Ma collaboration avec Flammarion a duré trente ans.
En 1967, au décès de mon père, l’Atelier du Père Castor n’existait plus. Encouragé par Henri Flammarion, je reprends seul la direction des collections du Père Castor et, travaillant d’abord à mon domicile, je deviens responsable d’un service à créer.
Avoir des notions sur l’édition pour entreprendre et mener à bien un programme de production pour l’enfance et la jeunesse est certes nécessaire et peut satisfaire des objectifs purement commerciaux. En ce qui me concerne, j’ai considéré l’édition comme un moyen et non comme un but, le but étant d’établir une relation privilégiée avec les enfants. Je suis en effet convaincu que dans le domaine du livre pour enfants, la première donnée, c’est l’enfant.
Mais de quel enfant s’agit-il ?
Tout ce qui touche à l’enfance est souvent abordé et vécu sur le mode de la sensibilité, voire de la sensiblerie, de l’émotion voire de la passion. C’est que, pour beaucoup d’entre nous, les seules références dont nous disposons sont nos souvenirs de l’enfant que nous croyons avoir été.
Les réactions devant l’enfant inconnu, mystérieux, varient de l’extrême solicitude à la condescendance, de la méfiance au rejet, la circonspection n’étant pas la pire des atitudes ni la plus rare. Les meilleures intentions de ceux qui s’adressent aux enfants ne sont pas suffisantes, ni les improvisations, ni les approximations. Un minimun de connaissance sur l’évolution et les besoins fondamentaux des enfants à chaque étape de leur évolution est primordiale. Espérances à sauvegarder, public à respecter, dès lors qu’on s’adresse aux enfants, ils ont droit à plus d’attention, à plus de respect, et si possible, à plus d’art que tout autre public. La responsabilité de l’éditeur est engagée et cette responsabilité n’est ni infantile, ni mineure, elle participe à l’éducation des hommes et des femmes de demain.
Education ! Le maître mot est laché ! C’est la seconde donnée du livres pour enfants. Au sens large, conduire chaque enfant sur le bon chemin. Quand on aborde cette notion après avoir évoqué l’enfance et ses lois génétiques, surgissent généralement de nouvelles interrogations, dictées elles aussi par le souvenir, le souvenir de l’éducation qu’on a cru recevoir.
La tâche, la mission que remplissent les éducateurs relève plus d’un art que d’une technique, un art aux exigences sévères, où tout est toujours à recommencer, génération après génération.
Nées de l’Education Nouvelle, les productions du Père Castor sont restées fidèles à ces principes.
Cette Education Nouvelle à l’écoute des besoins des enfants, et non de leurs caprices, suppose la faculté de s’adapter dans l’instant aux situations les plus imprévisibles. Elle reste aujourd’hui la meilleure voie, pour répondre à ce qu’exprimait Jean Piaget, « si l’on désire, comme le besoin s’en fait sentir, former des individus capables d’invention et faire progresser la société de demain, il est clair qu’une éducation de la découverte active du vrai est supérieure à une éducation ne consistant qu’à dresser les sujets à vouloir par volontés toutes faites et à savoir par vérités simplement acceptées ». Les enfants d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, pour développer harmonieusment leurs facultés ont besoin, autant que d’air pour respirer, d’un climat de sécurité affective, de valorisation, d’encouragement dans leurs entreprises constructives, surtout pour celles qui sont audacieuses, pourvu que les mesures de sécurité soient prises. Leurs rencontres avec le livre doit se faire sous le signe du plaisir, voire de la jubilation, c’est la troisième donnée du livres pour enfants.
En étant fidèle à des principes éprouvés, les albums du Père Castor ont été récompensés par la fidélité du public. Ainsi les créations d’hier sont devenues aujourd’hui des classiques. N’est-il pas émouvant d’observer les enfants découvrant avec le même plaisir l’album Très fort illustré par Helen Oxenbury paru cette année et Michka illustré par Rojan qui avait déjà régalé leurs parents et leurs grands-parents ? Ce paradoxe n’est-il pas la cinquième donnée du livre pour enfants ?
Le public des enfants représente un « marché » de plus en plus âprement disputé. La notion de rentabilité si, à elle seule, n’est pas suffisante, est cependant indispensable pour la création de nouveautés. C’est la cinquième donnée du livre pour enfants, valable pour toute autre production.
C’est pour toutes ses qualités de défricheur, de bâtisseur, de pionnier, que le castor a été choisi comme symbole d’un programme constructif qui accompagne les enfants dès leurs premiers balbutiements, avant même un an, jusqu’à la lecture maîtrisée, dix ou douze ans et même au-delà.
Parmi les fleurons de nos éventails figure L’imagier du Père Castor. Il s’adresse aux enfants qui ne savent pas encore parler. Toujours réimprimé, sans cesse remis au goût du jour par de nouvelles images, souvent copié, il a été traduit dans de nombreux pays grands ou petits et il existe une version en Croate, en Serbe, en Zoulou, en Islandais.
A la pointe du progrès, le Père Castor a immortalisé des albums comme La Vache orange illustré par Lucile Butel, Marlaguette illustré par Gerda, La plus mignonne des petites souris illustré par Etienne Morel, Roule Galette illustré par Pierre Belvès, et plus de cent autres albums qui défient le temps et dont les illustrateurs et les auteurs de renon ont souvent fait leur début à l’Atelier.
Et puis, « Le Roman des bêtes » dont chaque album présente un animal dans son milieu naturel à travers un roman palpitant pour découvrir la poésie de réel et le merveilleux de la nature, « Les enfants de la terre », collection d’amitié internationale qui souhaite faire comprendre et respecter les différences. la collection « Castor-Poche » riche de plus de cinq cent titres que les enfants achètent eux-mêmes et qui s’est imosée parmi les deux ou trois premières ollections de poche.
« L’enfant n’est pas un vase qu’on emplit mais un feu qu’on allume. » disait Rabelais. Le Père Castor ajoute : « Je n’ai pas voulu des livres-entonnoirs, j’ai rêvé d’albums-éticelles. »
Nous espérons donner aux enfants qui aiment nos livres, l’envie de grandir et d’entreprendre dans l’enthousiasme. Toutes ces convictions, je me suis employé à les faire partager avec tout ceux qui ont travaillé à l’Atelier du Père Castor.
Aujours’hui, le Père Castor présente un catalogue de plus de mille titres, solide par son fond, diversifié par ses nouveautés. Avec une équipe de dix professionnels de l’édition et, pour certains, de l’éducation, un local bien adapté, un équipement informatique complet. Sous la direction d’Hélène Wadowski qui, a ma demande, a bien voulu nous rejoindre, ce département va franchir de nouvelles étapes.
Si le Père Castor est devenu une institution, il a ses exigences dans le choix de ses critères, le plus important étant le respect de sa marque, pour lui-même et pour son public. Il a fallu du temps pour l’affirmer, il faudra de la vigilance pour la maintenir.
Et pour l’avenir ?
Le 30 juin 1996, je quitte mes fonctions de Directeur du département tout en poursuivant mes fonctions de Directeur de collections, je suis « le garant de la continuité de l’esprit et de l’image qui caractérise ‘le Père Castor » dans ses aspects créatifs, artistiques et pédagogiques notamment, tels qu’ils ont été conçus et développés à l’usage de la jeunesse. » Tout en participant aux comités de lecture et aux comités graphiques, je me consacrerai plus spécialement au développement des K7 audio et des CD-rom.
Enfin, en tant que Président de l’Association des Amis du Père Castor, crée en 1995, j’aurai à réaliser le projet de la ‘Maison du Père Castor », qui sera élaboré dans le cadre du Pôle d’Economie du Patrimoine, ce projet ayant été retenu par la Délégation à l’Aménagement du Territoire Régionale.
( texte paru dans le n° 57 – novembre 1996 – du bulletin du CRILJ )
Né à Prague en 1932, fils de Paul Faucher, le Père Castor, et de Lida Durdikova, François Faucher a pour parrain Frantisek Bakulé, éducateur adepte de l’Education Nouvelle, auquel il consacrera un livre, Franticek Bakule, l’enfant terrible de la pédagogie tchèque, en 1998. Après une enfance limousine, il choisit de devenir typographe. Mort de sa mère, deux ans de guerre d’Algérie. Son père, malade, l’appelle auprès de lui, chez Flammarion. Conditions de travail difficiles et licenciement en 1962. Rappelé par Henri Flammarion, François Faucher renouvellera et prolongera l’œuvre de son père à la mort de celui-ci en 1967. On lui doit notamment le premier Album du Père Castor en occitan et la création de la collection « Castor-Poche ». Parti à la retraite en 1996, il préside l’Association des Amis du Père Castor qui, en 2006, inaugure à Meuzac (Haute-Vienne) une « Maison du Père Castor », lieu de mémoire destiné aux éducateurs, bibliothécaires, spécialistes de la littérature pour l’enfance et la jeunesse et simples curieux.