Beau travail, Monsieur Boudet !

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Alain Boudet, professeur de lettres, documentaliste, écrivain et poète, est décédé le 24 août 2021. Il avait 71 ans. Il vécut une enfance heureuse, entre la ville où,  chez ses parents, il inventera ses premières histoires avec des jouets miniatures, et la campagne où, avec cousins et cousines, il passe ses vacances à construire des cabanes et à jouer au chamboule-tout dans la décharge municipale. Il suit de studieuses études de lettres qu’il termine par un mémoire sur le regard dans l’œuvre de Paul Eluard. Quand il n’a pas cours, il se fait quelques sous comme magasinier, débardeur et chauffeur-livreur. Alain Boudet fut, pour l’académie de Nantes, coordonnateur en poésie, lecture et écriture. Poste fort rare, juste un peu moins hier qu’aujourd’hui. En 1984, il fonde, avec Serge Brindeau, l’association Donner à voir qui, très active, regroupe poètes, graphistes, peintres, sculpteurs et amateurs de poèmes. Interventions publiques, expositions itinérantes, édition d’anthologies d’abord, de recueils ensuite. La même année, est créée une autre association, Les Amis des printemps poétiques, qui organisera, à La Suze-sur-Sarthe, un festival très apprécié du public et des éditeurs et poètes invités. Auteur d’une trentaine d’ouvrages et soucieux de rapprocher la poésie de ses publics, Alain Boudet aura, sa vie durant, multiplié, dans sa région et au-delà, rencontres et ateliers d’écriture poétique, en milieu scolaire principalement. « Le poème se tient à l’écart et contient la parole / Qui veut le voir et l’entendre doit scruter les mots, attentif au silence, doit suivre la distance, connaître un long voyage, s’enfuir à l’intérieur / Le poème s’offre à qui tend les bras et sourit à qui sait accueillir l’inouï / À qui sait se donner, le poème se donne. » Travaillant volontiers avec des musiciens, Alain Boudet avait écrit, en 1981, avec le compositeur Étienne Daniel, L’Arbre-Chanson, œuvre pour chœur d’enfants qui fit le tour du monde francophone. « La poésie d’Alain Boudet, différant en cela radicalement de celle des ‘poètes de la modernité’, se veut avant tout une poésie de célébration consacrée à la nature, à l’homme, et à l’harmonie qui règne ou devrait régner entre eux. Elle exprime des sentiments de solidarité, d’humanisme, et semble parfois vouloir tout ignorer du mal. » (Michèle Tillard). Quelques ouvrages pour jeunes lecteurs : La Volière de Marion (Corps puce, 1990), Marie-Madeleine va-t-à la fontaine (Rue du monde, 2013 : illustration : Sandra Poirot Chérif), Cherchez la petite bête (Rue du monde, 2018 ; illustration : Solenn Larnicol). Les recueils Carrés de l’hypothalamus (Donner à Voir, 1999 ; illustrations : Yves Barré) et Le rire des cascades, (møtus, 2001 ; illustrations : Michelle Daufresne) ont été sélectionnés par le Ministère de l’Éducation nationale, pour le cycle 2, Quelques instants d’elles (Océanes, 1998 ; illustrations : Luce Guilbaud), pour le cycle 3. Le site personnel d’Alain Boudet, La toile de l’un, régulièrement mis à jour, toujours consultable, est une mine d’informations et de propositions de lecture et d’écriture. « Alain Boudet était non seulement bon poète, mais un homme de grande qualité, vraiment. Disponible, tendrement souriant, généreux et d’une modestie qui n’était pas feinte. » (François David, pour møtus). Nous avions, de nombreuses fois, accueilli Alain Boudet, à Orléans et à Beaugency, pour des ateliers qui aboutissaient, presque toujours, à la publication, en quelques dizaines d’exemplaires, d’un livre presqu’aussi vrai qu’un vrai.

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« Si je suis convaincu d’une chose, après quelques décennies de partage de la poésie avec des publics très variés en âge, aux cultures diverses et aux ancrages géographiques multiples, à l’école, au collège, au lycée, dans les crèches, les centres de loisirs, les centres sociaux, les bibliothèques et autres lieux du livre, c’est que la poésie peut parler à tous, mais que peu le savent. Trop peu. Et qu’il y a nécessité pour ceux qui le peuvent ouvrent des portes vers les poèmes, proposent des voies, conçoivent des ponts qui permettent à chacune et chacun, quel que soit son âge, de découvrir que la poésie est une parole faite pour elle, pour lui. Pour eux aussi. Et il conviendrait de mettre un “s” à “parole” car il est vrai que le poème est d’abord une voix, propre à celui ou celle qui l’écrit, avant d’être une autre voix, propre à celui ou celle qui le lit. » (Alain Boudet, dans le numéro 9 de 2016 des Cahiers du CRILJ)

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TÉMOIGNAGES

    « Évoquer Alain Boudet, c’est surtout, pour moi, revenir au temps passé des tournées, des interventions et animations auprès des élèves, des spectacles. C’est ainsi qu’Alain m’accueillit en tant que documentaliste dans son collège, qu’aussi il m’invita lors de salons et festivals qu’il proposa, à partir de 1984, à La Suze-sur-Sarthe, dont il fit, à l’instar de tant de villages et petites villes, l’une des capitales discrètes de la poésie en France. J’avoue, pour un peu sourigoler malgré la tristesse du moment, que j’avais été impressionné par un entracte-rillettes fort couru lors d’une soirée où était présenté un de nos spectacles en deuxième partie. Et pour rester dans mes souvenirs les plus marquants de ce temps-là, j’ai vu – oui, j’ai vu ! – proposé par les grands d’une école maternelle, une fourmi de dix-huit mètres. Mais si, ça a existé. » (Claude Vercey, pour la revue Décharge)

    « Je ne pouvais imaginer Alain que dans ses lectures d’éditeur, nous donnant à entendre de nouveaux textes que, souvent, pour ma part, je découvrais au Marché de la poésie à Paris. Ainsi nous avons découvert Simon Martin avec Écrits au pied de la lettre, livre qui me reste cher. Avec les éditions Donner à voir, j’ai eu une belle surprise, au-delà du poème, puisque le livre m’invitait à découper et à coller les illustrations en couleurs dans les cadres réservés. C’était Carrés de l’hypothalamus d’Alain Boudet lui-même. [Nous avons] accueilli Alain Boudet, à plusieurs reprises, lors de la Semaine de la poésie. Un poète humble, un homme délicat. Un passeur de poésie qui comprenait parfaitement comment nous naviguions tant auprès des enseignants et des scolaires que du grand public. Nous étions comme frères. Il nous a quitté, tout discrètement. Et nous avons à cœur de faire savoir cette absence qui va enfler dans les jours et les mois qui viennent. Nous avons à cœur de partager notre tristesse. » (Françoise Lalot, pour l’équipe de la Semaine de la poésie de Clermont Ferrand)

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