Ma première rencontre avec Mathilde Leriche date d’octobre 1949. En stage rue Boutebrie, j’avais poussé la porte de la bibliothèque et, assise au bureau, il y avait une dame souriante qui discutait avec vivacité d’un livre avec deux jeunes lecteurs. Fascinée, j’écoutais le dialogue savoureux d’égal à égal entre trois personnes. Dans ce lieu régnait un air de liberté, de tolérance et de respect des jeunes. La bibliothèque rêvée.
La mixité et l’accès direct aux rayons étaient à la base du fonctionnement. Pendant trois mois, on apprenait là le métier de bibliothécaire pour la jeunesse avec Mathilde Leriche et Margurite Gruny. Mathilde trouvait naturel de faire profiter les stagiaires de ses compétences, de partager avec elles son expérience du métier et, en plus, de leur apporter ses propres richesses intellectuelles et humaines. Chez elle, l’intelligence des textes, la tolérance envers les autres, le respect des jeunes allaient de pair avec un humour constant. La fête était toujours présente quand elle racontait ou lisait à haute voix et les regards éblouis des jeunes qui entraient dans cette littérature, dite mineure, et qu’elle admirait tant, sont restés fortement gravé dans mon souvenir comme le charme de sa voix. Les lettres de ses anciens lecteurs à l’annonce de sa mort témoignent du souvenir de ces années-là. Et elle, toute sa vie, a gardé la mémoire de ses jeunes lecteurs disparus pendant la guerre. Elle en parlait souvent.
Mathilde Leriche a été la fondatrice, la sécrétaire et la cheville ouvrière du Prix Jeunesse, de sa création en 1934 jusqu’à sa disparition en 1972, avec deux interruptions, la guerre et le changement d’éditeur. Ce prix, créé par Michel Bourrelier, propagandiste des méthodes actives, a été le premier prix pour la littérature décernée sur manuscrit. Il symbolisait le renouveau de cette littérature et a permis la découverte de nouveaux et jeunes talents. Il va apporter aux enfants des textes qui parlent de leur vie quotidienne, de leurs préoccupation du moment, d’aventures contemporaines ou historiques, sans oublier les contes.
On retrouve le travail rigoureux de Mathilde Leriche, en liaison avec Michel Bourrelier, dans le choix et l’amélioration du manuscrit primé. Ces travaux se sont prolongés dans son rôle de directrice des collections « Primevère », « Marjolaine », puis « Les heures enchantées » et, enfin, la si jolie collection « L’alouette » illustrée par de grands noms comme Françoise Estachy, Gerda Muller, Pierre Noël, Pierre Belvès ou Romain Simon. La diversité des auteurs primés va de Marie Colmont à Nicole Vidal en passant par Colette Vivier, Alice Piguet, René Guillot, Pierre Gamarra ou Pierre Pelot. Le jury, complètement indépendant, permettait à des écrivains, membres ou nom de l’Académie Française, des poètes, des critiques, des bibliothécaires, des enseignants, un éditeur et, plus tard, des hommes de radio, de se retrouver. Les délibérations étaient sereines, parfois houleuses, quelquefois « bavardes » et Mathilde, discrètement, ramenait la troupe « au boulot ». Après les délibérations, la récréation du repas. Les membres du jury étaient souvent du genre joyeux et Mathilde n’était pas la dernière à alimenter le brouhaha par des mimiques malicieuses et des réparties percutantes.
Je ne peux évoquer notre amitié sans parler des rencontres où nous nous racontions des histoires, où nous nous entretenions de nos joies et de nos peines, de nos enfants. Et là, elle était la femme libre, souvent anti-conformiste, un brin anarchiste, avec toujours son goût pour la vie, son amour des jeunes et son humour.
Pendant quelques vacances, nous nous sommes retrouvées en Auvergne. Elle en aimait la diversité des paysages aux dômes arrondis, aux vallées étroites et verdoyantes. Elle marchait avec allégresse, par les chemins, admirant l’herbe des prés et les animaux, les bruits d’oiseaux, les ruisseaux ondulants et la joie des bains de pieds, la visite des vieilles pierres, surtout les églises romanes, qui devenait savoureuses car l’humour ne la quittait jamais.
Nous avons en mémoire tout son travail fait avec tant de lucidité : cours, conférences, articles de revue, conseils à tous, bénévolat dans des associations autour du livre et de la presse pour la jeunesse et la lecture pour tous. Fondatrice du CRILJ avec Natha Caputo, elle en a suivi le parcours avec sympathie, parfois amusée.
Et nous avons tous en mémoire le pique-nique qui s’est déroulé rue de Chateaudun, il y a peu d’années, où elle nous avait enchanté par ses dires et une certaine chanson grivoise – ô combien – du début du siècle.
Un regret : que toutes ces activités aient freiné son œuvre de création personnelle.
Mathilde, merci pour tout ce que vous nous avez donné.
( texte paru dans le n° 67 – avril 2000 – du bulletin du CRILJ )
Proche des mouvements d’éducation nouvelle, Mathilde Leriche sera, dès 1924, avec Marguerite Gruny, l’assistante de Claire Huchet, première directrice de la bibliothèque de L’Heure Joyeuse. Elle participera en 1937 à la création de l’Association pour le Développement de la Lecture Publique et sera, en 1967, la première présidente du CRILJ ancienne manière. Elle écrira pendant de longues années des critiques de livres pour enfants pour la revue des CEMEA Vers l’éducation nouvelle. Auteur, une fois retraite prise, de quelques albums pour enfants, elle avait publié, en 1937, avec Marguerite Gruny, le guide de lecture Beaux livres, belles histoires. Elle fut une conteuse remarquable.