À 20 ans, alors qu’il a ouvert un studio de dessins animés, Guillermo Mordillo fuit la dictature argentine et s’installe à Lima puis à New-York. « En été 1966, je me suis retrouvé à Paris, seul, chômeur et ignorant le français. Alors, j’ai créé des dessins de presse humoristiques simplement pour manger. Des dessins sans paroles, puisque j’étais incapable d’écrire une bulle en français. » Boulet, auteur de bande dessinée, exprime son amertume : « Mordillo est mort. Tristesse. J’adorais ses livres quand j’étais petit, ses images fourmillantes de millions de détails m’ont beaucoup influencé. J’avais eu le bonheur de signer à côté de lui pendant un salon, c’était un homme très humble et d’une grande gentillesse. » Peut-être Boulet découvrit-il les dessins de Mordillo dans Pif Gadget au détour des années 1970 (ou dans Lui ou dans Marie-Claire ou dans Paris Match). Le monde entier (ou presque) se souviendra, en tout cas, des girafes improbables du dessinateur et de ses gags délicieusement caustiques à propos du football et de footballeurs.
En 1998, la Foire du livre de jeunesse de Bologne (Italie), avait dédié à Mordillo une exposition intitulée Le jardin secret de Mordillo conçue comme un « hommage affectueux à l’un des illustrateurs les plus importants du siècle ». Elle présentait notamment son premier dessin animé, réalisé à l’âge de 12 ans, ses premières illustrations des années 50 en Argentine et au Pérou, ses fables pour enfants sans dialogue datant des années 70 et des travaux d’animation centrés, déjà, sur les girafes.
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Hommage
Guillermo Mordillo Menéndez, dit Mordillo, dessinateur de bandes dessinées, est décédé le samedi 29 juin 2019. Il avait 86 ans. Né à Buenos Aires (Argentine) d’un père électricien et d’une mère employée de maison, le petit Guillermo adore jouer au football avec ses copains. Il aime les films muets de Buster Keaton, ceux de Charlie Chaplin ainsi que l’esprit surréaliste des Marx Brothers. À 13 ans, il dessine sa première bande dessinée, Pascacio El Vagabunde, qui met en scène un chaton anthropomorphe. Un an plus tard, il quitte l’école avec l’accord de ses parents pour devenir dessinateur professionnel. Il étudie un temps à l’École de journalisme de Buenos Aires et obtient son diplôme en 1948. En 1950, il rejoint le studio d’animation Burone Bruché. Parallèlement, il adapte Charles Perrault et les frères Grimm en petits livres illustrés (éditions Codex). À vingt ans, il crée le studio Galas spécialisé dans la production de dessins animés. Publication également de caricatures dans plusieurs journaux et magazines argentins dont le quotidien La Naciòn. En novembre 1955, Mordillo émigre à Lima (Pérou) où il trouve un emploi de designer indépendant. Il illustre les Fables d’Ésope pour Editorial Iberia. Illustrateur de cartes de vœux, en 1959, pour la société Hallmark de Kansas City, il s’installe, un an plus tard, aux États-Unis. Il ne travaillera pas, comme il l’aurait souhaité, pour les studios Walt Disney, mais trouvera un emploi chez Paramount Pictures où il animera les personnages de Popeye et de Petite Lulu. Il continue à concevoir des cartes de vœux pour la société Oz. Mordillo part pour Paris, en septembre 1963 où il travaille à nouveau dans la communication et dans la carte de vœux. Il est licencié en 1966 et, plutôt que de revenir en Argentine, il suit les conseils d’un ami et propose ses dessins à plusieurs journaux français de renon. Premier dessin, le 31 juillet 1966, dans le numéro 4638 du Pèlerin. Ses autres travaux paraissent ensuite, avec une belle régularité, dans Paris-Match, dans Marie-Claire, dans Lui et, à compter de 1972, dans l’hebdomadaire Pif Gadget. À la fin des années 1970, Mordillo s’installe à Ibiza (Espagne). Il conçoit quelques dessins animés, puis il se tourne vers l’Allemagne – parution de dessins dans l’hebdomadaire Stern à compter de 1968 – et vers l’Angleterre. Dès la fin des années 1970, il est l’un des dessinateurs les plus reconnaissables et les plus populaires de la planète. « Définir le style Mordillo est assez simple. Il se caractérise par une ligne claire d’une rondeur et d’une souplesse toujours égales, jamais altérées par l’usure du temps ou le changement de techniques. Par l’usage du blanc comme couleur principale donnée à ses personnages, ce afin de les faire mieux ressortir au milieu de décors chatoyants. Par l’absence de parole, enfin. Voir un phylactère s’échapper de la bouche d’un de ses protagonistes aurait été impensable. Mordillo avait mis au point un humour universel, accessible à tous, hermétique au bouillonnement du monde extérieur. Cela explique pourquoi on trouvait ses réalisations aussi bien dans les magasins de jouets de Tokyo que dans les librairies de Saint-Germain-des-Prés. » (Frédéric Potet, pour Le Monde). En 1980, Mordillo déménage à Majorque (Espagne), où il vit jusqu’en 1997. Après cette date, il s’installe à Monaco qu’il trouve tranquille mais ennuyeux. Il revient à Majorque. Mordillo qui avait déjà collaboré avec plusieurs studios pour des adaptations de ses gags en courts métrages d’animation voit son travail adapté, entre 1976 et 1981, par l’artiste slovène Miki Muster, soit 400 films d’une minute pas plus qu’achètent, à Cannes, les télévisions de plus de 30 pays, amplifiant encore sa notoriété. En France, les livres de Guillermo Mordillo sont publiés chez Harlin Quist, aux éditions du Kangourou et, très principalement, chez Vents d’Ouest et chez Glénat. Se souvenir, bien sûr, des trois livres que Mordillo dessina spécifiquement pour les jeunes lecteurs : Le Galion : Histoire flottante et – ô combien – humide des aventures d’un bateau pirate (Harlin Quist, 1970), Crazy Cowboy (Harlin Quist, 1972) et Crazy Crazy (Cogito Lattès, 1974), ouvrages régulièrement réédités. Chez Mordillo, de grandes tours, des îles désertes, des montagnes en cloche, des forêts profondes et puis des girafes maladroites, de lourds éléphants, du football, du golf et du cyclisme, des hommes et des femmes minuscules, tout en rondeur, blancs comme la craie, sans bouche, avec un gros nez. « Mes dessins ne sont pas tristes, mais mélancoliques. Je suis un homme mélancolique. Chaque jour, je vois et j’entends des choses horribles dans les informations. Les gens souffrent trop. C’est pour ça que je dessine des bandes dessinées, pour m’empêcher de pleurer. C’est une stratégie de défense. Je me défends avec la comédie et j’espère pouvoir aider d’autres personnes à se défendre contre la tristesse. » Focus sur cette image de 1973 représentant une ville grise où un homme est arrêté par la police pour avoir peint son toit de couleurs vives. Les dessins de Mordillo ont, dans les années 1970 et 1980, suscité une production imposante de produits dérivés : des calendriers, des tasses, des cartes, des peluches, des puzzles en grand nombre, des affiches qui ornèrent nombre de chambres et moult bureaux. Plus récemment, de nouvelles adaptations en films d’animation, des déclinaisons pour écrans tactiles, un jeu iPad chez Murmex Labs, disponible dans l’Appstore. Ultimes productions : un long métrage d’animation, Crazy Island, en 2019, et une série télévisée, « Crazy Humans », produits par le Belgian Cartoon Studio Grid, le studio allemand Wunderwerk et le groupe chinois Nebula. Nombreux prix dont, en 1984, le prestigieux Yellow-Kid. Expositions personnelles à Montréal, Buenos Aires, Genève, Hambourg, Paris, Moscou, Bratislava, Naples, Barcelone, Pékin, et, sous le titre Le jardin secret de Mordillo, à Bologne, lors de la Foire du livre pour enfants de 1998. Une simple phrase en guise de synthèse : « Empreint d’humanisme, les dessins de Mordillo ont embelli le quotidien de nombreux lecteurs avec poésie et humour. » (Thomas Figuères)
par André DELOBEL – juin 2019