Rencontre avec Géraldine Alibeu

 

 

    Le 21 octobre 2010, à Muret, dans le cadre de la manifestation régionale Chemin Faisantet dans la salle Agora Peyramont prêtée par la municipalité, le CRILJ Midi Pyrénées a reçu Géraldine Alibeu.

    Après un historique rapide de l’association, de sa création en 1963 à Paris à son déménagement en 2009 à Orléans, après une présentation de ses objectifs tant au plan national que régionale, la soirée se poursuit par la projection d’un petit film d’animation, auto-interview réalisée par Géraldine Alibeu en septembre 2009.

    C’est Martine Tatger, libraire à Cazères, qui anime la rencontre.

Votre entrée en littérature, en plaisir de lire, s’est-elle faite par le texte ou par l’image ?

    Vraiment par le dessin. J’étais mauvaise lectrice. J’ai décidé de faire l’Ecole des Arts Décoratifs à Strasbourg. On y expérimente beaucoup les deux premières années. Et je me suis rendu compte que ce que j’aimais, correspondait à l’illustration. La peinture à l’huile et le dessin, c’est ma technique principale. A cause de Suzanne Janssen. Je l’ai copiée ! Le livre et les choses concrètes du métier me restaient peu connus Le côté narratif m’intéressait. A l’école, je me suis mise à lire, à m’intéresser aux livres. Mon premier livre est La Mariguita. Etre illustratrice est très confortable. On réagit à quelque chose qui existe déjà. On peut aussi lire mes albums sans le texte.

Vous avez écrit trois albums. Mais comment faites-vous le choix d’illustrer le texte d’un auteur ?

    Pour Quelle est ma couleur ? c’est un illustrateur qui m’a proposée car il n’avait pas envie lui de l’illustrer. Il y avait peu de contraintes, juste un petit garçon et tout le reste était dans l’imaginaire. Ça met en valeur notre travail quand on nous fait confiance pour raconter quelque chose. On peut aussi feuilleter un album sans le lire.

Comment avez-vous reçu le texte de On n’aime pas les chats ? Il est très fort ! C’est comme un engagement ?

    Quand j’accepte un texte, c’est d’abord parce qu’il est bien écrit. Surtout que, dans ce cas, c’est un sujet un peu casse-gueule. L’éditrice m’avait laissé du temps, ce qui me convenait bien. Le sujet homme-animal me plaisait. C’est typiquement un travail d’illustrateur de trouver une forme pour les personnages. Cela s’apprend à l’école. Le dessin est parfois comme une forme d’hypnose, on dessine, on dessine et, peu à peu, quelque chose apparaît. On n’aime pas les chats est un livre où il fallait créer de l’action. L’image de tous dans l’avion a été faite avant la mode des charters.

Vous avez choisi de greffer votre histoire dans l’histoire ?

    Chacun peut y voir des choses bizarres, mais on ne peut pas dire les nationalités ni les âges. J’ai mis des petits clins d’œil…

Cet album là, vous l’avez pris avec ce titre ?

    Oui. J’ai décidé pour les oiseaux, mais pas pour les chats.

Le chat est un personnage qui vous touche, que vous placez souvent dans vos histoires… Quand vous illustrez un album, vous vous adressez à un public jeunesse ?

    Au début, je n’y connaissais rien. Je côtoie peu les enfants. Maintenant davantage car je vais dans les classes. Les héros de mes histoires sont rarement des enfants. Quand je dessine ou quand j’écris, je pense à quelqu’un en particulier, un peu comme quand on écrit une lettre. J’ai mis ma technique en place sur La Mariguita. L’idée est née d’un livre que j’étais en train de lire, de Richard Brautigan, La vengeance de la pelouse. Je vous en en lit un passage… J’ai commencé à dessiner puis m’est venue l’idée de ces deux personnages. Il y a, avec ce livre, des choses qui m’interpellent. Construire, coudre, les histoires d’amour, j’aime bien.

Tout à l’heure, vous avez dit : J’ai mis au point ma technique avec La Mariguita…

    Oui, je travaille en papiers découpés et je peins à l’huile. Je copie Susan Janssen ! Je pose les papiers coupés et quand ça va, j’appelle ma secrétaire pour coller ! Non, ce n’est pas vrai ! En fait, je mets beaucoup de temps pour le premier dessin et les autres viennent en fonction.

Comment mettez-vous en place ?

    Il y a une ou deux étapes de crayonnage, mais c’est juste pour savoir. Jz vous montre, en projection, des crayonnés de Jardins suspendus. Le premirt dessin est important, et quand je trouve que l’expression est bonne, j’arrête là.

Etes-vous en contact avec les auteurs des albums ?

    Je ne cherche pas trop à parler avec les auteurs, cela pourrait faire naître des idées faisant interférence avec les miennes. Sauf pour Les trois fileuses car l’éditrice a souhaité qu’on parle ensemble, l’auteur et moi. On a explicité le sens de certains termes. J’aime beaucoup cet auteur, Corinne Bille, qui a écrit La balade en traîneau, mais je ne l’ai jamais rencontrée. Les saisonniers est une livre qui existait déjà aux USA, écrit par une vieille dame, Eve Bunting.

Dans Le Petit Chaperon Rouge a des soucis, les arbres sont rouges. Pourquoi ?

    L’illustration est en sérigraphie. Avec le guide des couleurs, j’ai trouvé que ça allait bien avec l’hiver.

Comment vous est venue l’idée de L’un d’entre eux ?

    Ça faisait un moment que ce livre était dans ma tête. J’avais envie d’un livre avec des personnages sans relations particulières, envie de dessiner certaines scènes. Par exemple, à la piscine, il y a plein de gens, on ne sait pas qui connaît qui, on s’aborde parfois… J’ai alors l’idée d’un livre sur la piscine. Je commence à écrire plein de phrases qui concernent ces personnages, sans beaucoup de contraintes. Il y a une espèce de manif, des personnages un peu monomaniaques comme la dame qui a une épine dans le pied. Je cherche à faire des dessins qui donnent raison à l’histoire.

J’ai l’impression que vous avez dessiné avec une caméra…

    C’est plus facile de dessiner des personnages en maillot de bain, leur corps, leurs expressions. Aujiourd’hui, j’ai envie de dessiner mes livres avec des images qui parlent de moi. Quand je fais un livre toute seule, je prends beaucoup de temps. C’est un luxe, et j’adore ! Je suis bien dedans. La plage, je l’ai dessinée en hiver. Y a un truc physique du dessin, ça évoque les vacances ! Et je n’en prends pas souvent.

Et les chevaliers dans les dunes ?

    En fait, vous avez l’explication dans la scène du café. Cela vient d’une expérience précise. J’ai fait une résidence d’auteur en Auvergne et dans les villages alentour avaient lieu des fêtes médiévales. En fin de journée, les acteurs, à demi déguisés, déambulaient. Et graphiquement, le chevalier est un personnage qui me plaît bien.

Avez-vous d’autres projets ?

    J’ai envie de reprendre ces personnages de chevaliers, d’élaborer une histoire entre un chevalier et une femme esquimaude. J’ai un projet de livre en couture. On m’a offert une machine à coudre et ça me plaît bien. Une galerie m’a proposé de faire une exposition.

     Les questions étant épuisées, Géraldine nous lit des poèmes de Richard Brautigan en nous montrant les illustrations qu’ils lui ont inspirées. Elle a, dot-elle, un ou deux livres en projet avec ces personnages-là. La soirée se termine, entre bavardages et dédicaces, jusqu’à épuisement de l’illustratrice.

( compte rendu de Martine Cortès – jeudi 21 octobre 2010 )

 

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Rencontre avec Anne Brouillard et Anne Herbauts

 

La rencontre avec Anne Brouillard et Anne Herbauls qui s’est tenue le 6 novembre 2010 dans le cadre de Vivons livres au Centre de Congrès Pierre Baudis de Toulouse était animée par Nicole Folch.

Nicole FolchAnne Brouillard, il y a deux thématiques très fortes dans vos albums : la nature et le temps. On est touché par la chaleur et la convivialité de vos maisons. On aimerait y être invité …

Anne BrouillardSi je les dessine, c’est parce que j’aimerais y habiter.

Nicole FolchElles donnent une impression de sérénité, de douceur.

Anne BrouillardL’orage est le livre que je préfère pour expliquer le cheminement pour la maison. Dès la première page, on voit l’extérieur dans un miroir et l’intérieur par une fenêtre. L’histoire de l’orage se passe autour et dans la maison. C’est autant l’histoire de la maison que de l’orage. Pour une maison, je fais un plan, je construis une maquette.

Nicole FolchC’est construit, en effet, comme si on se déplaçait avec une caméra dans la maison.

Anne BrouillardDès le départ, il y a des points de repère pour la suite de l’histoire. Mais elles ne sont pas toutes si rassurantes. Par exemple? la maison dans Le rêve du poisson. Mes maisons sont inspirées de maisons existantes que je ré-invente.

Nicole FolchOn y voit une foule de détails, cafetière, réveil, petits pots, etc. Elles sont très habitées !

Anne BrouillardLes objets ont une importance, comme le décor d’un théâtre et révèlent quelque chose des personnes qui y habitent. Même si on ne voit pas les personnes, on a des indications sur elles par les objets.

Anne Herbaults C’est le lieu où s’inscrivent des émotions qui sont reflétées à taille humaine dans les fenêtres. La maison est comme un corps-âme qui serait un reflet de ce qui se passe. Ces maisons sont des sortes de réceptacles.

Anne BrouillardElles sont aussi liées au passé des gens. Je m’inspire de la maison de mes grands-parents. Les maisons abandonnées aussi me fascinent. Les gens sont partis mais ont laissé des choses derrière eux et on a l’impression d’un temps arrêté.

Nicole FolchVos albums sont traités comme des nouvelles, ce décor aide à connaître les personnages. Il y a à la fois la fixité du regard du narrateur et quelque chose qui se déplace tout le temps. Ce désir d’aller ailleurs, cette curiosité toujours bienveillante, sont des points d’ancrage nécessaires à votre narration ?

Anne BrouillardOn vit, on se déplace, on voyage, quantité de chemins apparaissent mais on ne peut les prendre tous. A côté, ces maisons, immobiles, voient passer les gens, durant des générations peut-être. Les arbres aussi sont restés là. Nous on passe.

Anne Herbauts Chez toi, les trains sont au rythme de la marche, ils ont un rythme humain qui permet la contemplation. C’est vraiment la respiration de tes livres, tu regardes les choses dans l’optique du marcheur.

Nicole FolchVous avez, Anne Herbauts, beaucoup de choses en commun avec Anne Brouillard. Vous parlez souvent du goût des mots et quand je lis un album de vous, j’ai l’impression qu’il est construit par associations d’idées. Au début, il y a toute une logique, puis à la relecture tout un réseau apparaît.

Anne Herbauts Depuis toujours, le texte et les images sont liés. Je travaille le livre comme un objet en volume, en trois dimensionS. Le livre est comme une sculpture, mais n’existe que quand il est ouvert. Il doit être ouvert et parcouru pour atteindre à la quatrième dimension, le temps. On travaille de la matière temps dans un objet physique. C’est une écriture à part entière : texte, images, volume, papier, temps. Il y a des choses indicibles que j’essaye de rendre tout autour de l’album, quelque chose qu’il faut malaxer dans la tête pour le mettre en forme dans la pâte à papier du livre. Comment vais-je utiliser ce support d’écriture pour arriver à ce que je veux dire, pour faire parler l’objet livre ? Je tape dedans pour lui faire sortir ce qu’il a dans les tripes ! J’installe tout, puis à un moment, le livre commence à fonctionner seul, quelque chose sourd du livre, des choses qu’on n’a pas prévues ! Un livre, c’est rien, c’est du bête papier et en même temps, quand tout fonctionne, c’est infini !

Nicole FolchVous exprimez parfois votre goût des mots. Vous jouez avec la syntaxe, les expressions. Est-ce que vous partez de là pour certains livres ou pas ?

Anne Herbauts C’est un danger aussi d’être juste gourmande des mots. Si j’écris juste pour la griserie ça n’a plus de sens. J’intellectualise peu mais je fais attention à ce que tout ait un sens. J’utilise beaucoup les répétitions par sonorités afin d’obtenir une sorte de musicalité avec, de temps en temps, une espèce de dissonance. Un mot qu’on répète plusieurs fois va aller chercher son histoire cachée. J’aime bloquer le lecteur en répétant, pour qu’il se dise « Ai-je bien compris ? », qu’il soit attentif à toutes les géologies de notre langue et puis chacun a son histoire de lecteur… J’aime quand ça sonne sourd.

Nicole FolchAnne Brouillard, pouvez-vous nous lire la premoère page de La terre tourne car j’ai l’impression qu’il y a là en germe tous vos thèmes

Anne BrouillardC’est l’histoire des chemins … (Anne Brouillard lit)

Nicole FolchDans la plupart de vos albums, l’homme comprend sa juste place, il est rassuré là où il est, c’est une contemplation paisible.

Anne BrouillardOn ne peut pas s’échapper de soi où qu’on aille. On naît, on vit, on meurt.

Nicole FolchIl y a une relation familière avec l’animal, dans La vieille dame et les souris, je vois une harmonie dans tout ça. Il n’y a pas d’hostilité dans votre monde.

Anne BrouillardC’est ma façon de ressentir la vie. Le monde des animaux et celui des humains sont sur le même pied. Tout dans ce monde cohabite, les hommes, les souris, les araignées …

.Nicole FolchAnne Herbauts, pouvez-vous nous parler de l’entre-deux ?

Anne Herbauts Moin dans l’entre-deux, j’aime bien le mot lisière. Faire des livres, c’est un entêtement, c’est une obstination. On a des thèmes qui sont là. On ne dit pas « Je vais faire un livre sur le carnaval » mais les livres en découlent. Quand on fait des livres, on est toujours sur les bords, on se râpe, on se blesse, on se prend des échardes et c’est ça qu’on met dans les livres. L’idée, c’est de picoter le lecteur avec des mots. La lisière ? Il ne faut jamais dire ce qu’on veut dire directement, on entoure ce qu’on veut dire par des mots, des images et c’est le trou qui signifie.

Nicole FolchVous pourriez dire, par rapport à L’idiot, ce qu’est pour vous le mot juste ?

Anne Herbauts On est plus juste quand on bégaie que quand on construit une phrase parfaite. De même quand on dessine trop de la main droite, il faut changer pour provoquer la surprise, pour qu’on soit sous tension. Quand on connaît le chemin, on ne regarde plus les choses de la même façon. Le mot jardin n’a pas de limite, je dois tout dire, mais pour décrire le jardin, il faut enlever, enlever.

Nicole FolchComment savez-vous que le livre est terminé ?

Anne BrouillardJamais

Anne Herbaults Pour moi, la fin du livre, c’est le prochain. Toi, tu peux parler du livre comme un sentier. Pour moi, c’est un noyau. C’est tellement construit. L’image tape sur les bords car c’est trop construit. Toi, tu construis ta maison, tu construis un univers.

Anne BrouillardLe sujet des bouquins est souvent lié simplement à des choses vues. Mon intention n’est pas d’observer mais je vois ! Le pêcheur et les oies c’est ça, un jour où je me promenais. C’est un échange en continu. Ce que je vois, j’ai envie de le dessiner, sans arrêt.

Anne Herbauts Je crois qu’on a un côté un peu espiègle, comme ça. Est-ce que ça vient de notre pays ? C’est un fonctionnement à nous. Depuis toute petite, j’ai l’impression que je transforme tout en images. En ce moment, j’ai cinq livres dans la tête ! J’aime bien ce que tu disais, que les livres tu ne les finissais jamais car il y a plein de choses. Bon, mais il arrive quand même un moment où il faut élaguer !

Après cette touche d’humour, les présents assistent à la projection du film Le verger qu’Anne Herbauts a réalisé en parallèle à son album L’idiot. « L’idiot se construit en rêve un verger, il plante ses arbres, il leur parle. Le film est une suite d’images, dessins accompagnés de sons et de textes lus. »

  

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Sous d’étranges étoiles

 

   En 1937, en Roumanie, vit cette petite fille quelque peu impertinente. Elle est juive – mais ne le sait pas – et entend à la radio Hitler qui aboie ses ordres. Curieuse, elle se pose quelques graves questions : un pays peut-il mourir comme une personne ? Mais les adultes effrayés par ses interrogations n’osent lui répondre. Enfant généreuse, elle ne supporte pas les inégalités et partage ses goûters trop copieux avec les enfants pauvres et tondus. Un jour, elle voit sa mère pleurer : Paris est tombé ! Puis, sa région, la Bucovine, devient russe. La famille n’a plus de domestique et l’institutrice apprend des chansons soviétiques à ses élèves afin qu’ils connaissent des bribes de la langue russe. Puis les nazis envahissent l’Union Soviétique. Alors, dans sa ville, la Wehrmacht défile et les lois anti-juives entrent en vigueur. On instaure un ghetto. Étoile jaune, interdiction d’école pour les enfants juifs, arrestations et départs en wagons à bestiaux. Les adultes veulent mettre les enfants à l’abri,mais la jeune Béatrice espionne et devine tout. Heureusement ses parents et elle réussissent à fuir. Après un dur et éprouvant voyage, ils arrivent en Palestine.

    Là, Béatrice devient Brakha. Séparée de ses parents, à l’école de Ben Shemen, elle passe deux années merveilleuses qui la forment et lui ouvrent de nombreuses possibilités artistiques. Ce village de jeunesse a été pensé et est dirigé par le docteur Siegfried Lehman. Une création où l’on pratique le partage des tâches. Mais il y a aussi une bibliothèque, un petit musée, un ensemble musical, un théâtre… Les professeurs sont des intellectuels qui inventent les savoirs à transmettre. Par exemple les cours de botanique se pratiquent dans la forêt, et une artiste, Noémi Smilansky, encourage Béatrice à dessiner… Mais le père veut aller vers un monde neuf. Tous les trois partent en direction du Brésil, où Béatrice passera sa jeunesse.)

Sous d’étranges étoiles

    Je me souviens, il y a longtemps, mon fils est rentré de l’école me disant avec fierté :

– J’ai un excellent copain, il est merveilleux et plus vieux que moi, il s’appelle Josué Tanaka.

– Moi je connais sa mère, Béatrice Tanaka. Comme moi, elle fait des livres pour les enfants.

    Et quelques mois plus tard toutes les deux nous réalisions pour les Éditions La farandole : Contes d’étoiles et de la lune. J’écrivais les textes, Béatrice les illustrait. Puis nous inventions un album de poésies et de recettes vietnamiennes ; tous les droits allant à ce pays qui se battait avec courage.

    Au fil des années, nos enfants se perdirent de vue, grandirent et toutes deux nous nous retrouvâmes grand-mère. Un jour, dans une galerie, je revis mon amie Béatrice. Ce qui me frappa et que je n’avais nullement oublié, ce fut son rire. Chapelet de rires perlés, printaniers et joyeux. le rire, malice, de Béatrice. J’avais néanmoins suivi les albums dans lesquels elle contait le Brésil et illustrait de manière poétique ces histoires magiques.

    Mais, à propos de livres, je me suis penchée longuement sur son beau livre de souvenirs qu’elle vient de publier aux éditions Kanjil, intitulé Sous d’étrages étoiles. J’ai apprécié cette lecture dans laquelle de nombreux jeunes devraient se plonger.

Là je rejoins l’amie connue mais je la découvre aussi à travers son errance avec ses parents de Roumanie jusqu’au Brésil. J’ai eu grand plaisir à lire cette vie qui commence avant la guerre et va son chemin dans la même époque que moi.

    En 1937, en Roumanie vit cette petite fille quelque peu impertinente. Elle est juive – mais ne le sait pas – et entend à la radio Hitler qui aboie ses ordres. Curieuse, elle se pose quelques graves questions : un pays peut-il mourir comme une personne ? Mais les adultes effrayés par ses interrogations n’osent lui répondre. Enfant généreuse, elle ne supporte pas les inégalités et partage ses goûters trop copieux avec les enfants pauvres et tondus.

    Un jour, elle voit sa mère pleurer : Paris est tombé ! Puis, sa région, la Bucovine, devient russe. La famille n’a plus de domestique et l’institutrice apprend des chansons soviétiques à ses élèves afin qu’ils connaissent des bribes de la langue russe. Puis les nazis envahissent l’Union Soviétique. Alors, dans sa ville, la Wehrmacht défile et les lois anti-juives entrent en vigueur. On instaure un ghetto. Étoile jeune et interdiction d’école pour les enfants juifs. Suivent des arrestations et des départs en wagon à bestiaux. Les adultes veulent mettre les enfants à l’abri mais la jeune Béatrice espionne et devine tout. Heureusement ses parents et elle réussissent à fuir. Après un dur et éprouvant voyage, ils arrivent en Palestine.

    Là, Béatrice devient Brakna. Séparée de ses parents, à l’école de Ben Sheven, elle passe deux années merveilleuses qui la forment et lui ouvrent de nombreuses possibilités artistiques. Ce village de jeunesse a été pensé et est dirigé par le docteur Siegfrid Lehman. Une création où l’on pratique le partage des taches. Mais il y a aussi une bibliothèque, un petit musée, un ensemble musical, un théâtre. Les professeurs sont des intellectuels qui inventent les savoirs à transmettre. Par exemple les cours de botanique se pratiquent dans la forêt… Une artiste, Noémie apprend le dessin à Béatrice.

    Mais le père veut aller vers un monde neuf. Tous les trois partent en direction du Brésil où Béatrice passera sa jeunesse. Dans ce récit, elle décrit ses personnages aimés, ses tantes, son grand-père Opa. Pourquoi prendre les mésaventures avec gravité lorsqu’on peut encore en rire ? L’humour, souvent présent, ne contrarie en rien l’émotion intense de certaines scènes douloureuses.

    Sous d’étranges étoiles (Kanjil 2010), un livre rare, à l’écriture subtile, parfois cocasse. Un parcours de vie comme un voyage dans le temps et dans l’espace. Un enseignement aussi sur pays et événements que l’héroïne a vécus.

    Et générosité, espièglerie, force et finesse révèlent l’amie Béatrice au rire communicatif.

(texte initialement paru dans le numéro 226, février 2011, de Griffon)

 

Rolande Causse travaille dans l’édition depuis 1964. Elle anime, à partir de 1975, de nombreux ateliers de lecture et d’écriture et met en place, à Montreuil, en 1984, le premier Festival Enfants-Jeunes. Une très belle exposition Bébé bouquine, les autres aussi en 1985. Emissions de télévision, conférences et débats, formation permanente jalonnent également son parcours. Parmi ses ouvrages pour l’enfance et la jeunesse : Mère absente, fille tourmente (1983) Les enfants d’Izieu (1989), Le petit Marcel Proust (2005). Nombeux autres titres à propos de langue française et, pour les prescripteurs, plusieurs essais dont Le guide des meilleurs livres pour enfants (1994) et Qui lit petit lit toute sa vie (2005). Rolande Causse est au conseil d’administration du CRILJ.

Epatants découpages

 par André Delobel

   – C’est toi qui es chargé de l’éditorial ?

    – Ben oui.

    – Ça va pas être triste.

    – Pardon ?

    – Tu parles toujours de toi quand tu fais un éditorial.

    – Faut pas ?

    – Parle de Béatrice Tanaka.

    – C’était à la fin des années soixante. Jeune instituteur en Tunisie, j’avais abonné ma classe à Jeunes Années et…

    – Béatrice, s’il te plait.

   – Dans le numéro 2 d’octobre 1969, il y a avait un conte vietnamien, Un nom pour un chaton, raconté par Béatrice Tanaka et illustré par elle de curieux découpages multicolores. Il était accompagné d’un judicieux « jouet animé », en papier bien sûr. Les découpages m’épataient et épataient aussi mes élèves, pas contrariants pour deux sous.

   – Et après ?

   – Après, on s’est amusé avec les enfants à repérer, dans les numéros suivants, s’il y avait d’autres découpages de Béatrice Tanaka. Cela a duré plusieurs années. A cause de moi, bien sûr. On a aussi essayé, pluseurs fois, de faire pareil. Résultats catastrophiques.

   – Après ?

   – J’ai acheté La Fille du Grand Serpent, Maya, La Montagne aux trois questions et je me suis aperçu que Béatrice Tanaka ne faisait pas que manier les ciseaux. Puis, il y a eu 1982.

   – Tu veux dire 1981 ?

   – Pas de politique. Je parle bien de 82, l’année où Le Tonneau enchanté est publié à La Farandole. Un pur régal.

   – Découpages ?

   – Découpages. Et puis un noir et rouge de toute beauté. Ensuite, je me suis procuré régulièrement les albums paraissant chez Vif Argent et je me suis, peu à peu, débarrassé de ma fixation.

   – Tu as résilié ton abonnement à Jeunes Années ?

   – N’importe quoi ! Et dis-toi qu’il y avait aussi Eclats de Lire et Gullivore

   – C’est beau la fidélité.

   – Je n’ai connu que bien plus tard les illustrations des contes africains publiés chez Présence Africaine. Un noir et blanc modeste, immédiatement parlant.

   – Tu n’a pas cherché à en savoir plus sur Béatrice ?

   – De retour en France, grâce au CRILJ, la rencontre était certainement envisageable. Elle ne s’est pas faite. En 1990, travaillant avec mes élèves Le Tonneau enchanté

   – Encore ce tonneau !

   – Travaillant cet album pour en parler dans La République du Centre, j’ai cherché à en savoir un peu plus sur Béatrice Tanaka et nous lui avons écrit.

   – Et, bien sûr, elle a répondu …

   – J’ai aussi rédigé, pour le journal, une courte biographie. Ça t’intéresse ? Tiens, je lis : « Béatrice Tanaka est né en 1932 à Cernaiti, ville moldave qui fut austro-hongroise avant d’être roumaine puis russe. Petite fille, elle voyage, bien malgré elle, vers la Turquie, la Palestine et l’Italie. Elle émigre au Brésil, enseigne le français et l’anglais, aspire à devenir comédienne, s’installe en France, fait des études de scénographie, crée des costumes de théâtre, écrit des pièces pour enfants, devient l’élève de l’affichiste Paul Colin, collabore à plusieurs revues pour enfants, publie chez divers éditeurs (La Farandole, Vif Argent, La Noria, l’Ecole des Loisirs, Bayard Presse, Magnard) des livres dont elle est le plus souvent l’auteur-illustrateur, parfois seulement l’illustrateur, quelquefois le traducteur. »

   – Dis donc, t’as vu …

    – T’as vu quoi ?

   – T’as réussi à ne pas parler de toi pendant plus de cent mots.

   – Pas fait exprès.

    – Dis …

   – Quoi ?

   – Tu me prêtes Le Tonneau enchanté ?

( Griffon  n° 226 – mars-avril 2011 – Béatrice Tanaka )

   béatrice tanaka

Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Tove Jansson

 .

par Monique Hennequin

     Après Gabrielle Vincent (1) et Eléonore Schmid, la littérature de jeunesse a perdu un de ses grands auteurs, Tove Jansson, créateur des Moumines.

     En France, son oeuvre a été traduite par Kersti et Pierre Chaplet et publié dès 1969 par les éditions Nathan dans la très belle collection dirigée par Isabelle Jan, la Bibliothèque Internationale. Les enfants français ont pu ainsi découvrir, à travers le personnage de Moumine, l’univers des trolls.

     Tove Jansson, parmi d’autres prix, avait obtenu en 1966, pour l’ensemble de son œuvre, le Prix Hans Christian Andersen.

     Plusieurs titres ont été réédités récemment par les éditions Pocket : Moumine le troll, L’été dramatique de Moumine, Un hiver dans la vallée de Moumine.

 ( texte paru dans le n° 71 – novembre 2001 – du bulletin du CRILJ )

  (1) à qui personne ne rendit hommage dans la revue du CRILJ.

   moumine

Née à Helsinki le 9 août 1914 et décédée le 27 juin 2001, Tove Jansson est femme de lettres, illustratrice et peintre finlandaise. Fille du sculpteur Viktor Jansson, suédophone de Finlande, et de l’illustratrice suédoise Signe Hammersten, elle étudia à la faculté d’art de Stockholm et devint peintre. Lors de la Seconde Guerre mondiale, pensant aux enfants qui rêvaient de s’évader, elle inventa le pays des Moumines. Elle n’écrivait pas en finnois mais en suédois de Finlande. Elle travailla pour la presse avec l’aide de son frère Lars Jansson, dessinateur de bandes dessinées. Elle vécut pendant la majeure partie de sa vie avec l’artiste plasticienne Tuulikki Pietilä. « C’est sans conteste par la traduction des onze volumes de la saga de la famille Moumine que les enfants des pays latins peuvent comprendre un peu mieux la place des trolls dans l’imaginaire collectif des peuples scandinaves, c’est-à-dire la place de tout ce qui est vivant dans une nature impressionnante où l’homme et l’enfance savent qu’ils ne sont pas véritablement les maîtres. » L’œuvre de Tove Jansson culmine certainement avec Papa Moumine et la mer, méditation mélancolique sur la solitude, où ses personnages de prédilection atteignent une gravité inhabituelle.

Eléonore Schmid

Eléonore Schmid est née à Lucerne, en Suisse, en 1939. Elle a fait ses études à l’Ecole d’Art de Lucerne, travaillé à Zurich comme graphiste et illustré des magazines pour la jeunesse, des jeux et des cartes. Elle a réalisé la maquette de nombreux livres. Après avoir voyagé en Italie, Angleterre et Irlande, puis à Paris, c’est à New-York qu’elle a, avec Etienne Delessert, illustré son premier livre pour enfants (The Tree publié en France en 1969 sous le titre L’arbre par François Ruy-Vidal).

     Elle continue a travailler en étroite collaboration avec Etienne Delessert puis publie de nombreux albums aux éditions Nord-Sud.

    En 1968, elle reçoit le Plaquette d’Or de la Biennale Internationale de Bratislava pour Le mouton noir (chez Nord-Sud) et le Prix Graphique de la Foire de Bologne lors de la réédition en 1977.

     On retrouvera avec plaisir ses très belles illustrations, crayons de couleurs, aquarelle et gouache se mêlant pour arriver à des dégradés subtils et des coloris d’une douceur et d’une richesse infinie, comme dans A ta santé le loup sur un texte de Chantal de Marolles (1979), L’âne Augustin sur un texte de Régine Schindler (1990), Toufie et le lune (1996) ou Le Noël du petit lapin (2000), tous publiés aux éditions Nord-Sud.

     Elle a, en 1978, illustré Les contes du chat perché de Marcel Aymé pour les éditions Gallimard et, en 1984, Les trois plumes de Jacob et Wilhelm Grimm dans la prestigieuse collection « Monsieur Chat » de chez Grasset Jeunesse,

( article paru dans le n° 70 – juin 2001 – du bulletin du CRILJ )

 eleonore schmid

Au revoir Vitaly …

 

     Petit-Âne ne redescendra pas du ciel. Ce n’est pas faute pour Vitaly Statzynsky et son ami l’ourson de l’avoir attendu… Combien de fois ne l’ont-ils pas vu naviguer dans son bateau-lune au beau milieu de la nuit ? Alors de guerre lasse, c’est Vitaly qui s’en est allé, danser avec lui et Kolobok au milieu des étoiles.

     Il n’a pas attendu la nuit. Il vient de partir par ce beau matin d’automne. L’occasion était trop belle, c’est celui de tous les saints.

     Espérons qu’il n’a pas emporté avec lui cette petite écharde qui s’était plantée dans son cœur, il y a quelques années de cela, lorsque Petit-Âne s’envola entre ciel et terre pour ne pas revenir alors qu’il l’attendait fermement avec ses crayons et ses couleurs.

     Allons ! Aurais-je oublié que Vitaly, pressentant sans doute qu’on ne lui  donnerait pas le temps d‘en conter la suite, avait, pour finir, coupé d’un coup de son pinceau magique, la corde qui fit tant couler d’encre ?

     Mais qui s’en aperçut ?

     Sans aucun doute ces tout-petits qu’il captivait par ses dessins et son rire un peu cassé tout en s’obstinant à conter, dans sa langue natale, les mésaventures de Kolobok, du Renard, du Lièvre et du Coq, comptant sur Tatiana pour traduire, si d’aventure les images ne se suffisaient pas.

     Dessinateur et coloriste talentueux certes, mais cabotin en diable et  têtu ! Quand il avait dit : « C’est Russe ! » Il n’y avait plus rien à ajouter car, à ce moment-là tout au fond de son regard, à la fois malicieux et perçant, on voyait briller des étoiles.

     Son père, ministre de la santé, fut fusillé sous Staline, sa mère, professeur de médecine spécialiste en ophtalmologie, fut condamnée à exercer son art dans des conditions misérables où elle ne disposa plus des moyens qu’elle méritait. Adolescent, il connut la prison « pour avoir volé une pomme » avant de devenir le célèbre dessinateur reconnu à Moscou et par la presse étrangère. Il créa Kolobok, un journal destiné aux enfants tiré à plus d’un million d’exemplaires. Mais son art, considéré comme « anti-soviétique », ne plaît pas au régime. Privé de nationalité soviétique, exclu de l’Union des peintres de l’URSS, il quitte le pays en 1978. Après maintes tribulations, il parvient à Lyon  où il retrouva et sa sœur et quelques amis. Arrivé là, il n’hésita à se faire engager dans une entreprise sans connaître un seul mot de Français. Inutile de préciser que l’expérience ne dura pas longtemps.

      À Paris, il fut accueilli à la cité des Arts où il séjourna pendant deux ans avant de s’installer au 17 rue des Orteaux. Là se retrouvaient pour boire chanter, rêver et pleurer, peintres, dessinateurs, écrivains, musiciens, chanteurs, cinéastes, champion d’échecs – je pense à Spastky – amis de passage venus le saluer depuis son pays natal.

     Apatride, il acquit la nationalité française en 1999 ainsi que son épouse Tatiana rencontrée à Moscou après la chute du mur. Il retrouva en 2000 sa nationalité russe.

 

Revenant sur L’affaire Petit-Âne dans le numéro 1 de ses Cahiers (novembre 2009), le CRILJ a publié, grâce à Nicole Maymat qui lui en avait confié le texte, Le retour de Petit-Âne, suite « optimiste » du controversé Petit-Âne.

petit ane

 

 

Parce que les collections et les contraintes d’un éditeur parisien s’intéressant à ses textes ne lui conviennent pas, Nicole Maymat crée en 1973, à Moulins, avec Dominique Beaufils, imprimeur, les éditions Ipomée. Premiers titres : Le conte du pays des pas perdus illustré par Yolaine Deneux et Le Gang des chenilles rouges qui est publié avec des pages blanches à illustrer. Diffuseur défaillant, mais soutien des libraires et des critiques. Les rencontres s’enchainent avec des créateurs encore inconnus (comme Frédéric Clément, Claire Forgeot, Laurent Berman, Michel Boucher, Jacques Cassabois, Vitaly Statzynski, Martine Delerm, Anne Quesemand ou Laura Rosano) ou déjà confirmés (comme Alain Gauthier, Claude Lapointe, Nicole Claveloux ou Daniel Maja). Les collections ont pour nom Archipel, Herbes folles, Funambules, Jardins secrets. « Il y avait toujours un prix, des critiques positives qui nous encourageaient à continuer. C’était sans compter avec les impayés des uns, les dépôts de bilan des autres et, à un moment donné, le coût de la distribution, devenu extravagant. » Aujourd’hui directrice de collection au Seuil, Nicole Maymat est aussi auteur de plusieurs romans dont Vanille, flibustière des Antilles (2009) ou Le voyage de la Reine (2010).

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Leo Lionni

      Léo Lionni est né à Amsterdam d’un père tailleur de diamants et d’une mère soprano. Emigré aux Etats-Unis en 1939, naturalisé américain, il devient directeur artistique d’une grande agence de publicité. Il s’installe en Italie dans les années 80.

     Il est venu par hasard aux livres pour enfants, mais c’est là que se sont épanouies ses qualités de fabuliste.

     Ses premiers livres arrivés en France en 1970 ont connu un succès immédiat. Qui ne se souviendra pas de cette histoire d’amitié exemplaire, toute simple, faite d’un rond bleu, d’un rond jaune et d’une poignée d’autres formes, Petit Bleu et Petit Jaune ?

     Combien de générations garderont en mémoire Pilotin, Frédéric, Tillie et le mur, Le rêve d’Albert et d’autres titres qui ont jalonné leur enfance ?

( article  paru dans le n° 66 – octobre 1999 – du bulletin du CRILJ )

 lionni

Tout petit, Léo Lionni observe et collectionne animaux, insectes et petits objets. Après ses études secondaires, il part pour Zurich où il étudie les sciences économiques. Premiers dessins, premiers tableaux. De 1933 à 1939, Leo Lionni vit à Milan et participe activement à la vie artistique locale. En 1939, il part pour les États-Unis, prend la nationalité américaine et entre comme directeur artistique dans une agence de publicité de Philadelphie. Son premier livre pour enfants, Petit-Bleu et Petit-Jaune, paraît en 1959. C’est certainement le premier album où l’abstraction formelle s’accorde aussi magistralement au fond. En 1962, Leo Lionni revient en Italie et se consacre principalement à la peinture et à la sculpture. Il réalise toutefois, chaque automne, un album pour enfants de trente-deux pages, utilisant la plupart du temps une technique de papiers collés faussement maladroite. Quelques titres, tous publiés à L’école de loisirs : La maison la plus grande du monde (1971), Pilotin (1973), Une histoire de caméléon (2000).

Images comme ça

 

 

 

 

 

 

      Dans une époque où les jeunes illustrateurs frais émoulus des écoles d’art sont devenus des virtuoses de la souris et du clavier, il demeure des artistes qui s’expriment avec le pinceau, la plume ou le crayon.

     Plus rares encore sont les graveurs, héritiers d’un longue et noble tradition, aquafortistes, lithographes et autres xylographes.

     C’est à cette dernière catégorie, infiniment précieuse, qu’appartient May Angeli

     Cette remarquable artiste, née en 1937, a fait ses débuts en illustrant au crayon, à la gouache et à l’aquarelle des récits où se manifestent sa générosité, son respect de l’enfant et son attrait pour les cultures du monde.

     En 1975, elle découvre le Maghreb qui devent une de ses sources d’inspiration privilégiée. Elle fait désormais de fréquents séjours en Tunisie où elle a noué des relations de travail et de  coeur.

     C’est en 1980, au cours d’un stage à Urbino, qu’elle a la révélation de la gravure sur bois.

     En 1992, Régine Lilensten, créatrice et directrice du Sorbier, toujours dynamique et inspirée, se laisse séduire par la force graphique de cette technique,.suivie très vite par d’autres éditrices dont Valérie Cussaguet (Thierry Magnier), Françoise Mateu (Seuil Jeunesse),  Amélie Léveillé (L’élan vert) et Caroline Drouault (Sorbier). Certains de ces livres xylogravés  (Chat, Dis-moi) ont fait date dans l’histoire du graphisme et ont été sélectionnés par la Biennale de Bratislava et la Foire de Bologne. C’est aussi en renouvelant cette  technique qui était tombée en désuétude qu’elle a créé de merveilleux livres pour tout petits (Carotte ou pissenlit ou Petit) et réalisé cinq  livres d’artistes très raffinés.

     Dans cette veine, elle a illustré, à la suite des dessins alertes nés de la plume de l’auteur  lui-même, Histoires comme ça (1ère édition, 1903) puis, récemment, Le Livre de la Jungle (1894 & 1898) de Rudyard Kipling.

     Un travail considérable: douze gravures pour chacune des douze Histoires, vingt-quatre planches pour Le Livre de la Jungle, plus les pages de garde, et de nombreuses vignettes. Une prouesse technique réalisée d’un coup de gouge précis et énergique, mais aussi un usage inspiré de la couleur, un sens aigu de la mise en page, et une sensibilité esthétique qui font de cet ensemble une réussite exceptionnelle.

     Peintre de la nature, elle a su capter la luxuriance des jungles et la présence charnelle des animaux, avec poésie, humour, vigueur et tendresse.

     Il est passionnant de voir comment, un siècle après, cette femme d’aujourd’hui a pu exprimer, par delà les divergences historiques, sociales et géographiques, la séduction, la dérision et la violence des contrées exotiques fréquentées par Rudyard Kipling. De Bombay (1865) à Londres (1936), ce fils du conservateur du musée de Lahore, est expédié à 6 ans en Angleterre pour y parfaire, durant 11 ans, son éducation. Les souffrances de son enfance délaissée, les nombreux voyages de sa  carrière de journaliste et les deuils de sa vie familiale  (il perd, de maladie, une de ses deux filles, et son fils est tué à la giuerre), ont nourri une oeuvre sensible et imaginative où sont magnifiées les multiples cultures de son Inde natale.

     C’est dans cet intérêt commun pour les civillisations lointaines, l’amour de la nature et des animaux et l’émotion de sentiments éternels, que May Angeli et Rudyard Kipling se rejoignent pour notre plus grand bonheur.

  angeli

Agrégée de lettres modernes, professeur en collège, lycée, Ecole Normale et IUFM où elle enseigna jusqu’en 2002 la didactique du Français et la littérature de jeunesse, chargée de cours à l’Université de Picardie (Licence des Métiers du livre) depuis septembre 2005, Janine Kotwica écrit, voyage, expose : articles nombreux dans la Revue des Livres pour Enfants, Griffon, Parole, etc ; stages de formation à Abidjan, Tunis, Bucarest, Cotonou, Bamako, etc ; commissaire de nombreuses expositions d’illustrations originales dont Posthume sur mesure en hommage à André François. et, dernières réalisations en date, les Portraits-devinettes d’auteurs illustres de Philippe Dumas et Images comme ça consacrée à May Angéli.