magnifique et précieux. » (Thierry Magnier, éditeur)

« C’est un feu fou dingue qui nous rappelle l’éphémère de l’art vivant et les traces qu’il laisse de son passage. » (Dominique Bérody, conseiller artistique et littéraire)

« Somme importante pour une commune de 960 âmes, nous avons fait un don de 5000 euros à l’association pour qu’elle puisse racheter des outils et très vite se remettre au travail. La crise sanitaire a mis à mal la culture et là ce sont les troupes de théâtre qui sont touchées. » (Bruno Cœur, maire de Bou)

« Dans La pluie d’été, roman qui amplifie l’histoire d’Ernesto, Marguerite Duras donne au personnage une sœur, Jeanne, qui s’avèrera incendiaire. A Bou, c’est accidentel. » (André Delobel, administrateur du CRILJ)

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EXTRAIT

… Ernesto va à l’école pour la première fois. Il revient. Il va tout droit trouver sa mère et lui déclare :   – Je ne retournerai plus à l’école.  La maman s’arrête d’éplucher une pomme de terre.  Elle le regarde.  –  Pourquoi ? demande-t-elle.  – Parce que ! … dit Ernesto, on m’apprend des choses que je ne sais pas.  –  En voilà une autre ! dit la mère en reprenant sa pomme de terre.

… Lorsque le papa d’Ernesto rentre de son travail, la maman le met au courant de la décision d’Ernesto.  – Tiens ! dit le père, c’est la meilleure ! …

… Le lendemain, le papa et la maman d’Ernesto vont voir le maître d’école pour le mettre au courant de la décision d’Ernesto.  Le maitre ne se souvient pas d’un quelconque Ernesto.   – Un petit brun, décrit la mère, sept ans, des lunettes…   – Non, je ne vois pas d’Ernesto, dit le maître après réflexion.   – Personne le voit, dit le père ; n’a l’air de rien !   – Amenez-le moi, conclut le maître. »

( Marguerite Duras, Ah ! Ernesto, Harlin Quist et François Ruy-Vidal, 1971 )

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ÉLARGISSEMENT

L’instituteur : Le monde est loupé, Monsieur Ernesto.
Ernesto, calme : Oui. Vous le saviez, Monsieur… Oui… Il est loupé. Sourire malin de l’instituteur.
L’instituteur : Ce sera pour le prochain coup… Pour celui-ci…
Ernesto : Pour celui-ci, disons que c’était pas la peine. Sourire d’Ernesto à l’instituteur.
L’instituteur : Donc, si je vous suis bien, d’aller à l’école non plus ce n’est pas la peine… ?
Ernesto : Ce n’est pas la peine de même, Monsieur, c’est ça…
L’instituteur : Et pourquoi Monsieur ?
Ernesto : Parce que c’est pas la peine de souffrir. Silence.
L’instituteur : On apprend comment alors ?
Ernesto : On apprend quand on veut apprendre, Monsieur.
L’instituteur : Et quand on ne veut pas apprendre ?
Ernesto : Quand on ne veut pas apprendre, ce n’est pas la peine d’apprendre. Silence.
L’instituteur : Comment savez-vous, Monsieur Ernesto, l’inexistence de Dieu ?
Ernesto : Je ne sais pas. Je ne sais pas comment on le sait. Temps. Comme vous peut-être, Monsieur. Silence.
L’instituteur : On apprend comment dans votre système si on n’apprend pas ?
Ernesto : En ne pouvant pas faire autrement sans doute, Monsieur… Comment ça se passe, il me semble que j’ai dû le savoir une fois. Et puis j’ai oublié.
L’instituteur : Qu’est-ce que vous entendez par : j’ai dû le savoir ?  Ernesto crie.
Ernesto : Comment voulez-vous que je le sache, Monsieur ? Vous ne le savez pas vous-même… Vous dites n’importe quoi, il me semble…
L’instituteur : Excusez-moi, Monsieur Ernesto.

( Marguerite Duras, La Pluie d’été, POL, 1990 )

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