Alors que cette série avoisine le trois centième album, il est bon de se rappeler que Sylvain et Sylvette vit sa première parution en 1940 dans le numéro 38 d’Âmes vaillantes (journal de l’Action catholique des enfants) et non le 31 août 1941 dans Cœur vaillant- Âmes vaillantes édition rurale comme le signalent presque tous les documents à leur sujet. En vertu de quoi les éditions P’tit Louis communiquent allègrement qu’ils vont livrer huit albums en 2011 et 2012 avec Pesch pour le soixante-dixième anniversaire de la série. La création de Sylvain et Sylvette est due au champenois Maurice Cuvillier (né à Dormans dans la Marne en 1897) qui les dessine jusqu’à son décès en 1956. Sous le crayon de ce dernier, les ennemis de Sylvain et Sylvette sont au départ le Renard, le Loup et le Sanglier ; ces trois personnages historiques sont rejoints par l’Ours Martin dans le cinquième album. Les caractères se sont fixés peu à peu et ainsi le sanglier donne maintenant un regard ironique sur les échecs de ses trois autres compères ; des personnages devenus presque récurrents se sont imposés comme monsieur Tartalo (au physique bienveillant de grand-père) un bricoleur d’objets techniques présenté comme un inventeur ou un savant génial, il introduit ainsi mieux le couple d’enfants dans la modernité. Sylvain et Sylvette sont des petits fermiers vivant à la lisière de la forêt qui possèdent au départ comme animaux : l’âne Gris-Gris, l’oiseau Cui-Cui, le chat Moustachu, le lapin Panpan, la chèvre Barbichette, l’agneau Mignonnet, le rat Raton et la poule Poulette. Dans Sylvain et Sylvette aux prises avec les bêtes sauvages le dixième album de Maurice Cuvillier, les jeunes héros étaient partis en vain à la recherche de leur mère en Afrique ; ce fut l’occasion de sympathiser avec des animaux exotiques. Après le décès de Maurice Cuvillier durant une trentaine d’années par l’Angevin Pesch et le Lorrain Dubois (il y a également une demi-douzaine d’albums signés Pierre Chéry) alternent dans la création de Sylvain et Sylvette. Pesch fait entrer en scène d’autres personnages récurrents comme le canard Coincoin, Hulerbulu le hibou, Tiffany le basset, Basile le neveu de l’ours et deux animaux ayant des troubles du langage bien connus des jeunes (Cloé la tortue qui zozote et Croa le corbeau qui bégaye) et se refuse à intégrer un cochon à cet univers. Pesch a aussi introduit quelques pages de jeux en fin d’album. L’éditeur Dargaud, tout en continuant à diffuser de très nombreux titres de Pesch écrits dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, avait confié en 2001 à Bérik (Frédéric Bergèse, le fils Francis Bergèse) et Bélom (Jean-Loïc Belhomme) le soin de continuer les aventures des deux jeunes héros, aussi on leur doit huit albums dont le dernier sorti en mars 2011 s’intitule La Mare aux gags. Ce titre fait partie de l’ensemble des quelques albums que Bélom a scénarisé (reconnaissables au fait qu’ils ont dans leur titre le mot « gags ») où chaque page porte une mini-aventure propre avec une chute comique langagière ou visuelle. Réapparaissent ici ponctuellement certains détournements d’objets. Pour La Mare aux gags le scénariste a tenu à mettre en scène tous les animaux de l’univers familier des héros (les animaux rencontrés lors des quelques aventures exotiques sont absents). L’album a certains gags qui conviennent plus à un jeune lecteur et d’autres à un adulte nostalgique de la série, ayant des références culturelles en rapport. Ainsi écrire Adam et Ève sur un arbre sans dessiner les personnages en question rend l’histoire totalement hermétique aux plus jeunes et le titre savoureux « Roulez Genèze » ne fait que renforcer l’hypothèse que parfois l’humour ne peut être goûté que par une personne sortie du monde de l’enfance.
Pesch jusqu’en 2009 continuait à produire ponctuellement un album de Sylvain et Sylvette chez Dargaud ; il vient de trouver un nouvel éditeur P’tit Louis et en 2011 puis 2012 doivent paraître plusieurs petits albums écrits en collaboration pour le scénario avec tantôt le même Jean-Loïc Belhomme ou Bruno Bertin, quand il ne s’en est pas occupé lui-même. Il est à noter que ces productions chez P’tit Louis ne sont pas de la bande dessinée, le texte est au-dessus de l’unique image présente sur une page (il s’agit d’album du type de ceux du Père Castor) et comme la pagination s’arrête à 24, les histoires sont donc extrêmement courtes et s’adressent par leur intrigue à des enfants d’âge de la maternelle (à condition d’adapter certains mots de vocabulaire, on voit mal les très jeunes enfants auxquels s’adresse ce livre comprendre par exemple « importuner »). Sur les huit albums annoncés et présentés tous comme des nouveautés, plus de la moitié sont en fait des rééditions déjà parus chez des éditeurs différents il y a moins d’une génération, avec à l’origine parfois un enregistrement sonore non présent chez P’tit Louis.
Claude Dubois et Pesch ont vieilli les héros en augmentant leur taille, réduit en proportion le volume de leur tête et affinant leurs traits du visage. Dans les albums de Maurice Cuvillier, les Compères apparaissent sous un angle assez cruel, on croit bien plus à leur détermination d’éliminer Sylvain et Sylvette ; Pesch et ses scénaristes atténuent considérablement leur dangerosité. Maurice Cuvillier le créateur de la série les faisait vivre dans un monde de gags visuels où par exemple un tabouret accroché au mur servait comme cible pour lancer des anneaux autour de ses pieds, cet aspect de détournement d’un objet à d’autres fins était fidèle à l’esprit de la presse française enfantine d’avant-guerre à laquelle il avait collaboré (travaillant en particulier pour de nombreux titres de la presse Offenstadt et des éditions Montsouris) ; ces gags avaient l’avantage de relancer l’intérêt. Cette série Sylvain et Sylvette en BD plaît beaucoup aux enfants jusqu’à neuf ans ; ils y voient des jeunes déjouer leur propre crainte d’être mangé quoi que cet imaginaire soit réduit par Pesch qui parle beaucoup pour les compères de l’objectif de s’emparer des provisions de Sylvain et Sylvette (et à la rigueur de dévorer les animaux mais pas le couple d’enfants), des caractères dans la fratrie rassurants par leur conformisme (Sylvain impulsif et téméraire alors que Sylvette est plus réfléchie mais moins courageuse), un univers animalier très dense et last but not least pouvoir être un méchant élaborant des plans diaboliques à travers le personnage du renard. Heureusement depuis 1997 les éditions du Triomphe rééditent les aventures dessinées par Maurice Cuvillier qui sont parues dans Fripounet et Marisette dans les années cinquante et n’avaient pas connues d’édition en album jusqu’ici (c’est le cas pour huit titres) ainsi que plusieurs albums qui étaient parus chez Fleurus en albums souples (vingt-cinq à ce jour) ; le format à l’italienne choisi est bien plus adapté au jeune lecteur (page ayant un nombre de vignettes moindre et d’une grandeur plus importante). Il est évident que c’est vers ces rééditions qu’il faut se tourner si on veut un titre de BD qui change un peu du énième album de Pesch dont une dizaine de titres de Sylvain et Sylvette sous son crayon, sont présents dans toutes les bibliothèques de France et de Navarre. La Mare aux gags propose elle une succession de strips humoristiques qui élargissent l’univers fictionnel de Sylvain et Sylvette.
Professeur des écoles, Alain Chiron s’intéresse à l’œuvre d’Ernest Pérochon pour les jeunes, aux romans scolaires, aux journaux pour enfants de la période 1914-1918. Il s’intéresse aussi à la littérature de jeunesse francophone, à la bande dessinée, à l’histoire des sections jeunesse des bibliothèques municipales, à l’histoire des musées, à l’histoire de l’enseignement, aux instituteurs pacifistes à la Belle Epoque et aux pionniers de la pédagogie Freinet. Parmi ses publications, plusieurs contributions aux Cahiers Robinson et cinq articles (Fillette, L’Épatant, Le Bon Point amusant, Pérochon, Jauffret) dans Le Dictionnaire du livre et de la littérature de jeunesse en France (à paraître en 2011). Merci à lui pour nous avoir confié cet aricle.