par André Delobel interrogé par Roger Wallez
Est-il possible de discerner, dans ces 50 ans, des périodes, des dominantes dans l’esthétique de l’illustration ?
L’histoire de l’illustration des livres pour enfants témoigne d’évolutions lentes plus que de ruptures. C’est peu à peu que l’image s’est affranchie d’une fonction décorative ou documentaire pour se poser d’abord, à partir des années 1930, avec les albums du Père Castor, la question de sa lisibilité, puis, au fil de ces cinquante dernières années, assumer de mieux en mieux une liberté esthétique vis-à-vis du texte qu’elle commente volontiers et élargit souvent. « Est-ce encore pour les enfants ? » disent parfois ceux qui ne font pas confiance aux jeunes lecteurs.
Le fait de vous limiter aux illustrateurs français vous a-t-il privés de certaines esthétiques importantes ?
Nous limiter aux illustrateurs français nous privent de noms importants (certains sont dans le catalogue), mais pas vraiment d’esthétiques, du moins si l’on a en tête l’édition europénne et américaine. Aller faire un tour au Japon ou en Inde aurait, par contre, ouvert d’autres perspectives. L’illustration française s’est nourrie des « grands étrangers », Maurice Sendak par exemple, et elle est devenue l’une des plus inventive au monde.
Durant ces 50 ans, j’imagine bien que certaines innovations techniques ont induit de nouvelles esthétiques, le numérique par exemple…
La révolution éditoriale des années 1970 est, pour l’album, au carrefour du mouvement d’idées foissonnant de l’époque et de progrès importants dans le domaine de l’imprimerie. Elle se développe également en concurrence avec l’image cinématographique et télévisuelle d’une part et publicitaire d’autre part, que les illustrateurs intègrent dans leur travail et contestent à la fois. Il faut citer ici les éditeurs Harlin Quist et François Ruy-Vidal qui donnèrent « pages blanches à couvrir » à nombre d’entre eux. S’agissant du numérique, commençons par dire que l’on n’est qu’au début d’un élargissement incontestable des possibilités de la création. Qui s’ajoutera aux autres et ne se substituera pas. La gomme et le crayon ne sont pas à jeter à la poubelle après-demain. Je distinguerai, pour faire court, deux façons d’utiliser le numérique, une première où il s’agit simplement de profiter des facilités (relatives) qu’offrent les logiciels de traitement d’images ou la palette graphique, sans conséquence apparente sur le résultat, une autre qui laissent sciemment visible l’origine numérique de l’image. Nous n’en sommes pas encore à l’émergence d’une esthétique nouvelle, mais pourquoi pas. Il suffira que des lecteurs suivent comme certains, par exemple, recherchent parce qu’ils l’apprécient une illustration visiblement créée avec un aérographe. Signalons aussi que les progrès du traitement industriel de l’édition ont beaucoup facilité la fabrication des pop ups, des livres-objets ou, simplement, l’insertion d’une feuille en plastique transparent entre deux pages.
Vous affirmez, à travers cette exposition, votre volonté de montrer « les coulisses de l’illustration ». Comment cela se traduit-il concrètement ?
Si le travail premier d’un illustrateur est de créer, à la demande d’un éditeur, des images pour un livre, il n’est pas rare qu’il investisse également les « périphéries » de son art. L’un fera des affiches, l’autre des cartes, un troisième des programmes. Et tous laisseront des traces, au fil de leurs rencontres avec les enfants et les médiateurs : des dédicaces, des invitations, des lettres malicieusement illustrées. Ces témoignages sont, généralement, précieusement gardés par ceux à qui ils sont adressés. Les coulisses, ce sont aussi les « pièces à conviction » du long processus d’élaboration des images et, faute de pouvoir présenter un atelier reconstitué, l’exposition montre quelques émouvants travaux préparatoires.
La typographie elle-même a-t-elle connu une évolution au cours de ces 50 ans ?
Réponse tout à fait personnelle. La typographie est un monde en soi et ses richesses sont anciennes. Je pense, pour ce demi-siècle, aux couvertures d’ouvrages signée Pierre Faucheux et André Massin. Les possibilités offertes par l’informatique facilitent aujourd’hui le travail. Mais force est de constater la pauvreté typographique qui domine dans la plupart des ouvrages publiés. Combien d’albums aux images somptueuses sont gâchés par un choix de caractère hasardeux et une mise en page fainéante !
Est-il possible de discerner des pistes particulières pour les décennies à venir ?
Les illustrateurs d’aujourd’hui, de plus en plus souvent sortis d’écoles d’art, sont d’une inventivité indéniable. Pas tous ? Non, certes, mais beaucoup. Tout est permis, tout est possible, mais l’édition est une industrie et nous ne vivons pas dans un monde de bisounours. Hypothèse pas trop risquée quand même : aux côtés d’esthétiques éprouvées et répétitives (il en faut), se développeront, dans le sillage de ce qui se publie aujourd’hui, des manières de faire plus stimulantes encore, innovantes et audacieuses, impertinentes parfois.
(Beaugency, le 28 mars 2015)
Né en 1947. maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente-cinq ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire » Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national. Articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public.
Né en 1947, pris en charge par une tante religieuse de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul, Roger Wallet aurait pu être prêtre. Mais dans la vieille institution républicaine qu’est l’Ecole normale de Beauvais (Oise), il découvre le militantisme et se détourne des affaires de la religion pour s’intéresser à celles de ses frères en humanité. En 1968, il rencontre Guy d’Hardivillers, à la Fédération des œuvres laïques. un instituteur de sept ans son aîné, qui l’initiera au théâtre. Objecteur de conscience, il fera son service civil chez Emmaüs. Instituteur jusqu’en 1992, avec un intermède d’un an à la direction du Centre d’animation culturelle de Compiègne et du Valois, chef de cabinet de l’inspecteur d’académie jusqu’en 1999, directeur du Centre départemental de documentation pédagogique jusqu’en 2006, année de son départ à la retraite. » J’ai vécu principalement en Picardie où, professionnellement, ma carrière s’est partagée entre l’enseignement et l’action culturelle. J’ai écrit un grand nombre de chansons. Mon premier livre a été publié en 1999, Portraits d’automne (Le Dilettante) et j’en ai une trentaine à mon actif : poésie, romans, nouvelles, essais, théâtre, etc. » En 2012, la compagnie théâtrale Les fous de bassan a accueilli Roger Wallet pour une résidence d’écrivain dans le canton de Beaugency (Loiret).