Le Petit Roi

 

Le Petit Roi, c’est aussi une librairie

    Ouverte il y a tout juste dix ans, la librairie Le Petit Roi est « une île aux trésors », située dans un lieu hors du temps, près d’un des plus vieux magasins de jouets de Paris, Pain d’épices. Le passage Jouffroy abrite aussi l’Hôtel Chopin, à l’aspect romantique à souhait, et le célèbre Musée Grévin.

    L’enseigne affiche le personnage créé par Otto Soglow, The Little King, apparu pour la première fois en 1931 sous forme de cartoon dans The New-Yorker, puis objet d’une série de comics jusqu’à la mort de l’auteur en 1975.

    Gallimard éditera Le Petit roi dans la collection NRF en 1938 et les éditions Pierre Horay en 1983 avec une traduction d’Édouard François et une présentation de Pierre Couperie, grand historien de la bande dessinée disparu en 2009.

    Professeur de mathématiques, bouquiniste sur les quais de la Seine, Christian Journé est un libraire passionné et militant. Ses belles étagères conservent sur trois niveaux une prodigieuse diversité de titres dans des éditions variées : ouvrages pour la jeunesse (en diverses langues), albums, romans, bandes dessinées, illustrés, comics, fanzines, affiches…

    Connaisseurs et collectionneurs, comme curieux et amateurs éclairés, petits et grands, sont accueillis tous les jours de 14 heures à 19 heures.

    Le libraire n’a pas de catalogue en ligne ni de site web. Si vous recherchez un titre ou une édition rare ou pas, voici son adresse électronique : Lepetitroi75009@gmail.com

(texte et photographies : Isabelle Valque-Reddé  – octobre 2019)

. Le Petit Roi, bandes dessinées et livres d’enfants, 39 passage Jouffroy, 75009 Paris.

Voir aussi un article ici et un reportage vidéo .

 

Isabelle Valque Reddé, après hypokhâgne, khâgne et licence de lettres modernes, fait carrière dans l’Éducation nationale dans la Sarthe, l’Aube, les Deux-Sèvres, l’Ille et Vilaine (où elle obtient le CAPES de documentation et contribue à la mise en place du DEUST Métiers du Livre de l’université de Rennes 2 où elle est en poste de 1994 à 1998) ; nommée à l’IUFM de Pau à la rentrée 1998, elle terminera son activité professionnelle à l’ESPE d’Aquitaine où elle sera chargée, en 2010, de la valorisation des collections patrimoniales issues des Écoles normales, notamment par la création de la Bibliothèque Félix Pécaut ; à noter, en 1996, un mémoire de maîtrise Relation et représentation de la lecture publique en Ille et Vilaine dans le journal Ouest-France, sous la direction, à Rennes, d’Isabelle Nières Chevrel, et, en 2004, un mémoire de DEA, Médiation et popularisation des savoirs : la littérature de colportage en France du XVIIe  au XIXe  siècle, sous la direction, à Toulouse, de Viviane Couzinet ; article récent co-écrit avec Jocelyne Liger Martin : « L’herbier, un objet patrimonial scientifique et scolaire » dans Éducation et culture matérielle en France et en Europe du XVIe siècle à nos jours (Honoré Champion, 2018) ; membre de la section locale du CRILJ Pau-Béarn dès sa création en 1999, Isabelle Valque Reddé est administratrice du CRILJ.

 

 

 

Théâtre jeune public

Le répertoire théâtral contemporain pour la jeunesse

Le jeudi 1er décembre 2016, à l’occasion d’une journée professionnelle organisée à la Médiathèque de Muret par la section locale du CRILJ/Midi-Pyrénées, Cathy Gouze explique aux présents ce qu’il faut entendre par répertoire théâtral contemporain pour la jeunesse. Le texte ci-après est la mise en forme de son intervention. Voir aussi, paru en novembre 2014, le numéro 6 des « Cahiers du CRILJ » titré Le théâtre jeune public : dans les livres, mais pas que.  Sommaire et bon de commande sont ici.

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Un univers à découvrir et à partager

    Le mot théâtre est un mot polysémique : c’est un lieu physique, mais aussi un art vivant de la scène et, surtout, un genre littéraire.

    Je vais m’attacher à parler de littérature, ce qui est le propre du CRILJ. Il ne va donc pas être question d’inciter à « monter » des pièces de théâtre avec les enfants ou de « faire jouer » des saynètes, de parler de décors et de costumes mais bien de découvrir le texte théâtral et de le faire lire au public jeune. Le genre est hybride, et si ces textes sont, de fait, écrits pour être mis en scène, leur seule lecture, silencieuse ou à haute voix, leur donne une forme particulière, une singularité que l’on peut rapprocher de la poésie.

    Le répertoire contemporain dédié à la jeunesse – on va parler ici de littérature éditée – émerge dans les années 1980. Auparavant, il y avait très peu d’auteurs. Louis Jouvet et Jean Vilar ont été animateurs, metteurs en scène, pédagogues, et ont surtout œuvré à la recherche et à la théorisation sans véritablement proposer de textes. Ensuite, dans le prolongement de 1968, nous avons vécu une période d’effervescence avec des compagnies qui ont souhaité développer des mises en scène pour la jeunesse mais sans s’appuyer véritablement sur des textes, plutôt sur des écritures collectives d’acteurs, des improvisations. Ce mouvement novateur s’est d’ailleurs appliqué également au théâtre tout public. Entre les années 1950 et 1980, l’auteur a été un peu oublié, un peu remisé. C’est aussi le moment où l’Éducation nationale se tourne vers le théâtre, mais en lui donnant une vocation plus pédagogique qu’artistique, avec un souci d’aide aux pratiques de lecture, en ateliers généralement, caractérisé par un usage de scénarios ayant souvent un fondement peu ou prou moralisateur.

    Au tournant des années 1980, nous avons assisté à un renouveau qui s’est manifesté, autour de la figure de l’auteur, par la prise de conscience que toute cette effervescence autour du « faire du théâtre » avait mis de côté la qualité littéraire des textes, le même retournement se produisant également pour le théâtre adulte. En littérature de jeunesse, ce mouvement a été amplifié par le rôle primordial joué par des éditeurs qui ont su répondre à des propositions de textes envoyés par des auteurs. C’est aussi en 1979 que sont créés par le Ministère de la Culture six centres dramatiques nationaux dédiés à la jeunesse. On s’est donc trouvé, dans ces années, dans une conjonction entre gens de théâtre qui ne trouvaient pas suffisamment de textes à monter, ministère souhaitant développer une politique volontariste en matière de théâtre jeune public et auteurs de théâtre qui avaient su rencontrer des éditeurs audacieux.

    Parmi les éditeurs pionniers, on peut citer Très tôt théâtre fondée par Dominique Bérody, les éditions La Fontaine à Lille, les éditions Léméac au Canada, les éditions Lansmann en Belgique et – revenons en France – l’école des loisirs qui fut pilote avec sa collection « Théâtre », Actes sud papiers avec la collection « Poche Théâtre » puis « Heyoka Jeunesse » dont la spécificité est d’être illustrée. Il ne faut pas oublier L’Arche et, surtout, les éditions Théâtrales qui propose la collection « Théâtrales Jeunesse » spécifiquement dédiée au jeune public par Françoise du Chaxel et Pierre Banos. Le catalogue « Théâtrales Jeunesse », aujourd’hui très bien fourni, est facilement reconnaissable à ses couvertures illustrées par des ballons de baudruche de couleurs différentes. Anecdote à propos de l’origine de ces ballons sur les couvertures : le créateur de la collection disposait d’une centaine de photos prises par un ami photographe représentant des ballons de couleurs et de tailles diverses, agencés différemment et il a décidé de les utiliser pour en faire la « marque » de la collection. Plus récemment, sont apparues de nouvelles maisons d’édition comme Espace 34 avec Sabine Chevallier qui publie des textes tout public et jeune public.

    Cette « bonne santé » de l’édition théâtrale est liée sans doute à la proposition au même moment par l’Éducation nationale de listes d’œuvres de littérature jeunesse préconisées aux enseignants de cycles 2 et 3 et, plus récemment, en collège. Les premières listes datent de 2002, en corrélation avec les programmes du premier degré, sortis la même année et qui  introduisaient officiellement la littérature de jeunesse à l »école. Ces listes ont été actualisées et enrichies en 2007 et 2013. De nombreux titres de textes théâtraux y apparaissaient, ce qui, incontestablement, a contribué à dynamiser l’édition et à « booster » les ventes.

    Je n’ai pas cité la maison d’édition Retz. On peut certes utiliser ces ouvrages mais les textes proposés ne sont pas à proprement parler des textes d’auteurs. Ce sont des textes écrits pour être joués par des enfants, des sketches, des saynètes, avec des thématiques formatées, des propositions de mises en scène trop précises, laissant peu d’espace à la création et intégrant, par nécéssité, de nombreux personnages pour que tout un groupe d’enfants puisse participer à l’activité.

    Les textes publiés par les autres éditeurs cités sont, eux, des textes d’auteurs, d’une belle qualité littéraire, écrits pour être lus par des enfants et des jeunes, mais aucunement pour être montées et joués publiquement par eux, sauf, éventuellement, à la marge ou pour de simples extraits. Notons d’ailleurs que, dans les mises au plateau de ces pièces, les rôles d’enfants sont tenus par des adultes.

    Depuis une trentaine d’années, se constitue donc un répertoire. Peu d’études ont été menées sur ce genre puisqu’il est nouveau mais nous pouvons tout de même citer les ouvrages de Nicolas Faure (Le théâtre jeune public : un nouveau répertoire, Presses universitaires de Rennes, 2009) et ceux de Marie Bernanoce (A la découverte de 101 pièces : répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse, Théâtrales, 2006) et Vers un théâtre contagieux : répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse, Théâtrales, 2012). Dans ces deux gros opus, Marie Bernadoce propose, outre une excellente introduction sur le théâtre pour la jeunesse, des présentations et analyses d’œuvres qui lui paraissent révélatrices, par leur diversité d’écriture et leur qualité littéraire, de l’évolution récente de ce répertoire. Sont proposées aussi, pour chaque titre, des suggestions et des pistes d’activités.

    Marie Bernanoce, universitaire, donne sa définition du répertoire. Le répertoire, dit-elle, est un réservoir dans lequel des metteurs en scène et des lecteurs peuvent aller puiser. C’est un ensemble d’œuvres qui se construisent les unes par rapport aux autres et qui interrogent leurs rapports respectifs et partagés au monde, aux jeunes et au théâtre.

    Ce répertoire pour la jeunesse présente quelques caractéristiques même si celles-ci sont partagées, en large partie, avec le théâtre contemporain tout public :

– la place du récit et des dialogues : les nouveaux textes font beaucoup appel au récit, ce qui peut paraître déroutant pour notre génération qui avons une représentation très classique du théâtre (alexandrins, actes, scènes, didascalies) que l’école, le collège et le lycée ont fortement contribué à entretenir. Les textes contemporains s’en éloignent beaucoup en accentuant la place du récit par rapport aux dialogues, quelquefois même inexistants. Les dialogues sont parfois de faux dialogues dans le sens où les personnages ne se parlent pas vraiment. On assiste à une autre circulation de la parole. On voit aussi apparaître des fragments (extraits de journaux intimes par exemple) ou des flash-backs, des discontinuités dans le récit. Les personnages ne sont pas nécessairement nommés : un enfant, une vieille femme, etc. On retrouve aussi des choeurs avec une succession de répliques qui ne sont pas distribuées. Imprécision aussi, parfois, pour les lieux et pour les époques. Dans le théâtre classique, la première scène est généralement une scène d’exposition destinée à mettre en place les lieux et les personnages. Dans le théâtre contemporain, on entre le plus souvent tout de suite dans le vif du sujet sans trop savoir où on est, à quelle époque on se situe, qui parle.

– dans leur organisation, les actes et les scènes sont souvent inexistants dans le théâtre contemporain. Parfois la construction, l’enchaînement sont juste notés par des numéros. On peut avoir des termes comme « passage » ou « séquence ». Dans certains textes, on peut trouver, en fin d’ouvrage, une table des matières. Certaines pièces se présentent comme de longs poèmes avec des retours à la ligne. Je pense notamment à la pièce de Daniel Danis, Le pont de pierre et la peau d’images. Il y a aussi souvent un travail de mise en page avec des espaces blancs qui ponctuent le récit. Cette manière d’inscrire le texte dans la page a un sens et il va induire la mise en voix que nous en ferons. Les didascalies existent encore : les didascalies « de régie », classiques, qui expliquent où on est, comment on parle, ou qui donnent des premières indications de mise en scène, mais aussi, parallèlement, des didascalies plus abstraites pour, par exemple, éclairer le personnage. Parfois, au contraire, il y aura absence totale de didascalies. Je pense notamment aux  pièces de Sylvain Levey. Dans d’autres textes, par contre, on trouvera de très nombreuses didascalies et leur importance aura une incidence sur notre lecture (ou, plutôt, sur nos lectures), selon la façon dont chaque lecteur singulier les interprétera.

– le travail sur la langue : on va rencontrer des écritures très poétiques, mais aussi des écritures tordues ou distordues (comme les appellent Marie Bernanoce), des langages inventés, des langues du quotidien ou, au contraire, des langages très structurés. Parfois, plusieurs formes de langage vont s’entremêler dans la même pièce. Parfois aussi des langages et des dialogues très brefs ne comportant qu’un seul mot et donnant un rythme très particulier au texte. Parfois encore des formes chorales comme je l’évoquais tout à l’heure. La question que l’on peut se poser lors d’une mise en voix avec des enfants c’est comment s’emparer de cette lecture chorale. On peut aussi rencontrer, dans les livres de Sylvain Levey particulièrement, des listes, des répétitions qui, elles aussi, donnent un rythme particulier à la lecture.

– le recours au conte : pratiquement un quart du répertoire tourne autour de réécritures et de variations relatives du conte ou autour de thématiques répandues dans les contes. Je pense à L’Ogrelet de Suzanne Lebeau qui met en scène la thématique de l’ogritude, archétype très présent dans les contes. Je pense aussi à Bruno Castan dont l’œuvre est centrée sur des réécritures de conte. On peut, par exemple, parler du Petit chaperon rouge qui a fait l’objet de moult réécritures.

– les thématiques : même si ce constat peut s’étendre aux autres genres de la littérature de jeunesse, on constate que les thématiques dans le théâtre contemporain pour la jeunesse sont souvent des thématiques fortes, difficiles, rendant parfois même les adultes réticents à leur lecture : la mort, la guerre, l’enfance maltraitée, l’anorexie, le racisme, la différence, la Shoah, la politique, l’exclusion, les difficultés sociales, sans oublier toutes les questions existentielles que peuvent se poser des enfants et des adolescents, dont l’amour bien sûr. Pour avoir une certaine expérience de lectures partagées avec des jeunes, j’ai constaté que les enfants et, à fortiori les adolescents s’emparent de ces textes sans appréhension car ils correspondent aux questions qu’ils se posent ou que leur posent leur environnement et le monde de l’image dans lequel ils évoluent. Ne pas aborder ces thématiques avec les enfants, ce serait les priver d’un lieu de débat et du questionnement qui leur est nécessaire, surtout dans notre société d’aujourd’hui.

– les auteurs de théâtre pour la jeunesse sont, le plus souvent, des auteurs de théâtre tout public. Ils ont d’ailleurs souvent commencé à écrire pour le tout public avant d’être attirés par l’écriture pour la jeunesse. Quand on interroge des auteurs sur le choix d’écrire pour les enfants, ils répondent souvent qu’en fait ils n’écrivent pas vraiment pour les enfants, mais qu’ils écrivent avec leur propre part d’enfance. Ce qu’ils disent aussi c’est que leur vocation n’est ni pédagogique, ni moralisatrice. Le répertoire contemporain de théâtre pour le jeune public n’est pas une littérature pour édifier ou pour convaincre mais une littérature pour questionner, pour évoquer, pour faire résonner, sans jugement de valeur ni prise de position. La destination à la jeunesse, c’est d’ailleurs parfois les éditeurs qui la décrètent. La détermination de l’âge est aussi sujet à discussion. Personnellement, je ne suis pas souvent d’accord avec ce qui est mentionné par les éditeurs, notamment Théâtrales, car cet âge me paraît plutôt correspondre à l’âge auquel un enfant peut voir la pièce jouée plutôt qu’à l’âge de la lecture de la pièce qui souvent demande plus de maturité. Ceci dit, un bon texte de théâtre, comme un bon album ou un bon roman, est un texte qui va avoir plusieurs niveaux de lecture.

    Marie Bernanoce dit : « Le théâtre pour la jeunesse est avant tout un théâtre pour les adultes mais se décentrant par un détour fictif en terre d’enfance. Le théâtre jeunesse regarde le monde d’un point de vue de l’enfance en fictionnalisant le point de vue naïf, natif de celui qui peut observer le monde et les autres comme s’il ne les connaissait pas, comme s’il voyait de l’extérieur par le filtre des yeux de l’enfant en soi et/ou imaginé comme récepteur. » Pour mieux appréhender cette démarche, on peut évoquer ce que Jean-Pierre Sarrazac appelle « le détour », cette vision indirecte qui permet de contourner le réalisme mais de l’aborder quand même.

    Dans les thématiques difficiles, les sujets sont toujours abordés par le détour. Le détour, cela peut être l’humour, comme dans Le Petit Chaperon Uf de Jean Claude Grumberg qui aborde la question de la Shoah. Le détour, cela peut aussi passer par le récit même, par le filtre de récitants qui vont nous raconter ce qu’ils ont vécu, donc nous rassurer sur l’issue puisqu’ils sont là pour nous le raconter. Le détour, cela peut être aussi, je le redis, le recours au conte dans lequel les enfants se sentent un peu plus en sécurité car ils en connaissent les règles. Ce peut être encore l’appel au fantastique et à l’imaginaire. Ces divers procédés sont des mises à distance que nous rencontrons toujours dans les textes de théâtre de jeunesse et qui permettent d’aborder tous les thèmes, même les plus délicats. Il me semble pouvoir affirmer aujourd’hui que je n’ai jamais lu des textes pour la jeunesse désespérants, ce qui n’est pas le cas dans le théâtre tout public. La seule précaution que vont prendre les auteurs de textes de théâtre jeunesse va être d’adapter leur forme d’écriture à l’âge du lecteur pour maintenir un voile d’espoir. Il peut être intéressant d’ailleurs avec des jeunes de travailler sur les fins qui sont souvent très ouvertes. Ces caractéristiques démontrent que, même si, aujourd’hui, on ne parlera plus de « faire du théâtre avec les enfants », on ne pourra pas faire l’impasse sur « lire et dire du théâtre » car les écritures qui leur sont adressées font appel à l’oralité. On ne peut véritablement comprendre les finesses du texte qu’avec la mise en voix, en tant que lecteur adulte et, à fortiori, avec des jeunes lecteurs. La lecture à voix haute d’un texte théâtral lève les blancs, les zones d’ombre du texte, et dans le cadre d’une lecture partagée, elle peut susciter des débats d’interprétation ou des échanges sur le ton à adopter, le choix de l’adresse, etc.

    Sylvain Levey s’adresse à des enfants de CM et de collège essentiellement. Je me souviens d’une classe de CE2 et d’une enseignante inquiète car elle trouvait les textes un peu difficiles. Mais, par la mise en voix, elle put « faire entrer » sa classe dans les textes choisis, à priori difficiles.

    Beaucoup d’auteurs de textes de théâtre pour les enfants et les adolescents viennent du monde du théâtre. Ils ont été acteurs ou ont été à la tête de compagnies. On  citera, parmi d’autres : Catherine Anne, Bruno Castan, Françoise du Chaxel, Daniel Danis, Philippe Dorin, Jean-Claude Grumberg, Stéphane Jaubertie, Joël Jouanneau, Mike Kenny, Suzanne Lebeau, Sylvain Levey, Fabrice Melquiot, Wadji Mouawad, Jean Gabriel Nordmann, Nathalie Papin, Joël Pommerat (et son écriture au plateau), Olivier Py, directeur actuel du Festival d’Avignon, Dominique Richard, Karin Serres, Catherine Zambon. Pour un certain nombre de ces auteurs, on peut dire qu’ils sont en train de « faire oeuvre » parce qu’ils ont un univers et que leurs pièces se sont écho et se répondent.

    Ces dernières années, on a vu également apparaître quelques auteurs de la littérature de jeunesse qui ont eu envie de s’essayer au texte théâtral comme Claude Ponti (avec une très jolie trilogie), Guillaume le Touze ou Marie Desplechin. Citons aussi, peu jeunesse à priori mais bien connus dans le monde du théâtre, Jean-Pierre Milovanoff, Claude Carrière, Eugène Durif.

   Bonnes lectures à tous.

( d’après la transcription de Martine Abadia )

Cathy Gouze est enseignante, formatrice et animatrice en médiation lecture et littérature de jeunesse au Centre d’animation et de documentation pédagogique de Villefranche de Lauragais (Haute-Garonne). Elle y anime des sessions de formation pour les enseignants du 1er degré et assure la coordination de projets autour du livre de Jeunesse. Titulaire d’un Master 1 de Littérature jeunesse de l’Université du Maine, elle a rédigé un mémoire intitulé Le théâtre pour la jeunesse : une littérature frontière. Elle pratique le théâtre amateur depuis de nombreuses années.

Guillermo Mordillo (1932-2019)

 

À 20 ans, alors qu’il a ouvert un studio de dessins animés, Guillermo Mordillo fuit la dictature argentine et s’installe à Lima puis à New-York. « En été 1966, je me suis retrouvé à Paris, seul, chômeur et ignorant le français. Alors, j’ai créé des dessins de presse humoristiques simplement pour manger. Des dessins sans paroles, puisque j’étais incapable d’écrire une bulle en français. » Boulet, auteur de bande dessinée, exprime son amertume : « Mordillo est mort. Tristesse. J’adorais ses livres quand j’étais petit, ses images fourmillantes de millions de détails m’ont beaucoup influencé. J’avais eu le bonheur de signer à côté de lui pendant un salon, c’était un homme très humble et d’une grande gentillesse. » Peut-être Boulet découvrit-il les dessins de Mordillo dans Pif Gadget au détour des années 1970 (ou dans Lui ou dans Marie-Claire ou dans Paris Match). Le monde entier (ou presque) se souviendra, en tout cas, des girafes improbables du dessinateur et de ses gags délicieusement caustiques à propos du football et de footballeurs.

 

En 1998, la Foire du livre de jeunesse de Bologne (Italie), avait dédié à Mordillo une exposition intitulée Le jardin secret de Mordillo conçue comme un « hommage affectueux à l’un des illustrateurs les plus importants du siècle ». Elle présentait notamment son premier dessin animé, réalisé à l’âge de 12 ans, ses premières illustrations des années 50 en Argentine et au Pérou, ses fables pour enfants sans dialogue datant des années 70 et des travaux d’animation centrés, déjà, sur les girafes.

 

 

 

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Hommage

Guillermo Mordillo Menéndez, dit Mordillo, dessinateur de bandes dessinées, est décédé le samedi 29 juin 2019. Il avait 86 ans. Né à Buenos Aires (Argentine) d’un père électricien et d’une mère employée de maison, le petit Guillermo adore jouer au football avec ses copains. Il aime les films muets de Buster Keaton, ceux de Charlie Chaplin ainsi que l’esprit surréaliste des Marx Brothers. À 13 ans, il dessine sa première bande dessinée, Pascacio El Vagabunde, qui met en scène un chaton anthropomorphe. Un an plus tard, il quitte l’école avec l’accord de ses parents pour devenir dessinateur professionnel. Il étudie un temps à l’École de journalisme de Buenos Aires et obtient son diplôme en 1948. En 1950, il rejoint le studio d’animation Burone Bruché. Parallèlement, il adapte Charles Perrault et les frères Grimm en petits livres illustrés (éditions Codex). À vingt ans, il crée le studio Galas spécialisé dans la production de dessins animés. Publication également de caricatures dans plusieurs journaux et magazines argentins dont le quotidien La Naciòn. En novembre 1955, Mordillo émigre à Lima (Pérou) où il trouve un emploi de designer indépendant. Il illustre les Fables d’Ésope pour Editorial Iberia. Illustrateur de cartes de vœux, en 1959, pour la société Hallmark de Kansas City, il s’installe, un an plus tard, aux États-Unis. Il ne travaillera pas, comme il l’aurait souhaité, pour les studios Walt Disney, mais trouvera un emploi chez Paramount Pictures où il animera les personnages de Popeye et de Petite Lulu. Il continue à concevoir des cartes de vœux pour la société Oz. Mordillo part pour Paris, en septembre 1963 où il travaille à nouveau dans la communication et dans la carte de vœux. Il est licencié en 1966 et, plutôt que de revenir en Argentine, il suit les conseils d’un ami et propose ses dessins à plusieurs journaux français de renon. Premier dessin, le 31 juillet 1966, dans le numéro 4638 du Pèlerin. Ses autres travaux paraissent ensuite, avec une belle régularité, dans Paris-Match, dans Marie-Claire, dans Lui et, à compter de 1972, dans l’hebdomadaire Pif Gadget. À la fin des années 1970, Mordillo s’installe à Ibiza (Espagne). Il conçoit quelques dessins animés, puis il se tourne vers l’Allemagne – parution de dessins dans l’hebdomadaire Stern à compter de 1968 – et vers l’Angleterre. Dès la fin des années 1970, il est l’un des dessinateurs les plus reconnaissables et les plus populaires de la planète. « Définir le style Mordillo est assez simple. Il se caractérise par une ligne claire d’une rondeur et d’une souplesse toujours égales, jamais altérées par l’usure du temps ou le changement de techniques. Par l’usage du blanc comme couleur principale donnée à ses personnages, ce afin de les faire mieux ressortir au milieu de décors chatoyants. Par l’absence de parole, enfin. Voir un phylactère s’échapper de la bouche d’un de ses protagonistes aurait été impensable. Mordillo avait mis au point un humour universel, accessible à tous, hermétique au bouillonnement du monde extérieur. Cela explique pourquoi on trouvait ses réalisations aussi bien dans les magasins de jouets de Tokyo que dans les librairies de Saint-Germain-des-Prés. » (Frédéric Potet, pour Le Monde). En 1980, Mordillo déménage à Majorque (Espagne), où il vit jusqu’en 1997. Après cette date, il s’installe à Monaco qu’il trouve tranquille mais ennuyeux. Il revient à Majorque. Mordillo qui avait déjà collaboré avec plusieurs studios pour des adaptations de ses gags en courts métrages d’animation voit son travail adapté, entre 1976 et 1981, par l’artiste slovène Miki Muster, soit 400 films d’une minute pas plus qu’achètent, à Cannes, les télévisions de plus de 30 pays, amplifiant encore sa notoriété. En France, les livres de Guillermo Mordillo sont publiés chez Harlin Quist, aux éditions du Kangourou et, très principalement, chez Vents d’Ouest et chez Glénat. Se souvenir, bien sûr, des trois livres que Mordillo dessina spécifiquement pour les jeunes lecteurs : Le Galion : Histoire flottante et – ô combien – humide des aventures d’un bateau pirate (Harlin Quist, 1970), Crazy Cowboy (Harlin Quist, 1972) et Crazy Crazy (Cogito Lattès, 1974), ouvrages régulièrement réédités. Chez Mordillo, de grandes tours, des îles désertes, des montagnes en cloche, des forêts profondes et puis des girafes maladroites, de lourds éléphants, du football, du golf et du cyclisme, des hommes et des femmes minuscules, tout en rondeur, blancs comme la craie, sans bouche, avec un gros nez. « Mes dessins ne sont pas tristes, mais mélancoliques. Je suis un homme mélancolique. Chaque jour, je vois et j’entends des choses horribles dans les informations. Les gens souffrent trop. C’est pour ça que je dessine des bandes dessinées, pour m’empêcher de pleurer. C’est une stratégie de défense. Je me défends avec la comédie et j’espère pouvoir aider d’autres personnes à se défendre contre la tristesse. » Focus sur cette image de 1973 représentant une ville grise où un homme est arrêté par la police pour avoir peint son toit de couleurs vives. Les dessins de Mordillo ont, dans les années 1970 et 1980, suscité une production imposante de produits dérivés : des calendriers, des tasses, des cartes, des peluches, des puzzles en grand nombre, des affiches qui ornèrent nombre de chambres et moult bureaux. Plus récemment, de nouvelles adaptations en films d’animation, des déclinaisons pour écrans  tactiles, un jeu iPad chez Murmex Labs, disponible dans l’Appstore.  Ultimes productions : un long métrage d’animation, Crazy Island, en 2019, et une série télévisée, « Crazy Humans », produits par le Belgian Cartoon Studio Grid, le studio allemand Wunderwerk et le groupe chinois Nebula. Nombreux prix dont, en 1984, le prestigieux Yellow-Kid. Expositions personnelles à Montréal, Buenos Aires, Genève, Hambourg, Paris, Moscou, Bratislava, Naples, Barcelone, Pékin, et, sous le titre Le jardin secret de Mordillo, à Bologne, lors de la Foire du livre pour enfants de 1998. Une simple phrase en guise de synthèse : « Empreint d’humanisme, les dessins de Mordillo ont embelli le quotidien de nombreux lecteurs avec poésie et humour. » (Thomas Figuères)

par André DELOBEL –  juin 2019

 

 

 

 

 

 

Une loi pas vraiment connue

 

 

 

Le Centre national de la littérature pour la jeunesse met en place, du mercredi 17 septembre au dimanche 1er décembre 2019, sur le site François Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France (BnF), quai François Mauriac à Paris, une exposition Ne les laissez pas lire ! Polémiques et livres pour enfants. « Interdits, censurés, critiqués, par des particuliers, des institutions, des associations, des groupes politiques, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, les livres pour la jeunesse qui ont suscité des polémiques, du début du XXe siècle à nos jours, sont nombreux. Quels sont-ils, en quoi sont-ils révélateurs d’une vision de l’enfance et d’une société face à ses tabous ? Jusqu’où doit aller la protection de l’enfance ? Où s’arrête la liberté d’expression ? Autant de questions que soulève cette exposition en présentant quelque 120 publications ayant fait débat : elle invite à explorer l’histoire de la littérature pour enfants sous l’angle des controverses et de la censure, à l’occasion des 70 ans de la loi du 16 juillet 1949 qui encadre encore aujourd’hui le travail de toute l’édition pour la jeunesse. »

 

Nous proposons ici, en accompagnement, un texte paru initialement dans le numéro 1 de novembre 2009 des « Cahiers du CRILJ » portant le titre Peut-on tout dire (et tout montrer) dans les livres pour enfants ? La publication est toujours disponible et sommaire et bon de commande peuvent être retrouvés ici, en page « Boutique » de ce site.

 

Venue de fort loin, votée après de longs débats en commission et en séance plénière, la loi numéro 49-946 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse répond très largement aux inquiétudes des familles et des éducateurs. Soucieuse en ces temps d’après-guerre de protection de la jeunesse, croyant à l’influence pernicieuse des journaux illustrés pour enfants, la représentation nationale vote un texte dans l’air du temps.

    Paulette Charbonnel s’exprime dans le numéro 5 (1953) de la revue Enfance dans un article qu’elle titre Comment a été votée la loi du 16 juillet 1949  

Refus de vote

    « Dans presque tous les groupes parlementaires, en dehors du groupe communiste qui avait eu la première initiative, cette loi suscita, notamment au MRP, des ardeurs de travail et un intérêt qui ne se démentit pas. Même le débat en seconde lecture renouvela la discussion et dut durer plusieurs heures.

    Le péril fut unanimement reconnu – quoique parfois avec bien des réserves diplomatiques – quand fut souligné l’origine américaines de la presque totalité des bandes incriminées.

    Sur un premier point : nécessité d’un contrôle, l’accord se fit.

    Mais que voulaient voir disparaître des journaux d’enfants nos parlementaires ? Il fut très difficile de parvenir à une rédaction satisfaisante de l’article 2. A cet égard, les procès-verbaux des commissions seraient même plus instructifs que les débats en séance plénière, car chacun fait entendre clairement ses préoccupations…

    Le groupe communiste eut à poser des questions comme “A-t-on le droit d’exciter à la colère contre ceux qui trahissent leur patrie ?” Ce ne fut pas simple. Et il ne faut pas croire que les questions se posèrent gratuitement. Virgile Barel, député des Alpes-Maritimes, fut battu sur un amendement qui aurait interdit à tout homme qui aurait été directeur d’une publication collaboratrice de diriger une revue pour enfants…

    (Telle qu’elle fut présentée), cette loi n’était qu’un trompe-l’œil destiné à donner quelque apaisement à une large opinion publique profondément alarmée. Mais il devenait impossible de s’attaquer aux racines du mal, bien qu’il eut été dénoncé nommément par certains membres même de la majorité.

    C’est pourquoi le groupe communiste, qui avait contribué à provoquer ces débats et participé à l’élaboration de la loi, refusa de voter ce texte tronqué. »

Extraits de la loi – version initiale de 1949

. Article 1

  Sont assujetties aux prescriptions de la présente loi toutes les publications périodiques ou non qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents.

  Sont toutefois exceptées les publications officielles et les publications scolaires soumises au contrôle du ministre de l’Éducation nationale.

. Article 2

  Les publications visées à l’article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques.

  Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse.

Conjurer les périls

    Sur les cent vingt-cinq publications visées à l’article premier examinées pendant le deuxième trimestre de l’année 49, trente-trois faisaient l’objet d’un avertissement avec mise en demeure, quinze d’un avertissement simple et sept demeuraient en suspens. Le long texte qui clôt le compte rendu des travaux de cette première année est titré Action de la commission en vue de l’amélioration de la presse enfantine. L’analyse qui, dans ce texte de 1963, précède les “recommandations élémentaires” que les commissaires souhaitent faire aux éditeurs est particulièrement incisive :

     « Une partie de la presse enfantine, avec ses intrigues tissées de perfidie, de cruauté et d’indignités morales diverses, présente un tableau de l’existence qui s’apparente à la littérature “noire”. Le succès de ce genre littéraire auprès de certains adultes n’autorise pas à l’imposer aux enfants. En effet, l’habitude de lectures sinistres leur inspirerait le pessimisme. Or il est du devoir d’une presse enfantine éducative, ou même simplement récréative, de ne pas faire perdre aux enfants un certains optimisme qu’il faut considérer comme vital, même si l’on admet qu’il y entre une part d’illusion. Il est intolérable que l’enfant soit amené à se représenter l’existence comme devant être employée toute entière à déjouer des embûches criminelles, à conjurer des périls extrêmes, à redresser des torts abominables, à lutter sans cesse contre le mensonge, l’iniquité et l’égoïsme, sans rencontrer jamais le repos de la vérité et de la justice dans la probité et l’affection.

    Les couleurs sombres d’une certaine littérature ne doivent pas obscurcir les pages des publications enfantines. Il faut que l’inspiration de celles-ci répondent aux besoins primordiaux de l’âme enfantine, qui désire et espère. »

    A la commission à qui a été confié, de par la loi, le travail de surveillance des publications destinées aux enfants et aux adolescents revient également le contrôle des “publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse”. L’article 14 élargit en effet le champ d’application du texte aux livres destinés d’évidence à des lecteurs adultes – mais pouvant tomber dans les mains des enfants. Les commissaires se mettent donc au travail et le second compte rendu des travaux de la commission de surveillance qui concerne l’année 1955 ne comporte pas moins de trois cents cinquante publications stigmatisées parce que licencieuses ou pornographiques.

Extraits de la loi – version initiale de 1949

. Article 14

  Il est interdit, sous les peines prévues au premier alinéa de l’article 7 de la présente loi, de proposer, de donner ou de vendre à des mineurs de dix-huit ans, les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse, en raison de leur caractère licencieux ou pornographique, de la place faite au crime.

  Il est interdit, au surplus et sous les mêmes sanctions, d’exposer ces publications sur la voie publique, à l’extérieur des magasins et des kiosques, ou de faire pour elles une publicité dans les mêmes conditions.

  Les interdictions ci-dessus résultent d’arrêts pris par le ministre de l’Intérieur.

 La commission chargée de la surveillance et du contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence est habilitée à signaler les publications qui lui paraîtraient justifier ces interdictions.

  La vente et l’offre couplé des publications définies à l’article 1er de la présente loi, avec des publications visées au paragraphe Ier du présent article est interdite sous peine des sanctions prévues au premier alinéa de l’article 7 de la présente loi.

Abroger ou pas

    Toute occupée à surveiller la presse enfantine et à réprimer les écrits contraires aux bonnes mœurs, la commission n’examinera aucun livre ou album pour enfants jusqu’aux années 70. Depuis cette date, environ mille ouvrages seraient examinés chaque année. Chiffre invérifiable. Ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’aucun livre ou album n’a fait l’objet d’une proposition d’interdiction. Par contre – ce que la loi ne prévoit pas –, des actions plus ou moins souterraines prenant la forme d’un courrier d’avertissement à l’éditeur ou d’une convocation sont venues enrichir la panoplie des procédures.

    Hormis chez les politiques, la question d’une abrogation de la loi de 1949 est régulièrement posée, Ce qui, compte tenu de l’évolution de la société en général et de la diversification des moyens d’information ou de divertissement en particulier, semble aller de soi pour les partisans de l’abrogation, rencontre une franche indifférence de la part des élus de la République. D’autres, après y avoir réfléchi et peu suspects de pensées liberticides, estiment que, sans loi et sans commission, le pire devient possible et qu’il est urgent d’attendre. Affaire à suivre – tant qu’il y aura des lecteurs.

André Delobel  (novembre 2009)

Prolongements :

Le texte complet de la loi, dans sa version initiale et dans la version aujourd’hui en vigueur est accessible ici, sur le site Légifrance.

André Delobel est secrétaire de la section de l’Orléanais du CRILJ depuis plus de quarante ans et fut secrétaire général au plan national de 2009 à 2019 ; co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains (Hachette, 1995), au comité de rédaction de la revue Griffon jusqu’à ce que la publication disparaisse fin 2013, il assura, pendant quatorze ans, la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans le quotidien du Loiret La République du Centre ; articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson (2014) et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des « Cahiers du CRILJ » consacré au théâtre jeune public (2014) ; contribution au catalogue Dans les coulisses de l’album : 50 ans d’illustration pour la jeunesse, 1965-2015 (CRILJ, 2015).

Gwen Le Gac encore

 

Après deux rencontres, en novembre dernier, à Beaugency (Loiret), avec des enfants du centre de loisirs et pour le tout public, à propos de Un enfant de pauvres écrit avec Christophe Honoré, l’illustratrice Gwen Le Gac a rencontré peu après une classe parisienne à la Médiathèque Françoise Sagan. Un article sur ce rendez-vous à lire ici.

 

Gwen Le Gac, née en Bretagne, vivant et travaillant désormais en Seine Saint Denis, est auteure, illustratrice, plasticienne, créatrice textile ; après des études en arts plastiques, en histoire de l’art et en arts décoratifs, faisant feu de tout bois (découpes, imprimés et impressions, broderies, couleurs), « elle navigue dans l’univers de la création et cherche une autre manière de faire l’histoire » ; sensible tant aux arts populaires longtemps méprisés qu’à l’art contemporain, attentive au métissage des mots et des images, elle imagine pour chacun de ses albums de nouvelles formes narratives et graphiques, explore l’imaginaire et interroge le rapport au réel ; parmi ses ouvrages récents : La règle d’or du cache-cache, avec Christophe Honoré (Actes Sud Junior, 2010) qui reçoit le Prix Baobab de l’album,A pas de loup, album collectif sur un texte de Germano Zullo (A pas de loup, 2014), Le Père Noël est un voleur, avec Kéthévane Davrichewy (Actes Sud Junior, 2015), S’aimer, album collectif sur un texte de Cécile Roumiguière (A pas de loup, 2016), Un enfant de pauvres, avec Christophe Honoré (Actes Sud Junior, 2016) ; Gwen Le Gac a publié trois autres albums avec Christophe Honoré et, dans la collection « Mouche » de l’école des loisirs, illustré quatre de ses « petits » romans.

 

Ungerer pour tous, Tomi pour chacun

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« Je ne saurais situer la semaine de cette décade soixante-soixante-dix qui vit fleurir tant de merveilles dans le livre de jeunesse d’alors, mais je ne peux pas oublier comment l’arrivée en service de presse de l’album Les Trois brigands fut pour moi une sorte de sésame d’un monde narratif inégalé : tout d’un coup une maitrise éloquente du trait qui dit l’essentiel, une fonction franche de la couleur, des personnages non pas réduits mais porteurs de vérités incontournables et, pour satisfaire mon esprit en quête de poil à gratter moral, une parodie en demi-teinte des récits édifiants d’alors. Bref, l’omniprésence d’Ungerer s’imposait jusqu’à aujourd’hui. Cependant, au delà de l’étroitesse de ce jugement, mon âge avancé me conduit à travailler le souvenir d’une autre lucidité. Ungerer ne fut pas d’emblée admis unanimement. Dans les ventes de livres que nous animions les réticences familiales ne manquaient pas, voire les refus, et dans le monde des « spécialistes », j’ai le souvenir de réactions indignées à propos de la vulgarité de certaines caricatures et surtout des détails malicieusement grivois glissés ici et là, quand ce ne fut pas l’indignation virulente pour La grosse bête de monsieur Racine. Il est vrai qu’on découvrit alors Ungerer auteur de dessins érotiques, sans parler de ses pamphlets contre la guerre du Viêt Nam passés généralement sous silence. Avec les années et dans le désir d’hommage qui nous envahit, Ungerer créateur d’albums de génie est inséparable d’une œuvre protéiforme qui ne cesse de nous enseigner l’humour et la tendresse. » (Bernard Epin, enseignant, critique)

« Jeunes parents, jeunes artistes, nous commencions à nous intéresser aux livres pour les  enfants. Nous avions même l’ambition d’en faire et étions à l’affut d’ouvrages sortant des classiques aux formes compassés. Nous avions acheté Max et les Maximonstres de Maurice Sendak (1967 chez Delpire) que le libraire nous avait fortement déconseillé d’offrir à un enfant et qui faisait nos délices des lectures du soir. La découverte des Larmes de crocodile d’André François (1967 chez Delpire encore) presque un livre-jeu avec sa boite à coulisse et son format atypique. Mais le récit n’avait pas les mêmes ressorts et ne suscitait pas le même attachement. Les trois brigands de Tomi Ungerer (1968 à l’école des loisirs) nous enchantèrent tout de suite. Livre simple et direct, au style allant à l’essentiel. Sans fioriture, une histoire plus transgressive encore que Max. Contrairement aux apparences, les méchants, malgré leurs attributs, n’étaient pas de si vilains bougres. Ils s’amélioraient même pour devenir de généreux donateurs, de super éducateurs mettant garçons et filles sur un pied d’égalité (cela était rare, peut-être même inédit), rendant les orphelins si heureux, qu’adultes, les enfants restaient vivre auprès des brigands, allant jusqu’à bâtir une cité idéale coiffée de chapeaux de brigands. Nous passions par des émotions diverses : tristesse pour la pauvre orpheline, peur avec l’attaque des brigands, admiration pour le courage de la petite fille, questionnement sur la richesse puis la transformation soudaine des voleurs. Nous aimions la possibilité de lire le même récit dans l’image et dans le texte, une image décomplexée, pas jolie, pas léchée, mais fonctionnelle et efficace, au service du texte. Et une critique sociale fort bien vue. Bref, un conte moderne. Vinrent ensuite, dans la même veine, Le géant de Zéralda (1971) et Pas de baiser pour maman (1976), d’autres ensuite que je ne cite pas. Même efficacité. Même esprit caustique. Même dépouillement. Même accord entre texte et image. Merci, merci et encore merci, Monsieur Ungerer. » (Claire Nadaud, auteure et illustratrice, mère et grand-mère)            

« Au Festival d’Avignon pour la troisième ou quatrième fois, je raconte à ma plus qu’amie du moment les difficultés que j’ai eu à intéresser à la lecture Marc, bon élève par ailleurs, et que cela me tracasse fort. « Pas étonnant, me répond abruptement Catherine, avec ce que tu lui donnes à lire. » Et, la voici qui, stagiaire un temps chez Delpire, m’invite à fréquenter La joie de lire, librairie fondée par François Maspéro, et de pousser jusqu’à la troisième salle, au fond, tout au fond, vraiment tout au fond. Je me rends à Paris dans les premiers jours d’août et, vraiment tout au fond, dans une armoire de récupération dont le libraire a enlevé les portes, je découvre Max et les maximonstres et Les trois brigands que j’achète immédiatement. Mes souvenirs de « premières lectures » de ces deux albums sont flous. Je n’ai finalement conservé que le sentiment d’une sorte d’évidence de la narration. Max et les maximonstres et Les trois brigands : des livres simples. Des années plus tard, autant grâce aux élèves à qui je les lirait chaque année  qu’à Isabelle Nières-Chevrel (pour Max), je comprendrais que, derrière l’évidence, se cachent souvent de belles profondeurs. » (André Delobel, formateur, secrétaire du CRILJ).

« Tomi Ungerer est un des « grands » qui ont accompagné mon chemin d’illustratrice-auteure. Pas facile de trouver les bons mots. J’ai découvert Tomi avec La grosse bête de Monsieur Racine, album hilarant, inoubliable. Et puis j’ai apprécié ses affiches, ses dessins de presse, ses drôles de sculptures. Une grande exposition en 1981, aux Musée des  Arts Décoratifs, à Paris, m’avait donné accès à son monde. Son livre Nos années de boucherie, récit de son expérience de vie autonome en Irlande continue de m’impressionner. Je sais ce que je dois à ses dessins et à ses histoires. Ses dessins-collages m’enchantent. Ses audaces, son humour, sa curiosité et sa malice nous accompagnent tous. Tomi Ungerer est, au fil des pages, un puissant exemple de liberté. » (Martine Bourre, auteure, illustratrice)

« Partir d’une image pour tirer le fil, révéler un contexte historique et éclairer une œuvre : les six affiches de Tomi Ungerer pour l’Electric Circus (1969). Situé dans cette partie de Manhattan que l’on n’appelait alors pas encore l’East Village, l’Electric Circus était en 1967 la dernière mue de ce qui avait été un restaurant polonais, un club pour immigrés allemands mélomanes, une salle polyvalente de quartier et finalement un club à la mode. « Avec des peintures phosphorescentes, des canapés, des projecteurs, l’endroit représenta, jusqu’à sa fermeture en 1971, l’apogée d’une certaine culture psychédélique new-yorkaise marquée par les premiers concerts-performances du Velvet Underground sous la houlette d’Andy Warhol. C’est au cabinet Chermayeff et Geismar que fut demandé, en 1967 et par le nouveau locataire, de développer une identité visuelle pour le lieu. Le duo de designers, composé d’Ivan Chermayeff (oui, l’ami des Trois Ourses) et Tom Geismar opta  pour l’usage intensif d’une de leur polices de caractère intitulée Electus. Radicales, leurs premières annonces pour l’Electric Circus ne comportaient que du texte, composé dans cette vibrante typographie, elle-même inspirée d’une pochette réalisée par leur ex-collaborateur Robert Brownjohn pour l’album Vibrations d’Enoch Light. Une nouvelle série d’affiches fut produite en 1969, six affiches pour être précis, qui cette fois faisaient la part belle aux dessins de Tomi Ungerer, par ailleurs ami d’Ivan Chermayeff. On y retrouve l’esprit du Fornicon (recueil de dessins sur le thème de la sexualité paru à compte d’auteur la même année) adoucis par l’humour absurde et bon enfant dont il savait faire preuve dans ses images publicitaires. Nous savons aujourd’hui que la publication du Fornicon, qui fut accompagné d’une exposition d’originaux sur la Cinquième Avenue, est à l’origine du contentieux entre Tomi Ungerer et les bibliothécaires étasuniennes qui éclata précisément en 1970 lors d’une convention. Questionné sur cette partie plus délicate de son œuvre il déclara publiquement à son interlocutrice: « If people didn’t fuck, you wouldn’t have any children, and without children you would be out of work ». S’en suivirent en quelques années un départ définitif de New York où il vivait depuis 1956 ainsi qu’un arrêt de près d’un quart de siècle de sa carrière d’auteur de livres pour enfants. À l’Electric Circus, ce n’est pas un contentieux mais une bombe qui éclata un soir de mars 1970. Ce geste opéré par un proche du Black Panther Party précipita le déclin du club qui fermerait définitivement ses portes l’année suivante. Fin de l’innocence, fin d’une époque. » (Loic Boyer, graphiste, directeur de collection)« Deux souvenirs. Le premier, lors des journées du patrimoine sur le thème de l’enfance, une journée d’études nationale avait été organisée à Annecy, avec, en invité d’honneur, pour introduire la journée, Tomi Ungerer. Nous étions plutôt intimidés par la présence de ce grand artiste, réputé provocateur. Je me souviens de sa magnifique envolée lyrique autour du terme de patrimoine qu’il refusait au profit de celui de matrimoine ! On était en 2001 et personne ne revendiquait encore ce terme. L’autre souvenir n’est pas daté. L’hôtel dans lequel il résidait souvent à Paris était situé très près de l’Heure Joyeuse. Un après-midi, il a tout simplement poussé la porte et nous avons passé une magnifique après-midi au Fonds patrimonial à rigoler. Il était très en verve et sortait aphorisme sur aphorisme. Un impromptu improbable et inoubliable. » (Viviane Ezratty, conservatrice des bibliothèques, vice-présidente du CRILJ)

« Tomi Ungerer n’est jamais venu à Moulins. Nous l’y espérions, en 2017, pour la Biennale des illustrateurs et pour la rétrospective de son travail que nous avions préparée avec le musée éponyme de Strasbourg. Nos atouts patrimoniaux étaient sûrs. Nous avons ici un retable, celui du Maitre de Moulins. Et nous savions que celui d’Issenheim avait été la plus grande révélation artistique de sa vie. Nous avions aussi des arguments, comme une réception, un discours, une médaille, comme autant d’insignes et d’honneurs rendus au grand homme, illustrations de la reconnaissance par le politique de ce génie qui aura réussi, selon sa définition du bonheur, à éblouir l’éphémère. Mais Tomi se faisait désirer. Il y avait la grande Buchmesse de Francfort au même moment. Et il y avait aussi, ici, en dépit de l’envie réjouissante d’accueillir un talent de la sorte, un brin d’appréhension. L’artiste était redouté pour le mouvement de ses humeurs, voire la mécanique de ses pulsions. Ses dessins acides, ses bons mots, tout le terreau fantasmagorique riche d’absurde et d’obsessions ne manquait pas d’inquiéter. Nous attendions  le génie autant que nous redoutions une farce à sa façon. C’est que Tomi avait une réputation à décimer les puritains, à compromettre l’établi, à troubler l’establishment. Certains prétendaient qu’il pouvait disposer sur le pommeau de sa canne une sonnette de vélo et la faire retentir si les officiels trainaient sur les discours. D’autres évoquaient même  la possibilité d’un Heidi Heido, chanson à boire grivoise aux troubles associations, qu’il a joliment illustrée, et qu’il entamait alors  avec passion pour perturber l’auditoire. Tomi n’est pas venu. Nous n’aurons pas parlé poésie. C’est qu’il connaissait Verlaine, Prévert, Queneau, Desnos. Ni du Larousse illustré dont il aimait, enfant, copier les planches. Tomi n’est pas venu. Je n’ai donc pas vu celui dont un de ses professeurs du lycée Bartoldi soulignait « l’originalité perverse et subversive ». Mais aujourd’hui qu’il n’est plus, je ne me sens pas orpheline pour autant. Pour ma part, j’ai Jean de la lune et Monsieur Racine qui m’accompagnent pour déjouer la comédie d’ici-bas. Ni soumission, ni compromission. Merci Tomi ! » (Emmanuelle Martinat-Dupré, responsable scientifique du mij, musée de l’illustration jeunesse de Moulins)

. Lu dans Les Dernières nouvelles d’Alsace du jeudi 14 février 2019 :

L’Alsace rendra, le vendredi 15 février, un dernier hommage à Tomi Ungerer en la cathédrale de Strasbourg qu’il a si souvent dessinée. La cérémonie religieuse, œcuménique et au caractère international puisqu’elle se déroulera en quatre langues, débutera à 10 heures. Elle sera présidée par l’archevêque de Strasbourg, Mgr  Luc Ravel. Un double prêche sera prononcé, d’abord par le pasteur Christian Krieger, en allemand, puis par l’archiprêtre de la cathédrale Michel Wackenheim en trois langues : français, allemand et alsacien. Le maire de Strasbourg Roland Ries prendra lui aussi la parole à l’issue de ce moment de recueillement pour rendre hommage à l’artiste décédé dans la nuit de vendredi à samedi derniers. Cette cérémonie sera aussi musicale. Elle sera ouverte par Mein Ruheplatz, chanté par la cantatrice Astrid Ruff, un chant yiddish qu’aimait beaucoup Tomi. Conformément aux dernières volontés de Tomi Ungerer, Roger Siffer interprétera quant à lui trois chansons devenues emblématiques : Ich hatt’einen Kameraden, O Strassburg et l’incontournable Die Gedanken sind frei. Les obsèques du dessinateur se sont déroulées mardi en Irlande en l’église de Saint Brendan de Bantry. À l’issue de la cérémonie, suivie d’une crémation dans l’intimité familiale, ses cendres devaient être partagées entre l’Irlande et Strasbourg.

 

Illustrations signées  : Tomi Ungerer, Fabienne Legrand, Tomi Ungerer, Olivier Brazao, Joëlle Jolivet.

Montons d’un cran

 

La journée d’étude Claude Santelli et le Théâtre de la jeunesse du jeudi 16 mai 2019, organisée à Amiens par l’université Jules Verne, aura été passionnante de bout en bout et, au-delà du voile de nostalgie qui recouvre assez souvent le propos quand est évoquée la télévision d’avant les années 1970, les intervenants éclairèrent, documents et extraits à l’appui, nombre d’aspects d’une collection qui fut l’un des grands rendez-vous familiaux de ces années.

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 La preuve par huit

    S’appuyant sur le Gargantua de François Rabelais adapté par Yves Jamiaque et réalisé par Pierre Badel, Béatrice Finet introduisit la matinée en montrant que vulgariser une œuvre patrimoniale n’est pas seulement se faire passeur ou transmetteur. Le projet est plus ambitieux et il témoigne de la haute idée que les producteurs avaient des téléspectateurs auxquels ils s’adressaient. Marguerite Mouton souligna que les cinq émissions qui donnèrent à entendre Les misérables de Victor Hugo (Cosette, Gavroche, Jean Valjean), adapté par Claude Santelli et que réalisa Alain Boudet, parvinrent, notamment grâce à une présence forte des acteurs, à parler sans pathos de misère et d’injustice aux enfants et à leur famille. Daniel Compère mit en avant que l’adaptation de L’ile mystérieuse de Jules Verne par Claude Santelli filmée par Pierre Badel fut plus soucieuse de fidélité que nombre d’hollywoodiens scénarios. Il élargit son propos à l’adaptation du roman moins connu Les Indes noires que s’approprièrent l’écrivain Marcel Moussy et le réalisateur Marcel Bluval et il commenta une série de photogrammes du Secret de Wilhelm Storitz réalisé par Eric Le Hung à partir d’une adaptation de Claude Santelli. Francis Marcoin évoqua les adaptations nombreuses de Sans famille d’Hector Malot que proposèrent le cinéma et la télévision, notant que celle du « Théâtre de la jeunesse » signée Jean-Louis Roncoroni évita habilement la plupart des moments que Yannick Andrei aurait du filmer en extérieur. Il évoqua également la comédienne Andrée Tainsy qui interprétait une convaincante mère Barberin. Intervention plus inattendue de Marcelo Publio qui, rapprochant les deux films Marie Curie, une fille de Pologne et Marie Curie, le radium (Maria Benedicto et Pierre Badel, 1965) d’un court-métrage d’animation de la série « Il était une fois… les découvreurs » (Albert Barillé, 1994), insista sur l’importance du contexte de l’époque quand on parle de sciences à la télévision, même quand il ne s’agit, pourrait-on croire, que de récits biographiques. Sylvie Pierre évoqua dans un même mouvement Claude Santelli et Jean-Christophe Averty qui travaillèrent plusieurs fois ensemble, en particulier pour un très beau Méliès, magicien de Montreuil-sous-Bois (scénarisé par Claude Veillot), les rapprochant au sein de la même volonté humaniste. Elle n’omit pas d’évoquer Les verts pâturages qui, fin 1964, divisa téléspectateurs et critiques. Christine Prévost rendit compte avec une belle précision de l’unique scénario original du « Théâtre de la jeunesse », Gaspard ou le petit tambour de la neige, émission de 1961 qui s’attachait au destin d’un enfant-soldat en Europe orientale dans les années 1750. Le scénario était de Claude Santelli et la réalisation de Jean-Pierre Marchand. En fin de journée, le réalisateur Michel Subiela s’entretint avec Noëlle Benhamou et il expliqua notamment qu’il s’amusa beaucoup à adapter la comtesse de Ségur sans même, tenta-t-il de nous faire croire, revenir aux ouvrages, se fiant uniquement à sa mémoire. C’est pas très convaincu, nous dit-il encore, qu’il accepta d’adapter Les mésaventures de Jean-Paul Choppart de Louis Desnoyers. L’émission sera réalisée par Yves-André Hubert et, diffusée en deux parties le 25 décembre 1968 et le 1ier janvier 1969, elle est la quarante-troisième et ultime proposition du « Théâtre de la jeunesse ».

    Nous devons à Prune Berge Santelli, invitée d’honneur présente tout au long de la journée, l’injonction de Man Ray qui ouvre ce compte-rendu.

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Détour papier

    En 1962, les éditions Les Yeux ouverts créent, en partenariat avec la Radiodiffusion-télévision française (RTF), une collection qui accueillerait des adaptations illustrées des émissions du « Théâtre de la jeunesse ». N’y paraitront, faute de ventes suffisantes, que trois titres : Un pari de milliardaire d’Albert Husson, Doubrovsky de Claude Santelli et L’auberge de l’ange gardien de Michel Subiela.

    Voici la note qui ouvrait chaque ouvrage :

    « Les très bons livres pour la jeunesse sont rares : on publie trop souvent des livres pleins de bons sentiments mais ennuyeux ou des histoires faciles à lire mais niaises et finalement sans intérêt.

    Claude Santelli avait eu l’heureuse idée de demander à des auteurs modernes de talent d’écrire pour la jeunesse des textes originaux en s’inspirant de grandes œuvres de la littérature mondiale. Ceux-ci diffusés depuis 1960 dans le cadre du « Théâtre de la jeunesse » connaissent un très grand succès et une audience considérable. Le meilleur compliment qu’on puisse leur faire est de constater que destinées à la jeunesse ces émissions sont suivies avec plaisir également par les adultes.

    Il est dommage de penser que ces œuvres de qualité, diffusées une fois seulement, soient perdus pour tous ceux qui pourraient prendre du plaisir à les retrouver et à les découvrir. C’est pourquoi nous avons décidé de vous offrir cette collection dans laquelle paraitront chaque année une douzaine de titres nouveaux.

    Les auteurs ont revu leur œuvre pour l’édition avec bonheur, lui conservant son intérêt dramatique, son caractère visuel et toute sa saveur.

    Le caractère visuel du récit est renforcé par les photos qui agrémentent le livre, photos prises par les photographes de la RTF et des hebdomadaires de télévision Télé 7 jours et Télé-Magazine. »

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Prendre la plume

J’ai, fin 2014, envoyé au courrier des lecteurs de Télérama la lettre ci-après. L’hebdomadaire accusa réception mais ne publia pas.

    « Au moment où j’écris, je ne connais pas encore les programmes dits de fêtes que le service public nous a prévu pour cette année. Regarderai-je même la télévision ? Je me plais juste à me remémorer les programmes de 1964 – il y a cinquante ans tout rond – que Claude Santelli coordonna et que nous regardâmes en famille et sans zapper. Il n’y avait que deux chaines – la deuxième datant du mois de juillet – et les écrans étaient en noir et blanc. C’était au temps de l’ORTF, qui n’a pas laissé que de bons souvenirs, et il y avait des speakerines. Sur la première chaine, chaque fin d’après-midi était dédiée aux enfants et Mack Sennett les faisait rire. A 20 heures 55, le programme de la soirée était annoncé sans chichi ni publicité avant et après. Aux amateurs de variétés furent offerts des shows célébrant Henri Salvador et Yves Montand, celui-ci mis en images par Jean-Christophe Averty. Le feuilleton de René Lucot adaptait Charles Dickens et narrait Les aventures de Monsieur Pickwick en douze épisodes. Chaque soirée se terminait, mezzo vocce, par La nuit écoute de Jean-Claude Bringuier qui recevait Jean-Pierre Chabrol, Max-Paul Foucher, Marguerite Long, Nicole Védrès. Mais, ce sont les dramatiques dont je garde le souvenir le plus vivace : Les Indes noires de Marcel Bluwal d’après Jules Verne, Le Petit Claus et le Grand Claus de Jacques et Pierre Prévert d’après un conte d’Andersen, La mégère apprivoisée de Pierre Badel, d’après William Shakespeare. Jean-Christophe Averty réalisa, pour la veillée de Noël, une sorte de comédie musicale, Les verts pâturages, adaptation de l’Ancien testament propre à toucher croyants et athées et qui ne plut pas à tout le monde. La réalisation de La Chauve-Souris de Johann Strauss fut confiée à Marcel Bluwal. Pour le 25 décembre et le 1er janvier après-midi, Claude Santelli mit au programme de son « Théâtre de la jeunesse », adapté par Michel Subiela,  La sœur de Gribouille d’après la comtesse de Ségur et il adapta lui-même, pour la soirée du 1er janvier, David Copperfield, d’après Charles Dickens, que Marcel Cravenne mis en images. Émissions toutes inédites, c’est-à-dire voulues et conçues spécialement pour ces fêtes, et diffusées, pour la plupart, deux fois, sur chacune des chaines. Il y eut aussi des films, pas tant que cela, et disons simplement qu’ils étaient signés Renoir, Lubitsch, Vidor, Murnau et Flaherty, von Sternberg, Dreyer. Nous étions six à la maison, regardions tout ou presque, aimions tout ou presque, aimant ces programmes-là en tout cas. Nostalgie ? Un peu certainement, mais aussi manière de (re)dire que les pionniers de la télévision, eux, croyaient à l’éducation populaire.

(André Delobel – décembre 2014)

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André Delobel est secrétaire de la section de l’Orléanais du CRILJ depuis plus de quarante ans ans et il fut secrétaire général au plan national de 2009 à 2019 ; co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains (Hachette, 1995), au comité de rédaction de la revue Griffon jusqu’à ce que la publication disparaisse fin 2013, il assura, pendant quatorze ans, la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans le quotidien La République du Centre ; articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson (2014) et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public (2014) ; contribution au catalogue Dans les coulisses de l’album : 50 ans d’illustration pour la jeunesse, 1965-2015 (CRILJ, 2015).

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Laurence Nobécourt à Beaugency

 

 

 Le mercredi 13 mars 2019, lors de la journée professionnelle du trente-quatrième Salon du livre de Beaugncy et Saint-Laurent-Nouan, mise en place par Val de lire et par le CRILJ, Laurence Nobécourt, directrice des éditions A pas de loup, éditeur « pleins feux » de l’année, a répondu, diapositives à l’appui, aux questions d’Anouk Gouzerh, nous informant sur son parcours et sur ses projets. Elle avait également rendez-vous avec le grand public, sur le salon, le dimanche 31 mars après-midi. Compte-rendu emprunté à l’indispensable journal du salon.

      Session de rattrapage, ce dimanche après-midi, au pied de la scène de la salle dite « des ateliers », pour une rencontre avec l’éditrice Laurence Nobécourt. En petit comité cette fois, nous avons profité d’un échange entre André Delobel (CRILJ) et l’éditrice dans lequel elle retraça son aventure toute neuve dans l’édition.

    Aventure qui a pris sa source dans sa première vie professionnelle où, enseignante, elle a découvert et apprécié la littérature jeunesse. Elle relate avec plaisir ses rencontres avec les auteurs et les illustrateurs qui lui ont permis d’élaborer un catalogue d’œuvres riches et originales. Plus particulièrement, en recevant dans une de ses classes Cécile Gambini avec son ouvrage Bagbada (à cette époque épuisé), jour où elle se dit : « Si j’étais éditrice, je le republierais. » Ce fut l’élément déclencheur de son aventure dans l’édition.

    Pour démarrer dans ce nouveau métier, outre un fonds financier, une connaissance des auteurs est indispensable. Ceux-ci lui ont rapidement fait confiance puisqu’ils ont trouvé chez À pas de loup une certaine forme de liberté qui leur était refusée ailleurs. Ce fut, dit belge Laurence Nobécourt, l’occasion de belles collaborations.

    Sa première publication fut un album accordéon, en noir et blanc, proposé par Albertine, dont l’univers avait séduit l’éditrice.

   À pas de loups est une maison d’édition située en Belgique où Laurence Nobécourt s’est sentie bien accueillie – les maisons d’édition pour la jeunesse y sont peu nombreuses – par les écoles et les institutions. Elle choisit désormais, parmi le millier de demandes journalières qu’elle essaie de lire consciencieusement, une histoire originale ou un projet inattendu qu’elle qualifie de coup de cœur.

    Laurence Nobécourt cite notamment deux albums :

Un tour de cochons, riche en humour avec une très belle histoire, ce qui est rare.

Mon chien, papa et moi, un politiquement incorrect (jusqu’au bout) qui fait plaisir.

   Ont aussi été évoquées les œuvres collectives, une particularité de cette maison d’édition où, par exemple, à partir d’un fil rouge, une quarantaine d’illustrateurs proposent chacun une création qu’un écrivain relie tous pour créer une histoire. Deux albums ont déjà été réalisés, À pas de loups et S’aimer. Une troisième création collective sera publiée en juin 2019 sur le thème du voyage, impliquant Carl Norac dans l’écriture et quarante illustrateurs qui ne se connaissent pas forcément

( par Cyril Varquet, étudiant, bénévole de Val de lire et membre du CA de l’association –  mai 2019 )

     Professeur des écoles pendant vingt-cinq ans, Laurence Nobécourt invite dans ses classes auteurs et illustrateurs dont Mario Ramos avec qui elle travaille plusieurs fois. Elle participe à l’écriture de Un bateau dans le ciel qui, initiée par l’illustrateur Quentin Blake, met à contribution 1800 enfants de France, Grande-Bretagne, Norvège, Singapour (Rue du monde, 2000). C’est suite à une rencontre avec Cécile Gambini (et parce que son album Bagbada est épuisé) qu’elle pense qu’elle pourrait peut-être devenir éditrice. Ensuite les choses s’accélèrent : découverte des albums de Françoise Rogier, Sophie Daxhelet et Dominique Descamps, rencontre, à Moulins, avec Albertine et Germano Zullo, formation sur le tas sur le temps libre et pendant les vacances et sortie, en 2004, de cinq premiers premiers livres, dont Bagabada de Cécile Gambini et Circus, leporello de deux mètres signé Albertine. Depuis, dix à douze livres par an – à pas de loup – pour les accompagner vraiment. « De beaux projets sont en préparation avec des habitués de la maison et d’autres talents qui nous rejoignent. Toujours ravie d’être une chef d’orchestre, une chef de meute prête à défendre ses petits. »

Albertine et Germano

Compte-rendu d’une rencontre avec Germano Zullo et Francine Bouchet organisée par le CRILJ Midi-Pyrénées, le jeudi 9 avril 2015, à la Médiathèque François Mitterrand de Muret (Haute Garonne). La soirée est modérée par Martine Tatger, libraire à Cazères, libraire à la librairie Des Livres et Délices de Cazères, et par Anne Gaudin, libraire à la Librairie Biffures de Muret. Retranscription de l’entretien : Martine Abadia pour le CRILJ Midi-Pyrénées.

Germano Zullo et Albertine : les dessous du tandem

    Martine Tatger – Cette soirée organisée par le CRILJ s’inscrit dans le cadre de la manifestation Chemin Faisant 2015 du Centre régional des lettres Midi-Pyrénées. Nous allons essayer de nous  immiscer dans l’œuvre de Germano Zullo et d’Albertine, avec Germano sans Albertine mais accompagné par Francine Bouchet, leur éditrice à La joie de lire. Recevoir un auteur ou un illustrateur au CRILJ, c’est assurer notre rôle de cellule de veille, être au cœur des livres, découvrir et surtout faire découvrir aux autres ce que nous avons coutume d’appeler « l’autre littérature ». Je suis aussi particulièrement heureuse de partager cette modération avec ma collègue Anne Gaudin, libraire à la Librairie Biffures de Muret, ce qui me permet de mettre en lumière ce soir le rôle incontournable de la librairie indépendante, notamment dans la valorisation de l’édition jeunesse. Nous allons essayer de laisser au maximum la parole à nos invités, pour ne pas camper sur notre propre interprétation de leurs albums, mais essayant plutôt de la partager avec eux et avec qui êtes venus ce soir

    Nous pensons définir votre tandem Germano-Albertine comme un duo scénariste-écrivain. Est-ce que cette définition vous convient ou en avez-vous une autre ?

     Germano Zullo – Oui, elle me convient très bien. On peut peut-être dire aussi qu’Albertine est auteur, elle n’est pas seulement la « sous-traitante » d’un écrivain. Son écriture, c’est le dessin et, dans la littérature de jeunesse, on a peut-être trop tendance à faire cette séparation entre l’illustrateur et l’auteur où les tâches sont bien déterminées ; peut-être aussi que les couples comme le nôtre sont rares dans le métier mais je pense qu’il faut considérer Albertine comme une vraie auteure.

    M.T. – Puisque cette soirée s’intitule Les dessous du tandem, vous serait-il possible de nous en dire un peu plus sur le cheminement de votre aventure commune en littérature, en écriture et à propos de la naissance de vos albums ?

     G.Z. – Ça se passe en effet très simplement : on dialogue, on a tous les deux des imaginaires très différents, des thématiques très différentes, « des fantômes bien à nous ». Il s’agit, pour créer cette troisième entité qui est notre couple créateur, pour que ces deux imaginaires puissent dialoguer et s’entendre, de beaucoup s’écouter ; si Albertine a une idée, elle va m’en faire part, je vais voir comment elle fait écho en moi, de quelle manière, comment je peux aller vers elle et vice-versa ; nous allons énormément dialoguer. Ça se passe de manière très normale : c’est comme un repas à table ou devant un match de foot, comme une conversation entre amis ou entre un homme et une femme. Ça peut aller très vite, parfois c’est un déclic, comme ce fut le cas d’un de nos premiers albums Marta et la bicyclette : au départ, on n’avait pas envie de dessiner des animaux et puis un beau matin, Albertine s’est levée et elle m’a dit : « Il faut absolument qu’on fasse un livre sur une vache. Comment ça pourrait se passer ? Comment elle pourrait s’appeler ? » A partir de là, on a discuté et j’ai construit un scénario. Le texte, les illustrations et la couleur ont été faits en une semaine. Par contre, pour d’autres albums, cela va mettre beaucoup plus de temps. Il y a pas de limite !

    Anne Gaudin – Dans vos albums, on a souvent l’impression que vous partez d’un plein d’observations. Notamment, quand on regarde des albums comme A La mer ou En Ville, on a l’impression que ce sont des observations que vous transformez. Est-ce que vos arguments de départ, si on peut dire, sont effectivement ce que vous avez vu autour de vous qui n’est pas une prise de position militante mais simplement le fruit et la maturation de vos observations préalables ?

     G.Z. – Vous avez tout à fait raison. Quand on pose cette question à Albertine, elle répond qu’effectivement elle attache beaucoup d’importance à ce qu’il se passe autour d’elle, elle est très attentive aux détails. Elle est extrêmement attentive, par exemple, à la façon dont les gens se tiennent, dont ils sont habillés, à leurs particularités. Non pas ce qui relève de la perfection mais plutôt le charme qui s’en dégage. D’ailleurs Albertine a ce réflexe, cette pulsion, on pourrait dire de toujours avoir sur elle un carnet et un crayon. Si elle était venue ce soir au restaurant avec nous, elle se serait mise à dessiner sur la table en reproduisant le portrait des uns et des autres, en réalisant ainsi de très beaux carnets spontanés, uniquement issus de l’observation. D’ailleurs l’album Bimbi fait partie de cette gestation et je suis très fier qu’elle ait fait cet album en solitaire : c’est quelque chose qu’elle a en elle et qui, grâce à ce livre, permet au public de découvrir cette écriture très singulière d’Albertine indépendamment d’un auteur qui l’accompagnerait : elle se débrouille très bien toute seule !

    A.G. – Justement, dans Bimbi, il est question d’enfants et, Martine et moi, on s’est aperçu à la lecture de votre livre Quelques années de moins que la Lune, que vous aviez un lien à l’enfance très très fort. Cela se retrouve aussi dans votre tout dernier album Mon tout petit. Ce besoin de retour à l’enfance nous a interrogées. Comment vous situez-vous par rapport à cette question ?

     G.Z. –  C’est vrai que, nous deux, on aime bien dire qu’on se sent encore enfants ; en fait, on crée comme un enfant joue. Albertine ajoute « C’est un jeu sérieux », moi je n’ai pas besoin d’ajouter cet adjectif, mais forcement qui dit jeu dit enfance. On joue à faire des livres comme on jouerait au ballon, à la balançoire ou aux petites voitures. Et puis, l’enfance c’est aussi, avant toute chose, apprendre à habiter un corps. Ce qui me fascine, après ces 46 années d’habitation de ce corps, c’est cette faculté de l’esprit de pouvoir en quelque sorte déstructurer le temps. Car si le corps, lui, se situe dans un temps donné, l’esprit, lui, peut se permettre de se balader.

    C’est une formidable machine à voyager dans le temps, on peut remonter dans les plus lointains souvenirs. Bien sûr la mémoire évolue, se transforme mais tout cela est fascinant. Donc on utilise, Albertine et moi, beaucoup cette machine à voyager dans le temps et on peut aussi se projeter dans le futur en regardant nos proches ; en ce qui me concerne, m’imaginer par exemple, en regardant mon papa, qu’à 86 ans je ressemblerai à cet homme-là. Voilà pourquoi tous les deux, nous sommes aussi intimement liés à l’enfance.

A.G. – Alors, de la même manière qu’on s’était aperçu à travers vos livres que vous étiez attachés à l’enfance et au jeu, on a aussi vu que vous aimiez bien manger. Par exemple, dans l’album Les gratte-ciel, le point central c’est la pizza. Alors, je voulais savoir quel était le plus gourmand des deux …

    G.Z. – C’est difficile à dire : on est tous les deux très gourmands. Albertine a quand même un certain nombre de plats qu’elle n’a pas très envie de goûter. Moi, je mange vraiment de tout : des abats, la cervelle, les anguilles… J’aime tout, j’aime faire des expériences, Albertine est plus réticente sur certains produits et, du coup, c’est moi qui cuisine. Je suis très fier de ça : on dit que je suis un très bon cuisinier, je ne sais pas si c’est vrai, mais, en tout cas, je suis nul dans tout ce qui est présentation. Et puis, on est gourmands de la vie aussi : être gourmand de nourriture, c’est aussi être gourmand de l’existence : on adore exister, vivre. Moi, je ne me contente jamais d’un verre d’eau ou d’un verre de vin. J’adore les bonnes choses, le tabac, les cigares, les bons alcools. Et l’air du matin, l’air du soir. Bref, je suis gourmand de l’existence.

    A.G. – Est-ce que c’est pour cela que vous avez fait sortir un génie de la boîte de raviolis ? Parce que les raviolis n’étaient pas bons et qu’il fallait un génie pour leur donner du goût ?

    G.Z. – Oui, peut-être mais j’avoue que, quand j’avais 14 ou 15 ans, même si ma mère cuisinait très bien, il y avait toutes ces nouveautés : les congélateurs et leurs barquettes Findus, comme la moussaka… Ma mère faisait les meilleures pâtes au monde, mais, à ce moment-là, il y avait les spaghettis tout préparés… Et, comme tous les enfants, je préférais cette nourriture-là à celle de maman parce que c’était une nouveauté. Maintenant, j’aime les produits de qualité et je fais semblant de connaître les vins.

( Projection du film d’animation issu de l’album Le génie de la boîte de raviolis )

     M.T. – Alors bien sûr, les conserves, les boîtes de raviolis… mais surtout la question qu’on a envie de poser à tout le monde : « Et si toi, tu avais un génie ? »

    G.Z. – Quand on pose cette question à une assistance, les deux réponses qui reviennent le plus souvent, c’est le pouvoir d’être invisible et le pouvoir de voler. Donc ce serait peut-être ma réponse.

    F.B. – Alors, moi, excepté ce qui pourrait relever de l’intimité (rires), qu’est-ce que je pourrais dire ? Que ma maison d’édition soit pérenne !

     M.T. – Une belle passerelle pour vous donner la parole. Tout à l’heure, quand nous échangions de façon informelle, vous avez parlé de projets, de l’idée de films d’animation et vous avez eu cette belle formule : « Nous avons de tellement belles matières entre les mains ».

    F.B. – C’est vrai que nous sommes souvent sollicités à la Joie de Lire, que ce soit pour des projets numériques ou pour des films d’animation. On s’est donc dit qu’on pourrait effectivement développer cela d’autant que, quand je vois ce que regardent mes petits enfants, je constate que, certes, il y a des choses intéressantes mais il y a surtout beaucoup de choses très basiques, et un peu tristes, avec des voix parfois insupportables. J’ai d’ailleurs été frappée par les voix dans le film que nous venons de visionner car elles sont très bien, très vraies. Donc je pense qu’il y a quelque chose à faire, on est en train de réfléchir : on va essayer de travailler avec l’illustrateur Yassen Grigorov, qui a déjà édité chez nous et qui a réalisé parallèlement des films pour adultes. Il va donc travailler avec nous sur ce projet. Mais tout cela est un peu frais pour vous en dire plus pour l’instant.

     M.T. – Germano, nous venons de voir le film d’animation tiré de l’album Le génie de la boîte à raviolis. Certains ont peut-être pu visionner celui réalisé à partir de l’album Les Gratte-ciel. Est-ce que c’est une idée qui vous vient en parallèle quand vous réalisez un album. Autrement dit, est-ce que vous pensez film d’animation quand vous créez un album ?

    G.Z. – Pas vraiment. Parce qu’une fois de plus, au départ, Le Génie de la boite de raviolis c’est une histoire de rencontre. Il y a eu celle avec Albertine puis celle avec Francine, notre éditrice. Et là, une autre belle rencontre. A l’occasion d’un anniversaire de la Joie de Lire qui avait lieu dans un musée à Lausanne, était invité un réalisateur Claude Barras qui est venu nous rencontrer car il aimait bien notre travail. Il avait déjà réalisé des films d’animation, quelques courts métrages : il se sentait un peu seul, il avait envie de collaborer, il a créé un structure Hélium Films qui marche bien d’ailleurs. Donc en fait, c’est bien une histoire de rencontre.

    Avec Albertine, quand on est sur un projet, on ne pense pas automatiquement au film mais on s’est constitué maintenant un petit réseau d’auteurs réalisateurs de films d’animation et on a avec eux des projets spécifiques dans le sens où on ne pense pas d’abord livre. Mais, pour résumer, on peut dire qu’on n’est quand même pas porté spontanément sur le film … peut-être que ça viendra un jour !

     M.T. : Néanmoins, ce qui nous frappait avec Anne à la lecture de vos albums, c’est qu’on entre dans vos albums comme par le prisme d’une caméra avec aussi tous les jeux de gros plan et d’arrière-plan…

    G.Z. – Oui c’est vrai qu’on est probablement influencés par plein de choses dont le cinéma. En effet Les oiseaux, Mon tout petit ou Ligne 135 et Vacances sur Vénus sont des livres qui sont construits, on pourrait dire, presque de manière cinématographique, même si sur le moment on n’y pense pas. On essaie juste de faire en sorte que ce qu’on a envie de raconter soit le plus lisible possible et puis, on est sûrement influencé par tout ce qu’on voit et tout ce qu’on lit.

( Intermède avec la lecture de Grand Couturier Raphaël par Claudine Mélard )

     M.T. : Un grand merci d’abord à Claudine Mélard pour cette belle lecture, qui plus est improvisée, qui nous prouve tout l’intérêt de la médiation à haute voix des albums pour permettre une meilleure compréhension par l’enfant du propos. Ensuite, je voudrais revenir à la genèse de cet album, bien sûr, mais aussi qu’on s’interroge sur la manière dont l’éditrice reçoit un tel projet.

     G.Z. – Oui, d’abord, je tenais à vous remercier. C’est une très très belle lecture : je suis très ému, c’est comme si je redécouvrais ce livre qui date de quelques années et, là, j’ai été ré-enchanté à votre lecture. Donc très sincèrement, merci beaucoup.

    Concernant la genèse du livre, elle est à mettre à l’actif d’Albertine qui s’intéresse depuis longtemps à la mode. Elle aime beaucoup s’habiller, les chaussures … Elle n’aime pas obligatoirement la haute couture, elle ne suit pas l’actualité à ce sujet, même si elle lit beaucoup de journaux de mode comme beaucoup de femmes, je crois. Ce qui l’intéresse, c’est la façon dont les gens s’habillent : repérer ce que portent les gens. Il nous est arrivé très souvent, parce que je suis un homme très patient, d’entrer, de ci de là, dans plein de boutiques et j’assistais à plein d’essayages et je dois constater qu’à ce sujet les vendeuses sont très expertes pour que vous repartiez avec un paquet bien rempli. Pour rentrer un peu plus dans notre intimité, je peux vous raconter une anecdote : quand on s’est rencontrés avec Albertine,nous avons fait un premier séjour de 15 jours à Rome, car Rome c’est mon pays : à cette occasion, j’ai pu m’apercevoir(et mon compte en banque aussi) de la passion d’Albertine pour les vêtements car, à cette époque, ce n’était pas elle qui m’entretenait !!! Par amour et parce que je la trouvais magnifique, nous sommes rentrés avec une garde-robe assez bien remplie. Donc, vous comprendrez mieux que cette passion puisse se retrouver dans certains albums comme Les robes.

    F.B. – La réception d’un nouveau projet, c’est toujours une découverte, une belle surprise. La Joie de Lire édite tout ce que le tandem Albertine et Germano produit, du moins pour la jeunesse. Donc, un beau jour, ils arrivent, c’est l’effervescence : on ouvre ça comme un cadeau et le cadeau est toujours beau à voir car c’est toujours la surprise, ils ne font jamais des choses semblables, à part peut-être pour les livres promenades ou la série des Marta … mais, même pour cette série, vous n’étiez pas très partants pour en faire d’autres après le premier sorti et c’est moi qui aie insisté. Car cette vache est vraiment différente, elle fait cavalier seul, si je puis dire, et au final du premier album, (Marta et la bicyclette), quand elle revient dans le troupeau, après avoir gagné son concours, toutes les vaches veulent s’exercer à la bicyclette mais elle, elle ne rêve que de partir en montgolfière. Donc je trouvais que c’était un peu bête de s’arrêter là. Mais chaque album est différent, vous avez chaque fois apporté quelque chose de particulier, ce n’est jamais répété même si on retrouve le même personnage.

    Tout ça pour dire que, pour l’ensemble de leurs albums, c’est chaque fois une émotion, c’est un travail : il y a l’humour bien sûr, mais aussi cette manière si particulière, si subtile d’amener les choses comme dans Les Gratte-ciel et le plaisir de la chute qui est toujours drôle. C’est un vrai travail de créateur et nous nous félicitons de recevoir ce travail-là. Il nous arrive de revenir sur de petites choses mais cela se fait toujours dans une grande convivialité.

     M.T. – A l’écoute de la très belle lecture qui vient de nous être faite de Grand couturier Raphaël, nous nous rendons compte de sa musicalité. Si vous deviez choisir un accompagnement musical à ce texte, lequel choisiriez-vous ?

    G.Z. – Très bonne question … piège ! Probablement un tube italien des années 50-60 ou une très belle chanson que nous aimons beaucoup de Gino Paoli qui s’appelle Il cielo in una stanza, très belle chanson d’amour, une très belle mélodie, comme seuls les italiens peuvent les faire, et que je vous invite à écouter.

( Lecture d’un extrait de l’album Le grand couturier Raphaël  par Marie-Pierre Arhainx)

     M.T. – Nous voilà de retour dans la mode mais avec un autre propos cette fois …

    G.Z. – Peut-être que Francine, tu pourrais expliquer – car Francine compte beaucoup dans ce livre.

    F.B. – Un jour, je me suis rendue dans l’atelier d’Albertine et elle m’a montré toutes ces robes qu’elle avait dessinées et je lui ai évidemment dit qu’on allait faire un livre avec tout ça : seulement, il ne fallait pas que ce soit un simple catalogue de mode, donc j’ai demandé à Germano de réfléchir à des textes, ce qui, j’avoue, est un exercice difficile d’écrire sur des images.

    G.Z. – Oui mais c’est ce genre d’expérience qui nous intéresse avec Francine. En tant qu’auteur, c’est intéressant d’accepter ces propositions-là. En tout cas, moi, j’aime rester ouvert aux propositions des autres car l’Autre m’intéresse beaucoup. D’ailleurs, un certain nombre de nos albums existent car on a su écouter ceux qui nous aiment, ceux qui nous portent comme Francine ou encore certains jeunes lecteurs. Dada, par exemple, est né de la volonté de certains jeunes femmes qui nous réclamaient des histoires de chevaux.

    Que dis-je fans et pas femmes ?! Je dois être fatigué, en fait ce qui ressort dans ce lapsus, c’est mon angoisse de la femme. Depuis quatre jours, je ne suis entouré que de femmes. j’ai toujours eu très peur des femmes. J’ai toujours eu peur de leurs mystères.

(Muret – jeudi 9 avril 2015)

 

 Roberto et Gélatine

    Gélatine, petite fille espiègle et de caractère, veut que son grand frère, Roberto, s’occupe d’elle. Mais Roberto est très occupé. Sur son ordinateur il écrit un roman, une histoire de grands pour les grands, car Roberto n’est plus un enfant… Il n’a pas le temps de s’occuper de sa petite sœur envahissante. Mais Gélatine est très insistante, tant et si bien que Roberto accepte de lui lire une histoire. Mais une seule ! Puis il retourne à son travail de grand. Vexée, Gélatine se venge en imaginant avec Doudou une histoire dans laquelle elle transforme Roberto en vilain crapaud…

    Premier opus d’une série, Roberto et Gélatine est une histoire drôle et légère sur les rapports entre frère et sœur dans laquelle tous les enfants (et tous les parents) se reconnaîtront ! Quel bonheur de constater que le couple Albertine et Germano fonctionne toujours aussi bien. Une vraie complicité dans la vie et dans le travail que l’on ressent dans le rapport texte-image, dans l’humour partagé, dans l’espièglerie et la bonne humeur du propos.

(La Joie de lire, 2019, 88 pages, 14,90 euros – sortie en librairie le 16 mai)

Créer avec Mélusine Thiry

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Dans le cadre d’un projet proposé par le CRILJ en 2018 et 2019 sur la représentation de la pauvreté dans la littérature pour la jeunesse, les élèves de la classe de grande section de l’école Côte des Granges à Descartes (Indre-et-Loire) ont, le mardi 19 mars, reçu l’illustratrice Mélusine Thiry pendant une pleine journée. Ils ont notamment regardé avec elle Allumette, album de Tomi Ungerer.

    « Lorsque la petite fille gratte son allumette, se projette sur les murs toutes les ombres de ce qu’elle aimerait pouvoir manger. »

     Dans le prolongement de cette lecture, les enfants accompagnés par l’équipe éducative de l’école et par les animatrices de Livre Passerelle ont réalisé ensemble une fresque inspirée de la technique du papier découpé et du jeu avec les ombres et la lumière cher à l’illustratrice.

    Reportage photographique, dans l’attente d’un article plus explicatif mis en ligne prochainement.

( photos : Sarah Goyer, animatrice de l’association Livres passerelle )