Henri Delpeux avait 80 ans et vivait seul dans une maison située dans un hameau de l’Yonne. Son ami était mort il y a trois ans et, plus encore que ce décès prévisible après une longue et douloureuse maladie, les commentaires des neveux de son compagnon sur le PACS de ces deux vieux messieurs et l’affection qui les liait l’avait profondément blessé.
Il avait une toute petite retraite de marionnettiste et d’écrivain de livres pour enfants, livres dont vous trouverez les titres toujours en librairie. Il avait 80 ans, pas beaucoup d’argent et hébergeait les animaux, les sans-papiers, les adolescents en rupture familiale, et tous ceux qui frappaient à sa porte. Il aimait et protégeait tous ceux que notre société rejettent pour défaut de conformité.
Depuis qu’il ne pouvait plus faire de tournées dans les écoles dans toute la France, il avait abandonné sont petit studio en banlieue parisienne. Il se concentrait sur les alentours de Sens et, en particulier, sur l’école du village. Et sa maison était remplie de marionnettes qu’il créait avec trois bouts de tissu, personnages fantastiques des nuits d’enfance.
Tous les ans, il organisait à la Pentecôte trois jours de culture, où venaient des amis artistes de toute l’Europe, poètes, musiciens, acteurs, qui jouaient bénévolement pour le plaisir de partager un moment de culture et de création. Il faisait jouer une pièce de théâtre par des adolescents du coin, pièce qu’il écrivait, mettait en scène et pour laquelle il tarabustait durant l’hiver tout un village pour que les jeunes préparent le spectacle, réalisent les décors, atteignent un niveau de qualité conforme à ses exigences de professionnel. Michel, mon mari, avait dessiné le logo de cette fête annuelle.
En 1993, avec des amies professeurs au Conservatoire de Musique de Nanterre, nous avions créé une association, ARSIS, pour permettre à des mômes qui apprenaient un instrument et dont les familles n’étaient pas musiciennes de passer ce cap difficile de la maitrise d’un instrument, quand le charme de la découverte fait place à des heurs de travail ingrat.
Nous hébergions, mon mari et moi, les enfants dans notre maison, voisine de celle d’Henri. Henri leur faisait faire un stage de théâtre et leurs profs les faisaient travailler tous les jours en leur apprenant non seulement les bases mais aussi à préparer un concert. Et puis, à la fin de la semaine, on se réunissait dans la grange d’Henri pour une soirée de production culturelle avec les parents, grand-parents, amis des familles et on faisait la fête une partie de la nuit. Des dizaines d’enfants de Nanterre sont ainsi venus dans ce hameau de dix maisons découvrir le plaisir de la culture vivante, inventée, partagée, entre les vaches et les forêts.
Depuis quelques années Henri était trop âgé pour continuer les stages mais beaucoup se souviennent de leur émerveillement de voir ce barbu maigrichon mélanger Tchékov, l’actualité et des contes pour enfants afin d’inventer des pièces magiques, à la mesure des jeunes acteurs amateurs et avec une frénésie de perfection pour chacun non seulement dans le dépassement mais aussi, et c’est cela qui était magique, dans l’adaptation de la difficulté à la capacité de chacun pour éviter l’échec.
Henri est mort le 31 octobre, nous sommes tous venus hier l’accompagner dans sa dernière volonté, être incinéré, dans les lumières d’automne des côteaux de l’Yonne. Boudu le chien a trouvé une famille d’adoption, les oies, les chats sont orphelins et nous tous aussi. Et il va nous manquer à nous aussi.
Nous sommes fier de l’avoir connu.
Formatrice-consultante vacataire de profession, Marie-Laure Meyer est conseillère municipale de Nanterre et conseillère régionale d’Ile-de-France. Adhérente du Parti Socialiste depuis 1993, elle a publié Qui veut tuer la démocratie ? chez Denoël en 2003. Elle est représentante de la Région Ile-de-France au conseil d’administration de l’EPAD. Merci à elle pour nous avoir confié ce bel hommage.