Le plaisir et la nécessité
Encore en résidence, m’a demandé un jour Bernard Noël. C’est un choix de vie ?
Aujourd’hui je peux répondre, oui, en quelque sorte…
Vit-on de sa plume quand on est écrivain en résidence ? Oui, au moins pour quelques mois (et nous avons par nécessité l’art de faire durer quelques mois de résidence sur une année entière d’écriture)
C’est donc pour des raisons financières qu’un écrivain accepte, ou sollicite une résidence ? Non, pas seulement. Ou, oui, mais pas seulement.
Une résidence : un projet
Car une résidence c’est un projet, c’est une équipe, ce sont des actions, des rencontres, des ateliers, des hommes des femmes et des enfants. C’est un partage sur l’essentiel : l’écriture. Celle qu’on poursuit (et nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles Flaubert). Celle qu’on lit, et celle que l’on invente ensemble, maladroite souvent, hasardeuse volontairement, surprenante ou attendue, émouvante toujours.
Car l’émotion est la pierre de touche qu’il importe pour moi de faire sentir, quel que soit le projet initial.
Traduire les poètes étrangers invités avec des poètes français et créer entre tous un lien à l’Abbaye de Royaumont, retrouver l’esprit de Le Corbusier à l’occasion du cinquantenaire de la Maison Radieuse, à Rezé, entraîner des enfants dans cette aventure d’écrire, dans la Somme et apprendre des « usagers » de bibliothèque de prêt ce que c’est que lire, le découvrir avec eux, le mettre en mots…
Chaque résidence est une nouvelle aventure, un nouveau lieu de vie, et cela aussi a son importance.
La Loire n’est pas la même à Nantes et à Tours, la baie de Somme est unique, et les ciels sont ici et là sans pareils. J’aime ce nomadisme dans lequel m’ont entraînée les différentes résidences que j’ai « faites », que j’ai occupées, qui m’ont accueillie.
Une résidence : une aventure passionnante
J’aime cette appropriation passagère d’une ville, d’une rue, d’un réseau d’amitié et de travail partagés, cette boucherie-charcuterie dépôt de pain et d’oeufs frais de la ferme, qui devient la mienne pour quelques semaines, quelques mois.
J’aime ces enseignants, documentalistes, bénévoles, animateurs, permanents d’association dont j’accompagne durant quelques heures le travail. Un travail qu’ils mènent à longueur de temps, avec générosité, enthousiasme, découragement parfois.
Et j’aime ouvrir la malle.
Cette grande malle inépuisable qui est notre bien commun et qui reste trop souvent inaccessible. Cette malle pleine de mots, de voix, d’histoires, de secrets, de confidences, de connaissances, d’émotions : la littérature mondiale depuis le début de l’humanité ! Y compris la littérature orale, les contes d’hier et d’ailleurs, recueillis au fil des siècles. De l’épopée de Gilgamesh aux jeunes poètes contemporains, tout nous appartient à tous. Chercher pour chacun le chemin qui lui convient, quoi de plus exaltant, sinon ajouter à son tour son humble obole à la malle ?
Faire écrire, écrire, lire, faire lire… (faire entendre la voix qui est dans le livre). Témoigner.
Voilà tout l’enjeu d’une résidence !
Comment ?
Des stratégies sont à réinventer chaque fois, au cas par cas, avec. Avec les partenaires, avec les « encadrants », avec les participants.
Il n’y a pas de recettes, mais vous pouvez vous rapporter à mon blog où sont offerts les différents plats concoctés au fil de ma résidence à Tours. A mon site où sont évoquées les différentes résidences où je suis allée depuis 2002, les différents pays aussi.
Lectures, rencontres, ateliers, groupes de paroles, spectacles, expositions… Tout est possible. Y compris la création d’un festival (comme l’a fait Hubert Haddad à Chaumont).
Pourvu que l’on n’oublie jamais que le désir est au coeur de l’écriture.
© Marie-Florence Ehret
Née à Paris, près de la Goutte d’or. Marie Florence Ehret pratique divers métiers avant et après des études de Lettres et de Philosophie, puis enchaine les voyages en Turquie, en Afrique, en Europe et en Asie. « Ma grand-mère répétait souvent qu’il faut bien vivre. Je n’en étais pas très sûre. Plus convaincante me parut la devise des Argonautes : vivre n’est pas nécessaire, il est nécessaire de naviguer. » Son premier texte, Les Confessions de la Rouée, en 1986, bénéficie d’une préface de Bernard Noël. On lui doit depuis de nombreux ouvrages pour adultes et pour la jeunesse : romans, nouvelles, récits, proses, poétiques ou non. Elle se déplace toujours beaucoup, animant des ateliers d’écriture, en France et à l’étranger, ou s’instalant pour un temps en résidence. Parmi ces ouvrages pour les jeunes lecteurs : A cloche-cœur (Rageot, 1990), Mortel coup d’oeil (Rageot, 1999), Fille des Crocodiles (Thierry Magnier, 2007), A la croisée des rêves (Bayard 2010). Claire Levassor a réalisé en 1993 Paroles mêlées, court-métrage à propos de la résidence de l’écrivain à Orléans dans le quartier de l’Argonne. Merci à Marie-Florence Ehret pour nous avoir confier ce texte.