par Rolande Causse
Dans Les Passeurs de livres de Daraya : une bibliothèque secrète en Syrie (1) de Delphine Minoui (2), livre exceptionnel, l’auteure raconte l’installation d’une bibliothèque souterraine dans la ville de Daraya, banlieue de Damas aux 200 000 habitants en 2011 et 8 000 seulement en 2016 dont 2 000 combattants.
Daraya, ville de traditions contestataires où, dès 2011, les habitants manifestent pour plus de libertés. Ils s’organisent et, contre Bachar el-Assad, un groupe de rebelles naît. Mais fait rare il demeure sous la responsabilité du comité local de cette ville.
Hélas, les troupes gouvernementales aidées par l’aviation ruse vont bombarder la cité sans relâche (bombes bourrées de clous et de ferraille, gaz aveuglants, bombes incendiaires). En 2012, lors de la destruction de la villa d’un professeur, les sauveteurs découvrent dans les ruines des sols jonchés de livres de tous formats et sur tous les sujets. L’un d’eux a l’idée de les transporter dans une cave et d’y ouvrir une bibliothèque clandestine mais destinée à tous les habitants.
Quatre années durant, cette bibliothèque sera fréquentée et les livres circuleront. Malgré attaques, bombardements et famine, les habitants résisteront et liront.
Les rebelles partiront sans jamais oublier leurs romans ou livres de psychologie qu’ils échangeront parfois sur les lieux de combat. Sans cesse les hommes viennent, malgré les snipers menaçants, ils empruntent des livres pour toute la famille.
Hélas, en 2016, comme à Alep, les troupes de Bachar el-Assad envahiront la ville, les derniers habitants seront déplacés et la bibliothèque sera saccagée.
Mais durant quatre années la lecture a soutenu familles et combattants qui avaient pour la plus part abandonné leurs études. Certains ont organisé des cours très suivis dans la bibliothèque.
Elle était également lieu de réunion et parfois lieu festif aussi. La lecture a soutenu ces résistants. Ils disent lire « pour s’évader, se retrouver, pour exister. » « C’est l’affirmation d’une liberté dont ils ont été si longtemps privés. » affirme l’auteur. Cet ouvrage permet de mieux comprendre la guerre en Syrie à travers ses habitants, à travers ses jeunes ex étudiants, qui se sont dressés contre l’oppresseur, soutenus par la richesse des livres.
Une bibliothèque secrète en Syrie apporte connaissances, émotions, imaginaire et montre tout ce que la lecture peut apporter dans de telles circonstances difficiles.
Ce témoignage, à la belle écriture, est né grâce à des contacts répétés et parfois difficiles par internet et skype; puis par des rencontres à la frontière turco-syrienne.
Un récit indispensable pour tous ceux qui désirent savoir combien les livres peuvent soutenir les citadins d’une ville assiégée.
(octobre 2017)
(1) Les passeurs de livres de Daraya : une bibliothèque secrète en Syrie, de Delphine Minoui, Le Seuil, 2017, 160 pages, 16,00 euros.
(2) Journaliste française et grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient, lauréate du Prix Albert Londres, Delphine Minoui réside à Istambul où elle suit la guerre en Syrie pour France Inter et France Info dès 1999, et pour Le Figaro à partir de 2002.
Rolande Causse, écrivaine et formatrice, auteur de poèmes, d’albums, de romans, de livrets d’opéra ; fondatrice en 1975 de La Scribure, association qui se consacre à la pratique des ateliers de lecture-écriture et à la promotion de la littérature pour la jeunesse ; c’est Rolande Causse qui, en 1984, organisa le (premier) Festival Livres Enfants-Jeunes de Montreuil ; parmi ses ouvrages pour les enfants et les jeunes : Mère absente fille tourmente (Gallimard, 1983), Rouge Braise (Gallimard, 1985), Les enfants d’Izieu (Le Seuil, 1989), Le Petit Marcel Proust (Gallimard, 2005), 20 ans pour devenir… Martin Luther King et 20 ans pour devenir… Nelson Mandela (Oskar, 2016) ; pour les médiateurs : La Scribure (Buchet-Chastel, 1983), Le guide des meilleurs livres pour enfants (Calmann-Lévy, 1986), Qui a lu petit, lira grand (Plon, 2000), Qui lit petit lit toute sa vie (Albin Michel, 2005).